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Date de création : 09.08.2009
Dernière mise à jour : 31.01.2016
113496 articles


POEME VICTOR HUGO

POEME VICTOR HUGO

Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l’empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande armée, et maintenant troupeau.
On ne distinguait plus les ailes ni le centre.
Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre
Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés
On voyait des clairons à leur poste gelés,
Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,
Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs,
Pleuvaient ; les grenadiers, surpris d’être tremblants,
Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise.
Il neigeait, il neigeait toujours ! La froide bise
Sifflait ; sur le verglas, dans des lieux inconnus,
On n’avait pas de pain et l’on allait pieds nus.
Ce n’étaient plus des cœurs vivants, des gens de guerre
C’était un rêve errant dans la brume, un mystère,
Une procession d’ombres sous le ciel noir.
La solitude vaste, épouvantable à voir,
Partout apparaissait, muette vengeresse.
Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaisse
Pour cette immense armée un immense linceul.
Et chacun se sentant mourir, on était seul.
- Sortira-t-on jamais de ce funeste empire ?
Deux ennemis ! le czar, le nord. Le nord est pire.
On jetait les canons pour brûler les affûts.
Qui se couchait, mourait. Groupe morne et confus,
Ils fuyaient ; le désert dévorait le cortège.
On pouvait, à des plis qui soulevaient la neige,
Voir que des régiments s’étaient endormis là.
Ô chutes d’Annibal ! lendemains d’Attila !
Fuyards, blessés, mourants, caissons, brancards, civières,
On s’écrasait aux ponts pour passer les rivières,
On s’endormait dix mille, on se réveillait cent.
Ney, que suivait naguère une armée, à présent
S’évadait, disputant sa montre à trois cosaques.
Toutes les nuits, qui vive ! alerte, assauts ! attaques !
Ces fantômes prenaient leur fusil, et sur eux
Ils voyaient se ruer, effrayants, ténébreux,
Avec des cris pareils aux voix des vautours chauves,
D’horribles escadrons, tourbillons d’hommes fauves.
Toute une armée ainsi dans la nuit se perdait.
L’empereur était là, debout, qui regardait.
Il était comme un arbre en proie à la cognée.
Sur ce géant, grandeur jusqu’alors épargnée,
Le malheur, bûcheron sinistre, était monté ;
Et lui, chêne vivant, par la hache insulté,
Tressaillant sous le spectre aux lugubres revanches,
Il regardait tomber autour de lui ses branches.
Chefs, soldats, tous mouraient. Chacun avait son tour.
Tandis qu’environnant sa tente avec amour,
Voyant son ombre aller et venir sur la toile,
Ceux qui restaient, croyant toujours à son étoile,
Accusaient le destin de lèse-majesté,
Lui se sentit soudain dans l’âme épouvanté.
Stupéfait du désastre et ne sachant que croire,
L’empereur se tourna vers Dieu ; l’homme de gloire
Trembla ; Napoléon comprit qu’il expiait
Quelque chose peut-être, et, livide, inquiet,
Devant ses légions sur la neige semées :
« Est-ce le châtiment, dit-il, Dieu des armées ? »
Alors il s’entendit appeler par son nom
Et quelqu’un qui parlait dans l’ombre lui dit : Non.

II

Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons.
D’un côté c’est l’Europe et de l’autre la France.
Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l’espérance
Tu désertais, victoire, et le sort était las.
Ô Waterloo ! je pleure et je m’arrête, hélas !
Car ces derniers soldats de la dernière guerre
Furent grands ; ils avaient vaincu toute la terre,
Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,
Et leur âme chantait dans les clairons d’airain !

Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire.
Il avait l’offensive et presque la victoire ;
Il tenait Wellington acculé sur un bois.
Sa lunette à la main, il observait parfois
Le centre du combat, point obscur où tressaille
La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
Et parfois l’horizon, sombre comme la mer.
Soudain, joyeux, il dit : Grouchy ! – C’était Blücher.
L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme,
La mêlée en hurlant grandit comme une flamme.
La batterie anglaise écrasa nos carrés.
La plaine, où frissonnaient les drapeaux déchirés,

Ne fut plus, dans les cris des mourants qu’on égorge,
Qu’un gouffre flamboyant, rouge comme une forge ;
Gouffre où les régiments comme des pans de murs
Tombaient, où se couchaient comme des épis mûrs
Les hauts tambours-majors aux panaches énormes,
Où l’on entrevoyait des blessures difformes !
Carnage affreux ! moment fatal ! L’homme inquiet
Sentit que la bataille entre ses mains pliait.
Derrière un mamelon la garde était massée.
La garde, espoir suprême et suprême pensée !
« Allons ! faites donner la garde ! » cria-t-il.
Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil,
Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires,
Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres,
Portant le noir colback ou le casque poli,
Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli,
Comprenant qu’ils allaient mourir dans cette fête,
Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête.
Leur bouche, d’un seul cri, dit : vive l’empereur !
Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur,
Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,
La garde impériale entra dans la fournaise.
Hélas ! Napoléon, sur sa garde penché,
Regardait, et, sitôt qu’ils avaient débouché
Sous les sombres canons crachant des jets de soufre,
Voyait, l’un après l’autre, en cet horrible gouffre,
Fondre ces régiments de granit et d’acier
Comme fond une cire au souffle d’un brasier.
Ils allaient, l’arme au bras, front haut, graves, stoïques.
Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques !
Le reste de l’armée hésitait sur leurs corps
Et regardait mourir la garde. – C’est alors
Qu’élevant tout à coup sa voix désespérée,
La Déroute, géante à la face effarée
Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons,
Changeant subitement les drapeaux en haillons,
À de certains moments, spectre fait de fumées,
Se lève grandissante au milieu des armées,
La Déroute apparut au soldat qui s’émeut,
Et, se tordant les bras, cria : Sauve qui peut !
Sauve qui peut ! – affront ! horreur ! – toutes les bouches
Criaient ; à travers champs, fous, éperdus, farouches,
Comme si quelque souffle avait passé sur eux,
Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux,
Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles,
Jetant shakos, manteaux, fusils, jetant les aigles,
Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil !
Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient ! – En un clin d’œil,
Comme s’envole au vent une paille enflammée,
S’évanouit ce bruit qui fut la grande armée,
Et cette plaine, hélas, où l’on rêve aujourd’hui,
Vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui !
Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre,
Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire,
Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants,
Tremble encor d’avoir vu la fuite des géants !

Napoléon les vit s’écouler comme un fleuve ;
Hommes, chevaux, tambours, drapeaux ; – et dans l’épreuve
Sentant confusément revenir son remords,
Levant les mains au ciel, il dit : « Mes soldats morts,
Moi vaincu ! mon empire est brisé comme verre.
Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère ? »
Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon,
Il entendit la voix qui lui répondait : Non !

III

Il croula. Dieu changea la chaîne de l’Europe.
Il est, au fond des mers que la brume enveloppe,
Un roc hideux, débris des antiques volcans.
Le Destin prit des clous, un marteau, des carcans,
Saisit, pâle et vivant, ce voleur du tonnerre,
Et, joyeux, s’en alla sur le pic centenaire
Le clouer, excitant par son rire moqueur
Le vautour Angleterre à lui ronger le cœur.

