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Date de création : 13.04.2009
Dernière mise à jour :
15.10.2017
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L'oiseau Bleu - Illustration de Vittorio Accornero
Cette nouveauté étonna si fort Truitonne, qu’elle s’écria deux ou trois fois :
« Mie-Souillon, Mie-Souillon, veux-tu cinq sous du carrosse et de ton attelage souriquois ?
- Demandez aux gens de lettres et aux docteurs de ce royaume, dit Florine, ce qu’une telle merveille peut valoir, et je m’en rapporterai à l’estimation du plus savant. »
Truitonne, qui était absolue en tout, lui répliqua : « Sans m’importuner plus longtemps de ta crasseuse présence, dis-m’en le prix.
- Dormir encore dans le cabinet des Échos, dit-elle, est tout ce que je demande.
- Va, pauvre bête, répliqua Truitonne, tu n’en seras pas refusée » ; et se tournant vers ses dames : « Voilà une sotte créature, dit-elle, de retirer si peu d’avantages de ses raretés. »
La nuit vint. Florine dit tout ce qu’elle put imaginer de plus tendre, et elle le dit aussi inutilement qu’elle l’avait déjà fait, parce que le roi ne manquait jamais de prendre son opium. Les valets de chambre disaient entre eux :
« Sans doute que cette paysanne est folle : qu’est-ce qu’elle raisonne toute la nuit ?
- Avec cela, disaient les autres, il ne laisse pas d’y avoir de l’esprit et de la passion dans ce qu’elle conte. »
Elle attendait impatiemment le jour, pour voir quel effet ses discours auraient produit. « Quoi ! ce barbare est devenu sourd à ma voix ! disait-elle. Il n’entend plus sa chère Florine ? Ah ! quelle faiblesse de l’aimer encore ! que je mérite bien les marques de mépris qu’il me donne ! »
Mais elle y pensait inutilement, elle ne pouvait se guérir de sa tendresse. Il n’y avait plus qu’un œuf dans son sac dont elle dût espérer du secours ; elle le cassa : il en sortit un pâté de six oiseaux qui étaient bardés, cuits et fort bien apprêtés ; avec cela ils chantaient merveilleusement bien, disaient la bonne aventure, et savaient mieux la médecine qu’Esculape. La reine resta charmée d’une chose si admirable ; elle alla avec son pâté parlant dans l’antichambre de Truitonne.
Comme elle attendait qu’elle passât, un des valets de chambre du roi s’approcha d’elle et lui dit :
« Ma Mie-Souillon, savez-vous bien que, si le roi ne prenait pas de l’opium pour dormir, vous l’étourdiriez assurément ? car vous jasez la nuit d’une manière surprenante. »
Florine ne s’étonna plus de ce qu’il ne l’avait pas entendue ; elle fouilla dans son sac et lui dit :
« Je crains si peu d’interrompre le repos du roi, que, si vous voulez ne point lui donner d’opium ce soir, en cas que je couche dans ce même cabinet, toutes ces perles et tous ces diamants seront pour vous. »
Le valet de chambre y consentit et lui en donna sa parole.
A quelques moments de là, Truitonne vint ; elle aperçut la reine avec son pâté, qui feignait de le vouloir manger : « Que fais-tu là, Mie-Souillon ? lui dit-elle.
- Madame, répliqua Florine, je mange des astrologues, des musiciens et des médecins. »
En même temps tous les oiseaux se mettent à chanter plus mélodieusement que des sirènes ; puis ils s’écrièrent : « Donnez la pièce blanche et nous vous dirons votre bonne aventure. » Un canard, qui dominait, dit plus haut que les autres : « Can, can, can, je ,suis médecin, je guéris de tous les maux et de toute sorte de folie, hormis de celle d’amour. »
Truitonne, plus surprise de tant de merveilles qu’elle l’eût été de ses jours, jura « Par la vertu-chou, voilà un excellent pâté ! je le veux avoir ; çà, çà, Mie-SouilIon, que t’en donnerai-je ?
- Le prix ordinaire, dit-elle : coucher dans le cabinet des Échos, et rien davantage.
- Tiens, dit généreusement Truitonne (car elle était de belle humeur par l’acquisition d’un tel pâté), tu en auras une pistole. »
Florine, plus contente qu’elle l’eût encore été, parce qu’elle espérait que le roi l’entendrait, se retira en la remerciant.
