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Date de création : 09.08.2009
Dernière mise à jour :
31.01.2016
113496 articles
Oh ! vous dont le travail est joie,
Vous qui n’avez pas d’autre proie
Que les parfums, souffles du ciel,
Vous qui fuyez quand vient décembre,
Vous qui dérobez aux fleurs l’ambre
Pour donner aux hommes le miel,
Chastes buveuses de rosée,
Qui, pareilles à l’épousée,
Visitez le lys du coteau,
Ô soeurs des corolles vermeilles,
Filles de la lumière, abeilles,
Envolez-vous de ce manteau !
Ruez-vous sur l’homme, guerrières !
Ô généreuses ouvrières,
Vous le devoir, vous la vertu,
Ailes d’or et flèches de flamme,
Tourbillonnez sur cet infâme !
Dites-lui : « Pour qui nous prends-tu ?
» Maudit ! nous sommes les abeilles !
Des chalets ombragés de treilles
Notre ruche orne le fronton ;
Nous volons, dans l’azur écloses,
Sur la bouche ouverte des roses
Et sur les lèvres de Platon.
» Ce qui sort de la fange y rentre.
Va trouver Tibère en son antre,
Et Charles neuf sur son balcon.
Va ! sur ta pourpre il faut qu’on mette,
Non les abeilles de l’Hymette,
Mais l’essaim noir de Montfaucon !»
Et percez-le toutes ensemble,
Faites honte au peuple qui tremble,
Aveuglez l’immonde trompeur,
Acharnez-vous sur lui, farouches,
Et qu’il soit chassé par les mouches
Puisque les hommes en ont peur !
Qu’es-tu, passant ? Le bois est sombre,
Les corbeaux volent en grand nombre,
Il va pleuvoir.
- Je suis celui qui va dans l’ombre,
Le Chasseur Noir !
Les feuilles des bois, du vent remuées,
Sifflent… on dirait
Qu’un sabbat nocturne emplit de huées
Toute la forêt ;
Dans une clairière au sein des nuées
La lune apparaît.
- Chasse le daim, chasse la biche,
Cours dans les bois, cours dans la friche,
Voici le soir.
Chasse le czar, chasse l’Autriche,
Ô Chasseur Noir !
Les feuilles des bois -
Souffle en ton cor, boucle ta guêtre,
Chasse les cerfs qui viennent paître
Près du manoir.
Chasse le roi, chasse le prêtre,
Ô Chasseur Noir !
Les feuilles des bois -
Il tonne, il pleut, c’est le déluge.
Le renard fuit, pas de refuge
Et pas d’espoir !
Chasse l’espion, chasse le juge,
Ô Chasseur Noir !
Les feuilles des bois -
Tous les démons de saint-Antoine
Bondissent dans la folle avoine
Sans t’émouvoir ;
Chasse l’abbé, chasse le moine,
Ô Chasseur Noir !
Les feuilles des bois -
Chasse les ours ! ta meute jappe.
Que pas un sanglier n’échappe !
Fais ton devoir !
Chasse César, chasse le pape,
Ô Chasseur Noir !
Les feuilles des bois -
Le loup de ton sentier s’écarte.
Que ta meute à sa suite parte !
Cours ! fais-le choir !
Chasse le brigand Bonaparte,
Ô Chasseur Noir !
Les feuilles des bois, du vent remuées,
Tombent… on dirait
Que le sabbat sombre aux rauques huées
A fui la forêt ;
Le clair chant du coq perce les nuées ;
Ciel ! l’aube apparaît !
Tout reprend sa forme première.
Tu redeviens la France altière
Si belle à voir,
L’ange blanc vêtu de lumière,
Ô Chasseur Noir !
Les feuilles des bois, du vent remuées,
Tombent… on dirait
Que le sabbat sombre aux rauques huées
A fui la forêt ;
Le clair chant du coq perce les nuées,
Ciel ! l’aube apparaît !
