La Fête des Rois, de Jacob Jordaens, v. 1640-45 (Kunsthistorisches Museum, Vienne).
Jadis, l'usage voulait que l'on partage la galette en autant de parts que de convives, plus une. Cette dernière, appelée « part du Bon
Dieu », « part de la Vierge » ou « part du pauvre » était destinée au premier pauvre qui se présenterait au logis. Au Moyen Âge, les grands nommaient quelquefois le roi du festin, dont on s'amusait pendant le repas. L'auteur de la vie du duc Louis II de Bourbon, voulant montrer quelle était la piété de ce prince, remarque que, le jour des Rois, il faisait roi un
enfant de huit ans, le plus pauvre que l'on trouvât en toute la ville. Il le revêtait d'habits royaux, et lui donnait ses propres officiers pour le servir. Le lendemain, l'enfant mangeait encore à la table du duc, puis venait son maitre d'hôtel qui faisait la quête pour le pauvre roi. Le duc de Bourbon lui donnait communément quarante livres et tous les chevaliers de la cour chacun un franc, et les écuyers chacun un demi-franc. La somme montait à près de cent francs que l'on donnait au père et à la mère pour que leur
enfant fût élevé à l'école. Le royaume de
France se partageait alors en langue d'oc où l'on fabriquait toujours un gâteau des rois (la recette de la pâte variant suivant les régions : flamusse de Bresse, patissous du Périgord, coque des rois ariégeoise, Royaume des cévennes, garfou du Béarn, goumeau de Franche Comté, etc.) et langue d'oïl où l'on préparait dès le XVe siècle un dessert de pâte sablée fourré de crème d'amandes qui devient plus tard une pâte levée à la levure de bière nommée gorenflot.
On tirait le gâteau des Rois même à la table de Louis XIV. Dans ses Mémoires, Françoise de Motteville écrit, à l'année 1648, que : « Ce soir, la reine nous fit l'honneur de nous faire apporter un gâteau à Mme de Brégy, à ma sœur et à moi ; nous le séparâmes avec elle. Nous bûmes à sa santé avec de l'hippocras qu'elle nous fit apporter. » Un autre passage des mêmes Mémoires atteste que, suivant un usage qui s'observe encore dans quelques provinces, on réservait pour la Vierge une part qu'on distribuait ensuite aux pauvres. « Pour divertir le roi, écrit Françoise de Motteville à l'année 1649, la reine voulut séparer un gâteau et nous fit l'honneur de nous y faire prendre part avec le roi et elle. Nous la fîmes la reine de la fève, parce que la fève s'était trouvée dans la part de la Vierge. Elle commanda qu'on nous apportât une bouteille d'hippocras, dont nous bûmes devant elle, et nous la forçâmes d'en boire un peu. Nous voulûmes satisfaire aux extravagantes folies de ce jour, et nous criâmes : La reine boit ! » Avant Louis XIV, les grandes dames qui tiraient la fève devenaient reines de
France d'un jour et pouvaient demander au roi un vœu dit « grâces et gentillesses » mais « le Roi Soleil » abolit cette coutume.
Louis XIV conserva toujours l'usage du gâteau des Rois, même à une époque où sa cour était soumise à une rigoureuse étiquette. Le Mercure galant de janvier 1684 décrit la salle comme ayant cinq tables : une pour les princes et seigneurs, et quatre pour les dames. La première table était tenue par le roi, la seconde par le dauphin. On tira la fève à toutes les cinq. Le grand écuyer fut roi à la table des hommes; aux quatre tables des
femmes, la reine fut une femme. Alors le roi et la reine se choisirent des ministres, chacun dans leur petit royaume, et nommèrent des ambassadrices ou ambassadeurs pour aller féliciter les puissances voisines et leur proposer des alliances et des traités. Louis XIV accompagna l'ambassadrice députée par la reine. Il porta la parole pour elle, et, après un compliment gracieux au grand écuyer, il lui demanda sa protection que celui-ci lui promit, en ajoutant que, s'il n'avait point une fortune faite, il méritait qu'on la lui fit. La députation se rendit ensuite aux autres tables, et successivement les députés de celles-ci vinrent de même à celle de Sa Majesté. Quelques-uns même d'entre eux, hommes et
femmes, mirent dans leurs discours et dans leurs propositions d'alliance tant de finesse et d'esprit, des allusions si heureuses, des plaisanteries si adroites, que ce fut pour l'assemblée un véritable divertissement. En un mot, le roi s'en amusa tellement, qu'il voulut le recommencer encore la semaine suivante. Cette fois-ci, ce fut à lui qu'échut la fève du gâteau de sa table, et par lui en conséquence que commencèrent les compliments de félicitation. Une princesse, une de ses filles naturelles, connue dans l'histoire de ce temps-là par quelques étourderies, ayant envoyé lui demander sa protection pour tous les évènements fâcheux qui pourraient lui arriver pendant sa vie. « Je la lui promets, répondit-il, pourvu qu'elle ne se les attire pas. » Cette réponse fit dire à un courtisan que ce roi-là ne parlait pas en roi de la fève. À la table des hommes, on fit un personnage de carnaval qu'on promena par la salle en chantant une chanson burlesque. La galette proprement dite (pâte feuilletée plus crème frangipane) apparut au XVIIe siècle, Anne d'Autriche et son jeune fils Louis XIV en partagèrent une la veille de l'épiphanie de 1650.
Une galette des Rois entamée.
En 1711, le Parlement délibéra, à cause de la famine, de le proscrire afin que la farine, trop rare, soit uniquement employée à faire du pain. Au commencement du xviiie siècle, les boulangers envoyaient ordinairement un gâteau des Rois à leurs pratiques. Les pâtissiers réclamèrent contre cet usage et intentèrent même un procès aux boulangers comme usurpant leurs droits. Sur leur requête, le parlement rendit, en 1713 et 1717, des arrêts qui interdisaient aux boulangers de faire et de donner, à l'avenir, aucune espèce de pâtisserie, d'employer du beurre et des œufs dans leur pâte, et même de dorer leur pain avec des œufs. La défense n'eut d'effet que pour Paris et l'usage prohibé continua d'exister dans la plupart des provinces. Quand vint la Révolution, le nom même de « gâteau des Rois » fut un danger et Manuel, du haut de la tribune de la Convention, tenta sans succès d'obtenir l'interdiction du gâteau des Rois (son nom fut même un temps remplacé par la galette de l'égalité), mais la galette triompha du tribun. Peu après, un arrêté de la Commune ayant changé le jour des Rois en « jour des sans-culottes », le gâteau n'eut plus sa raison d'être, mais cette disparition ne fut que momentanée car il reparut bientôt sur toutes les tables familiales dès que la conjoncture le permit.
Plus de 80 % des galettes des rois vendues à Paris sont des produits industriels que les commerçants (boulanger/pâtissier) se contentent de réchauffer