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Date de création : 24.08.2008
Dernière mise à jour : 04.08.2023
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horreur

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Élevage contre braconnage, la guerre du rhinocéros

Dans le seul parc sud-africain Kruger, les braconniers tuent deux ou trois rhinocéros par jour. Menace supplémentaire : des hommes d’affaires se battent en justice pour légaliser le commerce de corne.En octobre 2016, le magazine National Geographic avait publié " Enquête sur la guerre du rhinocéros ". Dans ce reportage, le journaliste Bryan Christy avait rencontré Dawie Groenewald. Cet homme d'affaire sud-africain, soupçonné de trafic de corne de rhinocéros aux États-Unis, a été arrêté par Interpol, en 2017.En attendant son procès, il a été libéré sous caution.

Il y a cinq heures de route entre le parc national Kruger, en Afrique du Sud, là où vit la plus grande population de rhinocéros sauvages du monde, et Polokwane, où vit l’homme le plus recherché du monde en matière de trafic de corne de rhinocéros : le millionnaire Dawie Groenewald. Pour rencontrer cet organisateur de safaris et ex-membre de la police, le photographe Brent Stirton et moi traversons à vive allure une superbe chaîne de montagnes.Mais, à la nuit tombée, quelqu’un a mis le feu à du goudron répandu sur la ligne centrale de l’autoroute. Nourries par les tensions économiques et ethniques, des actions de protestation de ce genre secouent encore l’Afrique du Sud plus de vingt ans après la fin de l’apartheid. Nous louvoyons pour éviter les flammes. Au bout de 1 km, nous tombons sur un embouteillage et une barricade improvisée. Brent descend de sa voiture pour déplacer les plus gros rochers, tandis que je surveille les alentours.Nous franchissons l’obstacle sous une pluie de pierres lancées par des mains invisibles depuis le bas-côté.

Nous passons la nuit dans un motel froid et humide. Le lendemain, suivant les instructions de Groenewald, nous attendons dans une station-service l’arrivée de son émissaire, Leon van der Merwe. Nous suivons celui-ci pendant vingt minutes le long d’une propriété à la clôture parfaitement entretenue, avant d’atteindre un portail électrique. De l’autre côté, debout dans l’allée, nous attend Dawie Groenewald – surnommé « le boucher de Prachtig » pour ce qu’il est réputé avoir fait à des rhinocéros sur sa propriété de chasse éponyme (prachtig signifie « beau », en hollandais). Dawie Groenewald et dix autres personnes, baptisés le « gang Groenewald » par la presse d’Afrique du Sud, font l’objet de 1 872 chefs d’accusation : abattage illégal de rhinocéros, décornage illégal, trafic de corne de rhinocéros, racket, blanchiment d’argent, etc. Dawie Groenewald et son frère Janneman sont mis en examen aux États-Unis pour avoir dupé une douzaine de chasseurs américains, en leur faisant abattre des rhinocéros à Prachtig illégalement. La justice américaine réclame leur extradition. En République tchèque, des enquêteurs ont établi un lien entre Groenewald et un gang de trafiquants de corne de rhinocéros. Ils ont découvert que des cornes expédiées au Viêt Nam provenaient d’animaux abattus par des chasseurs tchèques à Prachtig. Groenewald nie avoir eu connaissance du but de ces chasses.

Il a été une fois interdit de chasse au Zimbabwe, et l’Association des chasseurs professionnels d’Afrique du Sud l’a exclu de ses rangs. Voici donc l’histoire de Dawie Groenewald, accusé de trafic de corne de rhinocéros, et de John Hume, propriétaire du plus gros élevage de rhinocéros du monde. Deux hommes qui se connaissent bien, et poursuivent le même objectif : mettre fin à l’interdiction du commerce national et international de corne de rhinocéros. Groenewald a accepté de nous rencontrer alors qu’il est au cœur d’une bataille juridique qui pourrait soit lui valoir des décennies de prison, soit déboucher sur la légalisation de la vente de corne en Afrique du Sud – un premier pas, peut-être, vers une légalisation mondiale qui, selon ses détracteurs, pourrait condamner l’espèce. Le millionnaire sud-africain Dawie Groenewald fait face à 1 739 chefs d’accusation liés au braconnage et au trafic de corne de rhinocéros. Les Etats-Unis demandent également son extradition. Des procédures suspendues par l’action judiciaire qu’il finance contre l’interdiction de la vente de corne dans son pays.