Cette nuit, il pleuvait, la marée était haute,
Un brouillard lourd et gris couvrait toute la côte,
Les brisants aboyaient comme des chiens, le flot
Aux pleurs du ciel profond joignait son noir sanglot,
L’infini secouait et mêlait dans son urne
Les sombres tournoiements de l’abîme nocturne ;
Les bouches de la nuit semblaient rugir dans l’air.
J’entendais le canon d’alarme sur la mer.
Des marins en détresse appelaient à leur aide.
Dans l’ombre où la rafale aux rafales succède,
Sans pilote, sans mât, sans ancre, sans abri,
Quelque vaisseau perdu jetait son dernier cri.
Je sortis. Une vieille, en passant effarée,
Me dit : « Il a péri ; c’est un chasse-marée. »
Je courus à la grève et ne vis qu’un linceul
De brouillard et de nuit, et l’horreur, et moi seul ;
Et la vague, dressant sa tête sur l’abîme,
Comme pour éloigner un témoin de son crime,
Furieuse, se mit à hurler après moi.
Qu’es-tu donc, Dieu jaloux, Dieu d’épreuve et d’effroi,
Dieu des écroulements, des gouffres, des orages,
Que tu n’es pas content de tant de grands naufrages,
Qu’après tant de puissants et de forts engloutis,
Il te reste du temps encor pour les petits,
Que sur les moindres fronts ton bras laisse sa marque,
Et qu’après cette France, il te faut cette barque !
Ce serait une erreur de croire que ces choses
Finiront par des chants et des apothéoses ;
Certe, il viendra, le rude et fatal châtiment ;
Jamais l’arrêt d’en haut ne recule et ne ment,
Mais ces jours effrayants seront des jours sublimes.
Tu feras expier à ces hommes leurs crimes,
Ô peuple généreux, ô peuple frémissant,
Sans glaive, sans verser une goutte de sang,
Par la loi ; sans pardon, sans fureur, sans tempête.
Non, que pas un cheveu ne tombe d’une tête ;
Que l’on n’entende pas une bouche crier ;
Que pas un scélérat ne trouve un meurtrier.
Les temps sont accomplis ; la loi de mort est morte ;
Du vieux charnier humain nous avons clos la porte.
Tous ces hommes vivront. – Peuple, pas même lui !
Nous le disions hier, nous venons aujourd’hui
Le redire, et demain nous le dirons encore,
Nous qui des temps futurs portons au front l’aurore,
Parce que nos esprits, peut-être pour jamais,
De l’adversité sombre habitent les sommets ;
Nous les absents, allant où l’exil nous envoie ;
Nous : proscrits, qui sentons, pleins d’une douce joie,
Dans le bras qui nous frappe une main nous bénir ;
Nous, les germes du grand et splendide avenir
Que le Seigneur, penché sur la famille humaine,
Sema dans un sillon de misère et de peine.
II
Ils tremblent, ces coquins, sous leur nom accablant ;
Ils ont peur pour leur tête infâme, ou font semblant ;
Mais, marauds, ce serait déshonorer la Grève !
Des révolutions remuer le vieux glaive
Pour eux ! y songent-ils ? diffamer l’échafaud !
Mais, drôles, des martyrs qui marchaient le front haut,
Des justes, des héros, souriant à l’abîme,
Son morts sur cette planche et l’ont faite sublime !
Quoi ! Charlotte Corday, quoi ! madame Roland
Sous cette grande hache ont posé leur cou blanc,
Elles l’ont essuyée avec leur tresse blonde,
Et Magnan y viendrait faire sa tache immonde !
Où le lion gronda, grognerait le pourceau !
Pour Rouher, Fould et Suin, ces rebuts du ruisseau,
L’échafaud des Camille et des Vergniaud superbes !
Quoi, grand Dieu, pour Troplong la mort de Malesherbes !
Traiter le sieur Delangle ainsi qu’André Chénier !