Dès que la nuit parut, elle se fit conduire dans le cabinet, souhaitant avec ardeur que le valet de chambre lui tînt parole, et qu’au lieu de donner de l’opium au roi il lui présentât quelque autre chose qui pût le tenir éveillé. Lorsqu’elle crut que chacun s’était endormi, elle commença ses plaintes ordinaires. « A combien de périls me suis-je exposée, disait-elle, pour te chercher, pendant que tu me fuis et que tu veux épouser Truitonne. Que t’ai-je donc fait, cruel, pour oublier tes serments ? Souviens-toi de ta métamorphose, de mes bontés, de nos tendres conversations. » Elle les répéta presque toutes, avec une mémoire qui prouvait assez que rien ne lui était plus cher que ce souvenir.
Le roi ne dormait point, et il entendait si distinctement la voix de Florine et toutes ses paroles, qu’il ne pouvait comprendre d’où elles venaient ; mais son cœur, pénétré de Tendresse. lui rappela si vivement l’idée de son incomparable princesse qu’il sentit sa séparation avec la même douleur qu’au moment où les couteaux l’avaient blessé sur le cyprès. Il se mit à parler de son côté comme la reine avait fait du sien : « Ah ! princesse, dit-il, trop cruelle pour un amant qui vous adorait ! est-il possible que vous m’ayez sacrifié à nos communs ennemis ! »
Florine entendit ce qu’il disait, et ne manqua pas de lui répondre et de lui apprendre que, s’il voulait entretenir la Mie-Souillon, il serait éclairci de tous les mystères qu’il n’avait pu pénétrer jusqu’alors. À ces mots, le roi, impatient, appela un de ses valets de chambre et lui demanda s’il ne pouvait point trouver Mie-Souillon et l’amener. Le valet de chambre répliqua que rien n’était plus aisé, parce qu’elle couchait dans le cabinet des Échos.
Le roi ne savait qu’imaginer. Quel moyen de croire qu’une si grande reine que Florine fût déguisée en souillon ? Et quel moyen de croire que Mie-Souillon eût la voix de la reine et sût des secrets si particuliers, à moins que ce ne fût elle-même ? Dans cette incertitude il se leva, et, s’habillant avec précipitation, il descendit par un degré dérobé dans le cabinet des Échos, dont la reine avait ôté la clef, mais le roi en avait une qui ouvrait toutes les portes du palais.
L'oiseau Bleu - Illustration de Vittorio Accornero
Il la trouva avec une légère robe de taffetas blanc, qu’elle portait sous ses vilains habits ; ses beaux cheveux couvraient ses épaules ; elle était couchée sur un lit de repos, et une lampe un peu éloignée ne rendait qu’une lumière sombre. Le roi entra tout d’un coup ; et, son amour l’emportant sur son ressentiment, dès qu’il la reconnut il vint se jeter à ses pieds, il mouilla ses mains de ses larmes et pensa mourir de joie, de douleur et de mille pensées différentes qui lui passèrent en même temps dans l’esprit.
La reine ne demeura pas moins troublée ; son cœur se serra, elle pouvait à peine soupirer. Elle regardait fixement le roi sans lui rien dire ; et, quand elle eut la force de lui parler, elle n’eut pas celle de lui faire des reproches ; le plaisir de le revoir lui fit oublier pour quelque temps les sujets de plainte qu’elle croyait avoir. Enfin, ils s’éclaircirent, ils se justifièrent ; leur tendresse se réveilla ; et tout ce qui les embarrassait, c’était la fée Soussio.
Mais dans ce moment, l’enchanteur, qui aimait le roi, arriva avec une fée fameuse : c’était justement celle qui donna les quatre œufs à Florine. Après les premiers compliments, l’enchanteur et la fée déclarèrent que, leur pouvoir étant uni en faveur du roi et de la reine, Soussio ne pouvait rien contre eux, et qu’ainsi leur mariage ne recevrait aucun retardement.
Il est aisé de se figurer la joie de ces deux jeunes amants : dès qu’il fut jour, on la publia dans tout le palais, et chacun était ravi de voir Florine. Ces nouvelles allèrent jusqu’à Truitonne ; elle accourut chez le roi ; quelle surprise d’y trouver sa belle rivale ! Dès qu’elle voulut ouvrir la bouche pour lui dire des injures, l’enchanteur et la fée parurent, qui la métamorphosèrent en truie, afin qu’il lui restât au moins une partie de son nom et de son naturel grondeur. Elle s’enfuit toujours grognant jusque dans la basse-cour, où de longs éclats de rire que l’on fit sur elle achevèrent de la désespérer.