Évanouissement d’une splendeur immense !
Du soleil qui se lève à la nuit qui commence,
Toujours l’isolement, l’abandon, la prison,
Un soldat rouge au seuil, la mer à l’horizon,
Des rochers nus, des bois affreux, l’ennui, l’espace,
Des voiles s’enfuyant comme l’espoir qui passe,
Toujours le bruit des flots, toujours le bruit des vents !
Adieu, tente de pourpre aux panaches mouvants,
Adieu, le cheval blanc que César éperonne !
Plus de tambours battant aux champs, plus de couronne,
Plus de rois prosternés dans l’ombre avec terreur,
Plus de manteau traînant sur eux, plus d’empereur !
Napoléon était retombé Bonaparte.
Comme un romain blessé par la flèche du Parthe,
Saignant, morne, il songeait à Moscou qui brûla.
Un caporal anglais lui disait : halte-là !
Son fils aux mains des rois ! sa femme aux bras d’un autre !
Plus vil que le pourceau qui dans l’égout se vautre,
Son sénat qui l’avait adoré l’insultait.
Au bord des mers, à l’heure où la bise se tait,
Sur les escarpements croulant en noirs décombres,
Il marchait, seul, rêveur, captif des vagues sombres.
Sur les monts, sur les flots, sur les cieux, triste et fier,
L’œil encore ébloui des batailles d’hier,
Il laissait sa pensée errer à l’aventure.
Grandeur, gloire, ô néant ! calme de la nature !
Les aigles qui passaient ne le connaissaient pas.
Les rois, ses guichetiers, avaient pris un compas
Et l’avaient enfermé dans un cercle inflexible.
Il expirait. La mort de plus en plus visible
Se levait dans sa nuit et croissait à ses yeux
Comme le froid matin d’un jour mystérieux.
Son âme palpitait, déjà presque échappée.
Un jour enfin il mit sur son lit son épée,
Et se coucha près d’elle, et dit : « C’est aujourd’hui »
On jeta le manteau de Marengo sur lui.
Ses batailles du Nil, du Danube, du Tibre,
Se penchaient sur son front, il dit : « Me voici libre !
Je suis vainqueur ! je vois mes aigles accourir ! »
Et, comme il retournait sa tête pour mourir,
Il aperçut, un pied dans la maison déserte,
Hudson Lowe guettant par la porte entrouverte.
Alors, géant broyé sous le talon des rois,
Il cria : « La mesure est comble cette fois !
Seigneur ! c’est maintenant fini ! Dieu que j’implore,
Vous m’avez châtié ! » La voix dit : Pas encore !

IV

Ô noirs événements, vous fuyez dans la nuit !
L’empereur mort tomba sur l’empire détruit.
Napoléon alla s’endormir sous le saule.
Et les peuples alors, de l’un à l’autre pôle,
Oubliant le tyran, s’éprirent du héros.
Les poëtes, marquant au front les rois bourreaux,
Consolèrent, pensifs, cette gloire abattue.
À la colonne veuve on rendit sa statue.
Quand on levait les yeux, on le voyait debout
Au-dessus de Paris, serein, dominant tout,
Seul, le jour dans l’azur et la nuit dans les astres.
Panthéons, on grava son nom sur vos pilastres !
On ne regarda plus qu’un seul côté des temps,
On ne se souvint plus que des jours éclatants
Cet homme étrange avait comme enivré l’histoire
La justice à l’œil froid disparut sous sa gloire ;
On ne vit plus qu’Eylau, Ulm, Arcole, Austerlitz ;
Comme dans les tombeaux des romains abolis,
On se mit à fouiller dans ces grandes années
Et vous applaudissiez, nations inclinées,
Chaque fois qu’on tirait de ce sol souverain
Ou le consul de marbre ou l’empereur d’airain !

V

Le nom grandit quand l’homme tombe ;
Jamais rien de tel n’avait lui.
Calme, il écoutait dans sa tombe
La terre qui parlait de lui.

La terre disait : « La victoire
A suivi cet homme en tous lieux.
Jamais tu n’as vu, sombre histoire,
Un passant plus prodigieux !

» Gloire au maître qui dort sous l’herbe !
Gloire à ce grand audacieux !
Nous l’avons vu gravir, superbe,
Les premiers échelons des cieux !

» Il envoyait, âme acharnée,
Prenant Moscou, prenant Madrid,
Lutter contre la destinée
Tous les rêves de son esprit.

» À chaque instant, rentrant en lice,
Cet homme aux gigantesques pas
Proposait quelque grand caprice
À Dieu, qui n’y consentait pas.

» Il n’était presque plus un homme.
Il disait, grave et rayonnant,
En regardant fixement Rome
C’est moi qui règne maintenant !

» Il voulait, héros et symbole,
Pontife et roi, phare et volcan,
Faire du Louvre un Capitole
Et de Saint-Cloud un Vatican.

» César, il eût dit à Pompée :
« Sois fier d’être mon lieutenant ! »
On voyait luire son épée
Au fond d’un nuage tonnant.

» Il voulait, dans les frénésies
De ses vastes ambitions,
Faire devant ses fantaisies
Agenouiller les nations,

» Ainsi qu’en une urne profonde,
Mêler races, langues, esprits,
Répandre Paris sur le monde,
Enfermer le monde en Paris !

» Comme Cyrus dans Babylone,
Il voulait sous sa large main
Ne faire du monde qu’un trône
Et qu’un peuple du genre humain,

» Et bâtir, malgré les huées,
Un tel empire sous son nom,
Que Jéhovah dans les nuées
Fût jaloux de Napoléon ! »

VI

Enfin, mort triomphant, il vit sa délivrance,
Et l’océan rendit son cercueil à la France.
L’homme, depuis douze ans, sous le dôme doré
Reposait, par l’exil et par la mort sacré.
En paix ! – Quand on passait près du monument sombre,
On se le figurait, couronne au front, dans l’ombre,
Dans son manteau semé d’abeilles d’or, muet,
Couché sous cette voûte où rien ne remuait,
Lui, l’homme qui trouvait la terre trop étroite,
Le sceptre en sa main gauche et l’épée en sa droite,
À ses pieds son grand aigle ouvrant l’œil à demi,
Et l’on disait : C’est là qu’est César endormi !
Laissant dans la clarté marcher l’immense ville,
Il dormait ; il dormait confiant et tranquille.

VII

Une nuit, – c’est toujours la nuit dans le tombeau, -
Il s’éveilla. Luisant comme un hideux flambeau,
D’étranges visions emplissaient sa paupière ;
Des rires éclataient sous son plafond de pierre ;
Livide, il se dressa ; la vision grandit ;
Ô terreur ! une voix qu’il reconnut, lui dit :

- Réveille-toi. Moscou, Waterloo, Sainte-Hélène,
L’exil, les rois geôliers, l’Angleterre hautaine
Sur ton lit accoudée à ton dernier moment,
Sire, cela n’est rien. Voici le châtiment :

La voix alors devint âpre, amère, stridente,
Comme le noir sarcasme et l’ironie ardente ;
C’était le rire amer mordant un demi-dieu.

