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Date de création : 13.04.2009
Dernière mise à jour : 15.10.2017
124619 articles


Conte Russe d'Alexandre Afanassiev

Conte Russe d'Alexandre Afanassiev

Le Tsar des mers et Vassilissa la sage

 

 

Dans un certain pays, dans un certain royaume il était un tsar et une tsarine qui n'avaient pas d'enfants. Le tsar part pour les pays étrangers, va d'un royaume à l'autre, et son absence se prolonge; la tsarine, entre-temps, met au monde un fils, le petit Ivan-tsarévitch, sans que son époux le sache. Sur le chemin du retour, aux abords de son pays, le tsar est surpris par une chaleur torride. Dévoré de soif, il rêve d'eau claire! Il promène son regard à la ronde et voit un grand lac dans le voisinage; il s'y dirige, met pied à terre, se couche à plat ventre et boitl'eau fraîche. Comme il est là, sans méfiance, le tsar des mers le saisit par la barbe.

- Lâche-moi, - supplie le tsar.

- Je te tiens, toi, qui oses boire sans ma permission!

- Relâche-moi, je te paierai n'importe quelle rançon!

- Donne-moi ce que tu ignores avoir au palais.

Le tsar se demande ce que cela pourrait bien être. Il croit savoir tout ce qu'il a et accepte le marché. Ne se sentant plus retenu par la barbe, il se relève, monte en selle et s'en retourne chez lui.

La tsarine, radieuse, l'accueille avec leur fils; le tsar, apprenant la naissance du prince, pleure à chaudes larmes. Il raconte sa mésaventure à la tsarine, qui mêle ses larmes aux siennes; mais ils n'y peuvent rien... Le prince grandit, grandit à vue d'oeil, et le voilà déjà grand.

- Quoi qu'il en coûte, - songe le tsar, - la séparation est inévitable!

Il prend son fils par la main et le conduit au bord du lac.

- Cherche mon anneau par ici, je l'ai perdu hier.

Puis il s'en retourne au palais, laissant Ivan-tsarévitch seul.

Le prince se met à chercher l'anneau, il longe la grève, et voici qu'une petite vieille vient à sa rencontre.

- Où vas-tu, Ivan-tsarévitch?

- Laisse-moi donc tranquille, tu m'agaces, vieille sorcière! Je suis assez ennuyé comme ça!.

- Bon, comme tu voudras!

Et la vieille s'éloigne. Quant au prince, il regrette son humeur:

- Pourquoi l'ai-je rudoyée? Mieux vaut la rappeler; les gens âgés sont malins et avisés. Peut-être saura-t-elle me conseiller.

Il hèle donc la vieille:

- Reviens, grand-mère, et pardonne-moi ma sottise! J'ai parlé par dépit: mon père m'a ordonné de retrouver son anneau et je le cherche, mais en vain!

- Ce n'est pas à cause de l'anneau que tu es là; ton père t'a cédé au tsar des mers, qui sortira du lac tout à l'heure pour t'emmener dans son royaume sous-marin.

Le prince fond en larmes.

- Ne te désole pas, Ivan-tsarévitch. La chance te sourira à ton heure; tu n'as qu'à m'écouter. Cache-toi derrière ce groseiller et ne bouge plus. Douze colombes arriveront, qui sont autant de belles jeunes filles, puis il en viendra une treizième; pendant qu'elles se baigneront dans le lac, emporte la chemise de la dernière et ne la lui rends qu'après qu'elle t'aura donné sa bague. Si tu échoues, tu es perdu: le palais du tsar des mers est entouré d'une haute palissade de trois lieues, dont chaque pieu porte un crâne humain; un seul est inoccupé, prends garde de ne pas le couronner!

Le prince remercie la vieille, se tapit derrière le groseiller et attend les événements.

Arrivent les douze colombes; elles s'abattent sur le sol et se changent en jeunes filles d'une beauté inouïe, indescriptible, inimaginable, toutes, tant qu'elles sont! Elles se dévêtent et entrent dans l'eau; elles batifolent, barbotent, avec des rires et des chansons. Une treizième colombe arrive à son tour; elle s'abat sur le sol et se change en belle jeune fille, ôte sa chemise et va se baigner; elle est encore plus accorte, plus belle que les autres! Le prince, ensorcelé, n'en finit plus de l'admirer; puis il se ressouvient des instructions de la vieille, s'approche en tapinois et prend la chemise.

La belle sort de l'eau... plus de chemise, elle a disparu. Toutes s'empressent de la chercher, mais elles ont beau s'activer, la chemise demeure introuvable.

- Ne cherchez pas, mes soeurs chéries! Retournez chez nous; c'est ma faute, à moi seule de répondre de mon inattention.

