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Date de création : 09.08.2009
Dernière mise à jour :
31.01.2016
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On y revient; il faut y revenir moi-même.
Ce qu’on attaque en moi, c’est mon temps, et je l’aime.
Certe, on me laisserait en paix, passant obscur,
Si je ne contenais, atome de l’azur,
Un peu du grand rayon dont notre époque est faite.
Hier le citoyen, aujourd’hui le poëte;
Le -romantique- après le -libéral-. — Allons,
Soit; dans mes deux sentiers mordez mes deux talons.
Je suis le ténébreux par qui tout dégénère.
Sur mon autre côté lancez l’autre tonnerre.
Vous aussi, vous m’avez vu tout jeune, et voici
Que vous me dénoncez, bonhomme, vous aussi;
Me déchirant le plus allégrement du monde,
Par attendrissement pour mon enfance blonde.
Vous me criez: -Comment, Monsieur! qu’est-ce que c’est?
— La stance va nu-pieds! le drame est sans corset!
— La muse jette au vent sa robe d’innocence!
— Et l’art crève la règle et dit: -C’est la croissance!-
Géronte littéraire aux aboiements plaintifs,
Vous vous ébahissez, en vers rétrospectifs,
Que ma voix trouble l’ordre, et que ce romantique
Vive, et que ce petit, à qui l’Art Poétique
Avec tant de bonté donna le pain et l’eau,
Devienne si pesant aux genoux de Boileau!
Vous regardez mes vers, pourvus d’ongles et d’ailes,
Refusant de marcher derrière les modèles,
Comme après les doyens marchent les petits clercs;
Vous en voyez sortir de sinistres éclairs;
Horreur! et vous voilà poussant des cris d’hyène
A travers les barreaux de la Quotidienne.
Vous épuisez sur moi tout votre calepin,
Et le père Bouhours et le père Rapin;
Et m’écrasant avec tous les noms qu’on vénère,
Vous lâchez le grand mot: Révolutionnaire.
Et, sur ce, les pédants en choeur disent: Amen!
On m’empoigne; on me fait passer mon examen;
La Sorbonne bredouille et l’école griffonne;
De vingt plumes jaillit la colère bouffonne:
— Que veulent ces affreux novateurs? ça des vers?
— Devant leurs livres noirs, la nuit, dans l’ombre ouverts,
— Les lectrices ont peur au fond de leurs alcôves.
— Le Pinde entend rugir leurs rimes bêtes fauves,
— Et frémit. Par leur faute aujourd’hui tout est mort;
— L’alexandrin saisit la césure, et la mord;
— Comme le sanglier dans l’herbe et dans la sauge,
— Au beau milieu du vers l’enjambement patauge;
— Que va-t-on devenir? Richelet s’obscurcit.
— Il faut à toute chose un magister dixit.
— Revenons à la règle, et sortons de l’opprobre;
— L’hippocrène est de l’eau; donc le beau, c’est le sobre.
— Les vrais sages ayant la raison pour lien,
— Ont toujours consulté, sur l’art, Quintilien;
— Sur l’algèbre, Leibnitz; sur la guerre, Végèce.-
Quand l’impuissance écrit, elle signe: Sagesse.
Je ne vois pas pourquoi je ne vous dirais point
Ce qu’à d’autres j’ai dit sans leur montrer le poing.
Eh bien, démasquons-nous! c’est vrai, notre âme est noire;
Sortons du domino nommé forme oratoire.
On nous a vus, poussant vers un autre horizon
La langue, avec la rime entraînant la raison,
Lancer au pas de charge, en batailles rangées,
Sur Laharpe éperdu, toutes ces insurgées.
Nous avons au vieux style attaché ce brûlot:
Liberté! Nous avons, dans le même complot,
Mis l’esprit, pauvre diable, et le mot, pauvre hère;
Nous avons déchiré le capuchon, la haire,
Le froc, dont on couvrait l’Idée aux yeux divins.
Tous on fait rage en foule. Orateurs, écrivains,
Poëtes, nous avons, du doigt avançant l’heure,
Dit à la rhétorique: — Allons, fille majeure,
Lève les yeux! — et j’ai, chantant, luttant, bravant,
Tordu plus d’une grille au parloir du couvent;
J’ai, torche en main, ouvert les deux battants du drame;
Pirates, nous avons, à la voile, à la rame,
De la triple unité pris l’aride archipel;
Sur l’Hélicon tremblant j’ai battu le rappel.
Tout est perdu! le vers vague sans muselière!
A Racine effaré nous préférons Molière;
O pédants! à Ducis nous préférons Rotrou.
Lucrèce Borgia sort brusquement d’un trou,
Et mêle des poisons hideux à vos guimauves;
Le drame échevelé fait peur à vos fronts chauves;
C’est horrible! oui, brigand, jacobin, malandrin,
J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin;
Les mots de qualité, les syllabes marquises,
Vivaient ensemble au fond de leurs grottes exquises,
Faisaient la bouche en coeur et ne parlant qu’entre eux,
J’ai dit aux mots d’en bas: Manchots, boiteux, goîtreux,
Redressez-vous! planez, et mêlez-vous, sans règles,
Dans la caverne immense et farouche des aigles!