- Sire ! on t’a retiré de ton Panthéon bleu !
Sire ! on t’a descendu de ta haute colonne !
Regarde. Des brigands, dont l’essaim tourbillonne,
D’affreux bohémiens, des vainqueurs de charnier
Te tiennent dans leurs mains et t’ont fait prisonnier.
À ton orteil d’airain leur patte infâme touche.
Ils t’ont pris. Tu mourus, comme un astre se couche,
Napoléon le Grand, empereur ; tu renais
Bonaparte, écuyer du cirque Beauharnais.
Te voilà dans leurs rangs, on t’a, l’on te harnache.
Ils t’appellent tout haut grand homme, entre eux, ganache.
Ils traînent, sur Paris qui les voit s’étaler,
Des sabres qu’au besoin ils sauraient avaler.
Aux passants attroupés devant leur habitacle,
Ils disent, entends-les : – Empire à grand spectacle !
Le pape est engagé dans la troupe ; c’est bien,
Nous avons mieux ; le czar en est mais ce n’est rien,
Le czar n’est qu’un sergent, le pape n’est qu’un bonze
Nous avons avec nous le bonhomme de bronze !
Nous sommes les neveux du grand Napoléon ! -
Et Fould, Magnan, Rouher, Parieu caméléon,
Font rage. Ils vont montrant un sénat d’automates.
Ils ont pris de la paille au fond des casemates
Pour empailler ton aigle, ô vainqueur d’Iéna !
Il est là, mort, gisant, lui qui si haut plana,
Et du champ de bataille il tombe au champ de foire.
Sire, de ton vieux trône ils recousent la moire.
Ayant dévalisé la France au coin d’un bois,
Ils ont à leurs haillons du sang, comme tu vois,
Et dans son bénitier Sibour lave leur linge.
Toi, lion, tu les suis ; leur maître, c’est le singe.
Ton nom leur sert de lit, Napoléon premier.
On voit sur Austerlitz un peu de leur fumier.
Ta gloire est un gros vin dont leur honte se grise.
Cartouche essaie et met ta redingote grise
On quête des liards dans le petit chapeau
Pour tapis sur la table ils ont mis ton drapeau.
À cette table immonde où le grec devient riche,
Avec le paysan on boit, on joue, on triche ;
Tu te mêles, compère, à ce tripot hardi,
Et ta main qui tenait l’étendard de Lodi,
Cette main qui portait la foudre, ô Bonaparte,
Aide à piper les dés et fait sauter la carte.
Ils te forcent à boire avec eux, et Carlier
Pousse amicalement d’un coude familier
Votre majesté, sire, et Piétri dans son antre
Vous tutoie, et Maupas vous tape sur le ventre.
Faussaires, meurtriers, escrocs, forbans, voleurs,
Ils savent qu’ils auront, comme toi, des malheurs
Leur soif en attendant vide la coupe pleine
À ta santé ; Poissy trinque avec Sainte-Hélène.
Regarde ! bals, sabbats, fêtes matin et soir.
La foule au bruit qu’ils font se culbute pour voir ;
Debout sur le tréteau qu’assiège une cohue
Qui rit, bâille, applaudit, tempête, siffle, hue,
Entouré de pasquins agitant leur grelot,
- Commencer par Homère et finir par Callot !
Épopée ! épopée ! oh ! quel dernier chapitre ! -
Entre Troplong paillasse et Chaix-d’Est-Ange pitre,
Devant cette baraque, abject et vil bazar
Où Mandrin mal lavé se déguise en César,
Riant, l’affreux bandit, dans sa moustache épaisse,
Toi, spectre impérial, tu bats la grosse caisse ! -

L’horrible vision s’éteignit. L’empereur,
Désespéré, poussa dans l’ombre un cri d’horreur,
Baissant les yeux, dressant ses mains épouvantées.
Les Victoires de marbre à la porte sculptées,
Fantômes blancs debout hors du sépulcre obscur,
Se faisaient du doigt signe, et, s’appuyant au mur,
Écoutaient le titan pleurer dans les ténèbres.
Et lui, cria : « Démon aux visions funèbres,
Toi qui me suis partout, que jamais je ne vois,
Qui donc es-tu ? – Je suis ton crime », dit la voix.
La tombe alors s’emplit d’une lumière étrange
Semblable à la clarté de Dieu quand il se venge
Pareils aux mots que vit resplendir Balthazar,
Deux mots dans l’ombre écrits flamboyaient sur César ;
Bonaparte, tremblant comme un enfant sans mère,

Leva sa face pâle et lut : – DIX-HUIT BRUMAIRE !

POEME VICTOR HUGO

Publié à 12:57 par angeoudemongif Tags : monde fond dieu femmes nuit livre pensée neige

« Vraiment, notre siècle est étrangement délicat. S’imagine-t-il donc que la cendre des bûchers soit totalement éteinte ? qu’il n’en soit pas resté le plus petit tison pour allumer une seule torche ? Les insensés ! en nous appelant jésuites, ils croient nous couvrir d’opprobre ! Mais ces jésuites leur réservent la censure, un bâillon et du feu… Et, un jour, ils seront les maîtres de leurs maîtres… »

(LE PÈRE ROOTHAAN, GÉNÉRAL DES JÉSUITES, À LA CONFÉRENCE DE CHIÉRI.)

Ils ont dit : « Nous serons les vainqueurs et les maîtres.
Soldats par la tactique et par la robe prêtres,
Nous détruirons progrès, lois, vertus, droits, talents.
Nous nous ferons un fort avec tous ces décombres,
Et pour nous y garder, comme des dogues sombres,
Nous démusèlerons les préjugés hurlants.

» Oui, l’échafaud est bon ; la guerre est nécessaire ;
Acceptez l’ignorance, acceptez la misère ;
L’enfer attend l’orgueil du tribun triomphant ;
L’homme parvient à l’ange en passant par la buse.
Notre gouvernement fait de force et de ruse
Bâillonnera le père, abrutira l’enfant.

» Notre parole, hostile au siècle qui s’écoule,
Tombera de la chaire en flocons sur la foule
Elle refroidira les cœurs irrésolus,
Y glacera tout germe utile ou salutaire,
Et puis elle y fondra comme la neige à terre,
Et qui la cherchera ne la trouvera plus.

Seulement un froid sombre aura saisi les âmes ;
Seulement nous aurons tué toutes les flammes
Et si quelqu’un leur crie, à ces français d’alors
Sauvez la liberté pour qui luttaient vos pères !
Ils riront, ces français sortis de nos repaires,
De la liberté morte et de leurs pères morts.

« Prêtres, nous écrirons sur un drapeau qui brille
- Ordre, Religion, Propriété, Famille. -
Et si quelque bandit, corse, juif ou payen,
Vient nous aider avec le parjure à la bouche,
Le sabre aux dents, la torche au poing, sanglant, farouche
Volant et massacrant, nous lui dirons : c’est bien !

« Vainqueurs, fortifiés aux lieux inabordables,
Nous vivrons arrogants, vénérés, formidables.
Que nous importe au fond Christ, Mahomet, Mithra !
Régner est notre but, notre moyen proscrire.
Si jamais ici-bas on entend notre rire,
Le fond obscur du cœur de l’homme tremblera.

» Nous garrotterons l’âme au fond d’une caverne.
Nations, l’idéal du peuple qu’on gouverne,
C’est le moine d’Espagne ou le fellah du Nil.
À bas l’esprit ! à bas le droit ! vive l’épée !
Qu’est-ce que la pensée ? une chienne échappée.
Mettons Jean-Jacques au bagne et Voltaire au chenil.

» Si l’esprit se débat, toujours nous l’étouffâmes.
Nous parlerons tout bas à l’oreille des femmes.
Nous aurons les pontons, l’Afrique, le Spielberg.
Les vieux bûchers sont morts, nous les ferons revivre
N’y pouvant jeter l’homme, on y jette le livre ;
À défaut de Jean Huss, nous brûlons Gutenberg.

» Et quant à la raison, qui prétend juger Rome,
Flambeau qu’allume Dieu sous le crâne de l’homme,
Dont s’éclairait Socrate et qui guidait Jésus,
Nous, pareils au voleur qui se glisse et qui rampe,
Et commence en entrant par éteindre la lampe,
En arrière et furtifs, nous soufflerons dessus.

« Alors dans l’âme humaine obscurité profonde.
Sur le néant des cœurs le vrai pouvoir se fonde.
Tout ce que nous voudrons, nous le ferons sans bruit.
Pas un souffle de voix, pas un battement d’aile
Ne remuera dans l’ombre, et notre citadelle
Sera comme une tour plus noire que la nuit.

» Nous régnerons. La tourbe obéit comme l’onde.
Nous serons tout-puissants, nous régirons le monde
Nous posséderons tout, force, gloire et bonheur ;
Et nous ne craindrons rien, n’ayant ni foi ni règles…
- Quand vous habiteriez la montagne des aigles,
Je vous arracherais de là, dit le Seigneur !

8 novembre. Jersey.