 Près de 70 % des 29 500 rhinocéros restant sur terre sont en Afrique du Sud. Avant le XIXe siècle, on en recensait des centaines de milliers rien qu’en Afrique . L’animal est présent sur deux continents et compte cinq espèces : rhinocéros blanc (20 400 individus), noir (5 250), unicorne de l’Inde, de Sumatra et de la Sonde. Selon l’Association sud-africaine des propriétaires privés de rhinocéros, 6 200 rhinocéros du pays appartiennent à des particuliers et font l’objet d’un usage commercial – safaris-photos, chasses légales, production de corne et reproduction. La corne de rhinocéros est l’appendice le plus précieux et le plus cher du monde sur un marché exotique qui prise les singularités de la nature : ivoire d’éléphant, pénis de tigre, queue de girafe. La corne du rhinocéros, à la différence de celle de nombreuses espèces (y compris les bovidés), n’est pas constituée d’os, mais de kératine, une protéine également présente dans nos cheveux et nos ongles. Et, une fois coupée, elle repousse. La vente de corne de rhinocéros est illégale. Mais, en Afrique du Sud, vous avez le droit de couper la corne si vous disposez d’un permis. Tous les ans ou tous les deux ans, les éleveurs anesthésient leurs bêtes, et coupent jusqu’à 2 kg de corne par animal. Les cornes sont mises en lieu sûr, en attendant la légalisation de la vente.

 

UN TRAFIC FLORISSANT

Le trafic de corne de rhinocéros alimente surtout le Viêt Nam et la Chine. Là, la corne est réduite en poudre et ingurgitée pour traiter toutes sortes de maux, du cancer aux morsures de serpent. Selon Dawie Groenewald, la corne de rhinocéros blanc se vend jusqu’à 5 800 euros le kilo au marché noir en Afrique du Sud. Mais, en Asie, les prix de gros sous le manteau sont cinq à dix fois plus élevés. Et les prix au détail atteignent des sommes astronomiques. Pour le braconnier mozambicain qui franchit la frontière sud-africaine et se glisse dans le parc national Kruger avec une kalachnikov, les 10 kg de corne d’un rhinocéros mâle sont la promesse d’une vie nouvelle. Mais ce braconnier est lui- même exploité par ceux qui lui fournissent son arme. Et il risque d’être abattu par les autorités – ce qui est arrivé à 500 braconniers mozambicains dans le parc Kruger entre 2010 et 2015. Le braconnage des rhinocéros a atteint des proportions désastreuses lors de la dernière décennie. En 2007, l’Afrique du Sud annonçait la perte de 13 rhinocéros ; puis de 83 en 2008 ; et de 1 175 en 2015. Dans le parc national Kruger, où vivent quelque 9 000 rhinocéros, les braconniers en tuent 2 ou 3 par jour.

Le massacre ne se limite pas à l’Afrique. En avril 2016, un gros rhinocéros unicorne a été abattu dans le parc national de Kaziranga, en Inde. Quelques heures plus tôt, le duc et la duchesse de Cambridge étaient sur place pour promouvoir la protection des espèces. Un rhinocéros blessé ne mugit pas. Il entonne une sorte de mélopée funèbre. Une mère atteinte d’une balle lance des appels douloureux, qui parfois attirent son petit effrayé. Les braconniers couperont alors la colonne vertébrale du jeune rhinocéros à la machette (pour économiser une balle) et prélèveront aussi sa corne. « C’est une guerre, dit Xolani Nicholus Funda, chef des gardes du parc national Kruger, théâtre de l’essentiel du braconnage. On se sent frustré. La guerre du rhinocéros, c’est comme pour la drogue. Il y a beaucoup d’argent et de corruption en jeu. L’ensemble du système judiciaire est vraiment frustrant. Nous perdons des procès. […] Nous sommes entourés de postes de police que nous ne considérons même pas comme des postes de police, parce qu’ils sont de mèche avec les braconniers. »

