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Date de création : 07.05.2008
Dernière mise à jour : 30.06.2017
122498 articles


POEME VICTOR HUGO

je sais bien qu il est d usage

Publié à 16:14 par chouky39 Tags : moi monde coeur histoire dieu nuit ange oiseaux
je sais bien qu il est d usage

Je sais bien qu’il est d’usage
D’aller en tous lieux criant
Que l’homme est d’autant plus sage
Qu’il rêve plus de néant;

D’applaudir la grandeur noire,
Les héros, le fer qui luit,
Et la guerre, cette gloire
Qu’on fait avec de la nuit;

D’admirer les coups d’épée,
Et la fortune, ce char
Dont une roue est Pompée,
Dont l’autre roue est César;

Et Pharsale et Trasimène,
Et tout ce que les Nérons
font voler de cendre humaine
Dans le souffle des clairons!

Je sais que c’est la coutume
D’adorer ces nains géants
Qui, parce qu’ils sont écume,
Se supposent océans;

Et de croire à la poussière,
A la fanfare qui fuit,
Aux pyramides de pierre,
Aux avalanches de bruit.

Moi, je préfère, ô fontaines!
Moi, je préfère, ô ruisseaux!
Au Dieu des grands capitaines,
Le Dieu des petits oiseaux!

O mon doux ange, en ces ombres
Où, nous aimant, nous brillons,
Au Dieu des ouragans sombres
Qui poussent les bataillons,

Au Dieu des vastes armées,
Des canons au lourd essieu,
Des flammes et des fumées,
Je préfère le bon Dieu!

Le bon Dieu, qui veut qu’on aime,
Qui met au coeur de l’amant
Le premier vers du poëme
Le dernier au firmament!

Qui songe à l’aile qui pousse,
Aux oeufs blancs, au nid troublé,
Si la caille a de la mousse,
Et si la grive a du blé;

Et qui fait, pour les Orphées,
Tenir, immense et subtil,
Tout le doux monde des fées
Dans le vert bourgeon d’avril!

Si bien, que cela s’envole
Et se disperse au printemps,
Et qu’une vague auréole
Sort de tous les nids chantants!

Vois-tu, quoique notre gloire
Brille en ce que nous créons,
Et dans notre grande histoire
Pleine de grands panthéons;

Quoique nous ayons des glaives,
Des temples, Chéops, Babel,
Des tours, des palais, des rêves,
Et des tombeaux jusqu’au ciel;

Il resterait peu de choses
A l’homme, qui vit un jour,
Si Dieu nous ôtait les roses,

Si Dieu nous ôtait l’amour!

je respire ou tu palpites

Publié à 16:11 par chouky39 Tags : vie moi coeur sourire nature nuit rose ange fleur douceur oiseau
je respire ou tu palpites

Je respire où tu palpites,
Tu sais; à quoi bon, hélas!
Rester là si tu me quittes,
Et vivre si tu t’en vas?

A quoi bon vivre, étant l’ombre
De cet ange qui s’enfuit!
A quoi bon, sous le ciel sombre,
N’être plus que de la nuit?

Je suis la fleur des murailles,
Dont avril est le seul bien.
Il suffit que tu t’en ailles
Pour qu’il ne reste plus rien.

Tu m’entoures d’auréoles;
Te voir est mon seul souci.
Il suffit que tu t’envoles
Pour que je m’envole aussi.

Si tu pars, mon front se penche;
Mon âme au ciel, son berceau,
Fuira, car dans ta main blanche
Tu tiens ce sauvage oiseau.

Que veux-tu que je devienne,
Si je n’entends plus ton pas?
Est-ce ta vie ou la mienne
Qui s’en va? Je ne sais pas.

Quand mon courage succombe,
J’en reprends dans ton coeur pur;
Je suis comme la colombe
Qui vient boire au lac d’azur.

L’amour fait comprendre à l’âme
L’univers, sombre et béni;
Et cette petite flamme
Seule éclaire l’infini.

Sans toi, toute la nature
N’est plus qu’un cachot fermé,
Où je vais à l’aventure,
Pâle et n’étant plus aimé.

Sans toi, tout s’effeuille et tombe;
L’ombre emplit mon noir sourcil;
Une fête est une tombe,
La patrie est un exil.

