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Date de création : 09.08.2009
Dernière mise à jour :
31.01.2016
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Un Mari fort amoureux,
Fort amoureux de sa Femme,
Bien qu’il fût jouissant, se croyait malheureux.
Jamais oeillade de la Dame,
Propos flatteur et gracieux,
Mot d’amitié, ni doux sourire,
Déifiant le pauvre Sire,
N’avaient fait soupçonner qu’il fût vraiment chéri.
Je le crois, c’était un mari.
Il ne tint point à l’hyménée
Que content de sa destinée
Il n’en remerciât les Dieux ;
Mais quoi ? Si l’amour n’assaisonne
Les plaisirs que l’hymen nous donne,
Je ne vois pas qu’on en soit mieux.
Notre épouse étant donc de la sorte bâtie,
Et n’ayant caressé son mari de sa vie,
Il en faisait sa plainte une nuit. Un voleur
Interrompit la doléance.
La pauvre femme eut si grand’peur
Qu’elle chercha quelque assurance
Entre les bras de son époux.
Ami Voleur, dit-il, sans toi ce bien si doux
Me serait inconnu. Prends donc en récompense
Tout ce qui peut chez nous être à ta bienséance ;
Prends le logis aussi. Les voleurs ne sont pas
Gens honteux, ni fort délicats :
Celui-ci fit sa main. J’infère de ce conte
Que la plus forte passion
C’est la peur : elle fait vaincre l’aversion,
Et l’amour quelquefois ; quelquefois il la dompte ;
J’en ai pour preuve cet amant
Qui brûla sa maison pour embrasser sa Dame,
L’emportant à travers la flamme.
J’aime assez cet emportement ;
Le conte m’en a plu toujours infiniment :
Il est bien d’une âme Espagnole,
Et plus grande encore que folle.
Chacun a son défaut où toujours il revient :
Honte ni peur n’y remédie.
Sur ce propos, d’un conte il me souvient :
Je ne dis rien que je n’appuie
De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus
Altérait sa santé, son esprit et sa bourse.
Telles gens n’ont pas fait la moitié de leur course
Qu’ils sont au bout de leurs écus.
Un jour que celui-ci plein du jus de la treille,
Avait laissé ses sens au fond d’une bouteille,
Sa femme l’enferma dans un certain tombeau.
Là les vapeurs du vin nouveau
Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve
L’attirail de la mort à l’entour de son corps :
Un luminaire, un drap des morts.
Oh ! dit-il, qu’est ceci ? Ma femme est-elle veuve ?
Là-dessus, son épouse, en habit d’Alecton,
Masquée et de sa voix contrefaisant le ton,
Vient au prétendu mort, approche de sa bière,
Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer.
L’Epoux alors ne doute en aucune manière
Qu’il ne soit citoyen d’enfer.
Quelle personne es-tu ? dit-il à ce fantôme.
- La cellerière du royaume
De Satan, reprit-elle ; et je porte à manger
A ceux qu’enclôt la tombe noire.
Le Mari repart sans songer :
Tu ne leur portes point à boire ?
Deux Taureaux combattaient à qui posséderait
Une Génisse avec l’empire.
Une Grenouille en soupirait.
« Qu’avez-vous ? » se mit à lui dire
Quelqu’un du peuple croassant.
Et ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle
Sera l’exil de l’un ; que l’autre, le chassant,
Le fera renoncer aux campagnes fleuries ?
Il ne régnera plus sur l’herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur les roseaux,
Et nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,
Tantôt l’une, et puis l’autre, il faudra qu’on pâtisse
Du combat qu’a causé Madame la Génisse.
Cette crainte était de bon sens.
L’un des Taureaux en leur demeure
S’alla cacher à leurs dépens :
Il en écrasait vingt par heure.
Hélas! on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands.
On rencontre sa destinée
Souvent par des chemins qu’on prend pour l’éviter.
Un père eut pour toute lignée
Un fils qu’il aima trop, jusques à consulter
Sur le sort de sa géniture
Les diseurs de bonne aventure.
Un de ces gens lui dit, que des Lions sur tout
Il éloignât l’enfant jusques à certain âge ;
Jusqu’à vingt ans, point davantage.