POEME VICTOR HUGO

Publié à 12:57 par angeoudemongif Tags : coeur enfants femme france sourire jeux femmes mort bleu chiens oiseau

Pour les bannis opiniâtres,
La France est loin, la tombe est près.
Prince, préside aux jeux folâtres,
Chasse aux femmes dans les théâtres,
Chasse aux chevreuils dans les forêts
Rome te brûle le cinname,
Les rois te disent : mon cousin. -
Sonne aujourd’hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Les us frappés sont les plus dignes.
Ou l’exil ! ou l’Afrique en feu !
Prince, Compiègne est plein de cygnes,
Cours dans les bois, cours dans les vignes,
Vénus rayonne au plafond bleu ;
La bacchante aux bras nus se pâme
Sous sa couronne de raisin. -
Sonne aujourd’hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Les forçats bâtissent le phare,
Traînant leurs fers au bord des flots !
Hallali ! hallali ! fanfare !
Le cor sonne, le bois s’effare,
La lune argente les bouleaux ;
A l’eau les chiens ! le cerf qui branle
Se perd dans l’ombre du bassin. -
Sonne aujourd’hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Le père est au bagne à Cayenne
Et les enfants meurent de faim.
Le loup verse à boire à l’hyène ;
L’homme à la mitre citoyenne
Trinque en son ciboire d’or fin ;
On voit luire les yeux de flamme
Des faunes dans l’antre voisin. -
Sonne aujourd’hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Les morts, au boulevard Montmartre,
Rôdent, montrant leur plaie au coeur.
Pâtés de Strasbourg et de Chartre,
Sous la table, un tapis de martre
Les belles boivent au vainqueur,
Et leur sourire offre leur âme,
Et leur corset offre leur sein. -
Sonne aujourd’hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Captifs, expirez dans les fièvres.
Vous allez donc vous reposer !
Dans le vieux saxe et le vieux sèvres
On soupe, on mange, et sur les lèvres
Éclôt le doux oiseau baiser ;
Et, tout en riant, chaque femme
En laisse fuir un fol essaim. -
Sonne aujourd’hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

La Guyane, cachot fournaise,
Tue aujourd’hui comme jadis.
Couche-toi, joyeux et plein d’aise,
Au lit où coucha Louis seize,
Puis l’empereur, puis Charles dix ;
Endors-toi, pendant qu’on t’acclame,
La tête sur leur traversin. -
Sonne aujourd’hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Ô deuil ! par un bandit féroce
L’avenir est mort poignardé !
C’est aujourd’hui la grande noce,
Le fiancé monte en carrosse ;
C’est lui ! César le bien gardé !
Peuples, chantez l’épithalame !
La France épouse l’assassin. -
Sonne aujourd’hui le glas, bourdon de Notre-Dame,

Et demain le tocsin !

POEME VICTOR HUGO

Publié à 12:47 par angeoudemongif Tags : monde chez fond création jeux animaux nuit rose fleurs chiens

Voici le trou, voici l’échelle. Descendez.
Tandis qu’au corps de garde en face on joue aux dés
En riant sous le nez des matrones bourrues,
Laissez le crieur rauque, assourdissant les rues,
Proclamer le numide ou le dace aux abois,
Et, groupés sous l’auvent des échoppes de bois,
Les savetiers romains et les marchandes d’herbes
De la Minerve étrusque échanger les proverbes ;
Descendez.
Vous voilà dans un lieu monstrueux.
Enfer d’ombre et de boue aux porches tortueux,
Où les murs ont la lèpre, où, parmi les pustules,
Glissent les scorpions mêlés aux tarentules.
Morne abîme !

Au-dessus de ce plafond fangeux,
Dans les cieux, dans le cirque immense et plein de jeux,
Sur les pavés sabins, dallages centenaires,
Roulent les chars, les bruits, les vents et les tonnerres ;
Le peuple gronde ou rit dans le forum sacré ;
Le navire d’Ostie au port est amarré,
L’arc triomphal rayonne, et sur la borne agraire
Tettent, nus et divins, Rémus avec son frère
Romulus, louveteaux de la louve d’airain ;
Non loin, le fleuve Tibre épand son flot serein,
Et la vache au flanc roux y vient boire, et les buffles
Laissent en fils d’argent l’eau tomber de leurs mufles.
Le hideux souterrain s’étend dans tous les sens ;
Il ouvre par endroits sous les pieds des passants
Ses soupiraux infects et flairés par les truies ;
Cette cave se change en fleuve au temps des pluies
Vers midi, tout au bord du soupirail vermeil,
Les durs barreaux de fer découpent le soleil,
Et le mur apparaît semblable au dos des zèbres
Tout le reste est miasme, obscurité, ténèbres
Par places le pavé, comme chez les tueurs,
Paraît sanglant ; la pierre a d’affreuses sueurs
Ici l’oubli, la peste et la nuit font leurs oeuvres
Le rat heurte en courant la taupe ; les couleuvres
Serpentent sur le mur comme de noirs éclairs ;
Les tessons, les haillons, les piliers aux pieds verts,
Les reptiles laissant des traces de salives,
La toile d’araignée accrochée aux solives,
Des mares dans les coins, effroyables miroirs,
Où nagent on ne sait quels êtres lents et noirs,
Font un fourmillement horrible dans ces ombres.
La vieille hydre chaos rampe sous ces décombres.
On voit des animaux accroupis et mangeant ;
La moisissure rose aux écailles d’argent
Fait sur l’obscur bourbier luire ses mosaïques
L’odeur du lieu mettrait en fuite des stoïques
Le sol partout se creuse en gouffres empestés
Et les chauves-souris volent de tous côtés
Comme au milieu des fleurs s’ébattent les colombes.
On croit, dans cette brume et dans ces catacombes,
Entendre bougonner la mégère Atropos ;
Le pied sent dans la nuit le dos mou des crapauds ;
L’eau pleure ; par moments quelque escalier livide
Plonge lugubrement ses marches dans le vide.
Tout est fétide, informe, abject, terrible à voir.

Le charnier, le gibet, le ruisseau, le lavoir,
Les vieux parfums rancis dans les fioles persanes,
Le lavabo vidé des pâles courtisanes,
L’eau lustrale épandue aux pieds des dieux menteurs,
Le sang des confesseurs et des gladiateurs,
Les meurtres, les festins, les luxures hardies,
Le chaudron renversé des noires Canidies,
Ce que Trimalcion vomit sur le chemin,
Tous les vices de Rome, égout du genre humain,
Suintent, comme en un crible, à travers cette voûte,
Et l’immonde univers y filtre goutte à goutte.
Là-haut, on vit, on teint ses lèvres de carmin,
On a le lierre au front et la coupe à la main,
Le peuple sous les fleurs cache sa plaie impure
Et chante ; et c’est ici que l’ulcère suppure.
Ceci, c’est le cloaque, effrayant, vil, glacé.
Et Rome tout entière avec tout son passé,
Joyeuse, souveraine, esclave, criminelle,
Dans ce marais sans fond croupit, fange éternelle.
C’est le noir rendez-vous de l’immense néant ;
Toute ordure aboutit à ce gouffre béant ;
La vieille au chef branlant qui gronde et qui soupire
Y vide son panier, et le monde l’empire.
L’horreur emplit cet antre, infâme vision.
Toute l’impureté de la création
Tombe et vient échouer sur cette sombre rive.
Au fond, on entrevoit, dans une ombre où n’arrive
Pas un reflet de jour, pas un souffle de vent,
Quelque chose d’affreux qui fut jadis vivant,
Des mâchoires, des yeux, des ventres, des entrailles,
Des carcasses qui font des taches aux murailles
On approche, et longtemps on reste l’oeil fixé
Sur ce tas monstrueux, dans la bourbe enfoncé,
Jeté là par un trou redouté des ivrognes,
Sans pouvoir distinguer si ces mornes charognes
Ont une forme encor visible en leurs débris,

Et sont des chiens crevés ou des césars pourris.

