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Pénurie de masques : les raisons d'un "scandale d'État"

Pénurie de masques : les raisons d'un "scandale d'État"
Stock de masques médicaux lors de l’épidémie de H1N1, le 21 juillet 2009 © AFP / Michel Medina  
 
 Pénurie de masques : les raisons d'un "scandale d'État"
 
par Benoît Collombat, Cellule investigation de Radio France publié le 23 mars 2020 à 7h00
 

C’est une crise dans la crise sanitaire : en dix ans, la France a réduit considérablement son stock de masques de protection. Pour quelles raisons ? Enquête. 

"Nous avons des dizaines de millions de masques en stock en cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées. Si un jour nous devions proposer à telle ou telle population ou personnes à risque de porter des masques, les autorités sanitaires distribueraient ces masques aux personnes qui en auront besoin." 

26 janvier 2020. Face aux micros et aux caméras, Agnès Buzyn, qui est encore ministre des solidarités et de la santé, se veut rassurante : selon elle, il n’y aura pas de pénurie de masques en cas d’épidémie du virus Covid-19 sur le sol français.  

 

Pourtant, à peine plus d’un mois plus tard, le 4 mars 2020, le président de la République, Emmanuel Macron annonce que l’État réquisitionne "tous les stocks et la production de masques de protection" pour les distribuer aux soignants et aux personnes atteintes du coronavirus. Le 13 mars 2020, le Premier ministre Edouard Philippe prend un décret de réquisition des stocks et de la production de masques jusqu’au 31 mai 2020. 

Le 17 mars 2020, sur France Inter, le ministre de la santé, Olivier Véran, estime qu’il reste "110 millions de masques" dans les stocks de l’État, alors qu’il y en avait plus d’un milliard, dix ans plus tôt. "Nous avons assez de masques aujourd’hui pour permettre aux soignants d’être armés face à la maladie et de soigner les malades", affirme alors Olivier Véran. "Mais en fonction de la durée de l’épidémie, nous ne savons pas si nous en aurons suffisamment à terme." 

 

"Comme le scandale du sang contaminé" 
 

Le personnel médical découvre alors, effaré que la France ne dispose pas du stock nécessaire de masques pour faire face à l’épidémie. 

"Pour nous, c’est un véritable scandale d’État", estime le porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), Thierry Amouroux. "C’est du même ordre que le scandale du sang contaminé. Des centaines de milliers de personnes vont être contaminées, d’autres vont mourir faute de cette impréparation du gouvernement et des mauvaises décisions qui ont été prises. Le principe de base c’est d’avoir en stock des masques FFP2. Ces masques, tout comme les masques chirurgicaux, auraient dû être commandés le plus tôt possible. Gouverner, c’est prévoir. Quand la crise sera finie, nous espérons que certains responsables qui ont été incapables d’organiser la défense sanitaire du pays auront à répondre de leurs actes devant la justice." 

"C’est ahurissant, on ne pensait pas que les stocks de l’Etat étaient si bas", s’indigne à son tour le président du syndicat des biologistes (SDB), François Blanchecotte, en première ligne pour réaliser les tests de dépistage du coronavirus. "Nous n’avons pas assez de masques pour travailler correctement. Certains d’entre nous avait stocké des masques du temps du H1N1, mais ils étaient périmés. Et cela ne concerne pas uniquement les masques : un dépistage de masse en France n’est guère envisageable, nous n’en avons pas les moyens en termes de matériels et de réactifs nécessaires pour réaliser ces tests." 

"C’est une faute professionnelle grave", estime de son côté Jean-Paul Hamon, le président de la Fédération des médecins de France (FMF). "Au début de la crise, le ministère nous a dit qu’ils étaient prêts, qu’il y avait des stocks d’État. Or, on a réalisé ces dernières semaines que c’était faux. Il n’est pas acceptable d’envoyer des soignants 'au casse-pipe' sans aucune protection. Cette administration qui nous impose des procédures souvent contraignantes est incapable de protéger correctement les professionnels de santé qui vont prendre en charge les patients dans cette épidémie. 

"Il faudra une commission d’enquête parlementaire pour que des têtes tombent. Certains auront des comptes à rendre. Tout ça va laisser des traces." 

 

"Les patients nous amènent des masques" 

 

Face à cette situation, c’est le système D qui domine : "Ce sont les patients qui nous amènent des masques et nous aident", témoigne encore Jean-Paul Hamon. "Un architecte nous a amené un paquet de 50 masques FFP2. On fait du bricolage : des médecins bretons récupèrent des stocks de masques dans le sous-sol de la mairie de Rennes. À Mulhouse, ce sont des entreprises qui fournissent des masques ou des blouses de protection. Les médecins libéraux sont en train de s’organiser sans passer par l’administration." 

"C’est une course effrénée pour trouver des masques chirurgicaux", confirme François Blanchecotte, alors que face à la crise sanitaire les laboratoires sont contraints de se concentrer sur certains plateaux techniques sur le territoire pour effectuer leurs analyses. "Nous faisons appel aux mairies, aux industriels et aux entreprises qui ont des masques en stock." 

"Nous sommes un million de professionnels de santé", ajoute Thierry Amouroux. "Nous avons besoin de deux millions de masques par jour. Depuis le 18 mars, nous avons une nouvelle livraison dans le secteur libéral. Mais les masques sont contingentés : un médecin ou une infirmière a droit à 18 masques par semaine, une sage-femme à six masques... On doit les faire durer au-delà du raisonnable. C’est incompréhensible dans la cinquième puissance mondiale d’en arriver à une telle situation." 

 

Comment en est-on arrivé là ? 

 

2005 : se préparer au H5N1 

"En 2005, j’ai été très tôt confronté à une urgence : préparer le pays à un risque pandémique, face à la grippe aviaire H5N1", se souvient l’ancien ministre de la santé (de juin 2005 à mars 2007 puis de 2010 à 2012) Xavier Bertrand. "À cette occasion, nous avions compris qu’il fallait absolument doter la France de stocks stratégiques de masques de protection. J’ai voulu voir comment se passait la protection des populations pour ceux qui étaient en première ligne. Je me suis donc rendu, fin 2005, en Asie, en Chine, au Vietnam pour voir comment ça se passait."

"Les autorités m’ont dit très clairement : 'Si nous devons nous protéger, nous utiliserons en priorité les masques que nous produisons.' J’ai alors expliqué au président Jacques Chirac que l’on risquait d’avoir un problème d’approvisionnement si nous étions confrontés à une pandémie. Il m’a donné le feu vert pour commander des stocks suffisants et permettre aux usines françaises d’augmenter si besoin leur production. Nous étions alors l’un des pays qui possédait le plus de masques par habitant. Nous captions en France un tiers de la production annuelle mondiale. Et lors de la crise du H1N1, il n’y a pas eu de pénurie, parce que les stocks ont été constitués. 

"En 2007, je fais inscrire un principe dans la loi : chaque année, le ministre de la santé doit inscrire dans le budget le nombre de masques à acheter pour augmenter ou renouveler les stocks." 

 

2009-2010 : Roselyne Bachelot dans la tourmente 
 

En 2009 – 2010, les stocks sont donc au plus haut. Ils sont gérés par l’Eprus (Etablissement de préparation et de réponses aux urgences sanitaires), une structure créée en 2007 dépendant du ministère de la santé.  

Confrontée à l’épidémie de grippe A (H1N1), la ministre de la santé Roselyne Bachelot (mai 2007 – novembre 2010) est alors accusée d’en faire trop dans la gestion de la crise, notamment en procédant à une commande massive de plus de 94 millions de doses de vaccins. "La France a acquis d'importants moyens de protection, déclare Roselyne Bachelot le 1er octobre 2009 : un milliard de masques anti-projections, destinés aux malades, 900 millions de masques de protection, dits "FFP2", pour les personnes particulièrement exposées et 33 millions de traitements antiviraux." 

Face à la polémique, elle doit s’expliquer devant deux commissions d’enquête à l’Assemblée nationale  et au Sénat. "J’ai eu le sentiment d’avoir fait mon devoir", explique aujourd’hui Roselyne Bachelot. "Mais cela a été pour moi dix ans d’épreuves et de moqueries incessantes. J’ai été l’objet d’un incroyable "bashing" par une commission d’enquête parlementaire qui s’est érigée en tribunal. Il y a eu un rapport cinglant de la Cour des comptes stigmatisant les dispositions de prévention que j’avais prises, qui se sont révélées évidemment surdimensionnées après coup, mais quand l’épidémie démarre et que l’OMS sonne le tocsin le 24 avril 2009, la situation est décrite comme extrêmement grave, elle va s’adoucir par la suite, mais l’épidémie a quand même fait 600 000 morts sur la planète. Pour une "grippette" c’est quand même beaucoup." 