 

BATAILLE À JOHANNESBURG

Le commerce international de corne de rhinocéros a été interdit en 1977 par les pays adhérant à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites). Mais cela ne s’applique qu’au commerce entre pays. Et il y a une exception, dont les trafiquants ont profité : l’exportation de la corne d’un rhinocéros blanc abattu avec un permis de chasse sportive est légale – c’est alors un « trophée ». A partir de 2003, des trafiquants vietnamiens se sont enregistrés auprès d’organisateurs de chasse sud-africains pour abattre des rhinocéros dont ils prenaient la corne. Un gang basé au Laos a même enrôlé des prostitués, pour jouer le rôle des chasseurs. De retour au pays, les cornes étaient revendues au marché noir. L’Afrique du Sud a alors durci les règles : prises limitées à un rhinocéros par chasseur et par an ; présence obligatoire d’un observateur officiel ; refus de permis pour les chasseurs du Viêt Nam ; marquage par puce électronique de chaque corne, avec enregistrement de la signature ADN dans une base de données à Pretoria.

Mais le trafic a continué. L’interdiction internationale contenait une autre faille qui échappait à la Cites : la vente de corne restait légale au sein de l’Afrique du Sud. En 2008, Marthinus van Schalkwyk, ministre de l’Environnement et du Tourisme, a annoncé un moratoire sur cette autorisation pour « freiner la hausse du commerce illégal de corne de rhinocéros » et « tenter de contenir le braconnage ». Ce moratoire est devenu effectif en 2009. La vente de corne d’animaux d’élevage réduirait le braconnage, assurent pourtant Dawie Groenewald et l’éleveur John Hume. Ce que réfute Allison Thomson, directrice de l’association anti-légalisation Outraged South African Citizens Against Poaching : « Les forces de l’ordre, qui ont traité près de 1 000 arrestations en 2015 pour seulement 61 condamnations, sont déjà surchargées. Une pression accrue pour surveiller un commerce légal rendrait la répression quasiment impossible, c’est certain, et permettrait une fois encore aux gangs d’écouler plus de cornes sur le marché international. » Johannesburg a accueilli la conférence trisannuelle de la Cites en septembre 2016. En 1997, l’Afrique du Sud avait proposé de lever l’interdiction du commerce international de corne de rhinocéros en se prévalant de son système juridique capable de garantir un commerce contrôlé qui « réduira les prix et les activités du marché noir ». La tentative avait échoué.

L’histoire le montre : la levée d’une interdiction sans mesures anti-corruption et anti-criminalité appropriées peut être désastreuse. En 2007, la Cites a suspendu l’interdiction du commerce international d’ivoire d’éléphant, et a autorisé quatre pays (Botswana, Afrique du Sud, Namibie, Zimbabwe) à en vendre 100 t à la Chine et au Japon. La vente a eu lieu en 2008. Elle devait inonder le marché asiatique, mettant sur la touche les négociants illégaux. C’est le message contraire qui a été reçu : les affaires reprenaient ! Le braconnage des éléphants d’Afrique a atteint dès lors des niveaux inédits (plus de 30 000 animaux abattus par an entre 2010 et 2012), et le massacre se poursuit. Certains craignent désormais que l’Afrique du Sud, pressée par son industrie de l’élevage, ne propose une nouvelle fois à la Cites de lever l’interdiction du commerce international de corne de rhinocéros. « Nous avons fait tout notre possible [pour que cesse le braconnage], a déclaré Edna Molewa, ministre sud-africaine de l’Environnement au Mail & Guardian durant la conférence de la Cites à Bangkok, en 2013. Mais recommencer la même chose chaque jour ne fonctionne pas. » En mai 2016, l’Afrique du Sud a cependant annoncé qu’elle ne proposerait pas de lever l’interdiction. Mais, peu après, le Swaziland, un petit pays coincé entre l’Afrique du Sud et le Mozambique, s’en est chargé. Heureusement, cette proposition a été rejetée lors de la conférence trisannuelle de la Cites en septembre 2016. Un agent de sécurité tient une corne de rhinocéros, dans le ranch de John Hume, le plus gros éleveur de rhinocéros du monde, à Klerksdorp (Afrique du Sud). Les cornes de ses 1 300 bêtes sont coupées environ tous les vingt mois, puis repoussent. Hume tient en lieu sûr le stock qu’il espère pouvoir commercialiser un jour