Je t’implore et te réclame;
Ne fuis pas loin de mes maux,
O fauvette de mon âme
Qui chante dans mes rameaux!

De quoi puis-je avoir envie,
De quoi puis-je avoir effroi,
Que ferai-je de la vie,
Si tu n’es plus près de moi?

Tu portes dans la lumière,
Tu portes dans les buissons,
Sur une aile ma prière,
Et sur l’autre mes chansons.

Que dirai-je aux champs que voile
L’inconsolable douleur?
Que ferai-je de l’étoile?
Que ferai-je de la fleur?

Que dirai-je au bois morose
Qu’illuminait ta douceur?
Que répondrai-je à la rose
Disant: -Où donc est ma soeur?-

J’en mourrai; fuis, si tu l’oses.
A quoi bon, jours révolus!
Regarder toutes ces choses
Qu’elle ne regarde plus?

Que ferai-je de la lyre,
De la vertu, du destin?
Hélas! et, sans ton sourire,
Que ferai-je du matin?

Que ferai-je seul, farouche,
Sans toi, du jour et des cieux,
De mes baisers sans ta bouche,

Et de mes pleurs sans tes yeux!

je payai le pecheur qui passa son chemin

Publié à 15:55 par chouky39 Tags : dieu
je payai le pecheur qui passa son chemin

Je payai le pêcheur qui passa son chemin,
Et je pris cette bête horrible dans ma main ;
C’était un être obscur comme l’onde en apporte,
Qui, plus grand, serait hydre, et, plus petit, cloporte ;
Sans forme, comme l’ombre, et, comme Dieu, sans nom.
Il ouvrait une bouche affreuse, un noir moignon
Sortait de son écaille ; il tâchait de me mordre ;
Dieu, dans l’immensité formidable de l’ordre,
Donne une place sombre à ces spectres hideux ;
Il tâchait de me mordre, et nous luttions tous deux ;
Ses dents cherchaient mes doigts qu’effrayait leur approche ;
L’homme qui me l’avait vendu tourna la roche ;
Comme il disparaissait, le crabe me mordit ;
Je lui dis : — Vis ! et sois béni, pauvre maudit ! -
Et je le rejetai dans la vague profonde,
Afin qu’il allât dire à l’océan qui gronde,
Et qui sert au soleil de vase baptismal,
Que l’homme rend le bien au monstre pour le mal.

