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Date de création : 09.08.2009
Dernière mise à jour :
31.01.2016
113496 articles
On conteste, on dispute, on proclame, on ignore.
Chaque religion est une tour sonore ;
Ce qu’un prêtre édifie, un prêtre le détruit ;
Chaque temple, tirant sa corde dans la nuit,
Fait, dans l’obscurité sinistre et solennelle,
Rendre un son différent à la cloche éternelle.
Nul ne connaît le fond, nul ne voit le sommet.
Tout l’équipage humain semble en démence ; on met
Un aveugle en vigie, un manchot à la barre ;
À peine a-t-on passé du sauvage au barbare,
À peine a-t-on franchi le plus noir de l’horreur,
À peine a-t-on, parmi le vertige et l’erreur,
Dans ce brouillard où l’homme attend, songe et soupire,
Sans sortir du mauvais, fait un pas hors du pire,
Que le vieux temps revient et nous mord les talons,
Et nous crie : Arrêtez ! Socrate dit : Allons !
Jésus-Christ dit : Plus loin ! et le sage et l’apôtre
S’en vont se demander dans le ciel l’un à l’autre
Quel goût a la ciguë et quel goût a le fiel.
Par moments, voyant l’homme ingrat, fourbe et cruel,
Satan lui prend la main sous le linceul de l’ombre.
Nous appelons science un tâtonnement sombre.
L’abîme, autour de nous, lugubre tremblement,
S’ouvre et se ferme ; et l’œil s’effraie également
De ce qui s’engloutit et de ce qui surnage.
Sans cesse le progrès, roue au double engrenage,
Fait marcher quelque chose en écrasant quelqu’un.
Le mal peut être joie, et le poison parfum.
Le crime avec la loi, morne et mélancolique,
Lutte ; le poignard parle, et l’échafaud réplique.
Nous entendons, sans voir la source ni la fin,
Derrière notre nuit, derrière notre faim,
Rire l’ombre Ignorance et la larve Misère.
Le lys a-t-il raison ? et l’astre est-il sincère ?
Je dis oui, tu dis non. Ténèbres et rayons
Affirment à la fois. Doute, Adam ! nous voyons
De la nuit dans l’enfant, de la nuit dans la femme ;
Et sur notre avenir nous querellons notre âme ;
Et, brûlé, puis glacé, chaos, semoun, frimas,
L’homme de l’infini traverse les climats.
Tout est brume ; le vent souffle avec des huées,
Et de nos passions arrache des nuées ;
Rousseau dit : L’homme monte ; et de Maistre : Il descend !
Mais, ô Dieu ! le navire énorme et frémissant,
Le monstrueux vaisseau sans agrès et sans voiles,
Qui flotte, globe noir, dans la mer des étoiles,
Et qui porte nos maux, fourmillement humain,
Va, marche, vogue et roule, et connaît son chemin ;
Le ciel sombre, où parfois la blancheur semble éclore,
À l’effrayant roulis mêle un frisson d’aurore,
De moment en moment le sort est moins obscur,
Et l’on sent bien qu’on est emporté vers l’azur.
Viens! — une flûte invisible
Soupire dans les vergers. –
La chanson la plus paisible
Est la chanson des bergers.
Le vent ride, sous l’yeuse,
Le sombre miroir des eaux. –
La chanson la plus joyeuse
Est la chanson des oiseaux.
Que nul soin ne te tourmente.
Aimons-nous! aimons toujours! –
La chanson la plus charmante
Est la chanson des amours.
Je ne songeais pas à Rose ;
Rose au bois vint avec moi ;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.
J’étais froid comme les marbres ;
Je marchais à pas distraits ;
Je parlais des fleurs, des arbres
Son oeil semblait dire: » Après ? »
La rosée offrait ses perles,
Le taillis ses parasols ;
J’allais ; j’écoutais les merles,
Et Rose les rossignols.