POEME VICTOR HUGO

Publié à 12:44 par angeoudemongif Tags : monde homme coeur nuit

Donc, vieux partis, voilà votre homme consulaire !
Aux jours sereins, quand rien ne nous vient assiéger,
Dogue aboyant, dragon farouche, hydre en colère ;
Taupe aux jours du danger !
Pour le mettre à leur tête, en nos temps que visite
La tempête, brisant le cèdre et le sapin,
Ils prirent le plus lâche, et, n’ayant pas Thersite,
Ils choisirent Dupin.

Tandis que ton bras fort pioche, laboure et bêche,
Ils te trahissaient, peuple, ouvrier souverain ;
Ces hommes opposaient le président Bobèche
Au président Mandrin.

II

Sa voix aigre sonnait comme une calebasse ;
Ses quolibets mordaient l’orateur au coeur chaud -
Ils avaient, insensés, mis l’âme la plus basse
Au faîte le plus haut ;
Si bien qu’un jour, ce fut un dénouement immonde,
Des soldats, sabre au poing, quittant leur noir chevet
Entrèrent dans ce temple auguste où, pour le monde,
L’aurore se levait !

Devant l’autel des lois qu’on renverse et qu’on brûle,
Honneur, devoir, criaient à cet homme : – Debout !
Dresse-toi, foudre en main, sur ta chaise curule ! -
Il plongea dans l’égout.

III

Qu’il y reste à jamais ! qu’à jamais il y dorme !
Que ce vil souvenir soit à jamais détruit !
Qu’il se dissolve là ! qu’il y devienne informe,
Et pareil à la nuit !
Que, même en l’y cherchant, ou le distingue à peine
Dans ce profond cloaque, affreux, morne, béant !
Et que tout ce qui rampe et tout ce qui se traîne
Se mêle à son néant !

Et que l’histoire un jour ne s’en rende plus compte,
Et dise en le voyant dans la fange étendu :
- On ne sait ce que c’est. C’est quelque vieille honte
Dont le nom s’est perdu ! -

IV

Oh ! si ces âmes-là par l’enfer sont reçues,
S’il ne les chasse pas dans son amer orgueil,
Poëtes qui, portant dans vos mains des massues,
Gardez ce sombre seuil,
N’est-ce p as ? dans ce gouffre où la justice habite,
Dont l’espérance fuit le flamboyant fronton,
Dites, toi, de Pathmos lugubre cénobite,
Toi Dante, toi Milton,

Toi, vieil Eschyle, ami des plaintives Electres,
Ce doit être une joie, ô vengeurs des vertus,
De faire souffleter les masques par les spectres,

Et Dupin par Brutus !

POEME VICTOR HUGO

Publié à 12:32 par angeoudemongif Tags : bonne monde femme france dieu travail bleu pensée

L’art, c’est la gloire et la joie.
Dans la tempête il flamboie ;
Il éclaire le ciel bleu.
L’art, splendeur universelle,
Au front du peuple étincelle,
Comme l’astre au front de Dieu.

L’art est un champ magnifique
Qui plaît au cœur pacifique,
Que la cité dit aux bois,
Que l’homme dit à la femme,
Que toutes les voix de l’âme
Chantent en chœur à la fois !

L’art, c’est la pensée humaine
Qui va brisant toute chaîne !
L’art, c’est le doux conquérant !
A lui le Rhin et le Tibre !
Peuple esclave, il te fait libre ;
Peuple libre, il te fait grand !

II

O bonne France invincible,
Chante ta chanson paisible !
Chante, et regarde le ciel !
Ta voix joyeuse et profonde
Est l’espérance du monde,
O grand peuple fraternel !

Bon peuple, chante à l’aurore,
Quand le soir vient, chante encore !
Le travail fait la gaîté.
Ris du vieux siècle qui passe !
Chante l’amour à voix basse,
Et tout haut la liberté !

Chante la sainte Italie,
La Pologne ensevelie,
Naples qu’un sang pur rougit,
La Hongrie agonisante… -
O tyrans ! le peuple chante

Comme le lion rugit !

POEME VICTOR HUGO

Publié à 16:49 par angeoudemongif Tags : france dieu chien oiseau

Réveillez-vous, assez de honte !
Bravez boulets et biscayens.
Il est temps qu’enfin le flot monte.
Assez de honte, citoyens !
Troussez les manches de la blouse.
Les hommes de quatrevingt-douze
Affrontaient vingt rois combattants.
Brisez vos fers, forcez vos geôles !
Quoi ! vous avez peur de ces drôles !
Vos pères bravaient les titans !

Levez-vous ! foudroyez et la horde et le maître !
Vous avez Dieu pour vous et contre vous le prêtre
Dieu seul est souverain.
Devant lui nul n’est fort et tous sont périssables.
Il chasse comme un chien le grand tigre des sables
Et le dragon marin ;
Rien qu’en soufflant dessus, comme un oiseau d’un arbre,
Il peut faire envoler de leur temple de marbre
Les idoles d’airain.

Vous n’êtes pas armés ? qu’importe !
Prends ta fourche, prends ton marteau !
Arrache le gond de ta porte,
Emplis de pierres ton manteau !
Et poussez le cri d’espérance !
Redevenez la grande -France !
Redevenez le grand Paris !
Délivrez, frémissants de rage,
Votre pays de l’esclavage,
Votre mémoire du mépris !

Quoi ! faut-il vous citer les royalistes même ?
On était grand aux jours de la lutte suprême.
Alors, que voyait-on ?
La bravoure, ajoutant à l’homme une coudée,
Etait dans les deux camps. N’est-il pas vrai, Vendée,
Ô dur pays breton ?
Pour vaincre un bastion, pour rompre une muraille,
Pour prendre cent canons vomissant la mitraille.
Il suffit d’un bâton !

Si dans ce cloaque ou demeure,
Si cela dure encore un jour,
Si cela dure encore une heure,
Je brise clairon et tambour,
Je flétris ces pusillanimes,
Ô vieux peuple des jours sublimes,
Géants à qui nous les mêlions,
Je les laisse trembler leurs fièvres,
Et je déclare que ces lièvres
Ne sont pas vos fils, ô lions !

15 janvier 1853.

POEME VICTOR HUGO

Publié à 12:42 par angeoudemongif Tags : victor hugo

Ce qu’on appelle Charte ou Constitution,
C’est un antre qu’un peuple en révolution
Creuse dans le granit, abri sûr et fidèle.
Joyeux, le peuple enferme en cette citadelle
Ses conquêtes, ses droits, payés de tant d’efforts,
Ses progrès, son honneur ; pour garder ces trésors,
Il installe en la haute et superbe tanière
La fauve liberté, secouant sa crinière.
L’oeuvre faite, il s’apaise, il reprend ses travaux,
Il retourne à son champ, fier de ses droits nouveaux,
Et tranquille, il s’endort sur des dates célèbres,
Sans songer aux larrons rôdant dans les ténèbres.
Un beau matin, le peuple en s’éveillant va voir
Sa Constitution, temple de son pouvoir ;
Hélas ! de l’antre auguste on a fait une niche.

Il y mit un lion, il y trouve un caniche.

POEME VICTOR HUGO

Ô soldats de l’an deux ! ô guerres ! épopées !
Contre les rois tirant ensemble leurs épées,
Prussiens, autrichiens,
Contre toutes les Tyrs et toutes les Sodomes,
Contre le czar du nord, contre ce chasseur d’hommes
Suivi de tous ses chiens,

Contre toute l’Europe avec ses capitaines,
Avec ses fantassins couvrant au loin les plaines,
Avec ses cavaliers,
Tout entière debout comme une hydre vivante,
Ils chantaient, ils allaient, l’âme sans épouvante
Et les pieds sans souliers !

Au levant, au couchant, partout, au sud, au pôle,
Avec de vieux fusils sonnant sur leur épaule,
Passant torrents et monts,
Sans repos, sans sommeil, coudes percés, sans vivres,
Ils allaient, fiers, joyeux, et soufflant dans des cuivres
Ainsi que des démons !
La Liberté sublime emplissait leurs pensées.
Flottes prises d’assaut, frontières effacées
Sous leur pas souverain,
Ô France, tous les jours, c’était quelque prodige,
Chocs, rencontres, combats ; et Joubert sur l’Adige,
Et Marceau sur le Rhin !

