Contes et legendes de Noël

C'était donc cela Noël

Dans les rues illuminées de la ville, l'adolescente marchait, marchait depuis des heures, sans savoir où elle allait... De ses mains gelées, elle tentait maintenir le méchant et léger imperméable qui lui servait de manteau, sans la protéger de la bise glaciale en cette fin de journée du 24 décembre.
Les gens, pressés, la bousculaient, sans la voir, chargés de paquets, de sapin de Noël, de victuailles... Elle ne regardait pas les mille lumières des devantures, les décorations scintillantes de la ville. Son estomac se tordait de douleur tenaillé par une faim atroce.
Elle marchait, sans savoir si l'eau qu'elle avait dans ses grands yeux noirs était des larmes ou le crachin qui commençait à tomber, annonçant une prochaine chute de neige. Fatiguée, elle s'arrêta pour reprendre son souffle... Elle se trouvait devant une boulangerie... Son regard ne se posa pas sur les gâteaux et les bûches crémeuses exposées dans la vitrine, éclairée par des guirlandes multicolores. Non ; elle fixait les pains alignés, droits et raides comme la justice. Elle sentit monter en elle une sensation bizarre, tandis que la salive inondait sa bouche sèche... Brusquement, les pains, les gâteaux, entamèrent une sorte de danse lente. Soudain, ce fût l'obscurité, la sensation de tomber dans un puits sans fond... Puis plus rien.
Une voix douce lui parvint dans son demi-coma, et un instant, elle songea qu'elle était au paradis, avec les anges, et que ses souffrances étaient terminées. Une sensation chaleur l'enveloppait tout entière, tandis qu'un liquide chaud glissait entre ses lèvres... Ses paupières si lourdes, parvinrent à s'ouvrir lentement... Elle vit devant elle un visage, un visage inconnu, et, instinctivement, elle tenta de se lever, pour fuir. Mais la même voix douce lui murmura :
"N'aies pas peur. Tu ne crains rien. Ici, personne ne peut te faire du mal... Plus tard, tu me raconteras ton histoire. Mais dis mois simplement, si quelqu'un t'attend, ta maman peut-être ? Et si tu veux bien, ton nom aussi... Comment t'appelles--tu ? Quel âge as-tu ? "
L'adolescente regarda ce visage plus attentivement. C'était celui d'une dame un peu âgée, avec quelques petites rides, qui, lui donnaient un aspect doux et bienveillant. Assise au bord du grand lit douillet dans lequel Soliska (c'était son prénom) était allongée, elle lui faisait boire à petites gorgées, un délicieux chocolat chaud. Dans un mauvais français, Soliska put répondre.
Non, elle n'avait personne qui prévenir... Elle avait 15 ans ou 16 ans,. Elle ne savait pas, au juste.
Elle faisait partie d'un camp de sans papiers dans lequel elle avait survécu avec un vieil oncle et son fils.
Condamnée à mendier, couverte de honte, traquée telle une biche aux abois, elle n'avait pas rapporté hier, la "recette" imposée par son cousin. S'en était suivi la correction "méritée", et comme elle cherchait à se défendre, l'homme, pris de boisson, s'était alors transformé en brute sexuelle. Soliska avait pu échapper à son bourreau grâce à l'intervention de l'oncle, et avait profité de la confusion qui avait attiré les autres occupants du camp, pour fuir. Où ? Elle n'en savait rien. Mais fuir, quitte à mettre fin à ses jours.
Fatiguée d'avoir parlé, en cherchant ses mots, elle ferma un instant les yeux. Alors, la voix si douce lui parvint à nouveau :
" Petite, je ne veux pas savoir de quel pays tu viens, ni pourquoi tu vis dans une telle misère... Tout au moins, pas ce soir, parce que ce soir, vois-tu, c'est la veille de Noël. Je ne connais pas ta religion, mais je peux juste te dire que les chrétiens célèbrent ce soir la naissance d'un Enfant-Roi qui s'appelait Jésus, et qui est né il y a 2010 ans de cela. Il est maintenant au plus haut des Cieux, près de Dieu, son père spirituel, Je t'expliquerai tout cela plus tard.
Le soir de Noël est un soir de paix, d'amour, de bonheur, de grande joie.
Et de partage. Je suis seule, moi aussi, mais pas pour les mêmes raisons que les tiennes.
Je m'appelle Sylviane, et je serais heureuse de passer cette soirée de Noël avec toi. Es-tu d'accord ?
Soliska posa ses grands yeux noirs sur le visage vieillissant mais encore beau de Sylviane. Pour la première fois depuis des mois et des mois, elle sourit et murmura un"oui" très doux, et apaisé.
Sylviane caressa doucement la magnifique chevelure noire de la jeune fille et murmura : "Tu es mon Etoile, Soliska. La même que celle qui a conduit les bergers, il y a bien longtemps, devant l'étable où Jésus est né. Repose toi. Je vais te faire couler un bain bien chaud, et ensuite nous célébrerons Noël.
Noël... Amour, partage, autant de mots que Soliska ne connaissait pas. Mais son coeur, lui, avait compris. Alors, dans ses yeux, mille petites étoiles se mirent à danser. De sa main, elle envoya un baiser en direction du Ciel... "Pour toi Maman, tu seras avec moi ce soir, heureuse de mon bonheur. Je t'aime... "
Soliska ne savait pas encore comment et où cette bonne fée l'avait recueillie. Ni même qui elle était. Mais elle pouvait maintenant oser penser à demain, avec espoir...

C'était donc cela Noël ?