o

je lisais que lisais je oh le vieux livre austere

je lisais que lisais je oh le vieux livre austere

Je lisais. Que lisais-je? Oh! le vieux livre austère,
Le poëme éternel! — La Bible? — Non, la terre.
Platon, tous les matins, quand revit le ciel bleu,
Lisait les vers d’Homère, et moi les fleurs de Dieu.
J’épèle les buissons, les brins d’herbe, les sources;
Et je n’ai pas besoin d’emporter dans mes courses
Mon livre sous mon bras, car je l’ai sous mes pieds.
Je m’en vais devant moi dans les lieux non frayés,
Et j’étudie à fond le texte, et je me penche,
Cherchant à déchiffrer la corolle et la branche.
Donc, courbé, — c’est ainsi qu’en marchant je traduis
La lumière en idée, en syllabes les bruits, –
J’étais en train de lire un champ, page fleurie.
Je fus interrompu dans cette rêverie;
Un doux martinet noir avec un ventre blanc
Me parlait; il disait: — O pauvre homme, tremblant
Entre le doute morne et la foi qui délivre,
Je t’approuve. Il est bon de lire dans ce livre.
Lis toujours, lis sans cesse, ô penseur agité,
Et que les champs profonds t’emplissent de clarté!
Il est sain de toujours feuilleter la nature,
Car c’est la grande lettre et la grande écriture;
Car la terre, cantique où nous nous abîmons,
A pour versets les bois et pour strophes les monts!
Lis. Il n’est rien dans tout ce que peut sonder l’homme
Qui, bien questionné par l’âme, ne se nomme.
Médite. Tout est plein de jour, même la nuit;
Et tout ce qui travaille, éclaire, aime ou détruit,
A des rayons: la roue au dur moyeu, l’étoile,
La fleur, et l’araignée au centre de sa toile.
Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c’est aimer.
Les plaines où le ciel aide l’herbe à germer,
L’eau, les prés, sont autant de phrases où le sage
Voit serpenter des sens qu’il saisit au passage.
Marche au vrai. Le réel, c’est le juste, vois-tu;
Et voir la vérité, c’est trouver la vertu.
Bien lire l’univers, c’est bien lire la vie.
Le monde est l’oeuvre où rien ne ment et ne dévie,
Et dont les mots sacrés répandent de l’encens.
L’homme injuste est celui qui fait des contre-sens.
Oui, la création tout entière, les choses,
Les êtres, les rapports, les éléments, les causes,
Rameaux dont le ciel clair perce le réseau noir,
L’arabesque des bois sur les cuivres du soir,
La bête, le rocher, l’épi d’or, l’aile peinte,
Tout cet ensemble obscur, végétation sainte,
Compose en se croisant ce chiffre énorme: DIEU.
L’éternel est écrit dans ce qui dure peu;
Toute l’immensité, sombre, bleue, étoilée,
Traverse l’humble fleur, du penseur contemplée;
On voit les champs, mais c’est de Dieu qu’on s’éblouit.
Le lys que tu comprends en toi s’épanouit;
Les roses que tu lis s’ajoutent à ton âme.
Les fleurs chastes, d’où sort une invisible flamme,
Sont les conseils que Dieu sème sur le chemin;
C’est l’âme qui les doit cueillir, et non la main.
Ainsi tu fais; aussi l’aube est sur ton front sombre;
Aussi tu deviens bon, juste et sage; et dans l’ombre
Tu reprends la candeur sublime du berceau. –
Je répondis: — Hélas! tu te trompes, oiseau.
Ma chair, faite de cendre, à chaque instant succombe;
Mon âme ne sera blanche que dans la tombe;
Car l’homme, quoi qu’il fasse, est aveugle ou méchant.

Et je continuai la lecture du champ.

napoleon 3

Publié à 14:09 par chouky39 Tags : nuit chevaux
napoleon 3

Donc c’est fait. Dût rugir de honte le canon,
Te voilà, nain immonde, accroupi sur ce nom !
Cette gloire est ton trou, ta bauge, ta demeure !
Toi qui n’as jamais pris la fortune qu’à l’heure,
Te voilà presque assis sur ce hautain sommet !
Sur le chapeau d’Essling tu plantes ton plumet ;
Tu mets, petit Poucet, ces bottes de sept lieues ;
Tu prends Napoléon dans les régions bleues ;
Tu fais travailler l’oncle, et, perroquet ravi,
Grimper à ton perchoir l’aigle de Mondovi !
Thersite est le neveu d’Achille Péliade !
C’est pour toi qu’on a fait toute cette Iliade !
C’est pour toi qu’on livra ces combats inouïs !
C’est pour toi que Murat, aux russes éblouis,
Terrible, apparaissait, cravachant leur armée !
C’est pour toi qu’à travers la flamme et la fumée
Les grenadiers pensifs s’avançaient à pas lents !
C’est pour toi que mon père et mes oncles vaillants
Ont répandu leur sang dans ces guerres épiques !
Pour toi qu’ont fourmillé les sabres et les piques,
Que tout le continent trembla sous Attila,
Et que Londres frémit, et que Moscou brûla !
C’est pour toi, pour tes Deutz et pour tes Mascarilles,
Pour que tu puisses boire avec de belles filles,
Et, la nuit, t’attabler dans le Louvre à l’écart,
C’est pour monsieur Fialin et pour monsieur Mocquart,
Que Lannes d’un boulet eut la cuisse coupée,
Que le front des soldats, entrouvert par l’épée,
Saigna sous le shako, le casque et le colback,
Que Lasalle à Wagram, Duroc à Reichenbach,
Expirèrent frappés au milieu de leur route,
Que Caulaincourt tomba dans la grande redoute,
Et que la vieille garde est morte à Waterloo !
C’est pour toi qu’agitant le pin et le bouleau,
Le vent fait aujourd’hui, sous ses âpres haleines,
Blanchir tant d’ossements, hélas ! dans tant de plaines !
Faquin ! – Tu t’es soudé, chargé d’un vil butin,
Toi, l’homme du hasard, à l’homme du destin !
Tu fourres, impudent, ton front dans ses couronnes !
Nous entendons claquer dans tes mains fanfaronnes
Ce fouet prodigieux qui conduisait les rois
Et tranquille, attelant à ton numéro trois
Austerlitz, Marengo, Rivoli, Saint-Jean-d’Acre,