Le père pour venir a bout
D’une précaution sur qui roulait la vie
De celui qu’il aimait, défendit que jamais
On lui laissât passer le seuil de son Palais.
Il pouvait sans sortir contenter son envie,
Avec ses compagnons tout le jour badiner,
Sauter, courir, se promener.
Quand il fut en l’âge où la chasse
Plaît le plus aux jeunes esprits,
Cet exercice avec mépris
Lui fut dépeint : mais, quoi qu’on fasse,
Propos, conseil, enseignement,
Rien ne change un tempérament.
Le jeune homme, inquiet, ardent, plein de courage,
A peine se sentit des bouillons d’un tel âge,
Qu’il soupira pour ce plaisir.
Plus l’obstacle était grand, plus fort fut le désir.
Il savait le sujet des fatales défenses ;
Et comme ce logis, plein de magnificences,
Abondait partout en tableaux,
Et que la laine et les pinceaux
Traçaient de tous côtés chasses et paysages,
En cet endroit des animaux,
En ce autre des personnages,
Le jeune homme s’émut, voyant peint un Lion.
Ah ! monstre, cria-t-il, c’est toi qui me fais vivre
Dans l’ombre et dans les fers. A ces mots, il se livre
Aux transports violents de l’indignation,
Porte le poing sur l’innocente bête.
Sous la tapisserie un clou se rencontra.
Ce clou le blesse ; il pénétra
Jusqu’aux ressorts de l’âme ; et cette chère tête
Pour qui l’art d’Esculape en vain fit ce qu’il put,
Dut sa perte à ces soins qu’on prit pour son salut.
Même précaution nuisit au poète Eschyle.
Quelque Devin le menaça, dit-on,
De la chute d’une maison.
Aussitôt il quitta la ville,
Mit son lit en plein champ, loin des toits, sous les Cieux.
Un Aigle, qui portait en l’air une Tortue,
Passa par là, vit l’homme, et sur sa tête nue,
Qui parut un morceau de rocher à ses yeux,
Etant de cheveux dépourvue,
Laissa tomber sa proie, afin de la casser :
Le pauvre Eschyle ainsi sut ses jours avancer.
De ces exemples il résulte
Que cet art, s’il est vrai, fait tomber dans les maux
Que craint celui qui le consulte ;
Mais je l’en justifie, et maintiens qu’il est faux.
Je ne crois point que la nature
Se soit lié les mains, et nous les lie encor,
Jusqu’au point de marquer dans les cieux notre sort.
Il dépend d’une conjoncture
De lieux, de personnes, de temps ;
Non des conjonctions de tous ces charlatans.
Ce Berger et ce Roi sont sous même planète ;
L’un d’eux porte le sceptre et l’autre la houlette :
Jupiter le voulait ainsi.
Qu’est-ce que Jupiter ? un corps sans connaissance.
D’où vient donc que son influence
Agit différemment sur ces deux hommes-ci ?
Puis comment pénétrer jusques à notre monde ?
Comment percer des airs la campagne profonde ?
Percer Mars, le Soleil, et des vides sans fin ?
Un atome la peut détourner en chemin :
Où l’iront retrouver les faiseurs d’horoscope ?
L’état où nous voyons l’Europe
Mérite que du moins quelqu’un d’eux l’ait prévu ;
Que ne l’a-t-il donc dit ? Mais nul d’eux ne l’a su.
L’immense éloignement, le point, et sa vitesse,
Celle aussi de nos passions,
Permettent-ils à leur faiblesse
De suivre pas à pas toutes nos actions ?
Notre sort en dépend : sa course entre-suivie,
Ne va, non plus que nous, jamais d’un même pas ;
Et ces gens veulent au compas,
Tracer les cours de notre vie !
Il ne se faut point arrêter
Aux deux faits ambigus que je viens de conter.
Ce Fils par trop chéri, ni le bonhomme Eschyle,
N’y font rien. Tout aveugle et menteur qu’est cet art,
Il peut frapper au but une fois entre mille ;
Ce sont des effets du hasard.
Que le bon soit toujours camarade du beau,
Dès demain je chercherai femme ;
Mais comme le divorce entre eux n’est pas nouveau,
Et que peu de beaux corps, hôtes d’une belle âme,
Assemblent l’un et l’autre point,
Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point.