Le roi Charmant et la reine Florine, délivrés d’une personne si odieuse, ne pensèrent plus qu’à la fête de leurs noces ; la galanterie et la magnificence y parurent également ; il est aisé de juger de leur félicité, après de si longs malheurs.
Belle aux cheveux d'or -Conte de Madame d'Aulnoy
Illustration de Vittorio Accornero
Il était une fois la fille d'un roi qui était si belle, qu'il n'y avait rien de si beau au monde. On la nommait la Belle aux Cheveux d'Or car ses cheveux étaient plus fins que de l'or, et blonds par merveille, tout frisés, qui lui tombaient jusque sur les pieds. Elle allait toujours couverte de ses cheveux bouclés, avec une couronne de fleurs sur la tête et des habits brochés de diamants et de perles, si bien qu'on ne pouvait la voir sans l'aimer.
Il y avait un jeune roi de ses voisins qui n'était point marié, et qui était bien fait et bien riche. Quand il eut appris tout ce qu'on disait de la Belle aux Cheveux d'Or, bien qu'il ne l'eût point encore vue, il se prit à l'aimer si fort, qu'il en perdait le boire et le manger, et il se résolut de lui envoyer un ambassadeur pour la demander en mariage.
Illustration de Vittorio Accornero
Il fit faire un carrosse magnifique à son ambassadeur ; il lui donna plus de cent chevaux et cent laquais, et lui recommanda bien de lui amener la princesse.
Quand il eut pris congé du roi et qu'il fut parti, toute la cour ne parlait d'autre chose ; et le roi, qui ne doutait pas que la Belle aux Cheveux d'Or ne consentît à ce qu'il souhaitait, lui faisait déjà faire de belles robes et des meubles admirables. Pendant que les ouvriers étaient occupés à travailler, l'ambassadeur, arrivé chez la Belle aux Cheveux d'Or, lui fit son petit message. Mais, soit qu'elle ne fût pas ce jour-là de bonne humeur, ou que le compliment ne lui semblât pas à son gré, elle répondit à l'ambassadeur qu'elle remerciait le roi, mais qu'elle n'avait point envie de se marier.
L'ambassadeur partit de la cour de cette princesse, bien triste de ne pas l'amener avec lui ; il rapporta tous les présents qu'il lui avait portés de la part du roi : car elle était fort sage, et savait bien qu'il ne faut pas que les filles reçoivent rien des garçons. Aussi elle ne voulut jamais accepter les beaux diamants et le reste ; et, pour ne pas mécontenter le roi, elle prit seulement un quarteron d'épingles d'Angleterre.
Quand l'ambassadeur arriva à la grande ville du roi, où il était attendu si impatiemment, chacun s'affligea de ce qu'il n'amenait point la Belle aux Cheveux d'Or. Le roi se mit à pleurer comme un enfant : on le consolait sans en pouvoir venir à bout.
Illustration de Vittorio Accornero
Il y avait un jeune garçon à la cour qui était beau comme le soleil, et le mieux fait de tout le royaume : à cause de sa bonne grâce et de son esprit, on le nommait Avenant. Tout le monde l'aimait, hors les envieux, qui étaient fâchés que le roi lui fît du bien et qu'il lui confiât tous les jours ses affaires.
Avenant se trouva avec des personnes qui parlaient du retour de l'ambassadeur, et qui disaient qu'il n'avait rien fait qui vaille. Il leur dit, sans y prendre garde : «Si le roi m'avait envoyé vers la Belle aux Cheveux d'Or, je suis certain qu'elle serait venue avec moi.»
Tout aussitôt ces méchantes gens vont dire au roi: «Sire, vous ne savez pas ce que dit Avenant ? Que, si vous l'aviez envoyé chez la Belle aux Cheveux d'Or, il l'aurait ramenée. Considérez bien sa malice, il prétend être plus beau que vous, et qu'elle l'aurait tant aimé, qu'elle l'aurait suivi partout.»
Voilà le roi qui se met en colère, en colère tant et tant, qu'il était hors de lui. «Ha ! Ha! dit-il, ce joli mignon se moque de mon malheur, et il se prise plus que moi. Allons, qu'on le mette dans ma grosse tour, et qu'il y meure de faim !»