On battait l’avant-garde, on culbutait le centre ;
Dans la pluie et la neige et de l’eau jusqu’au ventre,
On allait ! en avant !
Et l’un offrait la paix, et l’autre ouvrait ses portes,
Et les trônes, roulant comme des feuilles mortes,
Se dispersaient au vent !

Oh ! que vous étiez grands au milieu des mêlées,
Soldats ! L’oeil plein d’éclairs, faces échevelées
Dans le noir tourbillon,
Ils rayonnaient, debout, ardents, dressant la tête
Et comme les lions aspirent la tempête
Quand souffle l’aquilon,

Eux, dans l’emportement de leurs luttes épiques,
Ivres, ils savouraient tous les bruits héroïques,
Le fer heurtant le fer,
La Marseillaise ailée et volant dans les balles,
Les tambours, les obus, les bombes, les cymbales,
Et ton rire, ô Kléber !

La Révolution leur criait : – Volontaires,
Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères ! -
Contents, ils disaient oui.
- Allez, mes vieux soldats, mes généraux imberbes ! -
Et l’on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes
Sur le monde ébloui !

La tristesse et la peur leur étaient inconnues.
Ils eussent, sans nul doute, escaladé les nues
Si ces audacieux,
En retournant les yeux dans leur course olympique,
Avaient vu derrière eux la grande République
Montrant du doigt les cieux !

II

Oh ! vers ces vétérans quand notre esprit s’élève,
Nous voyons leur front luire et resplendir leur glaive,
Fertile en grands travaux.
C’étaient là les anciens. Mais ce temps les efface !
France, dans ton histoire ils tiennent trop de place.
France, gloire aux nouveaux !

Oui, gloire à ceux d’hier ! ils se mettent cent mille,
Sabres nus, vingt contre un, sans crainte, et par la ville
S’en vont, tambours battants.
A mitraille ! leur feu brille, l’obusier tonne,
Victoire ! ils ont tué, carrefour Tiquetonne,
Un enfant de sept ans !

Ceux-ci sont des héros qui n’ont pas peur des femmes
Ils tirent sans pâlir, gloire à ces grandes âmes !
Sur les passants tremblants.
On voit, quand dans Paris leur troupe se promène,
Aux fers de leurs chevaux de la cervelle humaine
Avec des cheveux blancs !

Ils montent à l’assaut des lois ; sur la patrie
Ils s’élancent ; chevaux, fantassins, batterie,
Bataillon, escadron,
Gorgés, payés, repus, joyeux, fous de colère,
Sonnant la charge, avec Maupas pour vexillaire
Et Veuillot pour clairon.

Tout, le fer et le plomb, manque à nos bras farouches,
Le peuple est sans fusils, le peuple est sans cartouches,
Braves ! c’est le moment !
Avec quelques tribuns la loi demeure seule.
Derrière vos canons chargés jusqu’à la gueule
Risquez-vous hardiment !
Ô soldats de décembre ! ô soldats d’embuscades
Contre votre pays ! honte à vos cavalcades
Dans Paris consterné !
Vos pères, je l’ai dit, brillaient comme le phare ;
Ils bravaient, en chantant une haute fanfare,
La mort, spectre étonné ;

Vos pères combattaient les plus fières armées,
Le prussien blond, le russe aux foudres enflammées,
Le catalan bruni,
Vous, vous tuez des gens de bourse et de négoce.
Vos pères, ces géants, avaient pris Saragosse,
Vous prenez Tortoni !

Histoire, qu’en dis-tu ? les vieux dans les batailles
Couraient sur les canons vomissant les mitrailles ;
Ceux-ci vont, sans trembler,
Foulant aux pieds vieillards sanglants, femmes mourantes
Droit au crime. Ce sont deux façons différentes
De ne pas reculer.

III

Cet homme fait venir, à l’heure où la nuit voile
Paris dormant encor.
Des généraux français portant la triple étoile
Sur l’épaulette d’or ;

Il leur dit : « Ecoutez, pour vos yeux seuls j’écarte
L’ombre que je répands ;
Vous crûtes jusqu’ici que j’étais Bonaparte,
Mon nom est Guet-apens.

» C’est demain le grand jour, le jour des funérailles
Et le jour des douleurs.
Vous allez vous glisser sans bruit sous les murailles
Comme font les voleurs ;
» Vous prendrez cette pince, à mon service usée,
Que je cache sur moi,
Et vous soulèverez avec une pesée
La porte de la loi ;

» Puis, hourrah ! sabre au vent, et la police en tête !
Et main basse sur tout,
Sur vos chefs africains, sur quiconque est honnête,
Sur quiconque est debout,

Sur les représentants, et ceux qu’ils représentent,
Sur Paris terrassé !
Et je vous paîrai bien ! » les généraux consentent
Vidocq eût refusé.

IV

Maintenant, largesse au prétoire !
Trinquez, soldats ! et depuis quand
A-t-on peur de rire et de boire ?
Fête aux casernes ! fête au camp !
L’orgie a rougi leur moustache,
Les rouleaux d’or gonflent leur sac ;
Pour capitaine ils ont Gamache,
Ils ont Cocagne pour bivouac.

La bombance après l’équipée.
On s’attable. Hier on tua.
Ô Napoléon, ton épée
Sert de broche à Gargantua.

Le meurtre est pour eux la victoire
Leur oeil, par l’ivresse endormi,
Prend le déshonneur pour la gloire
Et les français pour l’ennemi.

France, ils t’égorgèrent la veille.
Ils tiennent, c’est leur lendemain,
Dans une main une bouteille
Et ta tête dans l’autre main.

Ils dansent en rond, noirs quadrilles,
Comme des gueux dans le ravin ;
Troplong leur amène des filles,
Et Sibour leur verse du vin.

Et leurs banquets sans fin ni trêves
D’orchestres sont environnés… -
Nous faisions pour vous d’autres rêves,
Ô nos soldats infortunés !

Nous rêvions pour vous l’âpre bise,
La neige au pied du noir sapin,
La brèche où la bombe se brise,
Les nuits sans feu, les jours sans pain.

Nous rêvions les marches forcées,
La faim, le froid, les coups hardis,
Les vieilles capotes usées,
Et la victoire un contre dix ;

Nous rêvions, ô soldats esclaves,
Pour vous et pour vos généraux,
La sainte misère des braves,
La grande tombe des héros !

Car l’Europe en ses fers soupire,
Car dans les coeurs un ferment bout,
Car voici l’heure où Dieu va dire :
Chaînes, tombez ! Peuples, debout !

L’histoire ouvre un nouveau registre
Le penseur, amer et serein,
Derrière l’horizon sinistre
Entend rouler des chars d’airain.

Un bruit profond trouble la terre ;
Dans les fourreaux s’émeut l’acier ;
Ce vent qui souffle sort, ô guerre,
Des naseaux de ton noir coursier !

Vers l’heureux but où Dieu nous mène,
Soldats ! rêveurs, nous vous poussions,
Tête de la colonne humaine,
Avant-garde des nations !

Nous rêvions, bandes aguerries,
Pour vous, fraternels conquérants,
La grande guerre des patries,
La chute immense des tyrans !

Nous réservions votre effort juste,
Vos fiers tambours, vos rangs épais,
Soldats, pour cette guerre auguste
D’où sortira l’auguste paix !

Dans nos songes visionnaires,
Nous vous voyions, ô nos guerriers,
Marcher joyeux dans les tonnerres,
Courir sanglants dans les lauriers,

Sous la fumée et la poussière
Disparaître en noirs tourbillons,
Puis tout à coup dans la lumière
Surgir, radieux bataillons,

Et passer, légion sacrée
Que les peuples venaient bénir,
Sous la haute porte azurée
De l’éblouissant avenir !