 

CARNAGE À PRACHTIG

Dawie Groenewald nous mène à une longue table, dans le pavillon central de Mataka, son ranch d’élevage de gibier de chasse exotique. C’est la plus petite de ses deux propriétés – 750 ha situés à 200 km au sud de Prachtig. Il y possède deux hélicoptères rutilants, une écurie de chevaux arabes et des hectares de terrain réservés à des animaux de prix, y compris des rhinocéros, qu’il me montrera plus tard. Groenewald a créé Mataka en 2012, deux ans après son arrestation, mais n’en a pas pour autant stoppé ses activités de chasse à Prachtig. Il a créé une société , Wild Africa Hunting Safaris, pour remplacer l’originale, Out of Africa Adventurous Safaris. Il se montre très confiant sur ses chances devant les tribunaux sud-africains et américains. Et il n’a pas tort. En Afrique du Sud, son dossier pénal est gelé depuis une procédure civile engagée par un éleveur de gibier nommé Johan Krüger, qui vit dans le voisinage. Celle-ci conteste la constitutionnalité du moratoire sud-africain sur le commerce de corne de rhinocéros, ainsi que de la plupart des délits liés aux rhinocéros qui valent des poursuites pénales à Groenewald.

Johan Krüger n’est impliqué dans aucun des délits pour lesquels Groenewald est poursuivi. Il n’est pas le véritable plaignant. Et ce n’est pas lui qui paie les frais de justice. « C’est moi », affirme Groenewald avec emphase. Krüger n’a pas répondu aux demandes de rencontre de National Geographic, mais il y a bien des raisons de croire Dawie Groenewald. Les deux ont été dans le business des buffles ensemble ; ils chassent ensemble ; une photo de Johan Krüger est parue dans les brochures de chasse de Groenewald ; et l’avocat de Krüger est aussi celui de Groenewald. Les accusations de la justice sud-africaine contre Groenewald se fondent sur une descente effectuée en septembre 2010 à Prachtig par une unité d’élite de la police, les Hawks (« Faucons »). Markus Hofmeyr, directeur du service vétérinaire des parcs nationaux d’Afrique du Sud, était présent. Lui et une équipe de spécialistes anesthésiaient des rhinocéros de Groenewald pour prélever des échantillons de tissus et de sang. Vingt-neuf rhinocéros ont été repérés, et vingt- six anesthésiés avec des fléchettes. Dans une déclaration sous serment, Markus Hofmeyr décrit ce qu’il a vu à Prachtig : « Tous les rhinocéros que nous avons anesthésiés avaient eu la corne coupée, parfois au niveau du point de croissance. La corne de certains rhinocéros avait visiblement été coupée à la tronçonneuse ou avec un outil similaire. » Couper une corne trop près de son point de croissance est douloureux pour l’animal et provoque des saignements. Markus Hofmeyr avance que certaines cornes avaient été ôtées « en insérant un couteau et en décollant la zone d’attachement de la corne de la base du squelette, ou en exerçant une grande pression et en arrachant la corne de sa base ».