J’ai déjà confessé ce tas de crimes-là;
Oui, je suis Papavoine, Érostrate, Attila:
Après?
Emportez-vous, et criez à la garde,
Brave homme! tempêtez! tonnez! je vous regarde.
Nos progrès prétendus vous semblent outrageants;
Vous détestez ce siècle où, quand il parle aux gens,
Le vers des trois saluts d’usage se dispense;
Temps sombre où, sans pudeur, on écrit comme on pense,
Où l’on est philosophe et poëte crûment,
Où de ton vin sincère, adorable, écumant,
O sévère idéal, tous les songeurs sont ivres.
Vous couvrez d’abat-jour, quand vous ouvrez nos livres,
Vos yeux, par la clarté du mot propre brûlés;
Vous exécrez nos vers francs et vrais, vous hurlez
De fureur en voyant nos strophes toutes nues.
Mais où donc est le temps des nymphes ingénues,
Qui couraient dans les bois, et dont la nudité
Dansait dans la lueur des vagues soirs d’été?
Sur l’aube nue et blanche, entr’ouvrant sa fenêtre,
Faut-il plisser la brume honnête et prude, et mettre
Une feuille de vigne à l’astre dans l’azur?
Le flot, conque d’amour, est-il d’un goût peu sûr?
O Virgile, Pindare, Orphée! est-ce qu’on gaze,
Comme une obscénité, les ailes de Pégase,
Qui semble, les ouvrant au haut du mont béni,
L’immense papillon du baiser infini?
Est-ce que le soleil splendide est un cynique?
La fleur a-t-elle tort d’écarter sa tunique?
Calliope, planant derrière un pan des cieux,
Fait donc mal de montrer à Dante soucieux
Ses seins éblouissants à travers les étoiles?
Vous êtes un ancien d’hier. Libre et sans voiles,
Le grand Olympe nu vous ferait dire: Fi!
Vous mettez une jupe au Cupidon bouffi;
Au clinquant, aux neuf soeurs en atours, au Parnasse
De Titon du Tillet, votre goût est tenace;
Apollon vous ferait l’effet d’un Mohican;
Vous prendriez Vénus pour une sauvagesse.
L’âge — c’est là souvent toute notre sagesse -
A beau vous bougonner tout bas: -Vous avez tort,
— Vous vous ferez tousser si vous criez si fort;
— Pour quelques nouveautés sauvages et fortuites,
— Monsieur, ne troublez pas la paix de vos pituites.
— Ces gens-ci vont leur train; qu’est-ce que ça vous fait?
— Ils ne trouvent que cendre au feu qui vous chauffait.
— Pourquoi déclarez-vous la guerre à leur tapage?
— Ce siècle est libéral comme vous fûtes page.
— Fermez bien vos volets, tirez bien vos rideaux,
— Soufflez votre chandelle, et tournez-lui le dos!
— Qu’est l’âme du vrai sage? Une sourde-muette.
— Que vous importe, à vous, que tel ou tel poëte,
— Comme l’oiseau des cieux, veuille avoir sa chanson;
— Et que tel garnement du Pinde, nourrisson
— Des Muses, au milieu d’un bruit de corybante,
— Marmot sombre, ait mordu leur gorge un peu tombante?-
Vous n’en tenez nul compte, et vous n’écoutez rien.
Voltaire, en vain, grand homme et peu voltairien,
Vous murmure à l’oreille: -Ami, tu nous assommes!-
— – Vous écumez! — partant de ceci: que nous, hommes
De ce temps d’anarchie et d’enfer, nous donnons
L’assaut au grand Louis juché sur vingt grands noms;
Vous dites qu’après tout nous perdons notre peine,
Que haute est l’escalade et courte notre haleine;
Que c’est dit, que jamais nous ne réussirons;
Que Batteux nous regarde avec ses gros yeux ronds,
Que Tancrède est de bronze et qu’Hamlet est de sable.
Vous déclarez Boileau perruque indéfrisable;
Et, coiffé de lauriers, d’un coup d’oeil de travers,
Vous indiquez le tas d’ordures de nos vers,
Fumier où la laideur de ce siècle se guinde
Au pauvre vieux bon goût, ce balayeur du Pinde;
Et même, allant plus loin, vaillant, vous nous criez:
— Je vais vous balayer moi-même!-
De tout temps les Chevaux ne sont nés pour les hommes.
Lorsque le genre humain de gland se contentait,
Ane, Cheval, et Mule, aux forêts habitait ;
Et l’on ne voyait point, comme au siècle où nous sommes,
Tant de selles et tant de bâts,
Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaises, tant de carrosses,
Comme aussi ne voyait-on pas
Tant de festins et tant de noces.
Or un Cheval eut alors différent
Avec un Cerf plein de vitesse,
Et ne pouvant l’attraper en courant,
Il eut recours à l’Homme, implora son adresse.
L’Homme lui mit un frein, lui sauta sur le dos,
Ne lui donna point de repos
Que le Cerf ne fût pris, et n’y laissât la vie ;
Et cela fait, le Cheval remercie
L’Homme son bienfaiteur, disant : Je suis à vous ;
Adieu. Je m’en retourne en mon séjour sauvage.