Moi, seize ans, et l’air morose ;
Elle, vingt ; ses yeux brillaient.
Les rossignols chantaient Rose
Et les merles me sifflaient.
Rose, droite sur ses hanches,
Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux branches
Je ne vis pas son bras blanc.
Une eau courait, fraîche et creuse,
Sur les mousses de velours ;
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds.
Rose défit sa chaussure,
Et mit, d’un air ingénu,
Son petit pied dans l’eau pure
Je ne vis pas son pied nu.
Je ne savais que lui dire ;
Je la suivais dans le bois,
La voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.
Je ne vis qu’elle était belle
Qu’en sortant des grands bois sourds.
» Soit ; n’y pensons plus ! » dit-elle.
Depuis, j’y pense toujours.
Denise, ton mari, notre vieux pédagogue,
Se promène; il s’en va troubler la fraîche églogue
Du bel adolescent Avril dans la forêt;
Tout tremble et tout devient pédant, dès qu’il paraît:
L’âne bougonne un thème au boeuf son camarade;
Le vent fait sa tartine, et l’arbre sa tirade;
L’églantier verdissant, doux garçon qui grandit,
Déclame le récit de Théramène, et dit:
Son front large est armé de cornes menaçantes.
Denise, cependant, tu rêves et tu chantes,
A l’âge où l’innocence ouvre sa vague fleur;
Et, d’un oeil ignorant, sans joie et sans douleur,
Sans crainte et sans désir, tu vois, à l’heure où rentre
L’étudiant en classe et le docteur dans l’antre,
Venir à toi, montant ensemble l’escalier,
L’ennui, maître d’école, et l’amour, écolier.
Se rouvrant, dans un vaste et doux frémissement.
O printemps! quand on songe à toutes les missives
Qui des amants rêveurs vont aux belles pensives,
A ces coeurs confiés au papier, à ce tas
De lettres que le feutre écrit au taffetas,
Au message d’amour, d’ivresse et de délire
Qu’on reçoit en avril et qu’en mai l’on déchire,
On croit voir s’envoler, au gré du vent joyeux,
Dans les prés, dans les bois, sur les eaux, dans les cieux,
Et rôder en tous lieux, cherchant partout une âme,
Et courir à la fleur en sortant de la femme,
Les petits morceaux blancs, chassés en tourbillons
De tous les billets doux, devenus papillons.
J’ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs
Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,
Puisque je ris à peine aux enfants qui m’entourent,
Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs ;
Puisqu’au printemps, quand Dieu met la nature en fête,
J’assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour ;
Puisque je suis à l’heure où l’homme fuit le jour ;
Hélas ! et sent de tout la tristesse secrète ;
Puisque l’espoir serein de mon âme est vaincu ;
Puisqu’en cette saison des parfums et des roses,
O ma fille ! j’aspire à l’ombre où tu reposes,
Puisque mon cœur est mort, j’ai bien assez vécu.
Je n’ai pas refusé ma tâche sur la terre.
Mon sillon ? Le voilà. Ma gerbe ? La voici.
J’ai vécu souriant, toujours plus adouci,
Debout, mais incliné du côté du mystère.
J’ai fait ce que j’ai pu ; j’ai servi, j’ai veillé,
Et j’ai vu bien souvent qu’on riait de ma peine.
Je me suis étonné d’être un objet de haine,
Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.
Dans ce bagne terrestre où ne s’ouvre aucune aile,
Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,
Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,
J’ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle.
Maintenant, mon regard ne s’ouvre qu’à demi ;
Je ne me tourne plus même quand on me nomme ;
Je suis plein de stupeur et d’ennui, comme un homme
Qui se lève avant l’aube et qui n’a pas dormi.
Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,
Répondre à l’envieux dont la bouche me nuit.
O seigneur ! ouvrez-moi les portes de la nuit
Afin que je m’en aille et que je disparaisse !
