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Aide juridictionnelle

Publié à 10:33 par fandeloup Tags : nuit bonne france mode paris cadre
Aide juridictionnelle

Aide juridictionnelle : comment appauvrir ceux qui se battent pour les pauvres

La grève des audiences se durcit pour amener le gouvernement à revoir sa copie sur les barêmes de l'AJ et son financement par les avocats

Explications.

À travers leur statut, c'est aussi le combat pour les droits des justiciables que les avocats défendent. À travers leur statut, c'est aussi le combat pour les droits des justiciables que les avocats défendent.

Aboutir à la paralysie des audiences et de la justice qui en dépend pour faire reculer le gouvernement sur ses propositions de réforme de l'aide juridictionnelle (AJ) : c'est l'objectif de la grève des avocats qui vient d'être reconduite pour une « durée illimitée ».

En cause, le mode de financement et les barèmes de rémunération de l'AJ, ce système d'assistance gratuite des justiciables les plus démunis par des avocats rétribués par l'État.

La grève des robes noires, désormais suivie par 141 des 164 barreaux de France, a de quoi contrarier la sérénité des audiences déjà surchargées, en raison du report de nombreux dossiers.

En effet, en plus des commissions d'office, c'est l'ensemble du contentieux civil, pénal et commercial que les avocats sont aujourd'hui invités à déserter, à l'exception de l'assistance de leurs clients devant le juge des libertés et de la détention, l'enjeu de liberté prévalant sur le combat politique.

7,5 euros de l'heure

La raison pour laquelle les juristes boudent leur noble mission est simple : la révision à la baisse des barèmes prévue par la Chancellerie dans le cadre du projet de loi de finances 2016 leur semble irréaliste.

« Le projet revient à porter l'assistance d'un gardé à vue pendant les 24 premières heures de 300 euros (HT) à 180 euros (HT), soit 7,5 euros de l'heure », précise un communiqué du barreau de Paris

De même, un référé en matière civile ne serait rétribué qu'à hauteur de 145 euros, contre 345 actuellement. Des chiffres qui frisent le bénévolat lorsqu'on les confronte au temps et à l'énergie dépensés dans les dossiers.

« Une garde à vue exige souvent de se déplacer plusieurs fois au commissariat, pour assister aux confrontations et aux auditions, parfois en pleine nuit, note la présidente de l'Union des jeunes avocats (UJA) Aminata Niakate

. Une procédure devant la commission d'expulsion des étrangers, indemnisée 137 euros, nécessite de recevoir le client qui bien souvent a besoin d'un gros soutien psychologique et juridique, d'examiner les pièces, de se présenter à la préfecture pour consulter le mémoire et de rédiger un mémoire en défense.

En outre, je dois payer les photocopies que je fais sur place ! Enfin, je me déplace à l'audience pour plaider mon dossier. En tout, cela occupe au minimum une dizaine d'heures de mon temps », témoigne l'avocate.

Contribution des avocats au financement de l'AJ En 2013, 916 625 dossiers ont été traités par des avocats au titre de l'aide juridictionnelle, « un chiffre en constante augmentation (+ 3,7 % entre 2011 et 2012), précise un communiqué de l'UJA.

Mais dans le même temps, les dotations de l'État allouées à l'aide juridictionnelle diminuent de manière constante (de l'ordre de - 9,3 % entre 2012 et 2013), déplore le communiqué. Et c'est justement au niveau du financement de l'AJ que réside le second point de fracture entre la chancellerie et les barreaux.

Le ministère envisage de mettre à contribution les avocats pour financer une partie du budget 2016 et 2017 de l'AJ, un budget qui a pourtant augmenté de plus de 26 % en quatre ans, passant de 345 millions d'euros en 2014 à 435 millions en 2017, selon les chiffres du ministère.

Concrètement, il s'agit de ponctionner les intérêts des fonds gérés par la Caisse des avocats, la Carpa, sur laquelle transitent les sommes revenant à leurs clients.

« Cela revient à faire peser sur l'avocat une taxe supplémentaire sur ces revenus, qui en réalité découlent de la bonne gestion des fonds qui ont travaillé, alors que les avocats contribuent déjà au financement de l'AJ en travaillant souvent à perte sur les dossiers ! » fait observer Aminata Niakate.

Et de pointer l'un des principaux dommages collatéraux d'une telle mesure : le barreau n'aura plus les moyens de payer la « Chance Maternité », soit 7 millions d'euros par an. Cette compensation financière, mise en place à Paris par l'ancienne bâtonnière Christiane Féral Schuhl, vise à accompagner les jeunes mères de famille pendant leur congé maternité.  

« À l'UJA, on s'est beaucoup battus pour maintenir cette aide, mais si nous devons financer l'AJ sur les revenus de la Carpa, ils ne pourront plus être affectés par cette prévoyance », prévient Aminata Niakate. Besoin de droit Autant dire qu'à l'heure de l'uberisation du droit et des sites low cost d'accès à la justice, l'affaire est d'importance pour tous ces avocats qui comptent, au moins en partie, sur les revenus de l'AJ pour arrondir leur chiffre d'affaires.

« Cette réforme impactera prioritairement les avocats exerçant dans des départements populaires comme Bobigny, Créteil ou Dunkerque », assure le président du syndicat des avocats de France, Florian Borg.

Sur les 546 avocats inscrits au 1er janvier 2014 au barreau de Bobigny, 495 interviennent au titre de l'AJ, soit plus de 90 % du barreau. Environ 53 % des avocats du Barreau assistent les personnes en garde à vue et perçoivent en moyenne 278 euros par personne assistée.

Et la défense devant le tribunal civil ou correctionnel leur rapporte en moyenne 213 euros par mission. « Il faut garder à l'esprit qu'il s'agit de sommes brutes sur lesquelles l'avocat paiera ensuite toutes ses charges et cotisations », rappelle le bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Seine-Saint-Denis, Stéphane Campana.

Ce qu'il craint, dans ce département où environ 70 % des personnes sont accessibles à l'AJ, est de voir les petits cabinets qui fonctionnent avec une clientèle de proximité provenant notamment de l'AJ fermer leurs portes.

S'y ajoute « le choc psychologique » causé par une « réforme qui, au lieu d'améliorer le système, le dégrade. Le besoin de droit ne sera plus rempli efficacement puisque les justiciables seront obligés d'aller chercher leur avocat dans des lieux plus éloignés de leur domicile », redoute le bâtonnier.