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Date de création : 07.05.2008
Dernière mise à jour : 30.06.2017
122498 articles


POEME VICTOR HUGO

o robert un conseil soyez moins candide

Publié à 14:44 par chouky39 Tags : bonne moi homme france dieu rose livre
o robert un conseil soyez moins candide

Ô Robert, un conseil. Ayez l’air moins candide.
Soyons homme d’esprit. Le moment est splendide,
Je le sais ; le quart d’heure est chatoyant, c’est vrai
Cette Californie est riche en minerai,
D’accord ; mais cependant quand un préfet, un maire,
Un évêque adorant le fils de votre mère,
Quand un Suin, un Parieu, payé pour sa ferveur,
Vous parlant en plein nez, vous appelle sauveur,
Vous promet l’avenir, atteste Fould et Magne,
Et vous fait coudoyer César et Charlemagne,
Mon cher, vous accueillez ces propos obligeants
D’un air de bonne foi qui prête à rire aux gens.
Vous avez l’oeil béat d’un bailli de province.
Par ces simplicités vous affligez, ô prince,
Napoléon, votre oncle, et moi, votre parrain.
Ne soyons pas Jocrisse ayant été Mandrin.
On vole un trône, on prend un peuple en une attrape,
Mais il est de bon goût d’en rire un peu sous cape
Et de cligner de l’oeil du côté des malins.
Etre sa propre dupe ! ah ! fi donc ! Verres pleins,
Poche pleine, et rions ! La France rampe et s’offre ;
Soyons un sage à qui Jupiter livre un coffre ;
Dépêchons-nous, pillons, régnons vite. – Mais quoi !
Le pape nous bénit ; czar, sultan, duc et roi
Sont nos cousins ; fonder un empire est facile
Il est doux d’être chef d’une race ! – Imbécile !
Te figures-tu donc que ceci durera ?
Prends-tu pour du granit ce décor d’opéra ?
Paris dompté ! par toi ! dans quelle apocalypse
Lit-on que le géant devant le nain s’éclipse?
Crois-tu donc qu’on va voir, gaîment, l’oeil impudent,
Ta fortune cynique écraser sous sa dent
La révolution que nos pères ont faite,
Ainsi qu’une guenon qui croque une noisette ?
Ote-toi de l’esprit ce rêve enchanteur. Crois
À Rose Tamisier faisant saigner la croix,
À l’âme de Baroche entrouvrant sa corolle,
Crois à l’honnêteté de Deutz, à ta parole,
C’est bien ; mais ne crois pas à ton succès ; il ment.
Rose Tamisier, Deutz, Baroche, ton serment,
C’est de l’or, j’en conviens ; ton sceptre est de l’argile.

Dieu, qui t’a mis au coche, écrit sur toi : fragile.

o drapeau de wagram

Publié à 14:28 par chouky39 Tags : fond pensée coeurs
o drapeau de wagram

Ô drapeau de Wagram ! ô pays de Voltaire !
Puissance, liberté, vieil honneur militaire,
Principes, droits, pensée, ils font en ce moment
De toute cette gloire un vaste abaissement.
Toute leur confiance est dans leur petitesse.
Ils disent, se sentant d’une chétive espèce :
- Bah ! nous ne pesons rien ! régnons. – Les nobles coeurs !
Ils ne savent donc pas, ces pauvres nains vainqueurs,
Sautés sur le pavois du fond d’une caverne,
Que lorsque c’est un peuple illustre qu’on gouverne,
Un peuple en qui l’honneur résonne et retentit,
On est d’autant plus lourd que l’on est plus petit !
Est-ce qu’ils vont changer, est-ce là notre compte ?
Ce pays de lumière en un pays de honte ?
Il est dur de penser, c’est un souci profond,
Qu’ils froissent dans les coeurs, sans savoir ce qu’ils font,
Les instincts les plus fiers et les plus vénérables.
Ah ! ces hommes maudits, ces hommes misérables
Éveilleront enfin quelque rébellion
À force de courber la tête du lion !
La bête est étendue à terre, et fatiguée
Elle sommeille, au fond de l’ombre reléguée ;
Le mufle fauve et roux ne bouge pas, d’accord ;
C’est vrai, la patte énorme et monstrueuse dort ;
Mais on l’excite assez pour que la griffe sorte.