Aux chevaux du soleil tu fais traîner ton fiacre !

j aime l araignee et j aime l ortie

Publié à 13:25 par chouky39 Tags : amour nuit horreur animal
j aime l araignee et j aime l ortie

J’aime l’araignée et j’aime l’ortie,
Parce qu’on les hait ;
Et que rien n’exauce et que tout châtie
Leur morne souhait ;

Parce qu’elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants ;
Parce qu’elles sont les tristes captives
De leur guet-apens ;

Parce qu’elles sont prises dans leur œuvre ;
Ô sort ! fatals nœuds !
Parce que l’ortie est une couleuvre,
L’araignée un gueux ;

Parce qu’elles ont l’ombre des abîmes,
Parce qu’on les fuit,
Parce qu’elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit.

Passants, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh ! plaignez le mal !

Il n’est rien qui n’ait sa mélancolie ;
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu’on oublie
De les écraser,

Pour peu qu’on leur jette un œil moins superbe,
Tout bas, loin du jour,
La vilaine bête et la mauvaise herbe

Murmurent : Amour !

j ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline

Publié à 13:10 par chouky39 Tags : moi monde fond nuit fleur pensée
j ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline

J’ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline.
Dans l’âpre escarpement qui sur le flot s’incline,
Que l’aigle connaît seul et peut seul approcher,
Paisible, elle croissait aux fentes du rocher.
L’ombre baignait les flancs du morne promontoire
Je voyais, comme on dresse au lieu d’une victoire
Un grand arc de triomphe éclatant et vermeil,
À l’endroit où s’était englouti le soleil,
La sombre nuit bâtir un porche de nuées.
Des voiles s’enfuyaient, au loin diminuées
Quelques toits, s’éclairant au fond d’un entonnoir,
Semblaient craindre de luire et de se laisser voir.
J’ai cueilli cette fleur pour toi, ma bien-aimée.
Elle est pâle et n’a pas de corolle embaumée.
Sa racine n’a pris sur la crête des monts
Que l’amère senteur des glauques goëmons ;
Moi, j’ai dit : — Pauvre fleur, du haut de cette cime,
Tu devais t’en aller dans cet immense abîme
Où l’algue et le nuage et les voiles s’en vont.
Va mourir sur un cœur, abîme plus profond.
Fane-toi sur ce sein en qui palpite un monde.
Le ciel, qui te créa pour t’effeuiller dans l’onde,
Te fit pour l’océan, je te donne à l’amour.-
Le vent mêlait les flots ; il ne restait du jour
Qu’une vague lueur, lentement effacée.
Oh ! comme j’étais triste au fond de ma pensée
Tandis que je songeais, et que le gouffre noir

M’entrait dans l’âme avec tous les frissons du soir !

POEME VICTOR HUGO

POEME VICTOR HUGO

Temps futurs ! vision sublime !
Les peuples sont hors de l’abîme.
Le désert morne est traversé.
Après les sables, la pelouse ;
Et la terre est comme une épouse,
Et l’homme est comme un fiancé !

Dès à présent l’oeil qui s’élève
Voit distinctement ce beau rêve
Qui sera le réel un jour ;
Car Dieu dénoûra toute chaîne,
Car le passé s’appelle haine
Et l’avenir se nomme amour !

Dès à présent dans nos misères
Germe l’hymen des peuples frères ;
Volant sur nos sombres rameaux,
Comme un frelon que l’aube éveille,
Le progrès, ténébreuse abeille,
Fait du bonheur avec nos maux.

Oh ! voyez ! la nuit se dissipe.
Sur le monde qui s’émancipe,
Oubliant Césars et Capets,
Et sur les nations nubiles,
S’ouvrent dans l’azur, immobiles,
Les vastes ailes de la paix !

