La ville de Corbie s'est formée autour d'une abbaye royale filiale de Luxeuil, fondée vers 660. Maurice Lebègue reconstruit Corbie à partir d'un prototype k?rb-idia, sur une racine k?r, hauteur.
Il était une fois « le géant de Corbie »
“Dans les temps reculés, lorsque le ciel était plus près de nous, habitait dans des cavernes de craie, un enchanteur mystérieux, et renommé à vingt lieues à la ronde. Il était grand, à l'égal des plus grands sapins, la barbe très abondante, le vêtement fait d'écorce de tilleul ; dans sa chevelure étaient piqués des rameaux de houx et d'ormeaux. Lorsqu'il parlait, les murailles de pierre répercutaient sa grande voix, et si, dans les jours de colère, il lui arrivait de gronder, la roche se fendait, et sur les grandes nappes d'eau frémissantes, les roseaux bruissaient.
Il portait à la ceinture, suspendue par une grosse chaîne de fer, une énorme corne d'ivoire, qui avait la vertu de traduire ses désirs en réalités. S'il soufflait avec violence, les pierres se détachaient de la falaise pour aller rouler au loin dans les eaux. Mais toute cette puissance ne pouvait rien sur l'empire des hommes, où le mal régnait en maître. Le solitaire ayant longtemps réfléchi, résolut de peupler le pays uniquement d'enfants. Il tira de son cor d'ivoire des sons si doux que les
enfants apparurent en grand nombre. Il jouait, jouait toujours et le jeune peuple se roulait sur les gazons fleuris. Pendant le © DR sommeil des bambins, le bon géant jouait plus suavement encore, et leurs rêves étaient roses et doux comme leur vie. Les paroles de colère étaient inconnues à ces
enfants privilégiés ; jamais la jalousie, ni les querelles, ni la haine hideuse n'étaient venus troubler leurs jeux. Mais en grandissant, ils perdirent leurs qualités d'origine ; la violence asservit leur esprit. Le géant s'en REPERES attrista d'abord, puis, il reconnut son impuissance à conjurer le mal, il pleura, et les larmes qui coulèrent de ses yeux ravinèrent le sol jusqu'à la Somme, et les méchants
enfants ne pensèrent pas qu'ils fussent les auteurs de cette grande douleur. Le géant pleurait toujours, et ses larmes formaient des ruisseaux et des rivières.(...) Le solitaire cessa de pleurer, et un vent violent souffla qui dessécha le lac, et la terre reparut.(...)Triste et fatigué, il s'endormait dans sa couche pendant de longues heures du jour, à l'ombre de ses sourcils, qui croissaient en même temps que sa barbe.
Un jour qu'il sommeillait lourdement, les
enfants s'approchèrent de lui pour lui voler son cor d'ivoire ; mais comme il reposait sous la tête du géant, ceux-ci ne pouvaient arriver à leur fin, pratiquèrent un trou à l'instrument convoité. Il en sortit aussitôt un vent qui souffla en tempête, et qui, soulevant la poussière et le sable, obscurcit la lumière du ciel.
De l'oeuvre du solitaire, à peine restait- il quelques hommes ; le géant ne se réveilla plus ; la corne d'ivoire ne se fait plus entendre dans la région, mais les calamités et les tempêtes sont annoncées par les corneilles au plumage de deuil qui nichent au sommet des tours de Saint Pierre.”
Ce conte inspiré d'une légende appartient au fonds Douchet de la Bibliothèque municipale d'Amiens. Une vieille femme qui habitait près de Corbie, le conta à Eugène Bacquet, qui le communiqua en 1897 à Victor Douchet, instituteur picard.
“Ce conte révèle combien l'on peut faire dire de belles choses en picard.
Pas d'inquiétude pour la relève. Il n'y a jamais eu autant de conteurs que durant ces dix dernières années”.
Cette
histoire fait partie des nombreux contes et légendes regroupés dans le catalogue du même nom, réalisé par Françoise Racine en l'an 2000. “Nous avons véritablement un passé et une richesse au travers de ces histoires, qui heureusement se transmettent encore tout naturellement,”