Poémes ( Souvenirs)
Publié à 21:49 par lusile17
Soleil couchant
Les ajoncs éclatants, parure du granit,
Dorent l'âpre sommet que le couchant allume ;
Au loin, brillante encor par sa barre d'écume,
La mer sans fin commence où la terre finit.
A mes pieds c'est la nuit, le silence. Le nid
Se tait, l'homme est rentré sous le chaume qui fume.
Seul, l'Angélus du soir, ébranlé dans la brume,
A la vaste rumeur de l'Océan s'unit.
Alors, comme du fond d'un abîme, des traînes,
Des landes, des ravins, montent des voix lointaines
De pâtres attardés ramenant le bétail.
L'horizon tout entier s'enveloppe dans l'ombre,
Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre,
Ferme les branches d'or de son rouge éventail.
José - Maria de HEREDIA (1842-1905)
Publié à 21:40 par lusile17
L'homme et la mer
Homme libre, toujours, tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes,
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, ô frères implacables !
Charles Baudelaire
Publié à 21:34 par lusile17
Les corneilles
Le plumage lustré de satins et de moires,
Les corneilles, oiseaux placides et dolents,
Parmi les champs d'hiver, que la neige a fait blancs,
Apparaissent ainsi que des floraisons noires.
L'une marque les longs rameaux d'un chêne ami ;
Elle est penchée au bout d'une branche tordue,
Et, fleur d'encre, prolonge une plainte entendue
Par le tranquille écho d'un village endormi.
Une autre est là, plus loin, pleurarde et solitaire,
Sur un tertre maussade et bas comme un tombeau,
Et longuement se rêve en ce coin rongé d'eau,
Fleur tombale d'un mort qui dormirait sous terre.
Une autre encor, les yeux fixes et vigilants,
Hiératiquement, sur un pignon placée,
Reste à l'écart et meurt, vieille et paralysée,
Plante hiéroglyphique en fleur depuis mille ans.
Le plumage lustré de satins et de moires,
Les corneilles, oiseaux placides et dolents,
Parmi les champs d'hiver, que la neige a faits blancs,
Apparaissent ainsi que des floraisons noires.
Émile VERHAEREN
Publié à 21:31 par lusile17
LE SEMEUR
C'est le moment crépusculaire ;
J'admire, assis sous un portail,
Ce reste de jour dont s'éclaire
La dernière heure de travail.
Dans les terres de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D'un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.
Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.
Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin,
Rouvre sa main et recommence;
Et je médite, obscur témoin,
Pendant que, déployant ses voiles,
L'ombre, où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu'aux étoiles
Le geste auguste du semeur.
Victor Hugo
Publié à 21:23 par lusile17
LORSQUE TU SERAS VIEUX
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs
Au mois de Mai,dans le jardin qui s'ensoleille
Nous irons rechauffer nos vieux membres tremblants
Comme le renouveau mettra nos coeurs en fete
Nous nous croirons encor de jeunes amoureux
Et je te sourirai tout en branlant la tete
Et nous ferons un couple adorable de vieux
Nous nous regarderons, assis sur notre treille.
Avec de petits yeux attendris et brillants
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs
Sur le banc familier, tout verdatre de mousse
Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer
Nous aurons une joie attendrie et douce
La phrase finissant souvent par un baiser
Combien de fois jadis j'ai pu dire” je t'aime”
Alors, avec grand soin, nous le recompterons
Nous nous ressouviendrons de mille choses, meme
De petits riens exquis dont nous radoterons
Un rayon descendra, d'une caresse douce
Parmi nos cheveux blancs, tout rose, se poser
Quand sur notre vieux banc tout verdatre de mousse
Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer
Et comme chaque jour je t'aime davantage
Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain
Qu'importeront alors les rides du visage
Si les memes rosiers parfument le chemin
songe à tous les printemps
Qui dans nos coeurs s'entassent
Mes souvenirs à moi seront aussi les tiens
Ces communs souvenirs toujours plus nous enlacent
Et sans cesse entre nous tissent d'autres liens
C 'est vrai, nous serons vieux,
Affaiblis par l'age
Mais plus fort chaque jourje t'aime davantage
Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain.