Jeter ces têtes-là dans le même panier,
Et, dans ce dernier choc qui mêle et qui rapproche,
Faire frémir Danton du contact de Baroche !
Non, leur règne, où l’atroce au burlesque se joint,
Est une mascarade, et, ne l’oublions point,
Nous en avons pleuré, mais souvent nous en rimes.
Sous prétexte qu’il a commis beaucoup de crimes,
Et qu’il est assassin autant que charlatan,
Paillasse après Saint-Just, Robespierre et Titan,
Monterait cette échelle effrayante et sacrée !
Après avoir coupé le cou de Briarée,
Ce glaive couperait la tête d’Arlequin !
Non, non ! maître Rouher, vous êtes un faquin,
Fould, vous êtes un fat, Suin, vous êtes un cuistre.
L’échafaud est le lieu du triomphe sinistre,
Le piédestal, dressé sur le noir cabanon,
Qui fait tomber la tête et fait surgir le nom,
C’est le faîte vermeil d’où le martyr s’envole,
C’est la hache impuissante à trancher l’auréole,
C’est le créneau sanglant, étrange et redouté,
Par où l’âme se penche et voit l’éternité.
Ce qu’il faut, ô justice, à ceux de cette espèce,
C’est le lourd bonnet vert, c’est la casaque épaisse,
C’est le poteau ; c’est Brest, c’est Clairvaux, c’est Toulon
C’est le boulet roulant derrière leur talon,
Le fouet et le bâton, la chaîne, âpre compagne,
Et les sabots sonnant sur le pavé du bagne !
Qu’ils vivent accouplés et flétris ! L’échafaud,
Sévère, n’en veut pas. Qu’ils vivent, il le faut,
L’un avec sa simarre et l’autre avec son cierge !
La mort devant ces gueux baisse ses yeux de vierge.
Tu ne dois pas chercher le pouvoir, tu dois faire
Ton œuvre ailleurs ; tu dois, esprit d’une autre sphère,
Devant l’occasion reculer chastement.
De la pensée en deuil doux et sévère amant,
Compris ou dédaigné des hommes, tu dois être
Pâtre pour les garder et pour les bénir prêtre.
Lorsque les citoyens, par la misère aigris,
Fils de la même France et du même Paris,
S’égorgent ; quand, sinistre, et soudain apparue,
La morne barricade au coin de chaque rue
Monte et vomit la mort de partout à la fois,
Tu dois y courir seul et désarmé ; tu dois
Dans cette guerre impie, abominable, infâme,
Présenter ta poitrine et répandre ton âme,
Parler, prier, sauver les faibles et les forts,
Sourire à la mitraille et pleurer sur les morts ;
Puis remonter tranquille à ta place isolée,
Et là, défendre, au sein de l’ardente assemblée,
Et ceux qu’on veut proscrire et ceux qu’on croit juger,
Renverser l’échafaud, servir et protéger
L’ordre et la paix, qu’ébranle un parti téméraire,
Nos soldats trop aisés à tromper, et ton frère,
Le pauvre homme du peuple aux cabanons jeté,
Et les lois, et la triste et fière liberté ;
Consoler dans ces jours d’anxiété funeste,
L’art divin qui frissonne et pleure, et pour le reste
Attendre le moment suprême et décisif.
Ton rôle est d’avertir et de rester pensif.
Des sabres sont partout posés sur les provinces.
L’autel ment. On entend ceux qu’on nomme les princes
Jurer, d’un front tranquille et sans baisser les yeux,
De faux serpents qui font, tant ils navrent les âmes,
Tant ils sont monstrueux, effroyables, infâmes,
Remuer le tonnerre endormi dans les cieux.
Les soldats ont fouetté des femmes dans les rues.
Où sont la liberté, la vertu ? disparues !
Dans l’exil ! dans l’horreur des pontons étouffants !
Ô nations ! où sont vos âmes les plus belles ?