Les gardes du roi furent chez Avenant, qui ne pensait plus à ce qu'il avait dit. Ils le traînèrent en prison et lui firent mille maux. Ce pauvre garçon n'avait qu'un peu de paille pour se coucher et il serait mort sans une petite fontaine qui coulait dans le pied de la tour, dont il buvait un peu pour se rafraîchir: car la faim lui avait bien séché la bouche.Un jour qu'il n'en pouvait plus, il disait en soupirant : «De quoi se plaint le roi ? Il n'a point de sujet qui lui soit plus fidèle que moi, je ne l'ai jamais offensé.» Le roi, par hasard, passait près de la tour : quand il entendit la voix de celui qu'il avait tant aimé, il s'arrêta pour l'écouter, malgré ceux qui étaient avec lui, qui haïssaient Avenant et qui disaient au roi : «À quoi vous amusez-vous, sire ! Ne savez-vous pas que c'est un fripon ?» Le roi répondit : «Laissez-moi là, je veux l'écouter.» Ayant ouï ses plaintes, les larmes lui vinrent aux yeux.
Illustration de Vittorio Accornero
Il ouvrit la porte de la tour et l'appela. Avenant vint tout triste se mettre à genoux devant lui, et baisa ses pieds: «Que vous ai-je fait, sire, lui dit-il, pour me traiter si durement ?
— Tu t'es moqué de moi et de mon ambassadeur, dit le roi. Tu as dit que, si je t'avais envoyé chez la Belle aux Cheveux d'Or, tu l'aurais bien amenée.
— Il est vrai, sire, répondit Avenant, que je lui aurais si bien fait connaître vos grandes qualités, que je suis persuadé qu'elle n'aurait pu s'en défendre ; et en cela je n'ai rien dit qui ne vous dût être agréable.»Le roi trouva qu'effectivement il n'avait point de tort ; il regarda de travers ceux qui lui avaient dit du mal de son favori, et il l'emmena avec lui, se repentant bien de la peine qu'il lui avait faite.
Après l'avoir fait souper à merveille, il l'appela dans son cabinet, et lui dit : «Avenant, j'aime toujours la Belle aux Cheveux d'Or, ses refus ne m'ont point rebuté ; mais je ne sais comment m'y prendre pour qu'elle veuille m'épouser : j'ai envie de t'y envoyer pour voir si tu pourras réussir.»
Avenant répliqua qu'il était disposé à lui obéir en toutes choses, et qu'il partirait dès le lendemain. «Oh ! dit le roi, je veux te donner un grand équipage.
— Cela n'est point nécessaire, répondit-il ; il ne me faut qu'un bon cheval, avec des lettres de votre part.»
Le roi l'embrassa, car il était ravi de le voir sitôt prêt.Ce fut le lundi matin qu'il prit congé du roi et de ses amis, pour aller à son ambassade tout seul, sans pompe et sans bruit. Il ne faisait que rêver aux moyens d'engager la Belle aux Cheveux d'Or à épouser le roi. Il avait une écritoire dans sa poche, et, quand il lui venait quelque belle pensée à mettre dans sa harangue, il descendait de cheval et s'asseyait sous des arbres pour écrire, afin de ne rien oublier.
Illustration de Vittorio Accornero
Un matin qu'il était parti à la petite pointe du jour, en passant dans une grande prairie, il lui vint une pensée fort jolie ; il mit pied à terre, et se plaça contre des saules et des peupliers qui étaient plantés le long d'une petite rivière qui coulait au bord du pré. Après qu'il eut écrit, il regarda de tous côtés, charmé de se trouver en un si bel endroit.
Il aperçut sur l'herbe une grosse carpe dorée qui bâillait et qui n'en pouvait plus, car, ayant voulu attraper de petits moucherons, elle avait sauté si hors de l'eau, qu'elle s'était élancée sur l'herbe, où elle était près de mourir. Avenant en eut pitié ; et, quoiqu'il fût jour maigre et qu'il eût pu l'emporter pour son dîner, il fut la prendre et la remit doucement dans la rivière. Dès que ma commère la carpe sent la fraîcheur de l'eau, elle commence à se réjouir, et se laisse couler jusqu'au fond ; puis revenant toute gaillarde au bord de la rivière : «Avenant, dit-elle, je vous remercie du plaisir que vous venez de me faire ; sans vous je serais morte, et vous m'avez sauvée ; je vous le revaudrai.» Après ce petit compliment, elle s'enfonça dans l'eau ; et Avenant demeura bien surpris de l'esprit et de la grande civilité de la carpe.
