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Date de création : 09.08.2009
Dernière mise à jour :
31.01.2016
113496 articles
Prêtre, ta messe, écho des feux de peloton,
Est une chose impie.
Derrière toi, le bras ployé sous le menton,
Rit la mort accroupie.
Prêtre, on voit frissonner, aux cieux d’où nous venons
Les anges et les vierges,
Quand un évêque prend la mèche des canons
Pour allumer les cierges.
Tu veux être au sénat, voir ton siège élevé
Et ta fortune accrue.
Soit ; mais pour bénir l’homme, attends qu’on ait lavé
Le pavé de la rue.
Peuples, gloire à Gessler ! meure Guillaume Tell !
Un râle sort de l’orgue.
Archevêque, on a pris pour bâtir ton autel
Les dalles de la morgue.
Quand tu dis : – Te Deum ! nous vous louons, Dieu fort !
Sabaoth des armées ! -
Il se mêle à l’encens une vapeur qui sort
Des fosses mal fermées.
On a tué, la nuit, on a tué, le jour,
L’homme, l’enfant, la femme !
Crime et deuil ! Ce n’est plus l’aigle, c’est le vautour
Qui vole à Notre-Dame.
Va, prodigue au bandit les adorations
Martyrs, vous l’entendîtes !
Dieu te voit, et là-haut tes bénédictions,
Ô prêtre, sont maudites !
Les proscrits sont partis, aux flancs du ponton noir,
Pour Alger, pour Cayenne ;
Ils ont vu Bonaparte à Paris, ils vont voir
En Afrique l’hyène.
Ouvriers, paysans qu’on arrache au labour,
Le sombre exil vous fauche !
Bien, regarde à ta droite, archevêque Sibour,
Et regarde à ta gauche :
Ton diacre est Trahison et ton sous-diacre est Vol
Vends ton Dieu, vends ton âme.
Allons, coiffe ta mitre, allons, mets ton licol,
Chante, vieux prêtre infâme !
Le meurtre à tes côtés suit l’office divin,
Criant : feu sur qui bouge !
Satan tient la burette, et ce n’est pas de vin
Que ton ciboire est rouge.
Sur l’air de Malbrouck
Dans l’affreux cimetière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Dans l’affreux cimetière
Frémit le nénuphar.
Castaing lève sa pierre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Castaing lève sa pierre
Dans l’herbe de Clamar,
Et crie et vocifère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Et crie et vocifère :
Je veux être césar !
Cartouche en son suaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Cartouche en son suaire
S’écrie ensanglanté
- Je veux aller sur terre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux aller sur terre
Pour être majesté !
Mingrat monte à sa chaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Mingrat monte à sa chaire,
Et dit, sonnant le glas :
- Je veux, dans l’ombre où j’erre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux, dans l’ombre où j’erre
Avec mon coutelas,
Etre appelé : mon frère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Etre appelé : mon frère,
Par le czar Nicolas !
Poulmann, dans l’ossuaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Poulmann dans l’ossuaire
S’éveillant en fureur,
Dit à Mandrin : – Compère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Dit à Mandrin : – Compère,
Je veux être empereur !
- Je veux, dit Lacenaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux, dit Lacenaire,
Etre empereur et roi !
Et Soufflard déblatère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Et Soufflard déblatère,
Hurlant comme un beffroi :
- Au lieu de cette bière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Au lieu de cette bière,
Je veux le Louvre, moi
Ainsi, dans leur poussière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Ainsi, dans leur poussière,
Parlent les chenapans.
- Çà, dit Robert Macaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
- çà, dit Robert Macaire,
Pourquoi ces cris de paons ?
Pourquoi cette colère ?
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Pourquoi cette colère ?
Ne sommes-nous pas rois ?
Regardez, le saint-père,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Regardez, le saint-père,
Portant sa grande croix,
Nous sacre tous ensemble,
Ô misère, ô douleur, Paris tremble !
Nous sacre tous ensemble
Dans Napoléon trois !