Le boulet, c’est trop peu contre de tels rebelles
Haynau dans les canons met des têtes d’enfants.
Peuple russe, tremblant et morne, tu chemines,
Serf à Saint-Pétersbourg, ou forçat dans les mines.
Le pôle est pour ton maître un cachot vaste et noir ;
Russie et Sibérie, ô czar ! tyran ! vampire !
Ce sont les deux moitiés de ton funèbre empire ;
L’une est l’oppression, l’autre est le Désespoir.
Les supplices d’Ancône emplissent les murailles.
Le pape Mastaï fusille ses ouailles ;
Il pose là l’hostie et commande le feu.
Simoncelli périt le premier ; tous les autres
Le suivent sans pâlir, tribuns, soldats, apôtres ;
Ils meurent, et s’en vont parler du prêtre à Dieu.
Saint-Père, sur tes mains laisse tomber tes manches !
Saint-Père, on voit du sang à tes sandales blanches !
Borgia te sourit, le pape empoisonneur.
Combien sont morts ? combien mourront ? qui sait le nombre ?
Ce qui mène aujourd’hui votre troupeau dans l’ombre,
Ce n’est pas le berger, c’est le boucher, Seigneur !
Italie ! Allemagne ! ô Sicile ! ô Hongrie !
Europe, aïeule en pleurs, de misère amaigrie,
Vos meilleurs fils sont morts ; l’honneur sombre est absent.
Au midi l’échafaud, au nord un ossuaire.
La lune chaque nuit se lève en un suaire,
Le soleil chaque soir se couche dans du sang.
Sur les français vaincus un saint-office pèse.
Un brigand les égorge, et dit : je les apaise.
Paris lave à genoux le sang qui l’inonda ;
La France garrottée assiste à l’hécatombe.
Par les pleurs, par les cris, réveillés dans la tombe,
- Bien ! dit Laubardemont ; – Va ! dit Torquemada.
Batthyani, Sandor, Poërio, victimes !
Pour le peuple et le droit en vain nous combattîmes.
Baudin tombe, agitant son écharpe en lambeau.
Pleurez dans les forêts, pleurez sur les montagnes !
Où Dieu mit des édens les rois mettent des bagnes
Venise est une chiourme et Naple est un tombeau.
Le gibet sur Arad ! le gibet sur Palerme !
La corde à ces héros qui levaient d’un bras ferme
Leur drapeau libre et fier devant les rois tremblants !
Tandis qu’on va sacrer l’empereur Schinderhannes,
Martyrs, la pluie à flots ruisselle sur vos crânes,
Et le bec des corbeaux fouillé vos yeux sanglants.
Avenir ! avenir ! voici que tout s’écroule !
Les pâles rois ont fui, la mer vient, le flot roule,
Peuples ! le clairon sonne aux quatre coins du ciel ;
Quelle fuite effrayante et sombre ! les armées
S’en vont dans la tempête en cendres enflammées,
L’épouvante se lève. – Allons, dit l’Eternel !
Prions ! voici l’ombre sereine.
Vers toi, grand Dieu, nos yeux et nos bras sont levés.
Ceux qui t’offrent ici leurs larmes et leur chaîne
Sont les plus douloureux parmi les éprouvés.
Ils ont le plus d’honneur ayant le plus de peine.
Souffrons ! le crime aura son tour.
Oiseaux qui passez, nos chaumières,
Vents qui passez, nos soeurs, nos mères
Sont là-bas, pleurant nuit et jour. !
Oiseaux, dites-leur nos misères !
Ô vents, portez-leur notre amour !
Nous t’envoyons notre pensée,
Dieu ! nous te demandons d’oublier les proscrits,
Mais de rendre sa gloire à la France abaissée ;
Et laisse-nous mourir, nous brisés et meurtris,
Nous que le jour brûlant livre à la nuit glacée !
