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Date de création : 29.03.2008
Dernière mise à jour : 18.01.2019
31135 articles


Raymond devos

Raymond devos

Publié à 12:00 par rene
L'artiste

Sur une mer imaginaire , loin de la rive...
L'artiste en quête d'absolu,
joue les naufragés volontaires...
Il est là debout sur une planche qui oscille sur la mer.
La mer est houleuse et la planche est pourrie.
Il manque de chavirer à chaque instant.
Il est vert de peur et il crie:
"C'est merveilleux!
C'est le plus beau métier du monde!"
Et pour se rassurer il chante:
Maman les p'tits bateaux
Qui vont sur l'eau
Ont-ils des jambes?
Mais oui mon gros béta...
et plouf, il tombe à l'eau!
Il est rappelé à la dure réalité de la fiction.
Lui qui se voyait déjà en haut de l'affiche,
il se voit déjà en bas de la liste de ces chers disparus!
Il a envie de crier:
"Un homme à la mer!"
Mais comme l'homme c'est lui, et que lui c'est un artiste
et qu'il exerce le plus beau métier du monde,
il crie:
"Et le spectacle continue!"
Il remonte sur sa planche pourrie.
Il poursuit sa quête de l'absolu.
(Chanté:)
Maman les p'tits bateaux
Qui vont sur l'eau
Ont-ils des jambes?
et plouf!
il retombe a l'eau.
Il est ballotté comme une bouteille à la mer,
à l'intérieur de laquelle il y a un message de détresse.
Il a envie de crier:
"Une bouteille à la mer!"
Mais comme la bouteille c'est lui,
et que lui c'est un artiste
et qu'il exerce le plus beau métier du monde,
il crie:
"L'eau est bonne!"
Il remonte sur sa planche pourrie...
Il a complètement perdu le nord.
Il se croit sur la mer du même nom,
la mer du Nord... Il fait la manche...
Toujours la quête de l'absolu!
(Chanté:)
Maman les p'tits bateaux
Qui vont sur l'eau
Ont-ils des jambes?
Et il retombe à l'eau.
Le public qui est resté sagement sur la rive,
se demande si l'artiste n'est pas en train de le mener en bateau.
Il se dit:
"Mais alors, quand est-ce qu'il se noie?"
L'artiste, lui, s'aperçoit soudain
que la planche sur laquelle il est remonté pour la énième fois
donne de la gîte sur tribord!
C'est-à-dire qu'elle penche du côté où il va tomber!
Il a envie de crier:
"Les femmes et les enfants d'abord!"
Mais comme il est tout seul, il crie:
"Je suis le maître à bord!"
Il ajouterait bien:
"Après Dieu!"
Mais comme dans l'imaginaire, Dieu,
on ne risque pas de le rencontrer!...
(Dieu existe, certes... mais dans le réel!)
Pour Dieu l'imaginaire c'est une vue de l'esprit!
La fiction ça le dépasse!
L'artiste sait qu'il n'a rien à attendre du Ciel.
Alors au lieu de crier:
"Après Dieu!"
Il crie:
"Après moi le déluge!"
Et tandis que sa planche,
qui fait eau de toutes parts,
s'enfonce dans les eaux,
il n'a plus qu'une pensée:
"Sauver la recette!"
Il fait une annonce publicitaire:
"Mesdames et messieurs,
la planche pourrie sur laquelle j'ai eu
l'honneur de sombrer pour la dernière fois
devant vous ce soir était sponsorisée
par le Ministère de la Culture!"
Et il coule avec la subvention!
Il disparaît dans les flots
et il réapparaît aussi sec...
Il a de l'eau jusqu'à la ceinture...
Ses deux pieds touchent le fond de la mer.
Alors le public:
"Ha! Ha !
Il s'est noyé dans un verre d'eau!"
A l'évidence, la mer imaginaire sur laquelle
l'artiste s'était embarqué imprudemment
est à la hauteur de son imagination.
Elle manque de profondeur.
C'est une mer à marée basse.
Une mer de bas fonds!
Une mer indigne d'un grand naufrage!...
Alors l'artiste pour ne pas sombrer dans le ridicule...
Il fait la planche!
Il fait la planche pourrie.
Il a envie de crier:
"Une planche à la mer!"
Mais comme la planche c'est lui,
et que lui c'est un artiste et qu'il exerce le plus beau métier du monde,
il crie:
"Je suis le radeau de la Méduse à moi tout seul
et il se pourrait que cette fois-ci,
il n'y ait pas de survivants!..."
Le public imperméable jusque-là, se dit:
"C'est un spectacle cool...
- Pas de survivants?
- Cela promet...
- Cela laisse entrevoir une fin heureuse!"
Alors après avoir crié: "Bis!",
il crie "Ter! Ter!"
Et c'est le miracle!
Devant le public médusé,
l'artiste transfiguré regagne la rive
en marchant sur les flots...
et il se noie dans la foule!...

