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Date de création : 24.08.2008
Dernière mise à jour : 04.08.2023
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Les Tarahumaras

Les Tarahumaras

Les Tarahumaras, super-athlètes et fêtards de l'extrême

Dans "Born to Run", Chris McDougall, reporter-coureur américain, raconte comment il a été initié par le peuple le plus rapide de la terre. Fantastique.

 

 

Comme les Schtroumpfs ont leur village de champignons au milieu d'une vaste forêt, les Tarahumaras ont un pays, dans les montagnes au nord de Mexico : la Sierra Madre occidentale, à l'ouest de Chihuahua.

 

 

C'est une région grande comme la Suisse, faite de hauts plateaux (de 1 500 à 1 800 mètres d'altitude) et de canyons (de 500 à 1 800 mètres). Leur nom, donné par les premiers missionnaires, est une déformation de "raramuri", c'est-à-dire "les pieds qui courent", dans leur langue dérivée de l'uto-aztèque.

 

 

Dans ce pays tourmenté oublié de Dieu, voilà cinq siècles que ces farouches et taciturnes coureurs résistent à notre civilisation. La dernière fois qu'ils se sont ouverts à des étrangers, ces derniers les ont asservis, puis ont fiché leurs têtes sur des piques de trois mètres de haut.

 

Isolé du monde, ce peuple, descendant des Chichimèques, appartient à une civilisation lente où règnent la timidité institutionnalisée, la discrétion, la stratégie de la fuite. C'est toujours en prenant leurs jambes à leur cou qu'ils ont répondu à l'agresseur.

 

Ces fusées détalaient si vite, en se repliant toujours plus loin, que personne ne pouvait les suivre. Depuis, ils vivent reclus dans la meilleure planque à ciel ouvert du continent, le Copper Canyon, refuge de tous les désaxés d'Amérique, des bandits, des mystiques, des assassins, des jaguars mangeurs d'hommes, des guerriers comanches et des narcotrafiquants qui veillent à l'aide de lunettes si puissantes que rien ne leur échappe à des kilomètres à la ronde. Tribu fantôme et "snobinarde"

 

Une fois passé le territoire des Los Zetas et des New Blood, deux cartels rivaux d'une cruauté impitoyable, ce n'est pas dit qu'un Tarahumara daigne vous adresser la parole. "Ils n'aiment être vus que lorsqu'ils l'ont décidé, et poser les yeux sur eux sans autorisation, c'est comme déranger quelqu'un sous la douche", explique Chris McDougall.

 

Alors, pourquoi risquer une émasculation pour une tribu fantôme et "snobinarde" de surcroît ?

C'est qu'une question toute bête hantait le reporter pour les magazines Men's Health et Esquire : "Pourquoi ai-je toujours mal aux pieds ?"

Quand on pratique la course à pied, l'ultrafond ou le trail, c'est normal de se déglinguer. 80 % des coureurs sont confrontés aux blessures aux genoux, mollets, tendons, hanches ou talons, "que vous soyez lourd ou léger, crack ou poireau". Aucune invention n'a enrayé ce fléau.

Cette problématique va donc entraîner Chris McDougall à la recherche de l'homme qui courait comme les chevaux, Mica True, surnommé El Caballo Blanco (cheval blanc), un mystérieux ermite adepte de la sagesse antique, dont les amis les plus proches vivent dans des grottes et mangent des souris.

Adopté par les Tarahumaras, ce vagabond solitaire a fait de la course à pied son mode de vie, une source de joie permanente. Il vole à petites foulées sur des terrains suicidaires.

Personne ne peut le battre sur de très grandes distances, pas même un cheval. Les bobos, les maux de toutes sortes ? Disparus. Son secret ? Il vit comme l'homme des cavernes et court pieds nus ou chaussé de fines sandales de cuir.

Des jouisseurs surhumains Les Tarahumaras fascinent. "Cette modeste tribu recluse (a) résolu à peu près tous les problèmes de l'humanité, écrit l'auteur. Leurs grottes (sont) des couveuses de Prix Nobel tous voués à l'éradication de la haine, des maladies cardio-vasculaires, des périostites tibiales et autres gaz à effet de serre.

Il n'y a ni meurtre, ni guerre, ni vol, pas de corruption, d'obésité, de pédophilie, d'hypertension, de diabète, de dépression, puisque des quinquas étaient plus rapides que des ados, dont les grands-parents couraient des marathons à 80 ans."

On peut penser que leur mode de vie les oblige à une discipline d'enfer. Or, pas du tout. On découvre dans ce livre que ce ne sont ni des moines Shaolin, ni des ascètes, adeptes de diètes végétariennes, mais des jouisseurs surhumains, capables de résister à la douleur ainsi qu'à leur "lechuguilla", une affreuse tequila à base de serpent et de cactus, qui ferait cloquer la peinture.