Quand il eut terminé, quand les soleils épars,
Éblouis, du chaos montant de toutes parts,
Se furent tous rangés à leur place profonde,
Il sentit le besoin de se nommer au monde ;
Et l’être formidable et serein se leva ;
Il se dressa sur l’ombre et cria : JÉHOVAH !
Et dans l’immensité ces sept lettres tombèrent ;
Et ce sont, dans les cieux que nos yeux réverbèrent,
Au-dessus de nos fronts tremblants sous leur rayon,
Les sept astres géants du noir septentrion.
Par-dessus l’horizon aux collines brunies,
Le soleil, cette fleur des splendeurs infinies,
Se penchait sur la terre à l’heure du couchant;
Une humble marguerite, éclose au bord d’un champ,
Sur un mur gris, croulant parmi l’avoine folle,
Blanche épanouissait sa candide auréole;
Et la petite fleur, par-dessus le vieux mur,
Regardait fixement, dans l’éternel azur,
Le grand astre épanchant sa lumière immortelle.
— Et, moi, j’ai des rayons aussi!- lui disait-elle.
Une terre au flanc maigre, âpre, avare, inclément,
Où les vivants pensifs travaillent tristement,
Et qui donne à regret à cette race humaine
Un peu de pain pour tant de labeur et de peine ;
Des hommes durs, éclos sur ces sillons ingrats ;
Des cités d’où s’en vont, en se tordant les bras,
La charité, la paix, la foi, sœurs vénérables ;
L’orgueil chez les puissants et chez les misérables ;
La haine au cœur de tous ; la mort, spectre sans yeux,
Frappant sur les meilleurs des coups mystérieux ;
Sur tous les hauts sommets des brumes répandues ;
Deux vierges, la justice et la pudeur, vendues ;
Toutes les passions engendrant tous les maux ;
Des forêts abritant des loups sous leurs rameaux ;
Là le désert torride, ici les froids polaires ;
Des océans émus de subites colères,
Pleins de mâts frissonnants qui sombrent dans la nuit ;
Des continents couverts de fumée et de bruit,
Où, deux torches aux mains, rugit la guerre infâme,
Où toujours quelque part fume une ville en flamme,
Où se heurtent sanglants les peuples furieux ; —
Et que tout cela fasse un astre dans les cieux !
Un spectre m’attendait dans un grand angle d’ombre,
Et m’a dit : — Le muet habite dans le sombre.
L’infini rêve, avec un visage irrité.
L’homme parle et dispute avec l’obscurité,
Et la larme de l’œil rit du bruit de la bouche.
Tout ce qui vous emporte est rapide et farouche.
Sais-tu pourquoi tu vis ? sais-tu pourquoi tu meurs ?
Les vivants orageux passent dans les rumeurs,
Chiffres tumultueux, flot de l’océan Nombre,
Vous n’avez rien à vous qu’un souffle dans de l’ombre ;
L’homme est à peine né, qu’il est déjà passé,
Et c’est avoir fini que d’avoir commencé.
Derrière le mur blanc, parmi les herbes vertes,
La fosse obscure attend l’homme, lèvres ouvertes.
La mort est le baiser de la bouche tombeau.
Tâche de faire un peu de bien, coupe un lambeau
D’une bonne action dans cette nuit qui gronde ;
Ce sera ton linceul dans la terre profonde.
Beaucoup s’en sont allés qui ne reviendront plus
Qu’à l’heure de l’immense et lugubre reflux ;
Alors, on entendra des cris. Tâche de vivre ;
Crois. Tant que l’homme vit, Dieu pensif lit son livre.
L’homme meurt quand Dieu fait au coin du livre un pli.
L’espace sait, regarde, écoute. Il est rempli
D’oreilles sous la tombe, et d’yeux dans les ténèbres.
Les morts ne marchant plus, dressent leurs pieds funèbres ;
Les feuilles sèches vont et roulent sous les cieux.
Ne sens-tu pas souffler le vent mystérieux ?