J’estime qu’ils ont tort de jouer de la sorte.

nox

nox

C’est la date choisie au fond de ta pensée,
Prince ! il faut en finir, – Cette nuit est glacée, viens, lève-toi !
Flairant dans l’ombre les escrocs,
Le dogue Liberté gronde et montre ses crocs.
Quoique mis par Carlier à la chaîne, il aboie.
N’attends pas plus longtemps ! c’est l’heure de la proie.
Vois, décembre épaissit son brouillard le plus noir.
Comme un baron voleur qui sort de son manoir,
Surprends, brusque assaillant, l’ennemi que tu cernes.
Debout ! les régiments sont là dans les casernes,

Sac au dos, abrutis de vin et de fureur,
N’attendant qu’un bandit pour faire un empereur.
Mets ta main sur ta lampe et viens d’un pas oblique,
Prends ton couteau, l’instant est bon : la République,
Confiante, et sans voir tes yeux sombres briller,
Dort, avec ton serment, prince, pour oreiller.

Cavaliers, fantassins, sortez ! dehors les hordes !
Sus aux représentants ! soldats, liez de cordes
Vos généraux jetés dans la cave aux forçats !
Poussez, la crosse aux reins, l’Assemblée à Mazas !
Chassez la haute-cour à coups de plat de sabre !
Changez-vous, preux de France, en brigands de Calabre !
Vous, bourgeois, regardez, vil troupeau, vil limon,
Comme un glaive rougi qu’agite un noir démon,
Le coup d’état qui sort flamboyant de la forge !
Les tribuns pour le droit luttent ; qu’on les égorge.
Routiers, condottieri, vendus, prostitués,
Frappez ! tuez Baudin ! tuez Dussoubs ! tuez !
Que fait hors des maisons ce peuple ? Qu’il s’en aille.
Soldats, mitraillez-moi toute cette canaille !
Feu ! feu ! Tu voteras ensuite, ô peuple roi !
Sabrez le droit, sabrez l’honneur, sabrez la loi !
Que sur les boulevards le sang coule en rivières !
Du vin plein les bidons ! des morts plein les civières !
Qui veut de l’eau-de-vie ? En ce temps pluvieux
Il faut boire. Soldats, fusillez-moi ce vieux.
Tuez-moi cet enfant. Qu’est-ce que cette femme ?
C’est la mère ? tuez. Que tout ce peuple infâme
Tremble, et que les pavés rougissent ses talons !

Ce Paris odieux bouge et résiste. Allons !
Qu’il sente le mépris, sombre et plein de vengeance,
Que nous, la force, avons pour lui, l’intelligence !
L’étranger respecta Paris : soyons nouveaux !
Traînons-le dans la boue aux crins de nos chevaux !
Qu’il meure ! qu’on le broie et l’écrase et l’efface !
Noirs canons, crachez-lui vos boulets à la face !

II

C’est fini. Le silence est partout, et l’horreur.
Vive Poulmann César et Soufflard empereur !
On fait des feux de joie avec les barricades ;
La porte Saint-Denis sous ses hautes arcades
Voit les brasiers trembler au vent et rayonner.
C’est fait, reposez-vous ; et l’on entend sonner
Dans les fourreaux le sabre et l’argent dans les poches.
De la banque aux bivouacs on vide les sacoches.
Ceux qui tuaient le mieux et qui n’ont pas bronché
Auront la croix d’honneur par-dessus le marché.
Les vainqueurs en hurlant dansent sur les décombres.
Des tas de corps saignants gisent dans les coins sombres.
Le soldat, gai, féroce, ivre, complice obscur,
Chancelle, et, de la main dont il s’appuie au mur,
Achève d’écraser quelque cervelle humaine.
On boit, on rit, on chante, on ripaille, on amène
Des vaincus qu’on fusille, hommes, femmes, enfants.

Les généraux dorés galopent triomphants,
Regardés par les morts tombés à la renverse.
Bravo ! César a pris le chemin de traverse !
Courons féliciter l’Élysée à présent.
Du sang dans les maisons, dans les ruisseaux du sang,
Partout ! Pour enjamber ces effroyables mares
Les juges lestement retroussent leurs simarres,
Et l’Église joyeuse en emporte un caillot
Tout fumant, pour servir d’écritoire à Veuillot.
Oui, c’est bien vous qu’hier, riant de vos férules,
Un caporal chassa de vos chaises curules,
Magistrats ! Maintenant que, reprenant du cœur,
Vous êtes bien certains que Mandrin est vainqueur,
Que vous ne serez pas obligés d’être intègres,
Que Mandrin dotera vos dévouements allègres,
Que c’est lui qui paîra désormais, et très bien,
Qu’il a pris le budget, que vous ne risquez rien,
Qu’il a bien étranglé la loi, qu’elle est bien morte,
Et que vous trouverez ce cadavre à la porte,
Accourez, acclamez, et chantez Hosanna !
Oubliez le soufflet qu’hier il vous donna,
Et puisqu’il a tué vieillards, mères et filles,
Puisqu’il est dans le meurtre entré jusqu’aux chevilles,
Prosternez-vous devant l’assassin tout-puissant,
Et léchez-lui les pieds pour effacer le sang !

III

Donc cet homme s’est dit : – « Le maître des armées,
L’empereur surhumain
Devant qui, gorge au vent, pieds nus, les renommées
Volaient, clairons en main,

« Napoléon, quinze ans régna dans les tempêtes
Du Sud à l’Aquilon.
Tous les rois l’adoraient, lui, marchant sur leurs têtes,
Eux, baisant son talon ;

« Il prit, embrassant tout dans sa vaste espérance,
Madrid, Berlin, Moscou ;
Je ferai mieux ; je vais enfoncer à la France
Mes ongles dans le cou !

« La France libre et fière et chantant la concorde
Marche à son but sacré ;
Moi, je vais lui jeter par derrière une corde
Et je l’étranglerai.

« Nous nous partagerons, mon oncle et moi, l’histoire;
Le plus intelligent,
C’est moi, certes ! il aura la fanfare de gloire,
J’aurai le sac d’argent.

« Je me sers de son nom, splendide et vain tapage,
Tombé dans mon berceau.
Le nain grimpe au géant. Je lui laisse sa page,
Mais j’en prends le verso.

« Je me cramponne à lui. C’est moi qui suis son maître.
J’ai pour sort et pour loi
De surnager sur lui dans l’histoire, ou peut-être
De l’engloutir sous moi.

« Moi, chat-huant, je prends cet aigle dans ma serre.
Moi si bas, lui si haut,
Je le tiens ! je choisis son grand anniversaire,
C’est le jour qu’il me faut.

« Ce jour-là, je serai comme un homme qui monte
Le manteau sur ses yeux ;
Nul ne se doutera que j’apporte la honte
A ce jour glorieux ;

« J’irai plus aisément saisir mon ennemie
Dans mes poings meurtriers;
La France ce jour-là sera mieux endormie
Sur son lit de lauriers.» -

Alors il vint, cassé de débauches, l’œil terne,
Furtif, les traits pâlis,
Et ce voleur de nuit alluma sa lanterne
Au soleil d’Austerlitz !

IV

Victoire ! il était temps, prince, que tu parusses !
Les filles d’opéra manquaient de princes russes ;
Les révolutions apportent de l’ennui
Aux Jeannetons d’hier, Pamélas d’aujourd’hui ;
Dans don Juan qui s’effraie un Harpagon éclate,
Un maigre filet d’or sort de sa bourse plate ;
L’argent devenait rare aux tripots ; les journaux
Faisaient le vide autour des confessionnaux ;
Le sacré-cœur, mourant de sa mort naturelle,
Maigrissait ; les protêts, tourbillonnant en grêle,
Drus et noirs, aveuglaient le portier de Magnan ;
On riait aux sermons de l’abbé Ravignan ;
Plus de pur-sang piaffant aux portes des donzelles ;
L’hydre de l’anarchie apparaissait aux belles
Sous la forme effroyable et triste d’un cheval
De fiacre les traînant pour trente sous au bal.
La désolation était sur Babylone.
Mais tu surgis, bras fort ; tu te dresses, colonne
Tout renaît, tout revit, tout est sauvé. Pour lors
Les figurantes vont récolter des milords,
Tous sont contents, soudards, francs viveurs, gent dévote,
Tous chantent, monseigneur l’archevêque, et Javotte.

Allons ! congratulons, triomphons, partageons !

Les vieux partis, coiffés en ailes de pigeons,
Vont s’inscrire, adorant Mandrin, chez son concierge.
Falstaff allume un punch, Tartuffe brûle un cierge.
Vers l’Élysée en joie, où sonne le tambour,
Tous se hâtent, Parieu, Montalembert, Sibour,
Rouher, cette catin, Troplong, cette servante,
Grecs, juifs, quiconque a mis sa conscience en vente,
Quiconque vole et ment cum privilegio;
L’homme du bénitier, l’homme de l’agio,
Quiconque est méprisable et désire être infâme,
Quiconque, se jugeant dans le fond de son âme,
Se sent assez forçat pour être sénateur.
Myrmidon de César admire la hauteur.
Lui, fait la roue et trône au centre de la fête.
- Eh bien, messieurs, la chose est-elle un peu bien faite ?
Qu’en pense Papavoine et qu’en dit Loyola ?
Maintenant nous ferons voter ces drôles-là.
Partout en lettres d’or nous écrirons le chiffre. -
Gai ! tapez sur la caisse et soufflez dans le fifre ;
Braillez vos salvum fac, messeigneurs ; en avant
Des églises, abri profond du Dieu vivant,
On dressera des mâts avec des oriflammes.
Victoire ! venez voir les cadavres, mesdames.

V

Où sont-ils ? Sur les quais, dans les cours, sous les ponts,
Dans l’égout, dont Maupas fait lever les tampons,
Dans la fosse commune affreusement accrue,
Sur le trottoir, au coin des portes, dans la rue,
Pêle-mêle entassés, partout ; dans les fourgons
Que vers la nuit tombante escortent les dragons,
Convoi hideux qui vient du Champ de Mars, et passe,
Et dont Paris tremblant s’entretient à voix basse.
Ô vieux mont des martyrs, hélas, garde ton nom !
Les morts, sabrés, hachés, broyés par le canon,
Dans ce champ que la tombe emplit de son mystère,
Etaient ensevelis la tête hors de terre.
Cet homme les avait lui-même ainsi placés,
Et n’avait pas eu peur de tous ces fronts glacés.
Ils étaient là, sanglants, froids, la bouche entrouverte,
La face vers le ciel, blêmes dans l’herbe verte,
Effroyables à voir dans leur tranquillité,
Eventrés, balafrés, le visage fouetté
Par la ronce qui tremble au vent du crépuscule
Tous, l’homme du faubourg qui jamais ne recule,
Le riche à la main blanche et le pauvre au bras fort,
La mère qui semblait montrer son enfant mort,
Cheveux blancs, tête blonde, au milieu des squelettes,
La belle jeune fille aux lèvres violettes,

Côte à côte rangés dans l’ombre au pied des ifs,
Livides, stupéfaits, immobiles, pensifs,
Spectres du même crime et des mêmes désastres,
De leur œil fixe et vide ils regardaient les astres.
Dès l’aube, on s’en venait chercher dans ce gazon
L’absent qui n’était pas rentré dans la maison ;
Le peuple contemplait ces têtes effarées ;
La nuit, qui de décembre abrège les soirées,
Pudique, les couvrait du moins de son linceul.
Le soir, le vieux gardien des tombes, resté seul,
Hâtait le pas parmi les pierres sépulcrales,
Frémissant d’entrevoir toutes ces faces pâles
Et tandis qu’on pleurait dans les maisons en deuil,
L’âpre bise soufflait sur ces fronts sans cercueil,
L’ombre froide emplissait l’enclos aux murs funèbres ;
Ô morts, que disiez-vous à Dieu dans ces ténèbres ?

On eût dit, en voyant ces morts mystérieux
Le cou hors de la terre et le regard aux cieux,
Que, dans le cimetière où le cyprès frissonne,
Entendant le clairon du jugement qui sonne,
Tous ces assassinés s’éveillaient brusquement,
Qu’ils voyaient, Bonaparte, au seuil du firmament
Amener devant Dieu ton âme horrible et fausse,
Et que, pour témoigner, ils sortaient de leur fosse.

Montmartre ! enclos fatal ! quand vient le soir obscur
Aujourd’hui le passant évite encor ce mur.

VI

Un mois après, cet homme allait à Notre-Dame.

Il entra le front haut ; la myrrhe et le cinname
Brûlaient ; les tours vibraient sous le bourdon sonnant ;
L’archevêque était là, de gloire rayonnant ;
Sa chape avait été taillée en un suaire ;
Sur une croix dressée au fond du sanctuaire
Jésus avait été cloué pour qu’il restât.
Cet infâme apportait à Dieu son attentat.
Comme un loup qui se lèche après qu’il vient de mordre,
Caressant sa moustache, il dit : – J’ai sauvé l’ordre !
Anges, recevez-moi dans votre légion !
J’ai sauvé la famille et la religion ! -
Et dans son œil féroce, où Satan se contemple,
On vit luire une larme… – Ô colonnes du temple!
Abîmes qu’à Pathmos vit s’entrouvrir saint-Jean,
Cieux qui vîtes Néron, soleil qui vis Séjan,
Vents qui jadis meniez Tibère vers Caprée
Et poussiez sur les flots sa galère dorée,
Ô souffles de l’aurore et du septentrion,
Dites si l’assassin dépasse l’histrion !

VII

Toi qui bats de ton flux fidèle
La roche où j’ai ployé mon aile,
Vaincu, mais non pas abattu,
Gouffre où l’air joue, où l’esquif sombre
Pourquoi me parles-tu dans l’ombre ?
Ô sombre mer, que me veux-tu ?

Tu n’y peux rien ! Ronge tes digues,
Epands l’onde que tu prodigues,
Laisse-moi souffrir et rêver ;
Toutes les eaux de ton abîme,
Hélas ! passeraient sur ce crime,
Ô vaste mer, sans le laver !

Je comprends, tu veux m’en distraire
Tu me dis : – Calme-toi, mon frère,
Calme-toi, penseur orageux ! -
Mais toi-même alors, mer profonde,
Calme ton flot puissant qui gronde,
Toujours amer, jamais fangeux !

Tu crois en ton pouvoir suprême,
Toi qu’on admire, toi qu’on aime,

Toi qui ressembles au destin,
Toi que les cieux ont azurée,
Toi qui dans ton onde sacrée
Laves l’étoile du matin !

Tu me dis : – Viens, contemple, oublie !
Tu me montres le mât qui plie,
Les blocs verdis, les caps croulants,
L’écume au loin dans les décombres,
S’abattant sur les rochers sombres
Comme une troupe d’oiseaux blancs;

La pêcheuse aux pieds nus qui chante,
L’eau bleue où fuit la nef penchants,
Le marin, rude laboureur,
Les hautes vagues en démence ;
Tu me montres ta grâce immense
Mêlée à ton immense horreur ;

Tu me dis : – Donne-moi ton âme ;
Proscrit, éteins en moi ta flamme,
Marcheur, jette aux flots ton bâton
Tourne vers moi ta vue ingrate. -
Tu me dis : – J’endormais Socrate!-
Tu me dis : – J’ai calmé Caton!

Non! respecte l’âpre pensée,
L’âme du juste courroucée,
L’esprit qui songe aux noirs forfaits !
Parle aux vieux rochers, tes conquêtes,

Et laisse en repos mes tempêtes !
D’ailleurs, mer sombre, je te hais !

Ô mer ! n’est-ce pas toi, servante,
Qui traînes sur ton eau mouvante,
Parmi les vents et les écueils,
Vers Cayenne aux fosses profondes
Ces noirs pontons qui sur tes ondes
Passent comme de grands cercueils !

N’est-ce pas toi qui les emportes
Vers le sépulcre ouvrant ses portes,
Tous nos martyrs au front serein,
Dans la cale où manque la paille,
Où les canons pleins de mitraille,
Béants, passent leur cou d’airain !

Et s’ils pleurent, si les tortures
Font fléchir ces hautes natures,
N’est-ce pas toi, gouffre exécré,
Qui te mêles à leur supplice,
Et qui de ta rumeur complice,
Couvres leur cri désespéré !

VIII

Voilà ce qu’on a vu ! l’histoire le raconte,
Et lorsqu’elle a fini pleure, rouge de honte.