Selon Groenewald, les Chinois « n’aiment pas les pièces décornées ». Aussi coupe-t-il la corne de ses rhinocéros à seulement 8 cm du crâne. A Prachtig, les enquêteurs ont aussi trouvé en plusieurs endroits des restes brûlés de carcasses et de dix-neuf crânes de rhinocéros – tous dépourvus de leur corne. Six ans plus tard, la scène hante encore Hofmeyr. « La chose la plus traumatisante pour moi, ça a été la vision de cette fosse avec les rhinocéros morts. Il est très possible qu’il [Groenewald] s’en tire. Ça en dit long sur l’état de notre système judiciaire. » Dans le ranch de Groenewald, Hofmeyr a aussi reconnu des rhinocéros qu’il avait aidé à capturer dans le parc national Kruger. L’éleveur « a offert les meilleurs prix, et comme il n’y avait aucune condamnation [à son encontre], selon nos lois d’adjudication, nous ne pouvions pas ne pas les lui vendre ».

Grâce à la vente d’animaux sauvages au secteur privé, le parc finance des projets de protection spécifiques, précise Markus Hofmeyr. Et, même si des rhinocéros sont vendus à des organisateurs de safaris, ils ont une chance de se reproduire, ce qui augmente leur nombre total. Chacun reconnaît d’ailleurs que la reproduction du gros gibier pour la chasse a contribué à sauver les rhinocéros blancs de l’extinction, au début du XXe siècle. Après avoir vu ce qu’il a vu, assure Hofmeyr, « il faut beaucoup de temps pour s’en remettre, pour refaire confiance aux gens. On se dit : est-ce que je fais partie de ça ? J’ai capturé cet animal et je l’ai mis dans cette fosse ». Il préfère considérer le tableau général – les animaux qu’il a aidé à transférer ailleurs. « Je dirai que 75 % d’entre eux sont encore vivants et se reproduisent. Au bout du compte, cela me permet d’accepter plus facilement de telles situations. » Groenewald a acheté plus de trente rhinocéros au parc Kruger. Il affirme que le parc national a fixé les prix selon la longueur de chaque corne : « Ils voulaient que les gens les chassent. » Qui achète les cornes de rhinocéros sud- africains ? Groenewald n’en fait pas mystère, et étire le coin de ses yeux avec ses index. « Ces gens m’appelaient tout le temps. Parce qu’ils veulent des cornes. Des cornes. Des cornes. Ils n’en trouvent pas chez moi ? Ils en trouveront ailleurs. — Des Chinois ou bien des Vietnamiens ? demande Brent Stirton. — Les deux. Si leurs yeux sont bridés, ils veulent de la corne. »

 

L’OPÉRATION CRASH

En juin 2011, Johan Joost, colonel des Hawks sud-africains, a envoyé un courriel au Service de la pêche et de la vie sauvage des États-Unis (USFWS). Il souhaitait interroger plusieurs Américains ayant chassé le rhinocéros avec Dawie Groenewald en Afrique du Sud. La mission a échu à David Hubbard, du bureau de San Antonio (Texas). Il avait aidé à l’arrestation de Groenewald après que celui-ci avait envoyé aux États-Unis un léopard naturalisé, abattu en Afrique du Sud sans permis. Le client de Groenewald était un plombier texan. Il avait tué le léopard en 2006. Mais Groenewald ne disposait pas de permis de chasse au léopard cette année-là. La procédure d’entente relative au plaidoyer (ou « plaider coupable ») qu’il a signée signale que son nom n’apparaît qu’en 2008 pour une demande de permis de chasser le léopard. Dawie Groenewald a été arrêté par l’USFWS en janvier 2010, au cours d’une visite à son frère Janneman. Celui-ci était directeur commercial de la filiale américaine de leur entreprise de chasse (depuis lors, Janneman est reparti en Afrique du Sud). Dawie Groenewald a plaidé coupable. Il a été condamné à une peine de prison équivalente à sa détention provisoire (huit jours), à rembourser 7 500 dollars à son client et à une amende de 30 000 dollars. « Comment peuvent-ils me facturer un léopard abattu chez moi ? demande Groenewald, encore furieux. Je ne l’ai pas volé. Je ne l’ai pas tué chez un autre. Il est à moi. » Selon les dires de Groenewald, le léopard a été abattu en toute légalité en 2008. Mais, en page 13 de la brochure 2006-2007 de sa société , une photo montre le plombier texan tenant le félin.

