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Date de création : 24.08.2008
Dernière mise à jour : 04.08.2023
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choix

Publié à 10:11 par fandeloup Tags : article blog vie roman enfants histoire sur nuit douceur place
choix

Le « choix de Sophie » d'une vache laitière

Les vaches, comme les humains et tous les autres mammifères, ne produisent du lait que lorsqu'elles ont enfanté. En élevage, chaque année les vaches « laitières » sont inséminées pour donner naissance à un veau.

Mère et nouveau-né sont séparés après 24h, malgré l'intensité du lien qui les unit. Le récit ci-dessous raconte l'histoire d'une vache ayant donné naissance à des jumeaux et qui tenta de garder l'un de ses petits, en effectuant un choix similaire à celui du personnage de Sophie dans le roman de William Styron, “Le choix de Sophie”.

Devant la menace de perdre ses deux enfants dans un camp d'extermination, Sophie avait été contrainte d'en livrer un dans l'espoir de sauver l'autre. Les vaches laitières sont des mamans privées de leurs petits. Avant le verre de lait, il y a la douleur d'une mère et la détresse d'un nouveau-né.

vache et veau, une famille Par le vétérinaire Holly Cheever

" J'aimerais vous raconter une histoire touchante et vraie. Après avoir obtenu mon diplôme à l'école vétérinaire de Cornell, j'ai fréquemment exercé dans les exploitations laitières de Cortland. J'y étais appréciée du fait de la douceur de mes interventions sur les vaches. L'un de mes clients me sollicita un jour pour résoudre un mystère : la veille, dans une prairie, l'une de ses vaches Brune des Alpes avait mis bas pour la cinquième fois dans sa vie.

Une fois rentrée à la ferme avec son nouveau-né, son veau lui fut retiré, et elle, conduite en salle de traite. Mais son pis était vide, et il le resta pendant plusieurs jours. Après la naissance de son veau, cette vache aurait dû produire près de 47 litres de lait par jour.

Cependant, et en dépit du fait qu'elle se portait bien par ailleurs, son pis restait vide. Elle partait au pré le matin après la première traite, revenait pour la traite du soir, et restait la nuit en prairie – c'était un temps où les bovins étaient autorisés à profiter un minimum de certains plaisirs au cours de leur vie – mais jamais son pis n'était gorgé de lait comme celui d'une vache qui a mis bas. Je fus appelée deux fois sur place pendant la première semaine suivant son accouchement, mais je ne trouvai aucune explication.

Finalement, le onzième jour, l'éleveur m'appela : il avait trouvé la réponse : la vache avait donné naissance à des jumeaux, et par un « choix de Sophie », elle avait livré l'un de ses veaux à l'éleveur et gardé l'autre dans un bois en bordure de prairie. Chaque jour et chaque nuit, elle retrouvait et nourrissait son petit – le seul qu'elle ait jamais pu garder auprès d'elle.

Malgré mes efforts pour convaincre l'éleveur de laisser la mère et son petit ensemble, il lui fut enlevé et envoyé dans l'enfer des box à veaux. Pensez un instant au raisonnement complexe élaboré par cette maman.

Premièrement, elle se rappelait la perte de ses précédents petits et la conséquence de rentrer avec eux à la ferme : ne plus jamais les revoir (une situation déchirante pour toute mère mammifère).

Deuxièmement, elle formule un plan et l'exécute : si ramener son veau à la ferme signifie le perdre inévitablement, alors elle installera et cachera son autre petit dans les bois, comme les biches, jusqu'à son retour.

Troisièmement – et je ne sais comment l'expliquer – au lieu de cacher les deux veaux, ce qui aurait attiré la suspicion de l'éleveur (une vache gestante quittant la ferme le soir, la même vache revenant au matin non-gestante mais sans progéniture), elle lui en a donné un et gardé l'autre. J'ignore comment elle a pu faire cela – il aurait été plus probable qu'une maman désespérée tente de cacher ses deux petits.

Tout ce que je sais, c'est qu'il se passe derrière ces yeux magnifiques beaucoup plus de choses que nous, humains, n'avons jamais voulu voir. En tant que maman, qui ai pu élever mes trois enfants, et n'ai pas eu à souffrir de la perte d'un seul d'entre eux, je ressens sa douleur."