Quand se réveillera la grande nation,
Quand viendra le moment de l’expiation,
Glaive des jours sanglants, oh ! ne sors pas de l’ombre !
Non ! non ! il n’est pas vrai qu’en plus d’une âme sombre,
Pour châtier ce traître et cet homme de nuit,
A cette heure, ô douleur! ta nécessité luit!
Souvenirs où l’esprit grave et pensif s’arrête !
Gendarmes, sabre nu, conduisant la charrette,
Roulements des tambours, peuple criant : frappons !
Foule encombrant les toits, les seuils, les quais, les ponts,
Grèves des temps passés, mornes places publiques
Où l’on entrevoyait des triangles obliques,
Oh ! ne revenez pas, lugubres visions !
Ciel ! nous allions en paix devant nous, nous faisions
Chacun notre travail dans le siècle où nous sommes,
Le poëte chantait l’œuvre immense des hommes,
La tribune parlait avec sa grande voix,
On brisait échafauds, trônes, carcans, pavois,
Chaque jour décroissaient la haine et la souffrance,
Le genre humain suivait le progrès saint, la France
Marchait devant, avec sa flamme sur le front ;

Ces hommes sont venus ! lui, ce vivant affront,
Lui, ce bandit qu’on lave avec l’huile du sacre,
Ils sont venus, portant le deuil et le massacre,
Le meurtre, les linceuls, le fer, le sang, le feu,
Ils ont semé cela sur l’avenir. Grand Dieu !

Et maintenant, pitié, voici que tu tressailles
A ces mots effrayants – vengeance ! représailles !

Et moi, proscrit qui saigne aux ronces des chemins,
Triste, je rêve et j’ai mon front dans mes deux mains,
Et je sens, par instants, d’une aile hérissée
Dans les jours qui viendront s’enfoncer ma pensée !
Géante aux chastes yeux, à l’ardente action,
Que jamais on ne voie, ô Révolution,
Devant ton fier visage où la colère brille,
L’Humanité, tremblante et te criant : ma fille !
Et couvrant de son corps même les scélérats,
Se traîner à tes pieds en se tordant les bras !
Ah ! tu respecteras cette douleur amère,
Et tu t’arrêteras, Vierge, devant la Mère !

Ô travailleur robuste, ouvrier demi-nu,
Moissonneur envoyé par Dieu même, et venu
Pour faucher en un jour dix siècles de misère,
Sans peur, sans pitié, vrai, formidable et sincère,
Egal par la stature au colosse romain,
Toi qui vainquis l’Europe et qui pris dans ta main
Les rois, et les brisas les uns contre les autres,
Né pour clore les temps d’où sortirent les nôtres,

Toi qui par la terreur sauvas la liberté,
Toi qui portes ce nom sombre : Nécessité !
Dans l’Histoire où tu luis comme en une fournaise,
Reste seul à jamais, Titan quatrevingt-treize !
Rien d’aussi grand que toi ne viendrait après toi.

D’ailleurs, né d’un régime où dominait l’effroi,
Ton éducation sur ta tête affranchie
Pesait, et malgré toi, fils de la monarchie,
Nourri d’enseignements et d’exemples mauvais,
Comme elle tu versas le sang ; tu ne savais
Que ce qu’elle t’avait appris : le mal, la peine,
La loi de mort mêlée avec la loi de haine ;