- Non pas cela, dit l’Homme ; il fait meilleur chez nous :
Je vois trop quel est votre usage.
Demeurez donc ; vous serez bien traité.
Et jusqu’au ventre en la litière.
Hélas ! que sert la bonne chère
Quand on n’a pas la liberté ?
Le Cheval s’aperçut qu’il avait fait folie ;
Mais il n’était plus temps : déjà son écurie
Etait prête et toute bâtie.
Il y mourut en traînant son lien.
Sage s’il eût remis une légère offense.
Quel que soit le plaisir que cause la vengeance,
C’est l’acheter trop cher, que l’acheter d’un bien
Sans qui les autres ne sont rien.
Tout est mystère dans l’Amour,
Ses flèches, son Carquois, son Flambeau, son Enfance.
Ce n’est pas l’ouvrage d’un jour
Que d’épuiser cette Science.
Je ne prétends donc point tout expliquer ici.
Mon but est seulement de dire, à ma manière,
Comment l’Aveugle que voici
(C’est un Dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière ;
Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien ;
J’en fais juge un Amant, et ne décide rien.
La Folie et l’Amour jouaient un jour ensemble.
Celui-ci n’était pas encor privé des yeux.
Une dispute vint : l’Amour veut qu’on assemble
Là-dessus le Conseil des Dieux.
L’autre n’eut pas la patience ;
Elle lui donne un coup si furieux,
Qu’il en perd la clarté des Cieux.
Vénus en demande vengeance.
Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris :
Les Dieux en furent étourdis,
Et Jupiter, et Némésis,
Et les Juges d’Enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l’énormité du cas.
Son fils, sans un bâton, ne pouvait faire un pas :
Nulle peine n’était pour ce crime assez grande.
Le dommage devait être aussi réparé.
Quand on eut bien considéré
L’intérêt du Public, celui de la Partie,
Le résultat enfin de la suprême Cour
Fut de condamner la Folie
A servir de guide à l’Amour.
Bertrand avec Raton, l’un Singe et l’autre Chat,
Commensaux d’un logis, avaient un commun Maître.
D’animaux malfaisants c’était un très bon plat ;
Ils n’y craignaient tous deux aucun, quel qu’il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,
L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage.
Bertrand dérobait tout ; Raton de son côté
Etait moins attentif aux souris qu’au fromage.
Un jour au coin du feu nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.
Les escroquer était une très bonne affaire :
Nos galands y voyaient double profit à faire,
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.
Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd’hui
Que tu fasses un coup de maître.
Tire-moi ces marrons. Si Dieu m’avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes marrons verraient beau jeu.
Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte,
D’une manière délicate,
Ecarte un peu la cendre, et retire les doigts,
Puis les reporte à plusieurs fois ;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque.
Et cependant Bertrand les croque.
Une servante vient : adieu mes gens. Raton
N’était pas content, ce dit-on.
Aussi ne le sont pas la plupart de ces Princes
Qui, flattés d’un pareil emploi,
Vont s’échauder en des Provinces
Pour le profit de quelque Roi.
Un Savetier chantait du matin jusqu’au soir :
C’était merveilles de le voir,
Merveilles de l’ouïr ; il faisait des passages,
Plus content qu’aucun des sept sages.
Son voisin au contraire, étant tout cousu d’or,
Chantait peu, dormait moins encor.
C’était un homme de finance.
Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le Savetier alors en chantant l’éveillait,
Et le Financier se plaignait,
Que les soins de la Providence
N’eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.
En son hôtel il fait venir
Le chanteur, et lui dit : Or çà, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an ? – Par an ? Ma foi, Monsieur,
Dit avec un ton de rieur,
Le gaillard Savetier, ce n’est point ma manière
De compter de la sorte ; et je n’entasse guère
Un jour sur l’autre : il suffit qu’à la fin
J’attrape le bout de l’année :
Chaque jour amène son pain.
- Eh bien que gagnez-vous, dites-moi, par journée ?
- Tantôt plus, tantôt moins : le mal est que toujours ;
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes,)
Le mal est que dans l’an s’entremêlent des jours
Qu’il faut chommer ; on nous ruine en Fêtes.
L’une fait tort à l’autre ; et Monsieur le Curé
De quelque nouveau Saint charge toujours son prône.
Le Financier riant de sa naïveté
Lui dit : Je vous veux mettre aujourd’hui sur le trône.
Prenez ces cent écus : gardez-les avec soin,
Pour vous en servir au besoin.
Le Savetier crut voir tout l’argent que la terre
Avait depuis plus de cent ans
Produit pour l’usage des gens.
Il retourne chez lui : dans sa cave il enserre
L’argent et sa joie à la fois.
Plus de chant ; il perdit la voix
Du moment qu’il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis,
Il eut pour hôtes les soucis,
Les soupçons, les alarmes vaines.
Tout le jour il avait l’oeil au guet ; Et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit,
Le chat prenait l’argent : A la fin le pauvre homme
S’en courut chez celui qu’il ne réveillait plus !
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus.