"Pitié pour nos soldats qui sont morts ! Pitié pour nous vivants qui étions auprès d'eux, pour qui nous nous battrons demain, nous qui mourrons, nous qui souffrirons dans nos chairs mutilées ! Pitié pour nous, forçats de guerre qui n'avions pas voulu cela, pour nous tous qui étions des hommes, et qui désespérons de jamais le redevenir." Dans son récit intitulé "Ceux de 14" et tout au long de sa vie, Maurice Genevoix n'a eu de cesse d'honorer la mémoire des Poilus. Cent deux ans après la fin de la Première Guerre mondiale, l'écrivain, témoin et plume de la Grande Guerre, fait son entrée au Panthéon, mercredi 11 novembre, aux côtés de ses camarades de tranchées.
En 2018, à l'occasion de la clôture du centenaire, le président Emmanuel Macron avait décidé de lui rendre cet ultime hommage. "Je souhaite que (…), ceux de 14, simples soldats, officiers, engagés, appelés, militaires de carrière, sans grade et généraux, mais aussi les femmes engagées auprès des combattants, car 'ceux de 14', ce fut aussi celles de 14, toute cette armée qui était un peuple, tout ce grand peuple qui devint une armée victorieuse, soit honoré au Panthéon", avait déclaré le chef de l'État pour expliquer son choix. "Je souhaite qu'ils franchissent ce seuil sacré avec Maurice Genevoix, leur porte-étendard."
Restituer l'enfer de la guerre ...
Jeune Normalien, Maurice Genevoix découvre l'enfer de la guerre à 24 ans. Mobilisé en août 1914, il participe à la bataille de la Marne puis aux terribles combats de la crête des Éparges, près de Verdun. Grièvement blessé en avril 1915, touché par trois balles, il perd l'usage de sa main gauche et est reformé. L'ancien Poilu se plonge alors dans l'écriture. Fidèle à ses frères d'armes morts au front, il rédige de 1916 à 1923, cinq ouvrages sur la guerre, regroupés en 1949 sous le titre de "Ceux de 14". "Partout où nous passions, les petites croix se levaient derrière nous, les deux branches avec le képi rouge accroché. Nous ne savions même pas combien nous en laissions : nous marchions…", écrit-il dans ce récit, hanté par le souvenir de ses fantômes.
En quelques années, aux côtés de Roland Dorgelès ou d'Henri Barbusse, il devient l'un des écrivains majeurs de la Grande Guerre. Il est même élu à l'Académie française en 1947 et en devient le secrétaire perpétuel en 1958. "Quand on lit Maurice Genevoix, on est avec les Poilus, dans la tranchée. C'est à nous que ces hommes s'adressent", résume Aurélie Luneau, co-auteur, avec Jacques Tassin, d'une biographie sur Maurice Genevoix (éd. Flammarion). "Il a cette capacité à restituer le vécu, sans être en surplomb, mais à côté."
Orphelin de mère dès l'âge de 12 ans, traumatisé par la mort de ses camarades à la vingtaine, il côtoie la mort de près. Ces drames forgent son caractère et son œuvre. "Il a vécu des épreuves personnelles et il a été au cœur de l'horreur durant la guerre. Il en est sorti plus fort, avec un appétit de vie", estime l'historienne. "Mais au-delà de sa condition de porte-étendard, c'est aussi celui qui a su, à travers ses romans, nous emmener aussi au plus près de la nature et des animaux", insiste Aurélie Luneau.
Un précurseur de l'écologie ... Maurice Genevoix écrit en effet également sur la campagne qui l'entoure et sur la Loire qu'il aime tant. Il obtient en 1925 le prix Goncourt pour "Raboliot", un roman sur l'histoire d'un braconnier en Sologne. Émerveillé par le monde, il est considéré comme un précurseur de l'écologie. "Son discours sur l'environnement était étonnant. Il se battait déjà à l'époque contre l'urbanisation à tout va et prédisait les méfaits de l'homme sur la nature", décrit sa biographe. Pour Aurélie Luneau, cette entrée au Panthéon est aussi l'occasion d'honorer cette facette de sa personnalité : "Maurice Genevoix nous interpelle aussi sur les enjeux du monde d'aujourd'hui". Selon l'historienne, son œuvre peut servir à éclairer la période trouble que nous traversons : "Il est intéressant de voir comment cet homme a traversé le siècle, comment il a dépassé tant d'événements dramatiques dans sa vie, comment il a trouvé de l'énergie et surtout essayé de faire du bien".
Pour l'Élysée, cette cérémonie, organisée à partir de 18 h et à huis clos, en présence seulement d'officiels et de la famille, en raison du confinement, se veut également un pont entre les générations et un moment de cohésion nationale : "Le point commun entre 'ceux de 14' et ceux d'avant 2020, c'est que les démocraties affrontaient les empires. Aujourd'hui, les démocraties affrontent la pandémie, le séparatisme, le terrorisme. Mais au fond, on se bat pour les mêmes valeurs".
Ancien combattant, personnage consensuel, écrivain admiré, humaniste respecté, Maurice Genevoix permet ainsi "de rassembler", comme le résume Aurélie Luneau. Quarante ans après son décès, il va rejoindre, avec ses frères d'armes, les grands hommes et les grandes femmes de France. Après une illumination de la façade du Panthéon en son honneur, puis un discours du président Macron, ses cendres seront placées à l'intérieur de la crypte. À travers lui, les Poilus accèdent symboliquement à la postérité. "Il n'y a pas de mort. Je peux fermer les yeux, j'aurai mon paradis dans les cœurs qui se souviendront", avait-il prédit.