En 2011, David Hubbard était persuadé que Dawie Groenewald se livrait encore au trafic d’animaux sauvages. Une douzaine d’Américains ayant participé à des safaris avec la société de Groenewald lui avaient raconté la même histoire : ils n’avaient pas l’intention de chasser le rhinocéros, mais, à leur arrivée à Prachtig, Groenewald leur avait parlé d’un animal « problématique » qu’il fallait abattre, et leur avait réclamé 10 000 dollars en moyenne (bien moins que pour une chasse légale). Les Américains avaient eu le droit de photographier leur proie – et c’est tout ce qu’ils avaient pu rapporter. Groenewald conservait les cornes. David Hubbard a lancé sa propre procédure, baptisée Opération Crash (en anglais, un groupe de rhinocéros est appelé « crash ») et menée dans plusieurs pays sous la direction de l’USFWS. L’opération, encore en cours, est l’une des plus fructueuses jamais diligentées par l’agence. Elle a révélé l’implication, entre autres, d’antiquaires, de maisons d’enchères, d’un gang irlandais et d’un ex-associé du cartel de Medellin dans le trafic de corne de rhinocéros aux États-Unis, en Europe, en Asie et en Afrique . Résultats en juillet 2016 : 30 condamnations, 405 mois de prison, 75 millions de dollars de biens saisis. Johan Marais, un vétérinaire, va essayer un nouveau traitement (des bandes de caoutchouc utilisées en chirurgie humaine) pour obturer le trou béant sur le nez d’une femelle rhinocéros à qui des braconniers ont extirpé au couteau la corne. Il se dit confiant : « Elle se remet très bien. Elle a ce courage propre à l’espèce. »

 

 « LE BUFFLE EST MON ANIMAL »

Je m’installe dans un luxueux pick-up 4 x 4. Groenewald m’emmène visiter son ranch. En Afrique du Sud, les éleveurs de gibier possèdent quasiment tout ce qu’un client peut vouloir chasser. En 2013, un buffle a été vendu à un groupe d’investisseurs dirigé par Johann Rupert (actionnaire majoritaire de Richemont, deuxième plus grand groupe de luxe du monde) pour 3,6 millions d’euros – un record. En 2014, le vice-président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a cédé trois impalas pour 2 millions d’euros.

Cette année, un investisseur a engagé 2,5 millions d’euros pour 25 % d’un buffle nommé Horizon, le valorisant à 10 millions d’euros. Groenewald élève des buffles, des impalas, des rhinocéros, des hippotragues noirs (une espèce d’antilope) et des gnous bleus, ainsi que des chevaux arabes. Ses hippotragues vivent avec des tubes de PVC blanc à l’extrémité de leurs cornes massives élégamment recourbées, pour les protéger avant commercialisation.

Il élève aussi des animaux à la mode, des variantes génétiques très prisées comme le gnou doré, l’impala saddleback et l’impala à face noire (des animaux porteurs de gènes récessifs produisant des couleurs inhabituelles). Selon l’Association des chasseurs professionnels africains, qui juge la chasse de tels animaux non éthique, cette pratique fait courir un risque aux populations d’animaux sauvages.

Le buffle est l’un des mammifères les plus dangereux d’Afrique, mais Groenewald conduit en souplesse au milieu du troupeau. « Le buffle est mon animal », lance-t-il affectueusement. Il appuie sur un bouton, et un portail s’ouvre dans la clôture. Nous approchons d’un groupe de taureaux énormes.