Les autres jeunes filles s'abattent sur le sol, redeviennent colombes et s'envolent. Celle qui est restée promène un regard à la ronde et dit:

- Qui que tu sois, ravisseur de ma chemise, montre-toi; si tu es vieux, tu seras mon bon père; si tu es entre deux âges, tu seras mon cher frère; si tu es jeune comme moi, tu seras mon bien-aimé!

A peine a-t-elle achevé de parler que Ivan-tsarévitch se présente. Elle lui donne une bague en or et dit:

- Oh, Ivan-tsarévitch! Tu as bien tardé! Le tsar des mers est fâché contre toi. Voici le chemin du royaume sous-marin; suis-le sans crainte! Tu m'y reverras, car je suis la fille du tsar des mers, Vassilissa la Sage.

Elle redevient colombe et quitte le prince. Et lui, il prend le chemin du royaume sous-marin. Là il voit la même lumière que sur terre ferme; des champs, des prés, des bocages verdoyants, un soleil caressant. Il arrive auprès du tsar des mers qui gronde:

- Pourquoi as-tu tardé à ce point? En punition, je t'impose une corvée: j'ai deux mille arpents de terre inculte, toute en combes, en ravines, en pierraille! Que dans la nuit elle soit nivelée et ensemencée de seigle qui, au petit matin, aura poussé assez haut pour dissimuler une corneille. Sinon, tu auras la tête tranchée! 

Ivan-tsarévitch se retire en pleurant à chaudes larmes. Vassilissa la Sage qui l'a vu d'une fenêtre de son palais, l'interpelle:

- Bonjour, mon prince! Pourquoi pleures-tu?

- Comment ne pas pleurer? - répond-il. - Le tsar des mers m'ordonne de niveler, dans la nuit, un terrain raviné et pierreux et d'y semer du seigle qui, au petit matin, aura suffisamment poussé pour dissimuler une corneille.

- Ce n'est pas encore le vrai malheur. Dors en paix; la nuit porte conseil, tout sera fait!

Le prince une fois couché, Vassilissa sort sur le perron et crie d'une voix forte:

- Ohé, mes fidèles serviteurs! Nivelez les ravines profondes, enlevez la pierraille, semez du seigle abondant qui aura mûri au matin.

Ivan-tsarévitch, réveillé à l'aube, voit le travail accompli: plus de combes ni de ravines, le terrain est parfaitement uni et du seigle y resplendit, assez haut pour dissimuler une corneille. Il s'en va rendre compte au tsar des mers.

- Je te remercie, - lui répond le tsar, - de t'être acquitté de cette tâche. Mais en voici une autre: j'ai trois cents meules de bon froment, de trois cents moyettes chacune; bats-le pour demain jusqu'au dernier grain, sans défaire meules ni moyettes. Sinon, tu auras la tête tranchée!

- A vos ordres, Votre Majesté! - répond Ivan-tsarévitch. Et il retraverse la cour en pleurant.

- Pourquoi pleures-tu? - lui demande Vassilissa la Sage.

- Comment ne pas pleurer? Le tsar m'ordonne de battre dans la nuit toutes ses meules, sans perdre un grain et sans défaire meules ni moyettes.

- Ce n'est pas encore le vrai malheur! Dors en paix; la nuit porte conseil.

Le prince une fois couché, Vassilissa sort sur le perron et crie d'une voix forte:

- Ohé, mes fourmis diligentes! Venez toutes, tant que vous êtes, et séparez un par un le grain des meules de mon père.

Au matin, le tsar des mers mande le prince:

- As-tu accompli ta tâche?

- Oui, Votre Majesté!

- Allons voir.

Arrivés sur l'aire, ils y trouvent les meules intactes. Entrés dans les granges, ils les trouvent remplies de grain.

- Merci, mon brave! - dit le tsar des mers. - Fais-moi donc une église entièrement en cire pour demain matin: ce sera là ta dernière tâche.

Le prince retraverse de nouveau la cour en pleurant.

- Pourquoi pleures-tu? - demande Vassilissa du haut de son palais.

- Comment ne pas pleurer? Le tsar des mers m'ordonne de faire, dans la nuit, une église entièrement en cire.

- Bah, ce n'est pas encore le vrai malheur. Va dormir; la nuit porte conseil.

Le prince une fois couché, Vassilissa la Sage sort sur le perron et crie d'une voix forte:

- Ohé, mes abeilles laborieuses! Venez toutes, tant que vous êtes, et modelez une sainte église en cire pour le lendemain matin.

Ivan-tsarévitch, à son réveil, aperçoit une église entièrement en cire et s'en va rendre compte au tsar des mers.

 

- Je te remercie, Ivan-tsarévitch! Tu es le plus habile des serviteurs que j'aie jamais eus. En récompense, je te nomme mon héritier, protecteur du royaume des eaux; prends pour femme l'une de mes treize filles, à ton choix.