Raymond Devos

Raymond devos

Publié à 12:00 par rene
Je me suis fait tout seul


Mesdames et messieurs, je dois vous dire tout d'abord
que je me suis fait tout seul
et ...
que je me suis raté.
Je me suis raté, quoi!
J'ai d'autant plus de mérite à l'avouer
que ça ne se voit pas tellement!
Encore que personne ne m'ait jamais dit:
"Vous vous êtes réussi!"
En réalité,
je me suis fait plus moche que je ne suis!
Tout au début,
tandis que je me faisais,
je voyais bien que je ne me faisais pas bien.
Mais comme à chaque fois que je disais que je me faisais mal,
les gens disaient : "C'est bien fait !",
J'ai continué à me faire mal
en croyant bien faire.
Et puis,
quand j'ai vu la tournure que je me prenais,
j'ai tout arrêté.
Et je me suis laissé dans l'état où vous me voyez!
Alors, on a dit :
"Non seulement, il est raté,
mais en plus, il n'est pas fini !"
Eh, bien, j'aime mieux cela!
J'aime mieux ne pas être fini!
Un homme fini,
il est fini!
On a beau me dire : "Il est réussi!"
Je réponds : "Oui ! Mais il est fini!"
Au fond, je préfère être inachevé,
comme une symphonie!
Il y a de belles symphonies inachevées.
Encore que une personne ne m'ait jamais dit :
"Vous êtes une belle symphonie inachevée! "
L'avantage, quand on s'est raté,
c'est qu'ensuite, on peut tout rater impunément,
personne ne vous en fait grief!
On se sent sûr de soi,
on est serein!
Exemple :
A l'école, le jour des examens,
tous mes petits camarades avaient peur
de ne pas réussir!
Moi, je n'avais pas peur!
Ils se présentaient, tout tremblant, à l'examen.
Moi, j'étais confiant !
J'étais sûr de rater !
Et, ça ne ratait pas !
L'examen, je le ratais haut la main !
(J'ai toujours réussi à rater tous mes examens.)
Je ne sais pas comment vous expliquer.
Pour un raté ...
rater,
c'est estimer avoir réussi là où les autres
considèrent qu'ils ont raté!
Exemple :
chaque fois que je fais un pas en avant
et que je le rate,
j'ai la sensation de progresser!
Encore que personne ne m'ait jamais dit :
"Sur le plan raté, vous avez fait des progrès !"
Et pourtant, j'en ai fait!
Je rate mieux qu'avant!
Avant,
je ratais une fois sur deux!
Maintenant,
je rate à tous les coups !
Finalement,
il n'y a qu'une chose que je sache bien faire :
c'est rater!
Si bien que,
si c'était à refaire,
s'il fallait que je me refasse,
je me raterais de la même façon!
Parce que, dans le fond,
on ne se refait pas!