LE SÉNAT
Vibrez, trombone et chanterelle !
Les oiseaux chantent dans les nids.
La joie est chose naturelle.
Que Magnan danse la trénis
Et Saint-Arnaud la pastourelle !
LES CAVES DE LILLE
Miserere !
Miserere !
LE CONSEIL D’ÉTAT
Des lampions dans les charmilles !
Des lampions dans les buissons !
Mêlez vous, sabres et mantilles !
Chantez en choeur, les beaux garçons !
Dansez en rond, les belles filles !
LES GRENIERS DE ROUEN
Miserere !
Miserere !
LE CORPS LÉGISLATIF
Jouissons ! l’amour nous réclame.
Chacun, pour devenir meilleur,
Cueille son miel, nourrit son âme,
L’abeille aux lèvres de la fleur,
Le sage aux lèvres de la femme !
BRUXELLES, LONDRES, BELLE-ISLE, JERSEY
Miserere !
Miserere !
L’HOTEL DE VILLE
L’empire se met aux croisées
Rions, jouons, soupons, dînons.
Des pétards aux Champs-Elysées !
A l’oncle il fallait des canons,
Il faut au neveu des fusées.
LES PONTONS
Miserere !
Miserere !
L’ARMÉE
Pas de scrupules ! pas de morgue !
A genoux ! un bedeau paraît.
Le tambour obéit à l’orgue.
Notre ardeur sort du cabaret,
Et notre gloire est à la morgue.
LAMBESSA
Miserere !
Miserere !
LA MAGISTRATURE
Mangeons, buvons, tout le conseille !
Heureux l’ami du raisin mûr,
Qui toujours, riant sous sa treille,
Trouve une grappe sur son mur
Et dans sa cave une bouteille !
CAYENNE
Miserere !
Miserere !
LES ÉVÈQUES
Jupiter l’ordonne, on révère
Le succès, sur le trône assis.
Trinquons ! Le prêtre peu sévère
Vide son âme de soucis
Et de vin vieux emplit son verre !
LE CIMETIÈRE MONTMARTRE
Miserere !
Miserere !
Ô cadavres, parlez ! quels sont vos assassins
Quelles mains ont plongé ces stylets dans vos seins ?
Toi d’abord, que je vois dans cette ombre apparaître,
Ton nom? – Religion. – Ton meurtrier? – Le prêtre.
- Vous, vos noms ? – Probité, pudeur, raison, vertu.
- Et qui vous égorgea ? – L’église. – Toi, qu’es-tu ?
- Je suis la foi publique. – Et qui t’a poignardée ?
- Le serment. – Toi, qui dors de ton sang inondée ?
- Mon nom était justice. – Et quel est ton bourreau ?
- Le juge. – Et toi, géant, sans glaive en ton fourreau ?
Et dont la boue éteint l’auréole enflammée ?
- Je m’appelle Austerlitz. – Qui t’a tué ? – L’armée.
Sa grandeur éblouit l’histoire.
Quinze ans, il fut
Le dieu que traînait la victoire
Sur un affût ;
L’Europe sous la loi guerrière
Se débattit. -
Toi, son singe, marche derrière,
Petit, petit.
Napoléon dans la bataille,
Grave et serein,
Guidait à travers la mitraille
L’aigle d’airain.
Il entra sur le pont d’Arcole,
Il en sortit. -
Voici de l’or, viens, pille et vole,
Petit, petit.
Berlin, Vienne, étaient ses maîtresses ;
Il les forçait,
Leste, et prenant les forteresses
Par le corset.
Il triompha de cent bastilles
Qu’il investit. -
Voici pour toi, voici des filles,
Petit, petit.
Il passait les monts et les plaines,
Tenant en main
La palme, la foudre, et les rênes
Du genre humain ;
Il était ivre de sa gloire
Qui retentit. -
Voici du sang, accours, viens boire,
Petit, petit.
