NOSTALGIE - Ça y est, Skyblog, c’est terminé. Et avec la fin de la plateforme, c’est tout un univers de paillettes, de citations pourries et de photos gênantes ultra-pixélisées qui s’éteint ce lundi 21 août. Dix-septième site mondial en 2007, l’ancien géant français a marqué toute une génération d’adolescents qui ont partagé leur vie et leurs passions sur la plateforme dans les années 2000.
Dans un message publié le 16 juin dernier, qui annonçait la fermeture du site, Pierre Bellanger, fondateur et président du groupe Skyrock, a rendu hommage à l’« un des premiers réseaux sociaux du monde » et rappelé aux utilisateurs : « Vous étiez les pionniers d’un mode de communication et d’échange collectif qui allait changer nos sociétés. Vous avez inventé l’intimité partagée. »
Le HuffPost a parlé à quelques-uns de ces « pionniers » qui passaient des heures à « lâcher des com’z » sur la plateforme. Ils nous racontent cette « fenêtre sur les années lycée » et sur une époque d’Internet où régnait encore une certaine insouciance.
« On passait des plombes à se prendre en photo »
Julia, chargée de communication de 34 ans, était active sur la plateforme au lycée. L’un de ses skyblogs (les utilisateurs en avaient souvent plusieurs) était dédié à la série Lost, tandis que l’autre était « une sorte de journal intime ». « Des choses que je relis avec gêne, s’amuse la trentenaire. On passait des plombes à se prendre en photo. Finalement, c’était déjà les mêmes comportements que sur les réseaux sociaux d’aujourd’hui. »
Sur les blogs, cohabitaient plusieurs cercles de socialisation. Les skyblogs étaient souvent des espaces partagés entre amis, où l’on échangeait des photos, des anecdotes, des déclarations d’amour ou d’amitié. Certains ont aussi eu des skyblogs communs avec le reste de leur classe de collège ou de lycée.
Mais l’intérêt de la plateforme était aussi d’aller « au-delà du premier entre-soi classique, de la socialisation dans la vie civile », estime Oriane Deseilligny, maîtresse de conférence en Sciences de l’Information et de la Communication à l’université Paris 13. Sur son skyblog dédiée à la série Lost - où elle partageait des montages de son couple préféré (Sawyer et Kate), Julia échangeait ainsi avec d’autres fans qu’elle ne connaissait pas dans la vie réelle.
« Pouvoir parler à des gens queers sur Skyblog était hyper rassurant »
Pour certains, la plateforme a représenté « une vraie bouffée d’oxygène ». C’est le cas de Jean, qui a tenu plusieurs blogs entre 12 et 16 ans. À l’époque, il vit dans une zone rurale de la Haute-Savoie et utilise Skyblog « pour rencontrer des personnes queers »
.
Le trentenaire se souvient encore du jour où il a découvert qu’on pouvait rechercher des blogs selon le genre de leur créateur, mais aussi en fonction du genre recherché par ce dernier (« mec cherche mec », par exemple). « J’avais un peu halluciné et je m’étais dit “ah oui, c’est vraiment un site de rencontre”. »
Très vite, grâce à cette fonctionnalité, Jean échange avec d’autres adolescents gays de sa région et trouve une communauté. « Entre 2005 et 2010, quand tu étais dans un lycée de campagne en Haute-Savoie, en tant que mec homo, tu te sentais très seul. Pouvoir parler à des gens queers sur Skyblog, avec des expériences communes, c’était hyper rassurant. Je pouvais me dire “je suis normal, je ne suis pas un ovni, il y a d’autres personnes comme moi”. » Jean estime même que ces échanges lui ont « donné la force de faire [son] coming out rapidement », quand il était en Seconde.
« Ce qui était quand même révolutionnaire, c’était de pouvoir parler avec des gens qu’on ne connaissait pas », rappelle Oriane Deseilligny, qui souligne que cette ouverture se faisait à une échelle bien moindre que sur les réseaux sociaux d’aujourd’hui. « C’était un public très défini, et il y avait cette impression d’être avec des gens qui avaient les mêmes préoccupations, qui se trouvaient dans la même étape de la vie », explique la maîtresse de conférence.
Un sentiment d’insouciance
Une forme d’entre-soi numérique qui participait à un sentiment d’insouciance chez les utilisateurs. Comme le résumait BuzzFeed France en 2017, « Skyblog, c’était Internet avant le péché originel. Un endroit où l’on divulguait librement les noms, les prénoms, adresses et numéros de Sécurité sociale de nos amis dans les articles qui leur étaient consacrés, sans se poser la question de la protection des données. »
Alexandre a 34 ans, il est conseiller numérique. Il était présent sur Skyblog pendant ses années lycée et y postait régulièrement des photos de ses soirées entre potes. Des clichés qu’il ne partagerait jamais aujourd’hui. « Quand je retombe sur les vieux skyblogs, je vois certaines photos, je me dis “mon employeur tomberait là-dessus, ma carrière serait finie” », s’émerveille-t-il.
Dans son métier, Alexandre sensibilise les jeunes à des questions comme l’e-réputation ou le cyberharcèlement. Il voit en la période Skyblog, une ère d’insouciance sur Internet. « On n’était pas du tout sensibilisés à toutes ces questions. On ne se posait même pas la question, on postait nos photos comme si c’était un truc très privé, alors que c’était accessible à tous. »
La fermeture de Skyblog, « un mal pour un bien »
Outre les prises de conscience autour du cyberharcèlement et de l’e-réputation, Oriane Deseilligny souligne aussi l’audience accrue des réseaux sociaux d’aujourd’hui, ainsi que « le côté professionnalisation. Il y a quand même un certain nombre de jeunes aujourd’hui qui nourrissent un peu le rêve de pouvoir vivre de leur présence sur ces réseaux. Sur Skyblog, il n’y avait pas du tout ces enjeux-là. »
Ce qui ne veut pas dire que l’ère des skyblogs était dénuée de dynamiques toxiques. Des phénomènes de groupes et de harcèlement y existaient déjà, comme le fait remarquer Julia : « On pouvait commenter en anonyme et il y avait déjà des commentaires négatifs, surtout sur les skyblogs de classe, où des gens en insultaient d’autres anonymement. »
Et si la fin des skyblogs peut éveiller une nostalgie chez beaucoup, Alexandre se dit que c’est peut-être « un mal pour un bien ». C’est aussi le cas de Noëmie, 27 ans, qui est récemment retombée sur son skyblog de collégienne. « C’était très gênant, il y avait des photos en maillot de bain à 13-14 ans, par exemple. On était innocentes et on n’avait pas idée de tout ce que ça pouvait engendrer, donc je suis plutôt rassurée que ça disparaisse. »
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