Raymond Devos

Raymond devos

Publié à 12:00 par rene
Jésus revient

Je viens de lire sur un mur
une chose étonnante.
Quelqu'un avait écrit:
"Jésus revient."
C'était en toutes lettres:
"Jésus revient."
Vous vous rendez compte?
Jésus!
C'est important!
Jésus!
C'est le ciel!
Et les gens passaient à côté... indifférents:
- Tiens! Jésus revient?
Il y en a même qui faisaient des réflexions désobligeantes:
- Eh bien, il a mis du temps!
Et, pourtant,
si c'était vrai?
Si Jésus revenait?
Ce serait merveilleux!
"Jésus revient."
Il est là!
Où?
Là!
"Ah! c'est vous? Mon Dieu!"
Je ne vous avais pas reconnu!
Si j'ai entendu parler de vous?...
Pensez!...
Quand j'étais petit, on me parlait toujours du petit Jésus.
Le petit Jésus!
Je vous voyais tout petit!
Et tout à coup,
je découvre... un grand Seigneur!
- Devinez qui vient dîner ce soir?
Vous me voyez devant la porte de ma demeure,
annonçant la nouvelle à travers le judas?
- Devinez qui vient dîner ce soir?
- Je vous le donne en mille: Jésus!
- Mais non!
- Mais si!
Vous voyez d'ici la scène?...
Il voudrait peut-être mieux ne pas raviver la Passion!

Raymond Devos


Raymond devos

Publié à 12:00 par rene


Dégoûtant personnage


Il est curieux! Ce type
Il est curieux!
Tout à l'heure, dans la rue, je regardais passer une
jolie femme . . .
Il la regardait aussi!
La même!
Je lui ai dit:
- A quoi pensiez-vous en regardant cette jolie femme?
Il m'a dit:
- A la même chose que vous!
Je lui ai dit:
- Vous êtes un dégoûtant personnage!


Raymond Devos.

Raymond devos

Publié à 12:00 par rene
J'AI DES DOUTES

(L'artiste entre tenant d'une main, une chaise, de
l'autre, sa guitare.)
_ J'ai des doutes!... J'ai des doutes!...
Hier soir, en rentrant dans mes foyers plus tôt que d'habitude...
il y avait quelqu'un dans mes pantoufles...
Mon meilleur copain...
Si bien que je me demande si, quand je ne suis pas là... (s'asseyant)
il ne se sert pas de mes affaires!...
J'ai des doutes!...
(Se levant)... Je vais vous jouer une étude de Sor.
Sor était espagnol de 1778 à ... j'ai des doutes!...
Ce n'est pas sa pointure!... vous comprenez?... alors, il la force!...
après, moi je... (il montre que sa pantoufle est trop large).
Il n'a qu'à s'en payer une paire!
(Revenant à son étude:)
Sor était espagnol de 1778... jusqu'à... sa mort... après de très belles études...
il en a écrit plusieurs très belles aussi...
dont la cinquième que je vais vous interpréter.
(Il se rassied.)
J'ai horreur que l'on se serve de mes affaires!... Pour cinq francs!...
Il a une paire de pantoufles... n'importe où...
La Cinquième Etude de Sor.
(Il joue la première phrase de l'étude de Sor.)
... Mon pyjama!... C'est pareil!... depuis qu'il a acheté le même...
je ne retrouve plus le mien!... il s'en sert... quoi!... il n'y a pas de doute!...
(Il joue la deuxième phrase de l'étude de Sor.)
... Ma femme ne voulait pas le croire. Je lui ai dit:
_ Tu vas voir!... un de ces jours... il va aussi se servir de tes affaires!
Mon vieux, le lendemain, je retrouve son soutien-gorge dans la poche
de son pardessus! Il s'en sert, quoi!... il n'y a pas de doute!
(Il joue la troisième phrase de l'étude de Sor.)
... Un soir, j'arrive sur le palier... j'entends:
"Profitons-en pendant qu'il n'est pas là!...
Débarrasse-toi de ton bonhomme de mari, c'est un rabat-joie!..."
Ah! mon vieux... j'entre... je dis à mon copain qui était là:
_ Oh!... Eh!... eh!... (il lui fait signe de baisser le ton).
Baisse un peu la radio, on l'entend d'en bas!
Il s'en sert, quoi!... il n'y a pas de doute!
(Il joue la quatrième phrase de l'étude de Sor.)
... Trois jours après!... j'entre... je le trouve dans mon lit,
en train de fumer une cigarette, une des miennes!...
Je dis à ma femme qui était à côté:
_ Tu ne peux pas l'empécher de fumer, non? Il va
brûler mes draps!...
Il s'en sert, quoi!... il n'y a pas de doute!
... Alors!... mes pantoufles!... mon pyjama!... ma radio!... mes cigarettes!...
et pourquoi pas ma femme pendant qu'il y est!...
(Il réalise soudain que ce n'est pas seulement de ses
affaires dont son copain abuse...)
(Il réalise aussi qu'il a dévoilé son infortune devant tout le monde,
et ce n'est plus qu'un pauvre homme qui joue la cinquième et dernière
phrase de l'étude de Sor... et qui sort.)

