POEMES et POETES
Aux Hirondelles ...
De l’aile effleurant mon visage,
Volez, doux oiseaux de passage,
Volez sans peur tout près de moi !
Avec amour je vous salue ;
Descendez du haut de la nue,
Volez, et n’ayez nul effroi !
Des mois d’or aux heures légères,
Venez, rapides messagères,
Venez, mes sœurs, je vous attends !
Comme vous je hais la froidure,
Comme vous j’aime la verdure,
Comme vous j’aime le printemps !
Vous qui des pays de l’aurore
Nous arrivez tièdes encore,
Dites, les froids vont donc finir !
Ah ! contez-nous de jeunes choses,
Parlez-nous de nids et de roses,
Parlez-nous d’un doux avenir !
Parlez-moi de soleil et d’ondes,
D’épis flottants, de plaines blondes,
De jours dorés, d’horizons verts ;
De la terre enfin réveillée,
Qui se mourait froide et mouillée
Sous le dais brumeux des hivers.
L’hiver, c’est le deuil de la terre !
Les arbres n’ont plus leur mystère ;
Oiseaux et bardes sont sans toits ;
Une bise à l’aile glacée
A nos fronts tarit la pensée,
Tarit la sève au front des bois.
Le ciel est gris, l’eau sans murmure,
Et tout se meurt ; sur la nature
S’étend le linceul des frimas.
Heureux, alors, sur d’autres plages,
Ceux qui vont chercher les feuillages
Et les beaux jours des beaux climats !
O très heureuses hirondelles !
Si comme vous j’avais des ailes,
J’irais me baigner d’air vermeil ;
Et, loin de moi laissant les ombres,
Je fuirais toujours les cieux sombres
Pour toujours suivre le soleil !
(Auguste Lacaussade, Poèmes et Paysages, 1897)
NOTRE-DAME de PARIS ...
Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être
Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître,
Mais, dans quelque mille ans, le Temps fera broncher
Comme un loup fait un bœuf, cette carcasse lourde,
Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde
Rongera tristement ses vieux os de rocher !
Bien des hommes, de tous les pays de la terre
Viendront, pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor :
Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique.
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort !
Gérard de Nerval (né à Paris, 1808-1855) Son poème serait-il une prophétie sur le triste destin de Notre-Dame ?
" L'Homme et la mer "
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir, tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur,
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié, ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, ô frères implacables !
- Charles Baudelaire -
Voici venir Pâques fleuries,
Et devant les confiseries
Les petits vagabonds s’arrêtent, envieux.
Ils lèchent leurs lèvres de rose
Tout en contemplant quelque chose
Qui met de la flamme à leurs yeux.
Leurs regards avides attaquent
Les magnifiques œufs de Pâques
Qui trônent, orgueilleux, dans les grands magasins,
Magnifiques, fermes et lisses,
Et que regardent en coulisse
Les poissons d’avril, leurs voisins.
Les uns sont blancs comme la neige.
Des copeaux soyeux les protègent.
Leurs flancs sont faits de sucre. Et l’on voit, à côté,
D’autres, montrant sur leurs flancs sombres
De chocolat brillant dans l’ombre,
De tout petits anges sculptés.
Les uns sont petits et graciles,
Il semble qu’il serait facile
D’en croquer plus d’un à la fois ;
Et d’autres, prenant bien leurs aises,
Unis, simples, pansus, obèses,
S’étalent comme des bourgeois.
Tous sont noués de faveurs roses.
On sent que mille bonnes choses
Logent dans leurs flancs spacieux
L’estomac et la poche vides,
Les pauvres petits, l’œil avide,
Semblent les savourer des yeux.
Marcel Pagnol
Une larme ...
C'est une goutte d'eau
Qui ne vient pas d'un ruisseau
Elle coule du coin des yeux
Fait toujours ce qu'elle veut.
Elle roule sur la joue
On l'enlève d'un geste doux
Elle tombe, une autre suit
Cela peut durer à l'infini.
Une larme de bonheur
Celle qui touche le coeur
Qui procure cette chaleur
Et nous donne sa douceur.
Une larme de douleur
Celle qui parle du malheur
Qui apporte tous ces pleurs
Que l'on essuie avec pudeur.
Une larme de velours
Douce comme l'amour
Une larme de satin
Qui brille sans fin.
Elle a ce goût salé
Celui des grandes marées
On ne peut jamais décider
Quand cela va s'arrêter.
(auteur(e) inconnu(e)
L’hiver du rossignol ...