Dans un tweet,  la Cour des comptes précise qu’elle "n’a jamais critiqué la constitution de stocks de masques de protection contre la grippe. Au contraire, elle indiquait dans son rapport de 2011 que "l’acquisition d’importantes quantités de masques (…) s’est avérée pertinente." 

"La seule stratégie recevable en matière de prévention des épidémies, c’est de faire le maximum", ajoute Roselyne Bachelot. 

"Si c’était à refaire je referais évidemment la même chose. Je me dis même que, finalement, je n’en ai peut-être pas fait assez…" 

"Cette sur-réaction de 2009 -2010 explique peut-être une partie des choix qui ont été fait dans la décennie suivante", relève le sociologue spécialiste des questions de santé Frédéric Pierru. "Cette crise de H1N1, qui ne s’est finalement pas révélée si terrible que ce qu’on craignait conjuguée aux coupes budgétaires sous la pression de Bercy ont entrainé le désarmement progressif de l’État sanitaire." 

 

Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, en visite à l'hôpital Necker en mai 2009 Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, en visite à l'hôpital Necker en mai 2009 © AFP / Lionel Bonaventure 2011 : Des masques toujours en réserve 
 

En novembre 2010, c’est Xavier Bertrand qui succède à Roselyne Bachelot, au poste de ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé. Interpellé sur le sujet le 3 mars 2020, à l’assemblée, le ministre de la santé Olivier Véran, explique que c’est lors de cette période que la décision aurait été prise de ne pas conserver un stock d’Etat de masques FFP2 : "En 2011, il a été déterminé que la France n’avait pas à faire de stocks d’État des fameux masques FFP2", déclare le ministre. "Il n’y a donc pas de stock d’Etat de masques FFP2 suite aux décisions de 2011. En 2011, il a été décidé que la France devait se doter d’un stock de 145 millions de masques chirurgicaux, les masques anti-projections. Ce qui n'avait peut-être pas été anticipé, c'est que parfois les crises sanitaires pouvaient engendrer des crises industrielles." 

 

Vérification faite, à l’époque le stockage de masques n’est alors pas remis en cause. 

 

Le 1er juillet 2011, la Commission Spécialisée Maladies Transmissibles (CSMT) du Haut conseil de la santé publique rend un avis dans lequel elle recommande de constituer "un stock tournant" de masques chirurgicaux et FFP2 ainsi qu’"une organisation pour l'utilisation de ces stocks en situation de crise qui permette de couvrir rapidement toutes les populations et personnels de soins concernés." 

Le Haut conseil de la santé publique "recommande que le stock État de masques respiratoires soit constitué de masques anti-projections et d'appareils de protection respiratoire", en recommandant les masques FFP2 pour les professionnels de santé et le masque chirurgical pour les autres catégories de la population. 

Dans une note du 11 juillet 2011 de la Direction générale de la santé (DGS) consacrée aux "stocks stratégiques de l’État", consultée par la cellule investigation de Radio France, il est proposé "le lissage du renouvellement des stocks" disponibles "en cas de menace sanitaire grave constituées principalement par les risques NRBC et la pandémie grippale" ainsi que l’acceptation de la péremption "de 25 % du montant total des stocks stratégiques." 

Mais sur le fond, le stock de masques n’est alors pas remis en cause : "les stocks disponibles en masques FFP2 sont équivalents (…) à 600 millions d’unités", note la Direction générale de la santé. "Les stocks disponibles en masques chirurgicaux représentent aujourd’hui 80 % de la valeur cible fixée à un milliard d’unités" (c’est-à-dire 800 millions de masques chirurgicaux, ndlr). Il ne semble donc pas exister dès lors de vulnérabilité particulière", conclut la DGS. 

"Quand je quitte mes fonctions en 2012, il y a donc 1,4 milliard de masques en France", relève Xavier Bertrand. 

