LES PETITS POTINS PEOPLE

C'est le genre d'histoire que le monde éduqué et feutré de la mode n'aime pas trop remuer. Pourtant, le numéro d'août de "Vanity Fair" n'y va pas par quatre chemins en titrant en une "La collection maudite de Saint Laurent". On y retrouve tous les ingrédients d'une saga en eaux troubles : des amants, des disputes, des oeuvres perdues et du chantage à la clef  ...

Fabrice Thomas n'a pas la trentaine lorsqu'il devient le chauffeur attitré du couturier Yves Saint Laurent à la fin des années 1990. Il est connu dans la maison : son père a été métayer de la propriété que possède le créateur en Normandie et lui-même a travaillé au service de presse. Il est grand, musclé, beau gosse : le créateur a besoin d'un ange pour ses virées nocturnes dans le Paris interlope. À l'époque, Yves Saint Laurent dévore son destin en se noyant dans l'autodestruction. Fabrice reste à ses côtés et l'aide à remonter la pente, sous l'oeil vigilant de Pierre Bergé. Lorsqu'il sort d'une cure de désintoxication, Yves Saint Laurent demande à Fabrice de vivre à ses côtés.

Gigolo de luxe :

Compagnon, infirmier d'un jour, amant d'un soir, Fabrice cumule les casquettes pour plus de 5.000 euros par mois. Il vit comme un duc, fréquente le cours Florent, dîne avec les célébrités, rêve de faire du cinéma et accumule les cadeaux de prix. Des montres, des bronzes antiques, une maison, un Matisse,, un Warhol ... "Yves était très épris, confie aujourd'hui Fabrice au journaliste Olivier Bouchara. Pour lui, j'étais une sorte de caprice, un gigolo chic."

À l'en croire, pendant deux ans, le couturier lui aurait remis 390 dessins, dont certains dédicacés "A Fabrice, mon amour". Des croquis, des ébauches, des esquisses de costumes dessinés par le maître. Mais aussi, plus gênant, des dessins érotiques qui figurent plusieurs personnalités connues du Tout-Paris. Fabrice n'a plus ces images. Après sa rupture avec Saint Laurent, il les aurait confiées en 1994 à un collectionneur allemand qui l'aida à se reconstruire pendant cette période compliquée. Pour Fabrice, il s'agit bel et bien d'un cadeau, même si plusieurs millions sont en jeu : il dit avoir voulu solder un passé qui le salissait.

Une collection évaluée à 12 millions d'euros :

C'est là où les choses se corsent, puisque ces dessins, entreposés précieusement dans un coffre-fort de Monaco, risquent à tout moment de refaire surface, soit pour une exposition, soit pour une mise aux enchères (l'ensemble serait estimé à 12 millions d'euros). Ce que refuse à tout prix Pierre Bergé, qui a porté plainte il y a deux ans pour "recel, contrefaçon et tentative d'extorsions de fonds" et se mure, depuis, dans un profond silence. Selon lui, Fabrice Thomas a dérobé ces pièces purement et simplement. Le mécène s'est dit également victime de chantage pour éviter que les plus délicates ne soient exhibées.

Cette sombre histoire avait déjà filtré ces derniers mois. La nouveauté est de voir le fameux Fabrice prendre la parole dans Vanity Fair et répondre aux accusations. "Je ne suis pas un voleur, se défend-il. Et, pour Saint Laurent, j'ai été bien plus qu'un chauffeur." Ou encore : "Pourquoi devrais-je m'inquiéter, je peux tout expliquer." Il vit aujourd'hui au Canada, pas loin de Montréal, et devrait comparaître prochainement comme témoin assisté pour apporter sa version des faits.

A la justice désormais de trancher pour déterminer à qui appartient vraiment cette collection privée. À Pierre Bergé ? L'homme d'affaires, ancien compagnon de Saint Laurent, estime avoir un droit moral sur les oeuvres, ce que conteste la partie adverse. Pour Fabrice, l'important n'est pas là : il veut surtout que son nom reste associé au destin du créateur comme celui d'un ami. Et non comme d'un éventuel escroc.