Illustration de Vittorio Accornero
Un autre jour qu'il continuait son voyage, il vit un corbeau bien embarrassé : ce pauvre oiseau était poursuivi par un gros aigle (grand mangeur de corbeaux) : il était près de l'attraper, et il l'aurait avalé comme une lentille, si Avenant n'eût éprouvé de la compassion pour cet oiseau. «Voilà, dit-il, comme les plus forts oppriment les plus faibles : quelle raison a l'aigle de manger le corbeau ?» Il prend son arc qu'il portait toujours, et une flèche, puis, visant bien l'aigle, croc ! Il lui décoche la flèche dans le corps et le perce de part en part.
L'aigle tombe mort, et le corbeau, ravi, vient se percher sur un arbre. «Avenant, lui dit-il, vous êtes bien généreux de m'avoir secouru, moi qui ne suis qu'un misérable corbeau ; mais je ne demeurerai point ingrat, je vous le revaudrai.» Avenant admira le bon esprit du corbeau et continua son chemin. En entrant dans un grand bois, si matin qu'il ne voyait qu'à peine son chemin, il entendit un hibou qui criait en hibou désespéré. «Ouais ! dit-il, voilà un hibou bien affligé ; il pourrait s'être laissé prendre dans quelque filet.» Il chercha de tous côtés, et enfin il trouva de grands filets que des oiseleurs avaient tendus la nuit pour attraper des oisillons. «Quelle pitié dit-il ; les hommes ne sont faits que pour s'entre-tourmenter, ou pour persécuter de pauvres animaux qui ne leur font ni tort ni dommage.»
Illustration de Vittorio Accornero
Il tira son couteau et coupa les cordelettes. Le hibou prit l'essor ; mais, revenant à tire-d'aile : «Avenant, dit-il, il n'est pas nécessaire que je vous fasse une longue harangue pour vous faire comprendre l'obligation que je vous ai ; elle parle assez d'elle-même : les chasseurs allaient venir, j'étais pris, j'étais mort sans votre secours. J'ai le cœur reconnaissant, je vous le revaudrai.»
Voilà les trois plus considérables aventures qui arrivèrent à Avenant dans son voyage. Il était si pressé d'arriver, qu'il ne tarda pas à se rendre au palais de la Belle aux Cheveux d'Or. Tout y était admirable ; l'on y voyait les diamants entassés comme des pierres ; les beaux habits, le bonbon, l'argent ; c'étaient des choses merveilleuses : et il pensait en lui-même que, si elle quittait tout cela pour venir chez le roi son maître, il faudrait qu'il ait bien de la chance.
Il prit un habit de brocart, des plumes incarnates et blanches ; il se peignit, se poudra, se lava le visage, mit une riche écharpe toute brodée à son cou, avec un petit panier, et dedans un beau petit chien, qu'il avait acheté en passant à Bologne. Avenant était si bien fait, si aimable, il faisait toute chose avec tant de grâce, que, lorsqu'il se présenta à la porte du palais, tous les gardes lui firent une grande révérence ; et l'on courut dire à la Belle aux Cheveux d'Or qu'Avenant, ambassadeur du roi son plus proche voisin, demandait à la voir. Sur ce nom d'Avenant, la princesse dit : «Je gagerais qu'il est joli et qu'il plaît à tout le monde.
— Vraiment oui, madame, lui dirent toutes ses filles d'honneur : nous l'avons vu du grenier où nous accommodions votre filasse, et tant qu'il est demeuré sous les fenêtres nous n'avons pu rien faire.
— Voilà qui est beau, répliqua la Belle aux Cheveux d'Or, de vous amuser à regarder les garçons ! Çà, que l'on me donne ma grande robe de satin bleu brodée, et que l'on éparpille bien mes blonds cheveux ; que l'on me fasse des guirlandes de fleurs nouvelles ; que l'on me donne mes souliers hauts et mon éventail ; que l'on balaie ma chambre et mon trône : car je veux qu'il dise partout que je suis vraiment la Belle aux Cheveux d'Or.»