 

2013 : Changement dans la doctrine 

 

En mai 2012, Marisol Touraine devient ministre des affaires sociales et de la santé (jusqu’en mai 2017). Le véritable tournant dans la gestion des stocks se situe en 2013.  

Un rapport du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), rattaché au Premier ministre, daté du 16 mai 2013, modifie la "doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire." 

Le masque FFP2 est considéré comme "plus coûteux, moins confortable et moins bien supporté par les porteurs que le masque anti-projections." Il est recommandé dans le cas d’une "situation 3" (qui n’est pas décrite précisément dans le document) "lorsqu’il y a contact étroit sans possibilité de mettre en place une autre mesure." 

Mais le point crucial, c’est que l’équipement et la gestion des masques sont désormais transférés à l’employeur. "Il revient à chaque employeur de déterminer l’opportunité de constituer des stocks de masques pour protéger son personnel", estime le SGDSN. 

Une partie de la gestion des masques est donc désormais assurée, non plus par l'État au plus haut niveau, mais par le système hospitalier. 

À l’époque, l’actuel directeur général de la santé, Jérôme Salomon occupait le poste de conseiller chargé de la sécurité sanitaire. Interrogé par le Journal du dimanche sur le sujet, il a expliqué : "On a eu un retour d’expérience. A chaque fois, des avis d’experts ont orienté le gouvernement sur la bonne réponse globale, il y a eu plusieurs avis." 

Contactée par la cellule investigation de Radio France, le SGDSN ne nous a pas répondu. 

 

2015 : "La situation est catastrophique" 

 

En juillet 2015, un rapport sénatorial lance l’alerte : "La réservation de capacité de production ne peut constituer une solution unique pour prévenir les situations sanitaires exceptionnelles", note alors Francis Delattre, sénateur Les Républicains, pour qui l’État doit conserver ses stocks stratégiques. 

"S’agissant des stocks stratégiques détenus et gérés par l’EPRUS, la première évolution notable, depuis la mission de contrôle effectuée en 2009, est la baisse significative de la quantité et de la valeur des stocks", estime le sénateur dans son rapport. "Il a été décidé de ne pas renouveler certains stocks arrivant à péremption, par exemple, en raison de la plus grande disponibilité de certains produits et de leur commercialisation en officine de ville ou du transfert de la responsabilité de constituer certains stocks vers d’autres acteurs (par exemple, les établissements de santé et les établissements médico-sociaux pour les masques de protection FFP2 de leurs personnels)." 

"J’ai clairement dit, à l’époque, que la situation était catastrophique", déclare Francis Delattre à la cellule investigation de Radio France. 

Contactée, l’ancienne ministre des affaires sociales et de la Santé de 2012 à 2017, Marisol Touraine n'a pas souhaité répondre à nos questions. Mais dans son entourage, on conteste les chiffres de masques donnés par Xavier Bertrand : "Le stock global de masques était plutôt de 900 millions en 2012, il tournait autour de 700 millions en 2017, changement de doctrine ou pas", assure un ancien collaborateur de la ministre. "On ne peut pas dire que nous n’avions plus de stock. Jusqu’à preuve du contraire, nous avons eu assez de masques pour gérer toutes les crises auxquelles nous avons été confrontés. L’idée c’était qu’on pouvait en produire rapidement." 

 

2016 : la dissolution d’"un outil efficace face à l’urgence sanitaire” 

2016 correspond à un autre moment charnière. 

 

En janvier 2016, la loi de modernisation du système de santé intègre les missions de l’Eprus au sein d’un nouvel établissement publique baptisé Santé publique France. regroupant également l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Institut national de prévention pour la santé (INPS) 

L’unité Etablissement pharmaceutique gère désormais le stock stratégique des médicaments et des produits de santé pour le compte de l’Etat, à charge pour le ministre de la santé de renouveler les stocks stratégiques, comme le stipule l’article L1413-4 du code de la santé publique. 