Ô libre France enfin surgie !
Ô robe blanche après l’orgie !
Ô triomphe après les douleurs !
Le travail bruit dans les forges,
Le ciel rit, et les rouges-gorges
Chantent dans l’aubépine en fleurs !

La rouille mord les hallebardes.
De vos canons, de vos bombardes
Il ne reste pas un morceau
Qui soit assez grand, capitaines,
Pour qu’on puisse prendre aux fontaines
De quoi faire boire un oiseau.

Les rancunes sont effacées ;
Tous les coeurs, toutes les pensées,
Qu’anime le même dessein,
Ne font plus qu’un faisceau superbe ;
Dieu prend pour lier cette gerbe
La vieille corde du tocsin.

Au fond des cieux un point scintille.
Regardez, il grandit, il brille,
Il approche, énorme et vermeil.
Ô République universelle,
Tu n’es encor que l’étincelle,
Demain tu seras le soleil !

II

Fêtes dans les cités, fêtes dans les campagnes !
Les cieux n’ont plus d’enfers, les lois n’ont plus de bagnes.
Où donc est l’échafaud ? ce monstre a disparu.
Tout renaît. Le bonheur de chacun est accru
De la félicité des nations entières.
Plus de soldats l’épée au poing, plus de frontières,
Plus de fisc, plus de glaive ayant forme de croix.
L’Europe en rougissant dit : – Quoi ! j’avais des rois !
Et l’Amérique dit. – Quoi ! j’avais des esclaves !
Science, art, poésie, ont dissous les entraves
De tout le genre humain. Où sont les maux soufferts ?
Les libres pieds de l’homme ont oublié les fers.
Tout l’univers n’est plus qu’une famille unie.
Le saint labeur de tous se fond en harmonie
Et la société, qui d’hymnes retentit,
Accueille avec transport l’effort du plus petit
L’ouvrage du plus humble au fond de sa chaumière
Emeut l’immense peuple heureux dans la lumière
Toute l’humanité dans sa splendide ampleur
Sent le don que lui fait le moindre travailleur ;
Ainsi les verts sapins, vainqueurs des avalanches,
Les grands chênes, remplis de feuilles et de branches,
Les vieux cèdres touffus, plus durs que le granit,
Quand la fauvette en mai vient y faire son nid,
Tressaillent dans leur force et leur hauteur superbe,
Tout joyeux qu’un oiseau leur apporte un brin d’herbe.

Radieux avenir ! essor universel !
Epanouissement de l’homme sous le ciel !

III

Ô proscrits, hommes de l’épreuve,
Mes compagnons vaillants et doux,
Bien des fois, assis près du fleuve,
J’ai chanté ce chant parmi vous ;

Bien des fois, quand vous m’entendîtes,
Plusieurs m’ont dit : « Perds ton espoir.
Nous serions des races maudites,
Le ciel ne serait pas plus noir !

» Que veut dire cette inclémence ?
Quoi ! le juste a le châtiment !
La vertu s’étonne et commence
A regarder Dieu fixement.

» Dieu se dérobe et nous échappe.
Quoi donc ! l’iniquité prévaut !
Le crime, voyant où Dieu frappe,
Rit d’un rire impie et dévot.

» Nous ne comprenons pas ses voies.
Comment ce Dieu des nations
Fera-t-il sortir tant de joies
De tant de désolations ?

» Ses desseins nous semblent contraires
A l’espoir qui luit dans tes yeux… »
- Mais qui donc, ô proscrits, mes frères,
Comprend le grand mystérieux ?

Qui donc a traversé l’espace,
La terre, l’eau, l’air et le feu,
Et l’étendue où l’esprit passe ?
Qui donc peut dire : « J’ai vu Dieu !

» J’ai vu Jéhova ! je le nomme !
Tout à l’heure il me réchauffait.
Je sais comment il a fait l’homme,
Comment il fait tout ce qu’il fait !