Souffrons ! le crime -
Comme un archer frappe une cible,
L’implacable soleil nous perce de ses traits
Après le dur labeur, le sommeil impossible ;
Cette chauve-souris qui sort des noirs marais,
La fièvre, bat nos fronts de son aile invisible.
Souffrons ! le crime -
On a soif, l’eau brûle la bouche
On a faim, du pain noir ; travaillez, malheureux !
A chaque coup de pioche en ce désert farouche
La mort sort de la terre avec son rire affreux,
Prend l’homme dans ses bras, l’étreint et se recouche.
Souffrons ! le crime -
Mais qu’importe ! rien ne nous dompte ;
Nous sommes torturés et nous sommes contents.
Nous remercions Dieu vers qui notre hymne monte
De nous avoir choisis pour souffrir dans ce temps
Où tous ceux qui n’ont pas la souffrance ont la honte.
Souffrons ! le crime -
Vive la grande République !
Paix à l’immensité du soir mystérieux !
Paix aux morts endormis dans la tombe stoïque !
Paix au sombre océan qui mêle sous les cieux
La plainte de Cayenne au sanglot de l’Afrique !
Souffrons ! le crime aura son tour.
Oiseaux qui passez, nos chaumières,
Vents qui passez, nos soeurs, nos mères
Sont là-bas, pleurant nuit et jour.
Oiseaux, dites-leur nos misères !
Ô vents, portez-leur notre amour !
France ! à l’heure où tu te prosternes,
Le pied d’un tyran sur ton front,
La voix sortira des cavernes ;
Les enchaînés tressailleront.
Le banni, debout sur la grève,
Contemplant l’étoile et le flot,
Comme ceux qu’on entend en rêve,
Parlera dans l’ombre tout haut ;
Et ses paroles qui menacent,
Ses paroles dont l’éclair luit,
Seront comme des mains qui passent
Tenant des glaives dans la nuit.
Elles feront frémir les marbres
Et les monts que brunit le soir,
Et les chevelures des arbres
Frissonneront sous le ciel noir ;
Elles seront l’airain qui sonne,
Le cri qui chasse les corbeaux,
Le souffle inconnu dont frissonne
Le brin d’herbe sur les tombeaux ;
Elles crieront : Honte aux infâmes,
Aux oppresseurs, aux meurtriers !
Elles appelleront les âmes
Comme on appelle des guerriers !
Sur les races qui se transforment,
Sombre orage, elles planeront ;
Et si ceux qui vivent s’endorment,
Ceux qui sont morts s’éveilleront.
Ces hommes passeront comme un ver sur le sable.
Qu’est-ce que tu ferais de leur sang méprisable ?
Le dégoût rend clément.
Retenons la colère âpre, ardente, électrique.
Peuple, si tu m’en crois, tu prendras une trique
Au jour du châtiment.
Ô de Soulouque-deux burlesque cantonade !
Ô ducs de Trou-Bonbon, marquis de Cassonade,
Souteneurs du larron,
Vous dont la poésie, ou sublime ou mordante,
Ne sait que faire, gueux, trop grotesques pour Dante,
Trop sanglants pour Scarron,
Ô jongleurs, noirs par l’âme et par la servitude,
Vous vous imaginez un lendemain trop rude,
Vous êtes trop tremblants,
Vous croyez qu’on en veut, dans l’exil où nous sommes,
A cette peau qui fait qu’on vous prend pour des hommes ;
Calmez-vous, nègres blancs !
Cambyse, j’en conviens, eût eu ce coeur de roche
De faire asseoir Troplong sur la peau de Baroche
Au bout d’un temps peu long,
Il eût crié : Cet autre est pire. Qu’on l’étrangle !
Et, j’en conviens encore, eût fait asseoir Delangle
Sur la peau de Troplong.
Cambyse était stupide et digne d’être auguste ;
Comme s’il suffisait pour qu’un être soit juste,
Sans vices, sans orgueil,
Pour qu’il ne soit pas traître à la loi, ni transfuge,
Que d’une peau de tigre ou d’une peau de juge
On lui fasse un fauteuil !
