Longtemps lanterne rouge en Europe, l’Allemagne connaît depuis six ans une hausse ininterrompue de ses naissances. Selon les derniers chiffres de Destatis, l’équivalent de l’Insee, le taux de natalité s’est élevé en 2016 à 1,59 enfant par femme, du jamais-vu depuis 1973 ! Certes, le pays partait de très bas.
Au creux de la vague en 1995, ce taux était tombé à 1,25. En 2011, il était encore à 1,34. « Mais, il s’agit d’une progression durable », se réjouit Sebastian Klüsener, de l’Institut Max-Planck pour la recherche démographique. L’une des principales raisons provient de l’immigration. Sur les 792 100 enfants nés en 2016 (+ 7 % par rapport à 2015), près de 185 000 avaient une mère étrangère. Cela représente une progression de 25 % par rapport à l’année précédente.
Parmi elles, les Syriennes, nationalité fortement représentée chez les réfugiées, ont mis au monde trois fois plus de bébés qu’en 2015. Du côté des femmes allemandes, si les chiffres sont plus modestes, ils sont également en augmentation de 3 % (607 500 naissances).
Une politique familiale volontariste
En effet, depuis une dizaine d’années, le pays a mis en place une politique familiale volontariste. Une nouveauté outre-Rhin où, depuis la Seconde Guerre mondiale et les traumatismes du nazisme, l’État s’interdisait toute incitation à la natalité. Ce sont les statistiques démographiques qui, au tournant des années 2000, ont provoqué une onde de choc : si rien n’était fait, le pays risquait de perdre deux millions d’habitants à l’horizon 2020.
Les gouvernements Schröder puis Merkel ont alors agi sur plusieurs fronts : augmentation des aides aux familles, création d’une allocation permettant aux mères et aux pères de prendre un congé parental d’un an tout en conservant les deux tiers de leur salaire. Et, surtout, construction de structures de garde d’enfants.
« Ces dix dernières années, nous avons investi dans 400 000 nouvelles places en crèches, indique Franziska Giffey, la nouvelle ministre de la famille (SPD). Fin avril 2018, nous avons signé un programme supplémentaire pour 100 000 places. » Dernière mesure en date : la gratuité des frais de garde jusqu’à 6 ans, soit une enveloppe de 3,5 milliards d’euros jusqu’en 2021.
De nombreuses mères devaient s’arrêter de travailler de nombreuses années
« Cette politique familiale joue un rôle indéniable, notamment chez les femmes qualifiées, qui sont celles qui font le moins d’enfants », poursuit Sebastian Klüsener. Aujourd’hui encore, une femme sur cinq choisit de ne pas enfanter pour ne pas pénaliser sa carrière.
Jusqu’à récemment, les horaires d’ouverture des garderies ne coïncidaient en effet pas avec celles des bureaux ; en outre, laisser un jeune enfant était mal vu. De nombreuses mères s’arrêtaient donc de travailler pendant plusieurs années après avoir accouché, puis reprenaient une activité à temps partiel seulement.
Démographie, le risque d’un déclin ?
Cependant, les mentalités évoluent, grâce à l’influence d’autres modèles, en particulier français. « Pourquoi faudrait-il choisir entre avoir une famille et un travail intéressant », s’interroge ainsi Anna, une hôtesse de l’air berlinoise. Malgré la désapprobation de ses parents et beaux-parents, elle a donc choisi de faire garder sa fille Luna, dès l’âge de 1 an.
Un renouveau démographique menacé par la réalité du terrain
Cette évolution rapide risque toutefois de se heurter à la réalité du terrain. En raison de la sous-estimation de ce mini-« baby-boom », « il manque encore 300 000 places de garde dans tout le pays », estime Wido Geis, expert en politique familiale à l’Institut économique de Cologne. La faute au manque de personnel. Peu attractif, le métier d’auxiliaire de puériculture suscite peu de vocations. Résultat : les crèches sont en sous-effectif chronique.
Comment relancer la natalité
Désormais, trouver un système de garde relève pour les parents du parcours du combattant. Ainsi, Ann-Mirja Böhm, cofondatrice de l’initiative « Crèches en crise à Berlin », a mis un an avant de trouver une place pour sa fille Paulina. « Une période très difficile », se souvient-elle. Pourtant, pour calmer les parents en colère, une loi de 2013 oblige les communes à garantir une place de Kindergarten à tous les enfants. Faute de moyens, cela ne suffit pas. De quoi mettre en péril le renouveau démographique de l’Allemagne ?