« Celui-là vaut environ 6 millions de rands [360 000 euros]. » Il en évalue un autre à 600 000 euros. Loin de charger, ces gros mâles gambadent comme de joyeux moutons. L’intérêt que Groenewald porte à la valeur des animaux confirme ce que j’ai mis du temps à saisir : pour lui, comme pour beaucoup de Sud-Africains, vous n’êtes pas un braconnier si vous tuez ce qui vous appartient. L’idée est ancrée dans une législation nationale favorable à l’exploitation du gibier, et qui fait de la faune la propriété de quiconque réussit à l’enclore.

« Tout le monde sait que je ne suis pas un braconnier, me dit Groenewald. J’estime qu’un animal comme le rhinocéros devrait m’appartenir. Je peux en faire ce que je veux, comme avec n’importe quel autre animal, comme avec un buffle ou un koudou. Si je l’achète, il est à moi. Si vous voulez chasser le rhinocéros, c’est le mien ; il est sur mon domaine. Si je veux bien que vous l’abattiez, vous pouvez l’abattre. »

Pour Dawie Groenewald, ce qui est légal se résume à une seule question : à partir de quand un rhinocéros lui appartient-il ? LE ROI DU RHINOCÉROS John Hume est le plus grand propriétaire de rhinocéros du monde. Il en élève depuis 1995, et en possède 1 300. Un nombre qui porte malchance, me dit-il en s’installant à son bureau, dans son exploitation de Klerksdorp, à 160 km au sud de Johannesburg. Il aimerait en avoir au moins un de plus, et vérifie sur son ordinateur s’il n’y a pas eu une nouvelle naissance. Vous auriez déclaré, lui dis-je, que vous achèteriez des rhinocéros au diable si cela pouvait les sauver.

« Eh bien, répond-il, si vous regardez ma liste de rhinocéros, vous verrez que nous avons plein de “DG”. Sans doute plus d’une centaine proviennent de chez Dawie Groenewald. Je ne le nie pas. Je n’ai rien à cacher, et beaucoup de ces rhinocéros seraient morts aujourd’hui. » Précisons que Hume n’est impliqué dans aucun des délits présumés de Groenewald. John Hume possède environ un cinquième des rhinocéros détenus par des particuliers en Afrique du Sud. Ce qui rend l’animal si particulier, dit-il, c’est sa « convivialité».

Et d’expliquer que son élevage relève de l’exploitation bovine : « Vous ne pourriez pas y garder des éléphants. » Chaque semaine, son équipe anesthésie dix à quinze rhinocéros, les aide quand ils vacillent, coupe les cornes, administre des piqûres revitalisantes, et expédie les cornes en lieu sûr, sous bonne escorte. Un rhinocéros produit jusqu’à 2 kg de corne par an, et la corne est coupée environ tous les vingt mois. Hume mène cette activité depuis des années. Il estime avoir amassé 5 t de cornes, qu’il espère vendre un jour légalement à 8 000 euros le kilo – soit une quarantaine de millions d’euros au total. Cette jeune rhinocéros, dont la mère a été tuée dans le parc Kruger, se trouve désormais au refuge Care for Wild Africa. Dorota Ladosz s’en occupe à plein temps. Elle la réconforte après une opération pour soigner les blessures causées par des hyènes avant l’arrivée des secours.

 

 TRACTATIONS LÉGALES

Vendre de la corne de rhinocéros est prohibé, mais gagner de l’argent avec des rhinocéros vivants est légal. John Hume se démène pour en exporter au Viêt Nam. A l’automne 2015, il a entamé des négociations pour céder une centaine d’animaux à une société vietnamienne, Vinpearl, détenue par Pham Nhat Vuong, première fortune du pays. Un Sud-Africain peut exporter légalement des rhinocéros vivants avec l’accord du gouvernement (mais sur les conditions de vie qui les attendent après la vente, le flou demeure).