Toi, peuple, tu diras : – Ces hommes se ressemblent.
Voyons les mains. – Et tous trembleront comme tremblent
Les loups pris aux filets.
- Bon. Les uns ont du sang, qu’au bagne on les écroue,
A la chaîne ! Mais ceux qui n’ont que de la boue,
Tu leur diras : – Valets !
La loi râlait, ayant en vain crié : main-forte !
Vous avez partagé les habits de la morte.
Par César achetés,
De tous nos droits livrés vous avez fait des ventes ;
Toutes ses trahisons ont trouvé pour servantes
Toutes vos lâchetés !
Allez, fuyez, vivez ! pourvu que, mauvais prêtre,
Mauvais juge, on vous voie en vos trous disparaître,
Rampant sur vos genoux,
Et qu’il ne reste rien, sous les cieux que Dieu dore,
Sous le splendide azur où se lève l’aurore,
Rien de pareil à vous !
Vivez, si vouspouvez ! l’opprobre est votre asile.
Vous aurez à jamais, toi, cardinal Basile,
Toi, sénateur Crispin,
De quoi boire et manger dans vos fuites lointaines,
Si le mépris se boit comme l’eau des fontaines,
Si la honte est du pain ! -
Peuple, alors nous prendrons au collet tous ces drôles,
Et tu les jetteras dehors par les épaules
A grands coups de bâton ;
Et dans le Luxembourg, blancs sous les branches d’arbre,
Vous nous approuverez de vos têtes de marbre,
Ô Lycurgue, ô Caton !
Citoyens ! le néant pour ces laquais se rouvre
Qu’importe, ô citoyens ! l’abjection les couvre
De son manteau de plomb.
Qu’importe que, le soir, un passant solitaire,
Voyant un récureur d’égouts sortir de terre,
Dise : Tiens ! c’est Troplong !
Qu’importe que Rouher sur le Pont-Neuf se carre,
Que Baroche et Delangle, en quittant leur simarre,
Prennent des tabliers,
Qu’ils s’offrent pour trois sous, oubliés quoique infâmes,
Et qu’ils aillent, après avoir sali leurs âmes,
Nettoyer vos souliers !
o
C’était en juin, j’étais à Bruxelle ; on me dit :
Savez-vous ce que fait maintenant ce bandit ?
Et l’on me raconta le meurtre juridique,
Charlet assassiné sur la place publique,
Cirasse, Cuisinier, tous ces infortunés
Que cet homme au supplice a lui-même traînés
Et qu’il a de ses mains liés sur la bascule.
Ô Sauveur, ô héros, vainqueur de crépuscule, César !
Dieu fait sortir de terre les moissons,
La vigne, l’eau courante abreuvant les buissons,
Les fruits vermeils, la rose où l’abeille butine,
Les chênes, les lauriers, et toi, la guillotine.
Prince qu’aucun de ceux qui lui donnent leurs voix
Ne voudrait rencontrer le soir au coin d’un bois !
J’avais le front brûlant ; je sortis par la ville.
Tout m’y parut plein d’ombre et de guerre civile ;
Les passants me semblaient des spectres effarés
Je m’enfuis dans les champs paisibles et dorés ;
Ô contre-coups du crime au fond de l’âme humaine !
La nature ne put me calmer. L’air, la plaine,
Les fleurs, tout m’irritait ; je frémissais devant
Ce monde où je sentais ce scélérat vivant.
Sans pouvoir m’apaiser je fis plus d’une lieue.
Le soir triste monta sous la coupole bleue .
Linceul frissonnant, l’ombre autour de moi s’accrut ;
Tout à coup la nuit vint, et la lune apparut
Sanglante, et dans les cieux, de deuil enveloppée,
Je regardai rouler cette tête coupée.
o