Quand il tomba, lâchant le monde,
L’immense mer
Ouvrit à sa chute profonde
Son gouffre amer ;
Il y plongea, sinistre archange,
Et s’engloutit. -
Toi, tu te noieras dans la fange,
Petit, petit.
A quoi ce proscrit pense-t-il
A son champ d’orge ou de laitue,
A sa charrue, à son outil,
A la grande France abattue.
Hélas ! le souvenir le tue.
Pendant qu’on rente les Dupin
Le pauvre exilé souffre et prie.
- On ne peut pas vivre sans pain ;
On ne peut pas non plus vivre sans la patrie.
L’ouvrier rêve l’atelier,
Et le laboureur sa chaumière,
Les pots de fleurs sur l’escalier,
Le feu brillant, la vitre claire,
Au fond le lit de la grand’mère.
Quatre gros glands de vieux crépin
En faisaient la coquetterie.
- On ne peut pas vivre sans pain
On ne peut pas non plus vivre sans la patrie. -
En mai volait la mouche à miel
On voyait courir dans les seigles
Les moineaux, partageux du ciel
Ils pillaient nos champs, ces espiègles,
Tout comme s’ils étaient des aigles.
Un château du temps de Pépin
Croulait près de la métairie.
- On ne peut pas vivre sans pain ;
On ne peut pas non plus vivre sans la patrie. -
Avec sa lime ou son maillet
On soutenait enfants et femme
De l’aube au soir on travaillait
Et le travail égayait l’âme.
Ô saint travail ! lumière et flamme !
De Watt, de Jacquart, de Papin,
La jeunesse ainsi fut nourrie.
- On ne peut pas vivre sans pain ;
On ne peut pas non plus vivre sans la patrie. -
Les jours de fête, l’ouvrier
Laissait les soucis en fourrière
Chantant les chants de février,
Blouse au vent, casquette en arrière,
On s’en allait à la barrière.
On mangeait un douteux lapin
Et l’on buvait à la Hongrie.
- On ne peut pas vivre sans pain ;
On ne peut pas non plus vivre sans la patrie. -
Les dimanches le paysan
Appelait Jeanne ou Jacqueline,
Et disait : « Femme, viens-nous-en,
Mets ta coiffe de mousseline ! »
Et l’on dansait sur la colline.
Le sabot, et non l’escarpin,
Foulait gaîment l’herbe fleurie !
- On ne peut pas vivre sans pain ;
On ne peut pas non plus vivre sans la patrie. -
Les exilés s’en vont pensifs.
Leur âme, hélas ! n’est plus entière.
Ils regardent l’ombre des ifs
Sur les fosses du cimetière ;
L’un songe à l’Allemagne altière,
L’autre au beau pays transalpin,
L’autre à sa Pologne chérie.
- On ne peut pas vivre sans pain ;
On ne peut pas non plus vivre sans la patrie. -
Un proscrit, lassé de souffrir,
Mourait ; calme, il fermait son livre ;
Et je lui dis : « Pourquoi mourir ?
Il me répondit : « Pourquoi vivre ? »
Puis il reprit :
Je me délivre.
Adieu ! je meurs. Néron-Scapin
Met aux fers la France flétrie… »
- On ne peut pas vivre sans pain ;
On ne peut pas non plus vivre sans la patrie. -
« … Je meurs de ne plus voir les champs
Où je regardais l’aube naître,
De ne plus entendre les chants
Que j’entendais de ma fenêtre.
Mon âme est où je ne puis être.
Sous quatre planches de sapin,
Enterrez-moi dans la prairie. »
- On ne peut pas vivre sans pain ;
On ne peut pas non plus vivre sans la patrie. -
Nous nous promenions parmi les décombres
A Rozel-Tower,
Et nous écoutions les paroles sombres
Que disait la mer.
L’énorme océan, – car nous entendîmes
Ses vagues chansons, -
Disait : « Paraissez, vérités sublimes
Et bleus horizons !
» Le monde captif, sans lois et sans règles,
Est aux oppresseurs
Volez dans les cieux, ailes des grands aigles,
Esprits des penseurs !