Un rhinocéros à l’état sauvage a besoin de près de 400 ha, précise le gestionnaire de l’exploitation de Hume, mais son patron dispose d’un permis d’élevage en captivité lui permettant de garder un animal sur 3 ha, à condition de fournir le complément de nourriture. Le parc animalier de la société Vinpearl est intégré à un complexe touristique de luxe, sur l’île Phu Quôc, dans le golfe de Thaïlande. Une partie de cet espace est consacrée à une énorme opération d’élevage de rhinocéros.

Le 7 décembre 2015, un représentant de Vinpearl a rencontré les autorités sud-africaines pour accélérer l’obtention du permis d’exportation réclamé par John Hume. L’ambassadeur du Viêt Nam en Afrique du Sud l’accompagnait. Dans une lettre, le Département pour le développement rural, environnemental et agricole de la province Nord- Ouest précise :

« Vinpearl souhaite importer au moins 100 rhinocéros, qui seront gardés dans un enclos de 15 ha. Son but est de posséder le plus grand nombre de rhinocéros du monde dans un parc à safari-zoo, et de favoriser la reproduction des animaux. » Le gouvernement a rejeté la demande de Hume. Sept mois plus tôt, ce dernier avait lui-même entrepris d’obtenir la levée du moratoire sur le commerce intérieur de corne de rhinocéros, en s’associant à l’action en justice de Johan Krüger – celle dont Groenewald prétend être secrètement l’instigateur. Hume invoquait une simple mesure technique pour faire valoir son droit : le gouvernement sud-africain, plaidait-il, avait failli à ses obligations d’information du public, en omettant de consulter le plus gros éleveur de rhinocéros au monde – Hume lui-même – avant de faire appliquer ce moratoire.

L’affaire est passée en justice le 22 septembre 2015 – la Journée mondiale du rhinocéros. Et John Hume a gagné. C’est une bonne nouvelle pour Dawie Groenewald. La décision a été confirmée deux fois en appel. Le gouvernement a formé un ultime appel. Le moratoire reste en vigueur dans l’attente de la décision.

« JE N'AI PAS HONTE »

Groenewald et Hume se préparent tous deux à vendre de la corne de rhinocéros. Groenewald me raconte que, peu après la victoire de Hume au tribunal, il a invité un groupe de huit Asiatiques à inspecter le stock de cornes de Hume. « C’est comme si vous ameniez des gosses de 5 ou 6 ans dans un magasin de jouets. » La levée du moratoire national n’est que la première manche de la bataille. Le marché étant négligeable en Afrique du Sud, les deux hommes doivent obtenir la levée de l’interdiction internationale.

Ce qui a peu de chance d’arriver, car ni le Viêt Nam ni la Chine n’ont manifesté d’intérêt officiel pour la légalisation de ce commerce. Dans des circonstances extrêmes, les gens honnêtes n’ont d’autre option que de violer la loi comme un acte de désobéissance civile, m’assure Izak Du Toit, l’avocat de John Hume : les éleveurs privés de rhinocéros, qui n’ont pas le droit de vendre les cornes et dont les employés et les animaux vivent sous la menace des braconniers, peuvent choisir de vendre quand même leurs cornes.

Il tente un parallèle avec l’apartheid : « Les Noirs devaient transgresser les lois contre lesquelles ils protestaient pour montrer qu’elles étaient illégales. » Et si des acheteurs de cornes veulent les sortir du pays de façon illégale, explique Dawie Groenewald, « c’est leur problème ». Quant au fait que la corne de rhinocéros ne soit que de la poudre de perlimpinpin contre les maladies graves, Hume s’en fiche : « Je n’ai pas honte que la corne que je rends disponible pour le monde soit éventuellement ingérée par un malade du cancer, et qu’il finisse par mourir. Cela n’aide personne.

J’ai de l’arthrite. Je prends au moins six affreux médicaments. Et pour ce que j’en sais, aucun ne marche. » Il y a toutefois un cadre où, jusqu’à présent, la corne de rhinocéros marche pour Dawie Groenewald : la justice sud-africaine. Et il espère que ça marchera encore un peu plus : « En cas de légalisation, je serai le principal vendeur. »