V

Donc, les soldats français auront vu, jours infâmes !
Après Brune et Desaix, après ces grandes âmes
Que nous admirons tous,
Après Turenne, après Xaintraille, après Lahire,
Poulailler leur donner des drapeaux et leur dire
Je suis content de vous !
Ô drapeaux du passé, si beaux dans les histoires,
Drapeaux de tous nos preux et de toutes nos gloires,
Redoutés du fuyard,
Percés, troués, criblés, sans peur et sans reproche,
Vous qui dans vos lambeaux mêlez le sang de Hoche
Et le sang de Bayard,

Ô vieux drapeaux ! sortez des tombes. des abîmes !
Sortez en foule, ailés de vos haillons sublimes,
Drapeaux éblouissants !
Comme un sinistre essaim qui sur l’horizon monte,
Sortez, venez, volez, sur toute cette honte
Accourez frémissants !

Délivrez nos soldats de ces bannières viles !
Vous qui chassiez les rois, vous qui preniez les villes,
Vous en qui l’âme croit,
Vous qui passiez les monts, les gouffres et les fleuves,
Drapeaux sous qui l’on meurt, chassez ces aigles neuves,
Drapeaux sous qui l’on boit !

Que nos tristes soldats fassent la différence !
Montrez-leur ce que c’est que les drapeaux de France,
Montrez vos sacrés plis
Qui flottaient sur le Rhin, sur la Meuse et la Sambre,
Et faites, ô drapeaux, auprès du Deux-Décembre
Frissonner Austerlitz !

VI

Hélas ! tout est fini. Fange ! néant ! nuit noire !
Au-dessus de ce gouffre où croula notre gloire,
Flamboyez, noms maudits !
Maupas, Morny, Magnan, Saint-Arnaud, Bonaparte !
Courbons nos fronts ! Gomorrhe a triomphé de Sparte !
Cinq hommes ! cinq bandits !
Toutes les nations tour à tour sont conquises :
L’Angleterre, pays des antiques franchises,
Par les vieux neustriens,
Rome par Alaric, par Mahomet Byzance,
La Sicile par trois chevaliers, et la France
Par cinq galériens.

Soit. Régnez ! emplissez de dégoût la pensée,
Notre-Dame d’encens, de danses l’Elysée,
Montmartre d’ossements.
Régnez ! liez ce peuple, à vos yeux populace,
Liez Paris, liez la France à la culasse
De vos canons fumants !

VII

Quand sur votre poitrine il jeta sa médaille,
Ses rubans et sa croix, après cette bataille
Et ce coup de lacet,
Ô soldats dont l’Afrique avait hâlé la joue,
N’avez-vous donc pas vu que c’était de la boue
Qui vous éclaboussait ?
Oh ! quand je pense à vous, mon oeil se mouille encore !
Je vous pleure, soldats ! je pleure votre aurore,
Et ce qu’elle promit.
Je pleure ! car la gloire est maintenant voilée
Car il est parmi vous plus d’une âme accablée
Qui songe et qui frémit !

Ô soldats ! nous aimions votre splendeur première ;
Fils de la république et fils de la chaumière,
Que l’honneur échauffait,
Pour servir ce bandit qui dans leur sang se vautre,
Hélas ! pour trahir l’une et déshonorer l’autre,
Que vous ont-elles fait ?

Après qui marchez-vous, ô légion trompée ?
L’homme à qui vous avez prostitué l’épée,

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POEME VICTOR HUGO

Retournons à l’école, ô mon vieux Juvénal.
Homme d’ivoire et d’or, descends du tribunal
Où depuis deux mille ans tes vers superbes tonnent.
Il paraît, vois-tu bien, ces choses nous étonnent,
Mais c’est la vérité selon monsieur Riancey,
Que lorsqu’un peu de temps sur le sang a passé,
Après un an ou deux, c’est une découverte,
Quoi qu’en disent les morts avec leur bouche verte,
Le meurtre n’est plus meurtre et le vol n’est plus vol.
Monsieur Veuillot, qui tient d’Ignace et d’Auriol,
Nous l’affirme, quand l’heure a tourné sur l’horloge,
De notre entendement ceci fait peu l’éloge,
Pourvu qu’à Notre-Dame on brûle de l’encens
Et que l’abonné vienne aux journaux bien pensants,
Il paraît que, sortant de son hideux suaire,
Joyeux, en panthéon changeant son ossuaire,
Dans l’opération par monsieur Fould aidé,
Par les juges lavé, par les filles fardé,
Ô miracle ! entouré de croyants et d’apôtres,
En dépit des rêveurs, en dépit de nous autres
Noirs poëtes bourrus qui n’y comprenons rien,
Le mal prend tout à coup la figure du bien.

II

Il est l’appui de l’ordre ; il est bon catholique
Il signe hardiment – prospérité publique.
La trahison s’habille en général français
L’archevêque ébloui bénit le dieu Succès
C’était crime jeudi, mais c’est haut fait dimanche.
Du pourpoint Probité l’on retourne la manche.
Tout est dit. La vertu tombe dans l’arriéré.
L’honneur est un vieux fou dans sa cave muré.
Ô grand penseur de bronze, en nos dures cervelles
Faisons entrer un peu ces morales nouvelles,
Lorsque sur la Grand’Combe ou sur le blanc de zinc
On a revendu vingt ce qu’on a payé cinq,
Sache qu’un guet-apens par où nous triomphâmes
Est juste, honnête et bon. Tout au rebours des femmes,
Sache qu’en vieillissant le crime devient beau.
Il plane cygne après s’être envolé corbeau.
Oui, tout cadavre utile exhale une odeur d’ambre.
Que vient-on nous parler d’un crime de décembre
Quand nous sommes en juin ! l’herbe a poussé dessus.
Toute la question, la voici : fils, tissus,
Cotons et sucres bruts prospèrent ; le temps passe.
Le parjure difforme et la trahison basse
En avançant en âge ont la propriété
De perdre leur bassesse et leur difformité
Et l’assassinat louche et tout souillé de lange
Change son front de spectre en un visage d’ange.

III

Et comme en même temps, dans ce travail normal,
La vertu devient faute et le bien devient mal,
Apprends que, quand Saturne a soufflé sur leur rôle,
Néron est un sauveur et Spartacus un drôle.
La raison obstinée a beau faire du bruit ;
La justice, ombre pâle, a beau, dans notre nuit,
Murmurer comme un souffle à toutes les oreilles ;
On laisse dans leur coin bougonner ces deux vieilles.
Narcisse gazetier lapide Scévola.
Accoutumons nos yeux à ces lumières-là
Qui font qu’on aperçoit tout sous un nouvel angle,
Et qu’on voit Malesherbe en regardant Delangle.
Sachons dire : Lebœuf est grand, Persil est beau
Et laissons la pudeur au fond du lavabo.