ROSEMONDE GERARD;
Publié à 21:18 par lusile17
DEMAIN DES L'AUBE
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
VICTOR HUGO (1802-1885)
Poème de Victor Hugo dédié à sa fille Léopoldine, morte, noyée ..
Publié à 21:08 par lusile17
L'escalier de l'ara coeli
On a bâti là, plus réel
Que l'échelle du patriarche,
Un escalier dont chaque marche
Est vraiment un pas vers le ciel.
Dans la nature tout entière
L'architecte prit à son gré
Pour cet édifice sacré
La plus glorieuse matière :
Il prit des marbres sans rivaux,
Fragments de ces pierres illustres
Que la pioche aveugle des rustres
Brisait pour faire de la chaux,
Et qui toutes étincelèrent
Au front des temples abattus,
Ou que les Gracques et Brutus
Au Forum de leur pied foulèrent !
I1 les prit et les entassa,
Rejeton hardi de la race
Qui, regardant les dieux en face,
Roulait Pélion sur Ossa.
Et malgré les hordes très sales
De mendiants et de fiévreux
Se cherchant leur vermine entre eux
Sur ces assises colossales,
Bien qu'il s'y traîne des dévots
Dont une poupée est l'idole,
On y voit, comme au Capitole,
Monter les ombres des héros !$
SULLY PRUDHOMME
Publié à 20:58 par lusile17
Le semeur
Il allait d’un pas lourd, écoutant la clameur
D’effrontés passereaux, voleurs de nourriture,
Qui, pour chiper les grains rendus à la nature,
Voletaient sur sa trace et sapaient son humeur.
Il balançait le bras, sans à-coup, le semeur
Et son ombre croissait, étrange créature
Sous un astre en déclin se donnant en pâture
Aux abîmes profonds où chaque jour se meurt.
Il étendait la main, dans ce beau crépuscule
Qui joignait la splendeur à l’être minuscule,
Pour offrir, plein d’espoir, sa fortune à son champ ;
Il s’attardait un peu, perdu dans ses pensées,
Silhouette en sursis dans le soleil couchant,
Prêtant au lendemain des vertus insensées.
(inconnu)
Publié à 20:51 par lusile17
Le moulin
Le moulin tourne au fond du soir, très lentement,
Sur un ciel de tristesse et de mélancolie,
Il tourne et tourne, et sa voile, couleur de lie,
Est triste et faible et lourde et lasse, infiniment.
Depuis l'aube, ses bras, comme des bras de plainte,
Se sont tendus et sont tombés ; et les voici
Qui retombent encor, là-bas, dans l'air noirci
Et le silence entier de la nature éteinte.
Un jour souffrant d'hiver sur les hameaux s'endort,
Les nuages sont las de leurs voyages sombres,
Et le long des taillis qui ramassent leurs ombres,
Les ornières s'en vont vers un horizon mort.
Autour d'un vieil étang, quelques huttes de hêtre
Très misérablement sont assises en rond ;
Une lampe de cuivre éclaire leur plafond
Et glisse une lueur aux coins de leur fenêtre.
Et dans la plaine immense, au bord du flot dormeur,
Ces torpides maisons, sous le ciel bas, regardent,
Avec les yeux fendus de leurs vitres hagardes,
Le vieux moulin qui tourne et, las, qui tourne et meurt.
Émile VERHAEREN
Publié à 20:43 par lusile17
Le Cygne
Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l'onde avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
A des neiges d'avril qui croulent au soleil;
Mais, ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphire
Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un lent navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
Le courbe gracieux comme un profil d'acanthe,
Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.
Tantôt le long des pins, séjour d'ombre et de paix,
Il serpente, et, laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d'une tardive et languissante allure.
La grotte où le poète écoute ce qu'il sent,
Et la source qui pleure un éternel absent,
Lui plaisent; il y rôde; une feuille de saule
En silence tombée effleure son épaule.
Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l'azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur qu'il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.
Puis, quand les bords de l'eau ne se distinguent plus,
A l'heure où toute forme est un spectre confus,
Où l'horizon brunit rayé d'un long trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
Que les rainettes font dans l'air serein leur bruit,
Et que la luciole au clair de lune luit,
L'oiseau, dans le lac sombre où sous lui se reflète
La splendeur d'une nuit lactée et violette,
Comme un vase d'argent parmi des diamants,
Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments.
Sully Prudhomme