» J’ai vu cette main inconnue
Qui lâche en s’ouvrant l’âpre hiver,
Et les tonnerres dans la nue,
Et les tempêtes sur la mer,

» Tendre et ployer la nuit livide ;
Mettre une âme dans l’embryon ;
Appuyer dans l’ombre du vide
Le pôle du septentrion ;

» Amener l’heure où tout arrive ;
Faire au banquet du roi fêté
Entrer la mort, ce noir convive
Qui vient sans qu’on l’ait invité ;

» Créer l’araignée et sa toile,
Peindre la fleur, mûrir le fruit,
Et, sans perdre une seule étoile,
Mener tous les astres la nuit ;

» Arrêter la vague à la rive ;
Parfumer de roses l’été ;
Verser le temps comme une eau vive
Des urnes de l’éternité ;

» D’un souffle, avec ses feux sans nombre,
Faire, dans toute sa hauteur,
Frissonner le firmament sombre
Comme la tente d’un pasteur ;

» Attacher les globes aux sphères
Par mille invisibles liens…
Toutes ces choses sont très claires.
Je sais comment il fait ! j’en viens ! »

Qui peut dire cela ? personne.
Nuit sur nos coeurs ! nuit sur nos yeux !
L’homme est un vain clairon qui sonne.
Dieu seul parle aux axes des cieux.

IV

Ne doutons pas ! croyons ! La fin, c’est le mystère.
Attendons. Des Nérons comme de la panthère
Dieu sait briser la dent.
Dieu nous essaie, amis. Ayons foi, soyons cannes,
Et marchons. Ô désert ! s’il fait croître des palmes,
C’est dans ton sable ardent !

Parce qu’il ne fait pas son oeuvre tout de suite,
Qu’il livre Rome au prêtre et Jésus au jésuite,
Et les bons au méchant,
Nous désespérerions ! de lui ! du juste immense !
Non ! non ! lui seul connaît le nom de la -semence
Qui germe dans son champ.

Ne possède-t-il pas toute la certitude ?
Dieu ne remplit-il pas ce monde, notre étude,
Du nadir au zénith ?
Notre sagesse auprès de la sienne est démence.
Et n’est-ce pas à lui que la clarté commence,
Et que l’ombre finit ?

Ne voit-il pas ramper les hydres sur leurs ventres ?
Ne regarde-t-il pas jusqu’au fond de leurs antres
Atlas et Pélion ?
Ne connaît-il pas l’heure où la cigogne émigre ?
Sait-il pas ton entrée et ta sortie, ô tigre,
Et ton antre, ô lion ?

Hirondelle, réponds, aigle à l’aile sonore,
Parle, avez-vous des nids que l’Eternel ignore ?
Ô cerf, quand l’as-tu fui ?
Renard, ne vois-tu pas ses yeux dans la broussaille ?
Loup, quand tu sens la nuit une herbe qui tressaille,
Ne dis-tu pas : c’est lui !

Puisqu’il sait tout cela, puisqu’il peut toute chose,
Que ses doigts font jaillir les effets de la cause
Comme un noyau d’un fruit,
Puisqu’il peut mettre un ver dans les pommes de l’arbre,
Et faire disperser les colonnes de marbre
Par le vent de la nuit ;

Puisqu’il bat l’océan pareil au boeuf qui beugle,
Puisqu’il est le voyant et que l’homme est l’aveugle,
Puisqu’il est le milieu,
Puisque son bras nous porte, et puisqu’à soir passage
La comète frissonne ainsi qu’en une cage
Tremble une étoupe en feu ;

Puisque l’obscure nuit le connaît, puisque l’ombre
Le voit, quand il lui plaît, sauver la nef qui sombre,
Comment douterions-nous,
Nous qui, fermes et purs, fiers dans nos agonies,
Sommes debout devant toutes les tyrannies,
Pour lui seul à genoux !

D’ailleurs, pensons. Nos jours sont des jours d’amertume,
Mais quand nous étendons les bras dans cette brume,
Nous sentons une main ;
Quand nous marchons, courbés, dans l’ombre du martyre,
Nous entendons quelqu’un derrière nous nous dire :
C’est ici le chemin.

Ô proscrits, l’avenir est aux peuples ! Paix, gloire,
Liberté, reviendront sur des chars de victoire
Aux foudroyants essieux ;
Ce crime qui triomphe est fumée et mensonge,
Voilà ce que je puis affirmer, moi qui songe
L’oeil fixé sur les cieux !

