Chaque année au printemps, l’île Christmas, située dans l’océan indien, au large de l’Australie, est envahie par le crabe rouge (Gecarcoidea natalis).
Pendant près d’un mois, l’île est presque paralysée par cette invasion pacifique de milliers de crabes rouges.
Ces crabes d’environ 10 cm de large, sortent de la forêt, traversent les routes et les maisons, pour migrer vers les plages à l’époque de la reproduction.
En effet, le crabe rouge est un crabe terrestre qui vit loin de la mer mais y retourne pour se reproduire.
Portrait du crabe rouge
Ce crabe peut peser plus d’un kilo et vivre plus de 12 ans. Fouisseur efficace, grâce à ses pinces puissantes, il vit dans des cavités humides au cœur de la jungle.
Son rôle est de nettoyer son environnement en faisant disparaître les feuilles mortes, les fruits blets et les dépouilles animales.
C’est un excellent éboueur, très utile. 120 millions de ces crustacés font ainsi le ménage dans l’île.
Pendant la saison sèche, ils s’enfouissent dans des cavités pour y « hiberner » pendant plusieurs mois.
Comme de nombreuses espèces terrestres, le crabe rouge s’aventure hors de son territoire pour migrer vers la mer. Cet exode annuel se déroule au printemps c’est-à-dire en novembre dans l’hémisphère sud.
Crabe rouge (Gecarcoidea natalis). Image Peter from Perth
Sur cette petite île d’à peine 135 km² et 2 771 habitants environ, plusieurs espèces de crabes se côtoient. Le plus gros est le célèbre crabe des cocotiers.
Le plus petit, le crabe rouge, est l’attraction de l’île. Il est impropre à la consommation. La période de transhumance dure de 9 à 18 jours et il est alors préférable de fermer sa porte.
La migration du crabe rouge
Jusqu’à 7 000 crabes par km progressent ensemble à environ 0,10 m/sec.
Les mâles ouvrent la marche, les gros en avant et les petits derrière suivis par les femelles. C’est un véritable déferlement grouillant qui se déplace sur un front de plusieurs kilomètres. Les habitants de l’île y sont habitués et continuent leur train-train quotidien au milieu des crabes.
Pourtant, les crabes envahissent tout : les routes, les maisons, les voitures, les toits, les terrains de golf…
Crabe des cocotiers. Image Drew Avery
Ils envahissent également les voies utilisées par les wagons pour le transport du phosphate, unique ressource de l’île.
Automobiles et wagons provoquent une véritable hécatombe. Environ 100 000 crabes sont transformés en brochettes chaque année.
Cela n’affecte d’ailleurs en rien la survie de l’espèce. Ce chiffre représente moins de 1% de la population adulte.
Vue du littoral de l'île. Image Blue Bec
La marée de crabes descend en zigzaguant vers la mer le matin et en fin d’après midi pour éviter la canicule.
Les plus gros crabes arrivent à destination en 5 à 7 jours.
Une ponte collective
A leur arrivée sur les plages, les crabes barbotent dans l’eau afin de reprendre des forces. Ils se réhydratent et tous boivent goulûment.
Ensuite, les géniteurs construisent des terriers sur les terrasses côtières et s’en disputent la propriété à grands coups de pinces.
Les femelles rejoignent ensuite les mâles. L’accouplement se produit à l’intérieur du terrier. Puis, le mâle entreprend le voyage en sens inverse vers la jungle.
Le crabe rouge ne rejoint la mer que pour la reproduction. Image Peter from Perth
Les femelles restent dans le terrier 12 jours pendant que les œufs se développent. A terme, elles se rendent toutes ensemble sur le littoral. Ce sont plusieurs couches de crabes qui s’agitent.
Empilées les unes sur les autres, les femelles poussent des cris qui ressemblent à celui des bébés oiseaux.
A la nuit, les femelles se dirigent vers la mer et sont saisies de véritables spasmes. L’abdomen libère la progéniture.
Souvent, les femelles, accrochées aux rochers et parfois aux falaises hautes de 8 m, secouent leur abdomen au-dessus de l’eau pour libérer la ponte.
La période de ponte dure de 5 à 6 nuits. Les femelles abandonnent alors leur progéniture pour retourner dans la jungle.
Chaque femelle expulse près de cent mille œufs. En grappes compactes, les larves minuscules restent un peu moins d’un mois entre deux eaux.
Les eaux sont alors transformées en une gigantesque nappe gluante.
Crabe rouge qui rejoint son lieu de reproduction. Image BlueBec
Puis, les bébés crabes, tout rouges et aux yeux noirs, sortent de la mer. Ils forment d’immenses tapis rouges grouillant sur toute la côte.
Leur longue marche pour retourner en forêt commence par une difficulté de taille, celle d’escalader les falaises qui longent la majeure partie du littoral.
Seuls les oiseaux de mer constituent une menace pour eux.
Une nouvelle invasion commence alors.
Les bébés crabes, par millions, s’aventurent sur l’île dès leur sortie de la mer. Ils grimpent sur les murs, passent sous les portes et squattent les toilettes.
Beaucoup mourront, victimes des oiseaux, des voitures ou d’autres crabes terrestres.
L'extraction de phosphates constitue encore la principale industrie de l'île, mais les réserves s'amenuisent.
Depuis plusieurs années, un complexe touristique a été aménagé afin d'attirer des touristes. Nul doute que la migration des crabes rouges constituera une attraction de choix.