HOMMAGE

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         « Elle est incroyablement costaude, dotée d'une force de caractère peu commune. Et son sens de l'humour, comme du devoir, la protège », note Jean des Cars, auteur d'une « Saga des Windsor » (Perrin-Tempus).

Pique-nique géant à Londres, concerts, parade... Portée par une popularité au zénith, la reine de tous les records — seul Louis XIV la détrône en termes de longévité — va pouvoir mesurer dans les prochaines semaines l'admiration qu'elle suscite dans son pays. Et bien au-delà : la couronne anglaise a beau avoir perdu nombre de ses joyaux sous son règne, elle reste chef de seize Etats (des Malouines où ce jour anniversaire est férié, jusqu'en Nouvelle-Zélande ou aux îles Salomon) qui tous ont prévu de fêter dignement l'événement. David Cameron, le Premier ministre, lui rendra hommage aujourd'hui au Parlement, tandis que les canons tonneront à Londres. La reine, elle, s'en tiendra ce soir à un dîner en famille, après s'être offert un bain de foule à Windsor, où elle possède un château.

«Elle est immuable, hors mode, hors politique.
Cela rassure tout le monde»

Quel chapeau choisira-t-elle pour l'occasion ? De l'autre côté du Channel, les médias ont ouvert les paris. A l'heure où se profile une autre question — celle du Brexit, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne — qu'un référendum doit trancher le 23 juin, la question paraît franchement anecdotique. Mais elle en dit long sur le rapport qu'entretient le pays, réconcilié avec sa monarchie depuis les scandales à répétition — divorces, frasques de ses enfants ... — qui avaient écorné son prestige dans les années 1990. Notamment en 1997, quand les Britanniques avaient été choqués par son absence supposée d'émotion à la mort de la princesse Diana. Depuis, tout est rentré dans l'ordre, à la faveur d'une subtile stratégie de communication orchestrée à Buckingham par des experts en relations publiques recrutés dans le privé. « L'opération de restauration de l'image de la reine a fonctionné parfaitement », analyse Marc Roche, dont la biographie sur Elizabeth II parue en 2012 est rééditée en format poche*. « Le palais a ouvert ses fenêtres, s'est mis au goût du jour. Mais le plus remarquable dans ce retournement, c'est que la monarchie s'est réinventée sans que la reine ne change quoi que ce soit. »

C'est probablement dans ce paradoxe que réside le secret de son incroyable cote d'amour : même si elle a ouvert un compte Twitter, Ma'am, comme l'appellent affectueusement les Anglais, est un anachronisme vivant, l'incarnation d'une monarchie hors du temps mais arrimée à ses traditions, aussi désuètes soient-elles. Le monde change vite, l'Angleterre aussi, mais pas la reine qui reste fidèle au poste : le même mari depuis 68 ans, le même trône depuis 64 ans, le même sourire, à la fois bienveillant et distant. Et une conduite de vie dans le droit fil du précepte victorien : « never explain, never complain » (« ne j amais expliquer, ne jamais se plaindre »). « Sa force, c'est d'avoir su s'adapter sans se renier. Elle est immuable, hors mode, hors politique. Cela rassure tout le monde », note Jean des Cars.

Alors après elle, le déluge ? Même pas, car la relève -- pas question pour elle d'abdiquer — semble assurée. A 67 ans, le prince Charles, enfin apprécié du peuple, n'assurera a priori qu'un court intérim avant l'avènement du couple William et Kate, dont le profil sage et classique exauce ce que les Anglais attendent de leurs souverains : leur rappeler leur splendeur passée.
 

*« Elizabeth II, une vie, un règne », à paraître le 2 mai chez Tallandier.