Raymond Devos.

Raymond devos

Publié à 12:00 par rene
A tort ou à raison


On ne sait jamais qui a raison ou qui a tort.
C'est difficile de juger. Moi, j'ai longtemps donné
raison à tout le monde.
Jusqu'au jour où je me suis aperçu
que la plupart des gens à qui je donnais
raison avaient tort !
Donc, j'avais raison !
Par conséquent, j'avais tort !
Tort de donner raison à des gens qui avaient
le tort de croire qu'ils avaient raison.
C'est-à-dire que moi qui n'avais pas tort,
je n'avais aucune raison de ne pas donner tort
à des gens qui prétendaient avoir raison,
alors qu'ils avaient tort !
J'ai raison, non ? Puisqu'ils avaient tort !
Et sans raison, encore ! Là, j'insiste, parce que ...
moi aussi, il arrive que j'aie tort.
Mais quand j'ai tort, j'ai mes raisons, que je ne donne pas.
Ce serait reconnaître mes torts !!!
J'ai raison, non ? Remarquez ... il m'arrive aussi
de donner raison à des gens qui ont raison.
Mais, là encore, c'est un tort.
C'est comme si je donnais tort à des gens qui ont tort.
Il n'y a pas de raison !
En résumé, je crois qu'on a toujours tort d'essayer
d'avoir raison devant des gens qui ont toutes
les bonnes raisons de croire qu'ils n'ont pas tort !

Raymond Devos


Raymond Devos

Publié à 12:00 par rene
En dernier ressort


Je connaissais un sportif qui prétendait
avoir plus de ressort que sa montre.
Pour le prouver, il a fait la course
contre sa montre.
Il a remonté sa montre,
il s'est mis à marcher en même temps qu'elle.
Lorsque le ressort de la montre est arrivé en bout de course,
la montre s'est arrêtée.
Lui a continué,
et il a prétendu avoir gagné
en dernier ressort!
Raymond Devos



Raymond Devos

Raymond Devos

Publié à 12:00 par rene
Ça n'arrive qu'à moi !

Les gens disent tous la même chose !
Ils disent tous, lorsqu'ils leur arrivent quelque chose:
"Ça n'arrive qu'à moi !"
De temps en temps, il y en a un à qui il n'arrive
rien et qui ne dit pas comme tout le monde.
Il dit: "Ça n'arrive qu'aux autres !"
Parce qu'il a entendu les autres dire:
"Ça n'arrive qu'à moi !",
il croit que ça n'arrive qu'à eux (aux autres) !
Alors que peut-être, il n'y a qu'à lui
que ça arrive de penser que ça n'arrive
qu'aux autres !
Encore que lorsqu'il s'en aperçoit,
il dit comme les autres: "Ça n'arrive qu'à moi !"
Cela m'est arrivé à moi !
Alors si cela vous arrive ...
je veux dire, si vous faites partie de ceux qui
comme moi, disent: "Ça n'arrive qu'aux autres !"
posez leur la question, aux autres !
"Qu'est-ce qui vous arrive ?"
Ils vous répondront tous la même chose :
"Nous ne savons pas ce qui nous arrive,
mais ça n'arrive qu'à nous !"
Par contre, si vous faites partie des autres,
de ceux qui disent: "Ça n'arrive qu'à moi !"
posez-vous la question ... à vous :
"Qu'est-ce qui t'arrive ?"
Et vous verrez que ce qui vous arrive ...
c'est ce qui arrive aux autres !
C'est ce qui arrive à tout la monde !
Et vous conclurez comme moi,
par cette petite phrase sibylline:
"Ce qui n'arrive qu'aux autres n'arrive qu'à moi aussi !"
Et vous vous sentirez solidaire!

Raymond Devos

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