J’ai vu beaucoup d’Hymens, aucuns d’eux ne me tentent :
Cependant des humains presque les quatre parts
S’exposent hardiment au plus grand des hasards ;
Les quatre parts aussi des humains se repentent.
J’en vais alléguer un qui, s’étant repenti,
Ne put trouver d’autre parti,
Que de renvoyer son épouse,
Querelleuse, avare, et jalouse.
Rien ne la contentait, rien n’était comme il faut,
On se levait trop tard, on se couchait trop tôt,
Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose ;
Les valets enrageaient, l’époux était à bout :
Monsieur ne songe à rien, Monsieur dépense tout,
Monsieur court, Monsieur se repose.
Elle en dit tant, que Monsieur à la fin
Lassé d’entendre un tel lutin,
Vous la renvoie à la campagne
Chez ses parents. La voilà donc compagne
De certaines Philis qui gardent les dindons
Avec les gardeurs de cochons.
Au bout de quelque temps, qu’on la crut adoucie,
Le mari la reprend. Eh bien ! qu’avez-vous fait ?
Comment passiez-vous votre vie ?
L’innocence des champs est-elle votre fait ?
- Assez, dit-elle ; mais ma peine
Etait de voir les gens plus paresseux qu’ici ;
Ils n’ont des troupeaux nul souci.
Je leur savais bien dire, et m’attirais la haine
De tous ces gens si peu soigneux.
- Eh, Madame, reprit son époux tout à l’heure,
Si votre esprit est si hargneux
Que le monde qui ne demeure
Qu’un moment avec vous, et ne revient qu’au soir,
Est déjà lassé de vous voir,
Que feront des valets qui toute la journée
Vous verront contre eux déchaînée ?
Et que pourra faire un époux
Que vous voulez qui soit jour et nuit avec vous ?
Retournez au village : adieu. Si de ma vie
Je vous rappelle et qu’il m’en prenne envie,
Puissé-je chez les morts avoir pour mes péchés
Deux femmes comme vous sans cesse à mes côtés.
Deux Rats cherchaient leur vie ; ils trouvèrent un OEuf.
Le dîné suffisait à gens de cette espèce !
Il n’était pas besoin qu’ils trouvassent un Boeuf.
Pleins d’appétit, et d’allégresse,
Ils allaient de leur oeuf manger chacun sa part,
Quand un Quidam parut. C’était maître Renard ;
Rencontre incommode et fâcheuse.
Car comment sauver l’oeuf ? Le bien empaqueter,
Puis des pieds de devant ensemble le porter,
Ou le rouler, ou le traîner,
C’était chose impossible autant que hasardeuse.
Nécessité l’ingénieuse
Leur fournit une invention.
Comme ils pouvaient gagner leur habitation,
L’écornifleur étant à demi-quart de lieue,
L’un se mit sur le dos, prit l’oeuf entre ses bras,
Puis, malgré quelques heurts et quelques mauvais pas,
L’autre le traîna par la queue.
Qu’on m’aille soutenir après, un tel récit,
Que les bêtes n’ont point d’esprit.
Pour moi, si j’en étais le maître,
Je leur en donnerais aussi bien qu’aux enfants.
Ceux-ci pensent-ils pas dès leurs plus jeunes ans ?
Quelqu’un peut donc penser ne se pouvant connaître.
Par un exemple tout égal,
J’attribuerais à l’animal
Non point une raison selon notre manière,
Mais beaucoup plus aussi qu’un aveugle ressort :
Je subtiliserais un morceau de matière,
Que l’on ne pourrait plus concevoir sans effort,
Quintessence d’atome, extrait de la lumière,
Je ne sais quoi plus vif et plus mobile encor
Que le feu : car enfin, si le bois fait la flamme,
La flamme en s’épurant peut-elle pas de l’âme
Nous donner quelque idée, et sort-il pas de l’or
Des entrailles du plomb ? Je rendrais mon ouvrage
Capable de sentir, juger, rien davantage,
Et juger imparfaitement,
Sans qu’un Singe jamais fit le moindre argument.