» Naissez, levez-vous sur les flots sonores,
Sur les flots vermeils,
Traites dans la nuit poindre vos aurores,
Peuples et soleils !
Vous, laissez passer la foudre et la brume,
Les vents et les cris,
Affrontez l’orage, affrontez l’écume,
Rochers et proscrits !
Air breton
Adieu, patrie !
L’onde est en furie.
Adieu, patrie !
Azur !
Adieu, maison, treille au fruit mûr,
Adieu, les fleurs d’or du vieux mur !
Adieu, patrie !
Ciel, forêt, prairie !
Adieu, patrie,
Azur !
Adieu, patrie !
L’onde est en furie.
Adieu, patrie,
Azur !
Adieu, fiancée au front pur,
Le ciel est noir, le vent est dur.
Adieu, patrie !
Lise, Anna, Marie !
Adieu, patrie,
Azur !
Adieu, patrie !
L’onde est cri furie.
Adieu, patrie,
Azur !
Notre oeil, que voile un deuil futur,
Va du flot sombre au sort obscur !
Adieu, patrie !
Pour toi mon coeur prie.
Adieu, patrie,
Azur !
o
Le Progrès calme et fort, et toujours innocent,
Ne sait pas ce que c’est que de verser le sang.
Il règne, conquérant désarmé ; quoi qu’on fasse,
De la hache et du glaive il détourne sa face,
Car le doigt éternel écrit dans le ciel bleu
Que la terre est à l’homme et que l’homme est à Dieu ;
Car la force invincible est la force impalpable. -
Peuple, jamais de sang ! – Vertueux ou coupable,
Le sang qu’on a versé monte des mains au front.
Quand sur une mémoire, indélébile affront,
Il jaillit, plus d’espoir ; cette fatale goutte
Finit par la couvrir et la dévorer toute ;
Il n’est pas dans l’histoire une tache de sang
Qui sur les noirs bourreaux n’aille s’élargissant.
Sachons-le bien, la honte est la meilleure tombe.
Le même homme sur qui son crime enfin retombe
Sort sanglant du sépulcre et fangeux du mépris.
Le bagne dédaigneux sur les coquins flétris
Se ferme, et tout est dit ; l’obscur tombeau se rouvre.
Qu’on le fasse profond et muré, qu’on le couvre
D’une dalle de marbre et d’un plafond massif,
Quand vous avez fini, le fantôme pensif
Lève du front la pierre et lentement se dresse.
Mettez sur ce tombeau toute une forteresse,
Tout un mont de granit, impénétrable et sourd,
Le fantôme est plus fort que le granit n’est lourd.
Il soulève ce mont comme une feuille morte.
Le voici, regardez, il sort ; il faut qu’il sorte,
Il faut qu’il aille et marche et traîne son linceul
Il surgit devant vous dès que vous êtes seul ;
Il dit : c’est moi ; tout vent qui souffle vous l’apporte ;
La nuit, vous l’entendez qui frappe à votre porte.
Les exterminateurs, avec ou sans le droit,
Je les hais, mais surtout je les plains. On les voit,
A travers l’âpre histoire où le vrai seul demeure,
Pour s’être délivrés de leurs rivaux d’une heure,
D’ennemis innocents, ou même criminels,
Fuir dans l’ombre entourés de spectres éternels.
Les ChâtimentsUn jour, Dieu sur sa table
Jouait avec le diable
Du genre humain haï.
Chacun tenait sa carte
L’un jouait Bonaparte,
Et l’autre Mastaï.
Un pauvre abbé bien mince !
Un méchant petit prince,
Polisson hasardeux !
Quel enjeu pitoyable !
Dieu fit tant que le diable
Les gagna tous les deux.
« Prends ! cria Dieu le père,
Tu ne sauras qu’en faire ! »
Le diable dit ! « Erreur ! »
Et, ricanant sous cape,
Il fit de l’un un pape,
De l’autre un empereur.