Ils font la fête comme si c'était la Saint-Sylvestre toutes les semaines, buvant de la bière de maïs (tesgüino) jusqu'à l'épuisement des jarres.

Puis, ils se lèvent pour s'affronter dans des courses à pied de deux jours : la "rarahipa", dont le principe consiste à pousser une balle sans s'arrêter à la manière des footballeurs. Ecchymoses et gueule de bois Tout est possible pendant une "tesgüinada", la beuverie-marathon qui précède leur jeu de balle et le compromet parfois. Ces fêtes folles servent une noble cause.

Elles ont pour but d'évacuer les émotions explosives, les rancunes, dans une société très fermée, sans police, mais où chacun dépend des autres. Sans la bière, boisson sacrée et remède à tous leurs maux, les Tarahumaras se seraient éteints, estimait l'ethnographe et explorateur norvégien Carl Lumholtz, qui, dès 1890, va vivre près de huit ans parmi les peuplades autochtones de la Sierra Madre. Au quotidien, les hommes de la tribu ne trouvent pas le courage de flirter avec leurs propres épouses sans noyer leur timidité, au cours de cuites magistrales.

Souvent, de cette bacchanale naissent des enfants de père inconnu, rapidement rebaptisés fils ou filles de l'arc-en-ciel ou du Soleil. Aussi, chez certains peuples du continent, dès qu'un arc-en-ciel apparaît, les femmes restent-elles cloîtrées.

La course comme art corporel Dans les années 90, les amateurs d'ultrafond avaient déjà pu entendre parler des Tarahumaras. À l'époque, Rick Fisher - photographe aventurier pas très finaud - avait fait venir quelques hommes de la tribu jusqu'à Leadville, bourgade minière autrefois pimpante où se déroulait une de ces courses pour cinglés.

C'est là que les Indiens furent reconnus comme étant les plus grands coureurs d'ultra au monde. Puis Fisher, que les télés et les sponsors avaient rendu mégalo, s'est mis à dérailler et à voir trop grand

C'était oublier une chose : pour les Tarahumaras, la course, ce n'est pas du commerce avec des médailles, des chaussures méga-techniques, des contrats, des sponsors, mais de l'art corporel. Face à tant d'emmerdements, les Indiens regagnèrent leur canyon sans se faire prier et ne revinrent plus jamais à Leadville.

En tout cas, leur cas inspira les coachs et les chercheurs. Une équipe d'Harvard fit courir un guépard sur un tapis roulant avec un thermomètre dans le rectum pour évaluer sa résistance à la chaleur, ainsi qu'un porc pour comprendre pourquoi ce dernier était si mauvais coureur (absence de ligament nuchal).

D'autres scientifiques consacrèrent des années de recherches à la chasse à l'épuisement, et tentèrent même d'attraper, en vain, une antilope dans le Wyoming. Si l'aventure vous tente L'austérité des Tarahumaras est difficile à vivre, mais c'est certainement plus économique et plus efficace qu'une cure de "détox" à 5 000 euros et au terme de laquelle vous reprendrez tous vos kilos perdus.

Si l'aventure vous tente, commencez par oublier les semelles, puis courez 20 minutes dans l'herbe ou sur le sable, pieds nus ou avec des chaussures Vibram FiveFingers.

Faites de petites foulées rapides. Pour éviter les blessures, cultivez votre force, non pas en soulevant de la fonte, mais en escaladant un mur, en sautant un ruisseau, en rampant sous un tronc, en sprintant jusqu'à faire "exploser" vos poumons.

Pour devenir résistant, il faut subir des chocs. Mais ne le faites pas avant d'avoir consulté un médecin. N'étant plus des chasseurs-cueilleurs, le processus sera long.

Côté alimentation, le régime journalier des Tarahumaras se compose de :

500 grammes de tortillas,

400 grammes de haricots rouges,

8 grammes de sucre,

150 grammes de "pinole" (bouillie de maïs),

30 grammes de "nopoles" (bouillie de cactus),

30 grammes de quelites (plante locale),

15 grammes de poivron rouge,

30 grammes de courge,

6 grammes de lard,

3 grammes de café fort.

Auquel on peut rajouter une fois par semaine :

2 oeufs, 100 grammes de poisson ou de viande et une tasse de lait entier.

Les Tarahumaras possèdent également la recette d'un aliment qui les rend sveltes, forts et infatigables, l'"iskiate", que l'on obtient en dissolvant des graines de chia dans de l'eau avec un peu de sucre et de jus de citron. Une cuillère de chia équivaut à un smoothie de saumon, d'épinards et d'hormones humaines, et contient une quantité invraisemblable d'omégas 3 et 6, de protéines, de calcium, de fer, de zinc, de fibres et d'antioxydants.

Si vous deviez choisir un seul aliment à emporter sur une île déserte, c'est celui-là. Les coureurs aztèques en mâchaient en allant au combat et les Hopis y puisaient leur énergie pendant les courses épiques de l'Arizona à l'océan Pacifique.