A l’égard de nous autres hommes,
Je ferais notre lot infiniment plus fort :
Nous aurions un double trésor ;
L’un cette âme pareille en tout-tant que nous sommes,
Sages, fous, enfants, idiots,
Hôtes de l’univers, sous le nom d’animaux ;
L’autre encore une autre âme, entre nous et les Anges
Commune en un certain degré
Et ce trésor à part créé
Suivrait parmi les airs les célestes phalanges,
Entrerait dans un point sans en être pressé,
Ne finirait jamais quoique ayant commencé :
Choses réelles, quoique étranges.
Tant que l’enfance durerait,
Cette fille du Ciel en nous ne paraîtrait
Qu’une tendre et faible lumière ;
L’organe étant plus fort, la raison percerait
Les ténèbres de la matière,
Qui toujours envelopperait
L’autre âme, imparfaite et grossière.
Autrefois Carpillon fretin
Eut beau prêcher, il eut beau dire ;
On le mit dans la poêle à frire.
Je fis voir que lâcher ce qu’on a dans la main,
Sous espoir de grosse aventure,
Est imprudence toute pure.
Le Pêcheur eut raison ;
Carpillon n’eut pas tort.
Chacun dit ce qu’il peut pour défendre sa vie.
Maintenant il faut que j’appuie
Ce que j’avançai lors de quelque trait encor.
Certain Loup, aussi sot que le pêcheur fut sage,
Trouvant un Chien hors du village,
S’en allait l’emporter ; le Chien représenta
Sa maigreur : Jà ne plaise à votre seigneurie
De me prendre en cet état-là ;
Attendez, mon maître marie
Sa fille unique. Et vous jugez
Qu’étant de noce, il faut, malgré moi que j’engraisse.
Le Loup le croit, le Loup le laisse.
Le Loup, quelques jours écoulés,
Revient voir si son Chien n’est point meilleur à prendre.
Mais le drôle était au logis.
Il dit au Loup par un treillis :
Ami, je vais sortir. Et, si tu veux attendre,
Le portier du logis et moi
Nous serons tout à l’heure à toi.
Ce portier du logis était un Chien énorme,
Expédiant les Loups en forme.
Celui-ci s’en douta. Serviteur au portier,
Dit-il ; et de courir. Il était fort agile ;
Mais il n’était pas fort habile :
Ce Loup ne savait pas encor bien son métier.
Une Lice étant sur son terme,
Et ne sachant ou mettre un fardeau si pressant,
Fait si bien qu’à la fin sa Compagne consent
De lui prêter sa hutte, où la Lice s’enferme.
Au bout de quelque temps sa Compagne revient.
La Lice lui demande encore une quinzaine ;
Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu’à peine.
Pour faire court, elle l’obtient.
Ce second terme échu, l’autre lui redemande
Sa maison, sa chambre, son lit.
La Lice cette fois montre les dents, et dit :
« Je suis prête à sortir avec toute ma bande,
Si vous pouvez nous mettre hors. »
Ses enfants étaient déjà forts.
Ce qu’on donne aux méchants, toujours on le regrette.
Pour tirer d’eux ce qu’on leur prête,
Il faut que l’on en vienne aux coups ;
Il faut plaider, il faut combattre.
Laissez-leur prendre un pied chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.
Qui ne court après la Fortune ?
Je voudrais être en lieu d’où je pusse aisément
Contempler la foule importune
De ceux qui cherchent vainement
Cette fille du sort de Royaume en Royaume,
Fidèles courtisans d’un volage fantôme.
Quand ils sont près du bon moment,
L’inconstante aussitôt à leurs désirs échappe :
Pauvres gens, je les plains, car on a pour les fous
Plus de pitié que de courroux.
Cet homme, disent-ils, était planteur de choux,
Et le voilà devenu pape :
Ne le valons-nous pas ? – Vous valez cent fois mieux ;
Mais que vous sert votre mérite ?
La Fortune a-t-elle des yeux ?
Et puis la papauté vaut-elle ce qu’on quitte,
Le repos, le repos, trésor si précieux
Qu’on en faisait jadis le partage des Dieux ?
Rarement la Fortune à ses hôtes le laisse.
Ne cherchez point cette Déesse,
Elle vous cherchera ; son sexe en use ainsi.
