La plupart des syndicats ont appelé à une septième manifestation nationale pour s'opposer à la réforme des retraites, vendredi 24 janvier. Mais du côté de la CFDT, premier syndicat français, c'est le silence radio. Dans la matinée, le gouvernement présente son projet de loi de réforme des retraites, sans la notion d'âge pivot de 64 ans, en Conseil des ministres. Un retrait provisoire annoncé le 11 janvier par le Premier ministre Edouard Philippe et salué comme "une victoire pour tous les salariés" par Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, dès le lendemain.
Depuis le début de l'année, 5 000 adhérents ont quitté le syndicat, selon les chiffres de la CFDT. A l'instar de Sophie*, Michel et Christophe, cette réaction du dirigeant a poussé certains de ces démissionnaires à prendre cette décision.
"Berger n'est pas honnête intellectuellement""CFDT et gouvernement, même combat. Je vais rendre ma carte", condamne ainsi Franc. Que ce soit sur Twitter ou Facebook, il fait partie de ceux qui ont décidé de partager leur décision de quitter la CFDT, qui revendique 621 274 adhérents sur l'année 2018.
Une décision partagée par Michel, 63 ans, syndicaliste dans l'"âme" : "Laurent Berger n'est pas honnête intellectuellement." Cet ancien cégétiste est arrivé à la CFDT "par défaut". Il n'a jamais été favorable aux positions d'un syndicat réformiste comme la CFDT : pour lui, le "on négocie d'abord puis on manifeste après" n'a jamais permis d'obtenir d'avancées sociales. Or c'était la seule section présente au sein de son entreprise, qui "faisait du bon boulot en local", reconnaît le Nancéen. Mais aujourd'hui la méthode Berger ne passe plus.
Il se positionne comme un sauveur avec le soi-disant retrait de l'âge pivot. Mais il ne s'est pas du tout impliqué dans le mouvement. Depuis le début, il manipule les foules.à franceinfo
Ce futur retraité ne pensait pas que son message annonçant qu'il rendait sa carte de la CFDT, publié le 11 janvier 2020 sur Twitter, remporterait un tel succès.
Partagé plus de 3 000 fois, il a récolté 6 700 mentions "J'aime". "Cela prouve que le problème du syndicalisme est un sujet assez chaud visiblement", analyse le sexagénaire.
Christophe, 53 ans, explique lui que c'est le gouvernement qui l'a amené à quitter la CFDT. Ce professeur d'EPS dans un collège privé en Mayenne est arrivé tardivement dans le débat syndical local, en prenant sa carte à la CFDT il y a quatre ans. Aujourd'hui, il considère que ce syndicat est "inefficace."
Ils n'écoutent pas leur base. Et face à un gouvernement qui n'a peur de rien, ils ne sont plus capables de défendre les adhérents. Ils ne font pas peur et n'obtiennent rien.à franceinfo
Le procès est sans appel pour Christophe, qui affirme qu'il n'y a plus "hélas que la violence" pour se faire entendre du gouvernement. Même s'il dit ne pas cautionner les méthodes des "gilets jaunes", le professeur estime que "par l'usage de la force, ils ont réussi à obtenir des choses du gouvernement, contrairement aux syndicats".
Si Michel et Christophe ont résilié leur adhésion par courrier, Sophie*, 45 ans, a préféré se rendre à la permanence locale. Elle a pu ainsi expliquer les raisons de son départ après six années d'adhésion et échanger avec un spécialiste des retraites. "J'ai été trés surprise car il utilisait les mêmes techniques que le gouvernement, en avançant des informations partielles et biaisées. Ils justifient leur soutien à cette réforme par le fait que cela va aider les bas salaires. C'est un argument fallacieux", avance Sophie, confortée dans son choix de quitter ce syndicat. "La direction ne défend pas le plus grand nombre de salariés", estime-t-elle.
"Il n'y a pas d'hémorragie"Au siège de la CFDT, on reconnaît des démissions quotidiennes mais sans une once d'inquiétude.
Il n'y a pas d'hémorragie de nos adhérents. Les derniers faits n'ont pas accéléré le processus naturel des départs.à franceinfo
"Cela n'a rien à voir avec 2003", relativise l'actuelle secrétaire nationale, déjà présente à l'époque. Le syndicat avait alors essuyé un grand nombre de départs, à l'issue de la négociation de la réforme des retraites sous l'ère Nicole Notat, alors secrétaire générale du syndicat. "Ici il n'y a pas ce phénomène massif", relativise Béatrice Lestic.
Chiffres à l'appui, la syndicaliste voit dans ces départs une cohérence avec le taux de départs annuels et réguliers, qui est habituellement de 10%. En 2019, 63 000 adhérents ont rendu leur carte. Parmi ces départs, 2 000 ont été motivés par un désaccord avec la ligne du syndicat au niveau national. Depuis le 1er janvier, sur les 5 000 départs enregistrés, ils sont 600, comme Michel, Christophe et Sophie, à être partis à la suite des prises de position de Laurent Berger. "Ce qui est autant que l'année dernière à la même époque", affirme la secrétaire nationale. Avant d'assurer que le syndicat a récolté, dans le même temps, 700 adhésions en ligne.
Du côté des adhérents "déçus", Christophe et Michel affirment continuer la lutte en "électrons libres" sur les réseaux sociaux. Quant à Sophie, dont la défiance vis-à-vis de la CFDT a "radicalisé son point de vue", elle devait défiler à Paris ce vendredi.
* le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée.
|