Bis repetita… En octobre 2019, la décision des questeurs — chargés de l’administration financière de l’Assemblée nationale — d’augmenter la dotation d’hébergement mensuelle des députés de 900 à 1.200 euros, avait suscité la polémique. Monté au front médiatique pour éteindre l’incendie, le premier questeur, Florian Bachelier (LREM), avait justifié cette dépense supplémentaire, en expliquant qu’elle entraînerait à terme... des économies, par le moindre recours des députés aux nuitées d’hôtel payées par l’Assemblée nationale. Un pari audacieux, dans le contexte d’une institution qui puise régulièrement dans ses réserves pour présenter un budget équilibré.
Un an et demi après ce premier “coup de poker”, le collège des questeurs vient de récidiver en augmentant de 15% la dotation matérielle des députés (DMD), une enveloppe spécifiquement dédiée aux frais de téléphonie, de taxis/VTC, et d’affranchissement du courrier. Auparavant fixée à 18.950 euros annuel, celle-ci s’élève donc désormais à 21.700 euros, comme l’ont révélé nos confrères de la Lettre A. Portée par le premier questeur, Florian Bachelier, cette mesure sera compensée par des économies, dont la nature n’a pas été précisée. Officiellement, la hausse de la DMD aura pour but de compenser les dépenses supplémentaires des députés (l’affranchissement, notamment) pour garder le contact avec les électeurs malgré la pandémie. Selon nos informations, il s’agirait plutôt d’un "cadeau" à la cinquantaine de députés qui ont dépassé le plafond autorisé de la DMD, au titre de l’exercice 2020.
Était-ce bien nécessaire ? Pas pour Laurianne Rossi. En rupture avec ses deux collègues questeurs, Florian Bachelier et Eric Ciotti (LR), la députée LREM des Hauts-de-Seine a fait savoir à Capital qu’elle était “défavorable à cette hausse injustifiée”. Minoritaire, elle n’a toutefois pas pu s’y opposer. Pourtant, les arguments ne manquent pas. Outre l’indifférence au contexte économique difficile qu’elle suppose, la décision d’augmenter la DMD de 15% a été prise en dépit de sa sous-utilisation chronique par l’écrasante majorité des députés. Pour rappel, ces derniers disposent également d’une avance de frais de mandat (AFM) de 5.600 euros par mois pour faire face à leurs dépenses professionnelles.
Dans le détail, en 2019, seuls 39 d’entre eux (sur 577) avaient consommé la totalité de leur DMD, soit 18.950 euros. Cette même année, le taux d’utilisation global de la DMD représentait seulement 54% (en hausse par rapport à 2018) du montant maximal théorique de l’enveloppe, fixé à 11 millions d’euros environ. En 2020, la hausse des frais d’affranchissement du courrier, voire de la téléphonie, liée à la crise sanitaire, a été contrebalancée par un moindre recours aux taxis et VTC. Résultat, le taux d'utilisation de la DMD a encore reculé. Selon nos informations, il est même passé en dessous de 50% ! Dans son rapport consacré à la mission “Pouvoirs publics” du budget 2021, le député UDI Christophe Naegelen avait d'ailleurs relevé une très forte sous-exécution des crédits alloués aux voyages, déplacements et charges de représentation, lors du premier semestre.
Pour la députée (LR) Marie-Christine Dalloz, présidente de la commission spéciale chargée de vérifier et d’apurer les comptes de l’hémicycle, la hausse de la dotation matérielle des députés est totalement injustifiée. “Les questeurs augmentent la DMD pour quelques dizaines de députés qui la consomment entièrement, voire dépassent le montant autorisé. Lâchez-vous, vous pouvez y aller ! C’est ça le message ? Je suis inquiète de la progression de toutes les dotations aux députés sur ce quinquennat, en dépit du budget déficitaire de l’Assemblée ! ”, soupire l’élue jurassienne, que Capital a contactée.
Contactés, ni Florian Bachelier ni Eric Ciotti n’ont répondu à nos questions.
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