Certain couple d’amis en un bourg établi,
Possédait quelque bien : l’un soupirait sans cesse
Pour la Fortune ; il dit à l’autre un jour :
Si nous quittions notre séjour ?
Vous savez que nul n’est prophète
En son pays : cherchons notre aventure ailleurs.
- Cherchez, dit l’autre ami, pour moi je ne souhaite
Ni climats ni destins meilleurs.
Contentez-vous ; suivez votre humeur inquiète ;
Vous reviendrez bientôt. Je fais voeu cependant
De dormir en vous attendant.
L’ambitieux, ou, si l’on veut, l’avare,
S’en va par voie et par chemin.
Il arriva le lendemain
En un lieu que devait la Déesse bizarre
Fréquenter sur tout autre ; et ce lieu c’est la cour.
Là donc pour quelque temps il fixe son séjour,
Se trouvant au coucher, au lever, à ces heures
Que l’on sait être les meilleures ;
Bref, se trouvant à tout, et n’arrivant à rien.
Qu’est ceci ? ce dit-il, cherchons ailleurs du bien.
La Fortune pourtant habite ces demeures.
Je la vois tous les jours entrer chez celui-ci,
Chez celui-là ; d’où vient qu’aussi
Je ne puis héberger cette capricieuse ?
On me l’avait bien dit, que des gens de ce lieu
L’on n’aime pas toujours l’humeur ambitieuse.
Adieu Messieurs de cour ; Messieurs de cour adieu :
Suivez jusques au bout une ombre qui vous flatte.
La Fortune a, dit-on, des temples à Surate ;
Allons là. Ce fut un de dire et s’embarquer.
Ames de bronze, humains, celui-là fut sans doute
Armé de diamant, qui tenta cette route,
Et le premier osa l’abîme défier.
Celui-ci pendant son voyage
Tourna les yeux vers son village
Plus d’une fois, essuyant les dangers
Des pirates, des vents, du calme et des rochers,
Ministres de la mort. Avec beaucoup de peines
On s’en va la chercher en des rives lointaines,
La trouvant assez tôt sans quitter la maison.
L’homme arrive au Mogol ; on lui dit qu’au Japon
La Fortune pour lors distribuait ses grâces.
Il y court ; les mers étaient lasses
De le porter ; et tout le fruit
Qu’il tira de ses longs voyages,
Ce fut cette leçon que donnent les sauvages :
Demeure en ton pays, par la nature instruit.
Le Japon ne fut pas plus heureux à cet homme
Que le Mogol l’avait été ;
Ce qui lui fit conclure en somme,
Qu’il avait à grand tort son village quitté.
Il renonce aux courses ingrates,
Revient en son pays, voit de loin ses pénates,
Pleure de joie, et dit : Heureux, qui vit chez soi ;
De régler ses désirs faisant tout son emploi.
Il ne sait que par ouïr dire
Ce que c’est que la cour, la mer, et ton empire,
Fortune, qui nous fais passer devant les yeux
Des dignités, des biens, que jusqu’au bout du monde
On suit, sans que l’effet aux promesses réponde.
Désormais je ne bouge, et ferai cent fois mieux.
En raisonnant de cette sorte,
Et contre la Fortune ayant pris ce conseil,
Il la trouve assise à la porte
De son ami plongé dans un profond sommeil.
Un homme qui s’aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde.
Il accusait toujours les miroirs d’être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux
Présentait partout à ses yeux
Les Conseillers muets dont se servent nos Dames :
Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands,
Miroirs aux poches des galands,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse ? Il va se confiner
Aux lieux les plus cachés qu’il peut s’imaginer
N’osant plus des miroirs éprouver l’aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés ;
Il s’y voit ; il se fâche ; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau ;
Mais quoi, le canal est si beau
Qu’il ne le quitte qu’avec peine.
On voit bien où je veux venir.
Je parle à tous ; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d’entretenir.
Notre âme, c’est cet Homme amoureux de lui-même ;
Tant de Miroirs, ce sont les sottises d’autrui,
Miroirs, de nos défauts les Peintres légitimes ;
Et quant au Canal, c’est celui
Que chacun sait, le Livre des Maximes.