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non

Publié à 14:13 par chouky39 Tags : moi homme dieu coeurs
non

Laissons le glaive à Rome et le stylet à Sparte.
Ne faisons pas saisir, trop pressés de punir,
Par le spectre Brutus le brigand Bonaparte.
Gardons ce misérable au sinistre avenir.
Vous serez satisfaits, je vous le certifie,
Bannis, qui de l’exil portez le triste faix,
Captifs, proscrits, martyrs qu’il foule et qu’il défie,
Vous tous qui frémissez, vous serez satisfaits.
Jamais au criminel son crime ne pardonne ;
Mais gardez, croyez-moi, la vengeance au fourreau
Attendez ; ayez foi dans les ordres que donne
Dieu, juge patient, au temps, tardif bourreau !
Laissons vivre le traître en sa honte insondable.
Ce sang humilierait même le vil couteau.
Laissons venir le temps, l’inconnu formidable
Qui tient le châtiment caché sous son manteau.
Qu’il soit le couronné parce qu’il est le pire ;
Le maître des fronts plats et des coeurs abrutis
Que son sénat décerne à sa race l’empire,
S’il trouve une femelle et s’il a des petits
Qu’il règne par la messe et par la pertuisane ;
Qu’on le fasse empereur dans son flagrant délit ;
Que l’église en rampant, que cette courtisane
Se glisse dans son antre et couche dans son lit
Qu’il soit cher à Troplong, que Sibour le vénère,
Qu’il leur donne son pied tout sanglant à baiser,
Qu’il vive, ce césar ! Louvel ou Lacenaire
Seraient pour le tuer forcés de se baisser.
Ne tuez pas cet homme, ô vous, songeurs sévères,
Rêveurs mystérieux, solitaires et forts,
Qui, pendant qu’on le fête et qu’il choque les verres,
Marchez, le poing crispé, dans l’herbe où sont les morts !
Avec l’aide d’en haut toujours nous triomphâmes.
L’exemple froid vaut mieux qu’un éclair de fureur.
Non, ne le tuez pas. Les piloris infâmes

Ont besoin d’être ornés parfois d’un empereur.

o soleil o face divine

Publié à 11:40 par chouky39 Tags : coeur nature fleurs
o soleil o face divine

Ô soleil, ô face divine,
Fleurs sauvages de la ravine,
Grottes où l’on entend des voix,
Parfums que sous l’herbe ou devine,
Ô ronces farouches des bois,

Monts sacrés, hauts comme l’exemple,
Blancs comme le fronton d’un temple,
Vieux rocs, chêne des ans vainqueur,
Dont je sens, quand je vous contemple,
L’âme éparse entrer dans mon coeur,

Ô vierge forêt, source pure,
Lac limpide que l’ombre azure,
Eau chaste où le ciel resplendit,
Conscience de la nature,

Que pensez-vous de ce bandit ?

l hirondelle au printemps cherche les vieilles tours

Publié à 11:09 par chouky39 Tags : poeme
l hirondelle au printemps cherche les vieilles tours

L’hirondelle au printemps cherche les vieilles tours,
Débris où n’est plus l’homme, où la vie est toujours;
La fauvette en avril cherche, ô ma bien-aimée,
La forêt sombre et fraîche et l’épaisse ramée,
La mousse, et, dans les noeuds des branches, les doux toits
Qu’en se superposant font les feuilles des bois.
Ainsi fait l’oiseau. Nous, nous cherchons, dans la ville,
Le coin désert, l’abri solitaire et tranquille.
Le seuil qui n’a pas d’yeux obliques et méchants,
La rue où les volets sont fermés; dans les champs,
Nous cherchons le sentier du pâtre et du poëte;
Dans les bois, la clairière inconnue et muette
Où le silence éteint les bruits lointains et sourds.

L’oiseau cache son nid, nous cachons nos amours.

l enfant voyait l aieule a filer occupee

Publié à 10:54 par chouky39 Tags : belle oiseau
l enfant voyait l aieule a filer occupee

L’enfant, voyant l’aïeule à filer occupée,
Veut faire une quenouille à sa grande poupée.
L’aïeule s’assoupit un peu ; c’est le moment.
L’enfant vient par derrière et tire doucement
Un brin de la quenouille où le fuseau tournoie,
Puis s’enfuit triomphante, emportant avec joie
La belle laine d’or que le safran jaunit,

Autant qu’en pourrait prendre un oiseau pour son nid.

l enfance

Publié à 17:16 par chouky39 Tags : dieu jeux nuit mort enfant
l enfance

L’enfant chantait; la mère au lit exténuée,
Agonisait, beau front dans l’ombre se penchant;
La mort au-dessus d’elle errait dans la nuée;
Et j’écoutais ce râle, et j’entendais ce chant.

L’enfant avait cinq ans, et, près de la fenêtre,
Ses rires et ses jeux faisaient un charmant bruit;
Et la mère, à côté de ce pauvre doux être
Qui chantait tout le jour, toussait toute la nuit.