Sur les toits la grêle crépite.
Il neige, il pleut, en même temps :
Premières larmes du printemps,
Derniers pleurs de l’hiver en fuite.
Parmi les longs cris qu’en son vol
La première corneille jette,
J’entends une note inquiète ;
Est-ce la voix du rossignol ?
D’où vient cette roulade ailée
Dont la bise coupe le fil
Ce doux chanteur, pourquoi vient-il
Affronter cette giboulée ?
Est-ce le trémulant sifflet,
Le fifre aigu de la linotte ?
Est-ce la double ou triple note
Du bouvreuil ou du roitelet ?
Il neige, il pleut, il grêle, il vente.
Mais, soudain, voici le soleil,
Le soleil d’un temps sans pareil.
Chante, oh ! chante, rossignol, chante !
Il neige, il vente, il grêle, il pleut.
Chante ! C’est l’air que rossignol
Ton cœur, ton joli cœur qui vole,
Qui d’un ciel gris, fait un ciel bleu.
Que ta musique, en fines perles,
Change ce brouillard éclatant.
Ah ! pourrait-il en faire autant
Le trille aigu de tous les merles ?
Il pleut, il neige, c’est en vain
Que le merle siffle à tue-tête.
Pour que tout l’azur soit en fête,
Chante, chante, chanteur divin !
Chante sur la plus haute branche,
Comme l’oiseau de la chanson.
Chante sous le dernier frisson
De la dernière neige blanche.
À pleine gorge, fais vibrer,
Rossignoler ta fine lyre,
Ô toi dont le cœur est à rire,
Pour les cœurs qui sont à pleurer.
- Nérée Beauchemin -
Nuit de neige ...
Guy de Maupassant (1850-1893)
Claude Monet, Environs de Honfleur, neige, 1867
La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d’un bois.
Plus de chansons dans l’air, sous nos pieds plus de chaumes.
L’hiver s’est abattu sur toute floraison ;
Des arbres dépouillés dressent à l’horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.
La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu’elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s’empresse à nous quitter.
Et froids tombent sur nous les rayons qu’elle darde,
Fantastiques lueurs qu’elle s’en va semant ;
Et la neige s’éclaire au loin, sinistrement,
Aux étranges reflets de la clarté blafarde.
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n’ayant plus l’asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.
Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur oeil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu’au jour la nuit qui ne vient pas.
(Guy de Maupassant, Des vers)
Berceuse de la poupée ...
Petite poupée en bonnet de dentelle
Sur vos cheveux fins de filasse blonde,
Dormez : l'horloge sonne et tout le monde
A mouché les chandelles.
Pierrot se couche et la lune se lève ;
Au faîte des toits tous les chats sont gris ;
Dormez et faites un beau rêve :
Tous les chats sont gris comme les souris.
Avec votre robe trop courte et fripée
Et vos bas qui tombent jusqu'aux talons,
Dormez et rêvez, petite poupée,
De quelque beau soldat de plomb.
En votre berceau de soie et de satin
Grand comme un sabot de frêne,
Etendez vos frêles jambes de bois peint
Et dormez bien, petite reine.
Votre enfantine et mignonne maman
Dort aussi sous le dais de son lit,
Et rêve d'un page charmant
Qui joue à la balle au jardin joli.
Petite poupée au nez rose et cassé,
Petite poupée au bonnet de travers,
A quoi bon laisser
Vos yeux bleus ouverts,
Puisque personne ne viendra vous embrasser,
Que les soldats de plomb ne font jamais la ronde
Et que le marchand de sommeil est passé
Pour tout le monde.
(Tristan Klingsor)
Le sapin de Noël
Le petit sapin sous la neige
Rêvait aux beaux étés fleuris.
Bel été quand te reverrai-je ?
Soupirait-il sous le ciel gris.
Dis-moi quand reviendra l'été !
Demandait-il au vent qui vente
Mais le vent sans jamais parler
S'enfuyait avec la tourmente.
Vint à passer sur le chemin
Un gaillard à grandes moustaches
Hop là ! en deux coups de sa hache,
Il ne reverra plus l'été,
Le petit sapin des montagnes,
Il ne verra plus la gentiane,
L'anémone et le foin coupé.
Mais on l'a paré de bougies,
Saupoudré de neiges d'argent.
Des clochettes de féerie
Pendent à ses beaux rameaux blancs.
Le petit sapin de noël
Ne regrette plus sa clairière
Car il rêve qu'il est au ciel
Tout vêtu d'or et de lumière.
.