Voilà toutes ses femmes qui s'empressaient de la parer comme une reine. Elles montraient tant de hâte qu'elles se heurtaient et n'avançaient guère. Enfin la princesse passa dans sa galerie aux grands miroirs, pour voir si rien ne lui manquait. Puis elle monta sur son trône d'or, d'ivoire et d'ébène qui sentait comme un baume, et elle commanda à ses filles de prendre des instruments et de chanter tout doucement pour n'étourdir personne.
On conduisit Avenant dans la salle d'audience. Il demeura si transporté d'admiration, qu'il a dit depuis bien des fois qu'il ne pouvait presque parler. Néanmoins il reprit courage et fit sa harangue à merveille : il pria la princesse qu'il n'eût pas le déplaisir de s'en retourner sans elle.
Illustration de Vittorio Accornero
«Gentil Avenant, lui dit-elle, toutes les raisons que vous venez de me conter sont fort bonnes, et je vous assure que je serais bien aise de vous favoriser plus qu'un autre. Mais il faut que vous sachiez qu'il y a un mois je fus me promener sur la rivière avec toutes mes dames ; et comme l'on me servit ma collation, en ôtant mon gant je tirai de mon doigt une bague qui tomba par malheur dans la rivière. Je la chérissais plus que mon royaume. Je vous laisse à juger de quelle affliction cette perte fut suivie. J'ai fait serment de n'écouter jamais aucune proposition de mariage, que l'ambassadeur qui me proposera un époux ne me rapporte ma bague. Voyez à présent ce que vous avez à faire là-dessus car quand vous me parleriez quinze jours et quinze nuits, vous ne me persuaderiez pas de changer de sentiment.»
Avenant demeura bien étonné de cette réponse. Il lui fit une profonde révérence et la pria de recevoir le petit chien, le panier et l'écharpe ; mais elle lui répliqua qu'elle ne voulait point de présents, et qu'il songeât à ce qu'elle venait de lui dire. Quand il fut retourné chez lui, il se coucha sans souper. Son petit chien, qui s'appelait Cabriole, ne voulut pas souper non plus : il vint se mettre auprès de lui. De toute la nuit, Avenant ne cessa point de soupirer. «Où puis-je prendre une bague tombée depuis un mois dans une grande rivière ? Disait-il : c'est folie d'essayer. La princesse ne m'a dit cela que pour me mettre dans l'impossibilité de lui obéir.» Il soupirait et s'affligeait très fort. Cabriole, qui l'écoutait, lui dit : «Mon cher maître, je vous prie, ne désespérez point de votre bonne fortune : vous êtes trop aimable pour n'être pas heureux. Allons, dès qu'il fera jour, au bord de la rivière.» Avenant lui donna deux petits coups de la main et ne répondit rien ; mais, tout accablé de tristesse, il s'endormit. Cabriole, voyant le jour, cabriola tant qu'il l'éveilla, et lui dit : «Mon maître, habillez-vous et sortons.» Avenant le voulut bien. Il se lève, s'habille et descend dans le jardin, et du jardin il va insensiblement au bord de la rivière, où il se promenait son chapeau sur les yeux et ses bras croisés l'un sur l'autre, ne pensant qu'à son départ, quand tout d'un coup il entendit qu'on l'appelait : «Avenant ! Avenant !» Il regarde de tous côtés et ne voit personne ; il crut rêver. Il continue sa promenade ; on le rappelle : «Avenant ! Avenant !
— Qui m'appelle ?» dit-il.
Cabriole, qui était fort petit, et qui regardait de près l'eau, lui répliqua : « Ne me croyez jamais, si ce n'est une carpe dorée que j'aperçois.»
Aussitôt la grosse carpe paraît et lui dit : «vous m'avez sauvé la vie dans le pré des Aliziers, où je serais restée sans vous ; je vous promis de vous le revaloir. Tenez, cher Avenant, voici la bague de la Belle aux Cheveux d'Or.» Il se baissa et la prit dans la gueule de ma commère la carpe, qu'il remercia mille fois.
Au lieu de retourner chez lui, il fut droit au palais avec le petit Cabriole qui était bien aise d'avoir fait venir son maître au bord de l'eau. On alla dire à la princesse qu'il demandait à la voir. «Hélas ! dit-elle, le pauvre garçon, il vient prendre congé de moi. Il a considéré que ce que je veux est impossible, et il va le dire à son maître.» On fit entrer Avenant qui lui présenta sa bague et lui dit : «Madame la princesse, voilà votre commandement fait ; vous plaît-il recevoir le roi mon maître pour époux ?»