La mère alla dormir sous les dalles du cloître;
Et le petit enfant se remit à chanter… –
La douleur est un fruit: Dieu ne le fait pas croître

Sur la branche trop faible encor pour le porter.

joies du soir

Publié à 16:54 par chouky39 Tags : vie amis dieu mort fleur horreur
joies du soir

Le soleil, dans les monts où sa clarté s’étale,
Ajuste à son arc d’or sa flèche horizontale ;
Les hauts taillis sont pleins de biches et de faons ;
Là rit dans les rochers, veinés comme des marbres,
Une chaumière heureuse ; en haut, un bouquet d’arbres
Au-dessous, un bouquet d’enfants.

C’est l’instant de songer aux choses redoutables.
On entend les buveurs danser autour des tables ;
Tandis que, gais, joyeux, heurtant les escabeaux,
Ils mêlent aux refrains leurs amours peu farouches,
Les lettres des chansons qui sortent de leurs bouches
Vont écrire autour d’eux leurs noms sur leurs tombeaux.

Mourir ! demandons-nous, à toute heure, en nous-mêmes :
-— Comment passerons-nous le passage suprême ? —-
Finir avec grandeur est un illustre effort.
Le moment est lugubre et l’âme est accablée ;
Quel pas que la sortie ! —— Oh ! l’affreuse vallée
Que l’embuscade de la mort !

Quel frisson dans les os de l’agonisant blême !
Autour de lui tout marche et vit, tout rit, tout aime ;
La fleur luit, l’oiseau chante en son palais d’été,
Tandis que le mourant en qui décroît la flamme,
Frémit sous ce grand ciel, précipice de l’âme,
Abîme effrayant d’ombre et de tranquillité !

Souvent, me rappelant le front étrange et pâle
De tous ceux que j’ai vus à cette heure fatale,
Êtres qui ne sont plus, frères, amis, parents,
Aux instants où l’esprit à rêver se hasarde,
Souvent je me suis dit : Qu’est-ce donc qu’il regarde
Cet oeil effaré des mourants ?

Que voit-il ?… —— O terreur ! de ténébreuses routes,
Un chaos composé de spectres et de doutes,
La terre vision, le ver réalité,
Un jour oblique et noir qui, troublant l’âme errante,
Mêle au dernier rayon de la vie expirante
Ta première lueur, sinistre éternité !

On croit sentir dans l’ombre une horrible piqûre.
Tout ce qu’on fit s’en va comme une fête obscure,
Et tout ce qui riait devient peine ou remord.
Quel moment, même, hélas ! pour l’âme la plus haute,
Quand le vrai tout à coup paraît, quand la vie ôte
Son masque, et dit : —Je suis la mort ! -

Ah ! si tu fais trembler même un cœur sans reproche,
Sépulcre ! le méchant avec horreur t’approche.
Ton seuil profond lui semble une rougeur de feu ;
Sur ton vide pour lui quand ta pierre se lève,
Il s’y penche ; il y voit, ainsi que dans un rêve,

La face vague et sombre et l’œil fixe de Dieu.

jeune fille emplit tes dix sept ans

Publié à 16:33 par chouky39 Tags : belle sourire fille nature enfant ange fleur
jeune fille emplit tes dix sept ans

Jeune fille, la grâce emplit tes dix-sept ans.
Ton regard dit : Matin, et ton front dit : Printemps.
Il semble que ta main porte un lys invisible.
Don Juan te voit passer et murmure : Impossible ! —
Sois belle. Sois bénie, enfant, dans ta beauté.
La nature s’égaie à toute ta clarté ;
Tu fais une lueur sous les arbres ; la guêpe
Touche ta joue en fleur de son aile de crêpe ;
La mouche à tes yeux vole ainsi qu’à des flambeaux.
Ton souffle est un encens qui monte au ciel. Lesbos
Et les marins d’Hydra, s’ils te voyaient sans voiles,
Te prendraient pour l’Aurore aux cheveux pleins d’étoiles.
Les êtres de l’azur froncent leur pur sourcil
Quand l’homme, spectre obscur du mal et de l’exil,
Ose approcher ton âme, aux rayons fiancée.
Sois belle. Tu te sens par l’ombre caressée,
Un ange vient baiser ton pied quand il est nu,

Et c’est ce qui te fait ton sourire ingénu.