Les césars sont plus fiers que les vagues marines,
Mais Dieu dit : « Je mettrai ma boucle en leurs narines,
Et dans leur bouche un mors,
Et je les traînerai, qu’on cède ou bien qu’on lutte,
Eux et leurs histrions et leurs joueurs de flûte,
Dans l’ombre où sont les morts. »

Dieu dit ; et le granit que foulait leur semelle
S’écroule, et les voilà disparus pêle-mêle
Dans leurs prospérités !
Aquilon ! aquilon ! qui viens battre nos portes,
Oh ! dis-nous, si c’est toi, souffle, qui les emportes,
Où les as-tu jetés ?

V

Bannis ! bannis ! bannis ! c’est là la destinée.
Ce qu’apporté le flux sera dans la journée
Repris par le reflux.
Les jours mauvais fuiront sans qu’on sache leur nombre,
Et les peuples joyeux et se penchant sur l’ombre
Diront : Cela n’est plus !

Les temps heureux luiront, non pour la seule France,
Mais pour tous. On verra dans cette délivrance,
Funeste au seul passé,
Toute l’humanité chanter, de fleurs couverte,
Comme un maître qui rentre en sa maison déserte
Dont on l’avait chassé.

Les tyrans s’éteindront comme des météores.
Et, comme s’il naissait de la nuit deux aurores
Dans le même ciel bleu,
Nous vous verrous sortir de ce gouffre où nous sommes,
Mêlant vos deux rayons, fraternité des hommes,
Paternité de Dieu !

Oui, je vous le déclare, oui, je vous le répète,
Car le clairon redit ce que dit la trompette,
Tout sera paix et jour !
Liberté ! plus de serf et plus de prolétaire !
Ô sourire d’en haut ! ô du ciel pour la terre
Majestueux amour !

L’arbre saint du Progrès, autrefois chimérique,
Croîtra, couvrant l’Europe et couvrant l’Amérique,
Sur le passé détruit,
Et, laissant l’éther pur luire à travers ses branches,
Le jour, apparaîtra plein de colombes blanches,
Plein d’étoiles, la nuit.

Et nous qui serons morts, morts dans l’exil peut-être,
Martyrs saignants, pendant que les hommes, sans maître,
Vivront, plus fiers, plus beaux,
Sous ce grand arbre, amour des cieux qu’il avoisine,
Nous nous réveillerons pour baiser sa racine
Au fond de nos tombeaux !

 

interieur

Publié à 16:59 par chouky39 Tags : femme dieu fille couple
interieur

La querelle irritée, amère, à l’œil ardent,
Vipère dont la haine empoisonne la dent,
Siffle et trouble le toit d’une pauvre demeure.
Les mots heurtent les mots. L’enfant s’effraie et pleure.
La femme et le mari laissent l’enfant crier.

— D’où viens-tu ? — Qu’as-tu fait ? — Oh ! mauvais ouvrier !
Il vit dans la débauche et mourra sur la paille.
Femme vaine et sans cœur qui jamais ne travaille !
— Tu sors du cabaret ? — Quelque amant est venu ?
— L’enfant pleure, l’enfant a faim, l’enfant est nu.
Pas de pain. — Elle a peur de salir ses mains blanches !
— Où cours-tu tous les jours ? — Et toi, tous les dimanches ?
— Va boire ! — Va danser ! — Il n’a ni feu ni lieu !
— Ta fille seulement ne sait pas prier Dieu !
— Et ta mère, bandit, c’est toi qui l’as tuée !
— Paix ! — Silence, assassin ! — Tais-toi, prostituée !

Un beau soleil couchant, empourprant le taudis,
Embrasait la fenêtre et le plafond, tandis
Que ce couple hideux, que rend deux fois infâme
La misère du cœur et la laideur de l’âme,
Étalait son ulcère et ses difformités
Sans honte, et sans pudeur montrait ses nudités.