IV

Le bon, le sûr, le vrai, c’est l’or dans notre caisse.
L’homme est extravagant qui, lorsque tout s’affaisse,
Proteste seul debout dans une nation,
Et porte à bras tendu son indignation.
Que diable ! il faut pourtant vivre de l’air des rues,
Et ne pas s’entêter aux choses disparues.
Quoi ! tout meurt ici-bas, l’aigle comme le ver,
Le charançon périt sous la neige l’hiver,
Quoi ! le Pont-Neuf fléchit lorsque les eaux sont grosses,
Quoi ! mon coude est troué, quoi ! je perce mes chausses,
Quoi ! mon feutre était neuf et s’est usé depuis,
Et la vérité, maître, aurait, dans son vieux puits,
Cette prétention rare d’être éternelle !
De ne pas se mouiller quand il pleut, d’être belle
A jamais, d’être reine en n’ayant pas le sou,
Et de ne pas mourir quand on lui tord le cou !
Allons donc ! Citoyens, c’est au fait qu’il faut croire

V

Sur ce, les charlatans prêchent leur auditoire
D’idiots, de mouchards, de grecs, de philistins,
Et de gens pleins d’esprit détroussant les crétins
La Bourse rit ; la hausse offre aux badauds ses prismes ;
La douce hypocrisie éclate en aphorismes ;
C’est bien, nous gagnons gros et nous sommes contents
Et ce sont, Juvénal, les maximes du temps.
Quelque sous-diacre, éclos dans je ne sais quel bouge,
Trouva ces vérités en balayant Montrouge,
Si bien qu’aujourd’hui fiers et rois des temps nouveaux,
Messieurs les aigrefins et messieurs les dévots
Déclarent, s’éclairant aux lueurs de leur cierge,
Jeanne d’Arc courtisane et Messaline vierge.
Voilà ce que curés, évêques, talapoins,
Au nom du Dieu vivant, démontrent en trois points,
Et ce que le filou qui fouille dans ma poche
Prouve par A plus B, par Argout plus Baroche.

VI

Maître ! voilà-t-il pas de quoi nous indigner ?
A quoi bon s’exclamer ? à quoi bon trépigner ?
Nous avons l’habitude, en songeurs que nous sommes,
De contempler les nains bien moins que les grands
Même toi satirique, et moi tribun amer, [hommes ;
Nous regardons en haut, le bourgeois dit : en l’air ;
C’est notre infirmité. Nous fuyons la rencontre
Des sots et des méchants. Quand le Dombidau montre
Son crâne et que le Fould avance son menton,
J’aime mieux Jacques Coeur, tu préfères Caton
La gloire des héros, des sages que Dieu crée,
Est notre vision éternelle et sacrée ;
Eblouis, l’œil noyé des clartés de l’azur,
Nous passons notre vie à voir dans l’éther pur
Resplendir les géants, penseurs ou capitaines
Nous regardons, au bruit des fanfares lointaines,
Au-dessus de ce monde où l’ombre règne encor,
Mêlant dans les rayons leurs vagues poitrails d’or,
Une foule de chars voler dans les nuées.
Aussi l’essaim des gueux et des prostituées,
Quand il se heurte à nous, blesse nos yeux pensifs.

Soit. Mais réfléchissons. Soyons moins exclusifs.
Je hais les coeurs abjects, et toi, tu t’en défies ;
Mais laissons-les en paix dans leurs philosophies.

VII

Et puis, même en dehors de tout ceci, vraiment,
Peut-on blâmer l’instinct et le tempérament ?
Ne doit-on pas se faire aux natures des êtres ?
La fange a ses amants et l’ordure a ses prêtres ;
De la cité bourbier le vice est citoyen ;
Où l’un se trouve mal, l’autre se trouve bien ;
J’en atteste Minos et j’en fais juge Eaque,
Le paradis du porc, n’est-ce pas le cloaque ?
Voyons, en quoi, réponds, génie âpre et subtil,
Cela nous touche-t-il et nous regarde-t-il,
Quand l’homme du serment dans le meurtre patauge,
Quand monsieur Beauharnais fait du pouvoir une auge,
Si quelque évêque arrive et chante alleluia,
Si Saint-Arnaud bénit la main qui le paya,
Si tel ou tel bourgeois le célèbre et le loue,
S’il est des estomacs qui digèrent la boue ?
Quoi ! quand la France tremble au vent des trahisons,
Stupéfaits et naïfs, nous nous ébahissons
Si Parieu vient manger des glands sous ce grand chêne !
Nous trouvons surprenant que l’eau coule à la Seine,
Nous trouvons merveilleux que Troplong soit Scapin,
Nous trouvons inouï que Dupin soit Dupin !

VIII

Un vieux penchant humain mène à la turpitude.
L’opprobre est un logis, un centre, une habitude,
Un toit, un oreiller, un lit tiède et charmant,
Un bon manteau bien ample où l’on est chaudement.
L’opprobre est le milieu respirable aux immondes.
Quoi ! nous nous étonnons d’ouïr dans les deux mondes
Les dupes faisant choeur avec les chenapans,
Les gredins, les niais vanter ce guet-apens !
Mais ce sont là les lois de la mère nature.
C’est de l’antique instinct l’éternelle aventure.
Par le point qui séduit ses appétits flattés
Chaque bête se plaît aux monstruosités.
Quoi ! ce crime est hideux ! quoi ! ce crime est stupide !
N’est-il plus d’animaux pour l’admirer ? Le vide
S’est-il fait ? N’est-il plus d’êtres vils et rampants ?
N’est-il plus de chacals ? n’est-il plus de serpents ?
Quoi ! les baudets ont-ils pris tout à coup des ailes,
Et se sont-ils enfuis aux voûtes éternelles ?
De la création l’âne a-t-il disparu ?
Quand Cyrus, Annibal, César, montaient à cru
Cet effrayant cheval qu’on appelle la gloire,
Quand, ailés, effarés de joie et de victoire,
Ils passaient flamboyants au fond des cieux vermeils,
Les aigles leur craient : vous êtes nos pareils !
Les aigles leur criaient : vous portez le tonnerre !
Aujourd’hui les hiboux acclament Lacenaire.
Eh bien ! je trouve bon que cela soit ainsi.
J’applaudis les hiboux et je leur dis : merci.
La sottise se mêle à ce concert sinistre,
Tant mieux. Dans sa gazette, ô Juvénal, tel cuistre
Déclare, avec messieurs d’Arras et de Beauvais,
Mandrin très bon, et dit l’honnête homme mauvais,
Foule aux pieds les héros et vante les infâmes,
C’est tout simple ; et, vraiment, nous serions bonnes âmes
De nous émerveiller lorsque nous entendons
Les Veuillots aux lauriers préférer les chardons !

IX

Donc laissons aboyer la conscience humaine
Comme un chien qui s’agite et qui tire sa chaîne.
Guerre aux justes proscrits ! gloire aux coquins fêtés !
Et faisons bonne mine à ces réalités.
Acceptons cet empire unique et véritable.
Saluons sans broncher Trestaillon connétable,
Mingrat grand aumônier, Bosco grand électeur ;
Et ne nous fâchons pas s’il advient qu’un rhéteur,
Un homme du sénat, un homme du conclave,
Un eunuque, un cagot, un sophiste, un esclave,
Esprit sauteur prenant la phrase pour tremplin,
Après avoir chanté César de grandeur plein,
Et ses perfections et ses mansuétudes,
Insulte les bannis jetés aux solitudes,
Ces brigands qu’a vaincus Tibère Amphitryon.
Vois-tu, c’est un talent de plus dans l’histrion ;
C’est de l’art de flatter le plus exquis peut-être ;
On chatouille moins bien Henri huit, le bon maître,
En louant Henri huit qu’en déchirant Morus.
Les dictateurs d’esprit, bourrés d’éloges crus,
Sont friands, dans leur gloire et dans leurs arrogances,
De ces raffinements et de ces élégances.
Poëte, c’est ainsi que les despotes sont.
Le pouvoir, les honneurs sont plus doux quand ils ont
Sur l’échafaud du juste une fenêtre ouverte.
Les exilés, pleurant près de la mer déserte,
Les sages torturés, les martyrs expirants
Sont l’assaisonnement du bonheur des tyrans.
Juvénal, Juvénal, mon vieux lion classique,
Notre vin de Champagne et ton vin de Massique,
Les festins, les palais, et le luxe effréné,
L’adhésion du prêtre et l’amour de Phryné,
Les triomphes, l’orgueil, les respects, les caresses,
Toutes les voluptés et toutes les ivresses
Dont s’abreuvait Séjan, dont se gorgeait Rufin,
Sont meilleures à boire, ont un goût bien plus fin,
Si l’on n’est pas un sot à cervelle exiguë,
Dans la coupe où Socrate hier but la ciguë !

5 février 1853.