Pour l’ancien sénateur LR, Francis Delattre auteur du rapport de 2015, ce changement dans l’organisation des structures a été une erreur. "On a dissout l’Eprus alors que c’était un outil efficace face à l’urgence sanitaire", estime Francis Delattre. "L’Eprus était une administration de mission, une force de frappe disponible 24 heures sur 24 pour toute urgence sanitaire. C’était une petite unité avec un réseau capable de mobiliser en 48 heures 1 500 professionnels : brancardiers, chirurgiens, médecins, infirmiers… Une structure souple, solide qui fonctionnait en système commando. L’Eprus était d’ailleurs souvent sollicité à l’étranger, ce qui était bien utile parce que lorsqu’une pandémie démarre dans un pays, ça permet d’avoir des informations. Ils avaient une expertise logistique grâce aux militaires, médecins et logisticiens, qui étaient associés au système. Tout ça est indispensable en cas de crise." 

Une analyse partagée par l’ancienne ministre de la santé Roselyne Bachelot : 

"C’est un point de bascule tout à fait considérable. En perdant son autonomie financière, l’EPRUS s’est désarmé et a donc désarmé l’État dans sa politique de prévention des risques." 

"L’Eprus n’a pas disparu, c’est une structure autonome qui a été rattachée à Santé publique France", répond un proche du pouvoir à l’époque. "Nous étions le seul pays à ne pas avoir de grande structure de santé publique avec tous les moyens rassemblés de la prévention à la gestion des crises. C’était une décision d’efficacité de santé publique. Il ne s’agissait pas d’une décision budgétaire, l’idée c’était de rassembler l’ensemble des forces disponibles." 

 

© Maxppp / Michel Medina/PhotoPQR/La Provence "On a baissé la garde" 

 

"Je suis surpris par l’ampleur du virus, mais je ne suis pas surpris par notre désarmement face à la catastrophe", estime aujourd’hui l’ancien sénateur et maire de Franconville-la-Garenne, Francis Delattre. 

"J’ai le sentiment que, collectivement, on a baissé la garde", abonde l’ancienne ministre de la santé Roselyne Bachelot. "Et pas seulement pour des raisons budgétaires. On a jugé qu’on pourrait faire face à ce risque de pandémie par la mobilisation de moyens divers. On s’est dit : 'On n’a plus besoin de stocker des masques parce que la Chine est l’atelier du monde, s’il arrive quelque chose on sera en flux tendu, la Chine nous livrera des masques.' Sauf que la Chine ne pouvait plus nous en livrer et on s’est retrouvé 'à poil', si vous me passez l’expression." 

"C’est une vision comptable qui a prévalu ces dernières années", constate le président de la Fédération des médecins de France, Jean-Paul Hamon. 

"Pour 15 millions d’euros, on est en train de fragiliser tout le système de santé.

"Si la situation est aussi grave à l’hôpital c’est parce que nous enchaînons les plans d’économie : année après année, on supprime des lits, des postes, c’est ça qui est dramatique. 3 500 postes supprimés en quatre ans, 100 000 lits qui ont été fermés ainsi que 95 services d’urgence en 20 ans. Depuis 10 ans, c’est la même irresponsabilité des gouvernants qui ont raisonné uniquement en termes budgétaires et pas en termes de sécurité sanitaire de la population", abonde le porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers, Thierry Amouroux.

 

"Une doctrine de papier" 
 

"Au début des années 2000, après le 11 septembre 2001 et la crise du SRAS, une doctrine venue des États-Unis s’est imposée partout dans le monde via l’OMS (Organisation mondiale de la santé)", décrypte le sociologue Frédéric Pierru. 

"Il s’agit de la doctrine dite du preparedness, c’est-à-dire "le fait de se préparer à…" C’est une logique quasi militaire de la santé publique : l’idée que la société doit se préparer à être résiliente pour faire à un évènement adverse d’ampleur catastrophique qu’on ne connait pas encore. Ça peut être une attaque bioterroriste ou la survenue d’une pandémie grippale comme en 1918. Cette doctrine de la sécurité sanitaire et de la préparation au pire en logique d’incertitude débouche sur l’élaboration de différents scénarios pour gérer les crises sanitaires. En situation d’incertitude radicale, il ne faut donc pas attendre la menace mais s’y préparer. Sauf qu’en France, c’est une doctrine de papier faute de moyens. On a des plans, mais la logistique ne suit pas. 

Quant à la doctrine de gestion des stocks de l’État, certains réclament aujourd’hui sa révision complète. 

 

 

 

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