Et leur vitre, où pendait un vieux haillon de toile,
Était, grâce au soleil, une éclatante étoile
Qui, dans ce même instant, vive et pure lueur,

Éblouissait au loin quelque passant rêveur !

insomnie

Publié à 16:30 par chouky39 Tags : moi fond heureux roman dieu nuit soi mort travail fleurs bleu pensée cheval oiseau chevaux
insomnie

Quand une lueur pâle à l’orient se lève,
Quand la porte du jour, vague et pareille au rêve,
Commence à s’entr’ouvrir et blanchit à l’horizon,
Comme l’espoir blanchit le seuil d’une prison,
Se réveiller, c’est bien, et travailler, c’est juste.
Quand le matin à Dieu chante son hymne auguste,
Le travail, saint tribut dû par l’homme mortel,
Est la strophe sacrée au pied du sombre autel ;
Le soc murmure un psaume ; et c’est un chant sublime
Qui, dès l’aurore, au fond des forêts, sur l’abîme,
Au bruit de la cognée, au choc des avirons,
Sort des durs matelots et des noirs bûcherons.

Mais, au milieu des nuits, s’éveiller ! quel mystère !
Songer, sinistre et seul, quand tout dort sur la terre !
Quand pas un œil vivant ne veille, pas un feu ;
Quand les sept chevaux d’or du grand chariot bleu
Rentrent à l’écurie et descendent au pôle,
Se sentir dans son lit soudain toucher l’épaule
Par quelqu’un d’inconnu qui dit : Allons ! c’est moi !
Travaillons ! —— La chair gronde et demande pourquoi.
-— Je dors. Je suis très-las de la course dernière ;
Ma paupière est encor du somme prisonnière ;
Maître mystérieux, grâce ! que me veux-tu ?
Certe, il faut que tu sois un démon bien têtu
De venir m’éveiller toujours quand tout repose !
Aie un peu de raison. Il est encor nuit close ;

Regarde, j’ouvre l’oeil puisque cela te plaît ;
Pas la moindre lueur aux fentes du volet ;
Va-t’en ! je dors, j’ai chaud, je rêve de ma maîtresse.
Elle faisait flotter sur moi sa longue tresse,
D’où pleuvaient sur mon front des astres et des fleurs.
Va-t’en, tu reviendras demain, au jour, ailleurs.
Je te tourne le dos, je ne veux pas ! décampe !
Ne pose pas ton doigt de braise sur ma tempe.
La biche illusion me mangeait dans le creux
De la main ; tu l’as fait enfuir. J’étais heureux,
Je ronflais comme un bœuf ; laisse-moi. C’est stupide.
Ciel ! déjà ma pensée, inquiète et rapide,
Fil sans bout, se dévide et tourne à ton fuseau.
Tu m’apportes un vers, étrange et fauve oiseau
Que tu viens de saisir dans les pâles nuées.
Je n’en veux pas. Le vent, des ses tristes huées,
Emplit l’antre des cieux ; les souffles, noirs dragons,
Passent en secouant ma porte sur ses gonds.
-— Paix là ! va-t’en, bourreau ! quant au vers, je le lâche.
Je veux toute la nuit dormir comme un vieux lâche ;
Voyons, ménage un peu ton pauvre compagnon.
Je suis las, je suis mort, laisse-moi dormir !

-— Non !
Est-ce que je dors, moi ? dit l’idée implacable.
Penseur, subis ta loi ; forçat, tire ton câble.
Quoi ! cette bête a goût au vil foin du sommeil !
L’orient est pour moi toujours clair et vermeil.
Que m’importe le corps ! qu’il marche, souffre et meure !
Horrible esclave, allons, travaille ! c’est mon heure.

Et l’ange étreint Jacob, et l’âme tient le corps ;
Nul moyen de lutter ; et tout revient alors,
Le drame commencé dont l’ébauche frissonne,
Ruy-Blas, Marion, Job, Sylva, son cor qui sonne,
Ou le roman pleurant avec des yeux humains,
Ou l’ode qui s’enfonce en deux profonds chemins,
Dans l’azur près d’Horace et dans l’ombre avec Dante :
Il faut dans ces labeurs rentrer la tête ardente ;
Dans ces grands horizons subitement rouverts,
Il faut de strophe en strophe, il faut de vers en vers,
S’en aller devant soi, pensif, ivre de l’ombre ;
Il faut, rêveur nocturne en proie à l’esprit sombre,
Gravir le dur sentier de l’inspiration ;
Poursuivre la lointaine et blanche vision,
Traverser, effaré, les clairières désertes,
Le champ plein de tombeaux, les eaux, les herbes vertes,
Et franchir la forêt, le torrent, le hallier,

Noir cheval galopant sous le noir cavalier.