forage
Les carottes de glace extraites des glaciers de haute altitude constituent de formidables archives de notre climat passé. Au travers de forages dans les glaciers andins découvrons les secrets de notre climat actuel.
Les précipitations s'accumulent au cours du temps formant des glaciers pérennes, et renferment dans leurs compositions chimiques et isotopiques de précieuses informations quant au climat qui régnait lors de leur déposition.
Le travail du climatologue est de "faire parler" ces traceurs géochimiques contenus dans ces glaces tropicales et tempérées et de les traduire en termes de variables climatiques quantifiées comme la température ou la quantité de précipitation.
Passage de nuages au lever du soleil sur un contrefort du San Valentin. Chili
- Robert Gallaire
Les questions que nous nous posons sont les suivantes :
Comment fonctionne notre climat, quels en sont les rouages ?
Quelle est la variabilité climatique naturelle du climat ?
Comment va-t-il évoluer dans un contexte de changement global dans des régions fortement peuplées et en voie de développement ?
En effet, dans beaucoup de pays andins, les glaciers représentent quelquefois la seule ressource eneau et leur recul observé depuis les années 1960 est fort préoccupant. La question in fine à laquelle nous souhaitons répondre est : quel peut-être l'impact du changement global sur ces régions tributaires des glaciers pour leur ressource en eau ?
Quel outil pour faire parler les glaces ?
Les élémentsoxygène et hydrogène possèdent chacun plusieursisotopes stables (oxygène 16 et 18 - O16 et O18- et hydrogène et deutérium - H et D- respectivement; ils diffèrent par leur nombre de neutrons. Ainsi la molécule d'eau possède-t-elle plusieurs formes selon q'un atome d'oxygène 18 remplace un atome d'oxygène 16 ou bien qu'un atome de deutérium remplace un atome d'hydrogène.
Camp de forage sur le glacier sommital du San Valentin, au fond le San Lorenzo. Pour la première fois, plusieurs carottes de glace ont été extraites d'un glacier patagonien, le San Valentin (Chili, 47 degrés sud) culminant à 3900 m, dans le cadre du projet Sanvallor
Patrick Ginot -
Ces différentes formes de la molécule d'eau ont des masses et des symétries différentes, ce qui induit un comportement différent lors des changements de phases qui ont lieu au cours du cycle de l'eau atmosphérique (évaporation de la surface des océans, condensation le long de la trajectoire des nuages depuis les tropiques jusqu'aux pôles, formation de cristaux de glace en altitude ou au-dessus des pôles, recyclage de la vapeur d'eau via la transpiration par la végétation sur les continents, etc).
Ainsi, lors d'un changement de phase,les molécules d'eau vont se redistribuer entre les différents réservoirs (vapeur, gouttes d'eau, cristaux), c'est ce qu'on appelle le fractionnement isotopique. Par exemple, en s'évaporant, la surface de l'océan crée une vapeur d'eau légèrement enrichie en molécules d'eau légères (H2O16) par rapport aux molécules lourdes (HDO ou H2O18) qui restent préférentiellement dans la phase condensée.
Au cours de son voyage, cette masse d'air va se refroidir en s'élevant lors des ascendances liées aux systèmes convectifs, et par conséquent son contenu en vapeur d'eau va se condenser. A chaque condensation, la vapeur d'eau s'appauvrit encore un peu plus en molécules lourdes, qui quittent la masse d'air définitivement emportées par la précipitation. Ainsi comprend-on que plus les pluies sont intenses au cours du voyage de la masse d'air, plus les neiges précipitant sur les sommets andins sont appauvries en molécules lourdes.
L'intérêt, pour les climatologues, est que ces fractionnements sont régis par les conditions de température et d'humidité qui règnent lors de ces changements de phase et qui contrôlent aussi les quantités de précipitation disponible. Ainsi, en connaissant bien la physique des fractionnements ils peuvent retracer les conditions climatiques dans le passé en étudiant la composition isotopique des précipitations passées, soient des glaces et des glaciers, c'est à dire le rapport entre le nombre de molécules lourdes et de molécules légères dans un échantillon d'eau.
Pour comprendre la finesse des fractionnements isotopiques et obtenir des relations exploitables entre la composition isotopique des glaces et les paramètres climatiques, les climatologues utilisent une hiérarchie de modèles dans lesquels le cycle atmosphérique des isotopes de l'eau est représenté à travers les lois du fractionnement isotopique. Les modèles les plus simples simulent l'appauvrissement en molécules d'eau lourdes des masses d'air comme une simple distillation de Rayleigh. Les modèles les plus complexes sont les modèles de climat couplés océan-atmosphère utilisés pour les prévisions du climat futur et dans lesquels est ajouté le cycle des isotopes. Entre ces deux types de modèles, sont utilisés des modèles adaptés aux régions étudiées qui représentent plus précisément l'orographie par exemple ou alors des modèles conceptuels qui décortiquent l'influence des divers processus locaux .
Enfin, la méthode utilisée pour mesurer la composition isotopique des glaces est la spectrométrie de masse. Cet appareil utilise le principe de la loi de Lorentz qui dit qu'un champ magnétique appliqué sur des molécules chargées est capable de les dévier suivant leur masse. Ainsi, on peut distinguer les molécules lourdes des molécules légères et on peut déduire le rapport isotopique d'un échantillon. L'eau des glaciers n'est pas directement introduite dans ces appareils. Pour la mesure du rapport H2O18/ H2O16, l'échange isotopique est utilisé, connu entre l'eau et le dioxyde de carbone. Une fois ce dernier équilibré isotopiquement avec l'eau, il est introduit dans le spectromètre de masse. L'échange isotopique entre l'eau et le dioxyde de carbone ne dépend que de la température, qui est controlée, il est donc facile de remonter à la composition de l'eau initiale à partir de la composition isotopique du dioxyde de carbone mesurée par le spectromètre. Pour la mesure du rapport HDO/ H2O16, l'eau est réduite sur de l'uranium chauffé. C'est le gaz hydrogène résultant qui est introduit dans le spectromètre de masse puis le principe est le même.
Les rapports isotopiques sont mesurés par rapport à un standard international et sont donnés en pour mille d'appauvrissement par rapport à ce standard. Pour l'eau, le standard international appelé V-SMOW est la composition isotopique moyenne de l'eau de mer, par définition à zéro pour mille.
Si l'interprétation de la composition isotopique desglaces polaires est bien contrainte à présent, ce n'était pas le cas dans les régions tropicales et donc, avant d'interpréter les enregistrements issus des glaciers tropicaux, il a été nécessaire de bien comprendre l'outil isotopique dans un contexte très différent du contexte antarctique. En effet, le cycle de l'eau tropical possède des particularités qui affectent grandement la composition isotopique de la pluie.
Ce sont par exemple, les effets de la végétation qui en transpirant réinjecte une partie de l'eau qu'elle a absorbée au niveau des racines; l'évaporation des zones inondées ou bien la nature même de la pluie, issue de nuages convectifs monstrueux de plusieurs kilomètres de hauteur qui "malmènent" les gouttes de pluie et modifient considérablement leur composition.
Pour mener ce travail de calibration, il a été monté en Bolivie, au Pérou et en Equateur, un réseau de pluviomètres collectant la pluie à chaque événement de précipitation et aussi mensuellement. Ce réseau est constitué d'une dizaine de stations dans chacun des trois pays, qui fonctionnent maintenant depuis presque 8 ans. Les pluies collectées sont envoyées semestriellement en France, au LSCE, où elles sont analysées dès réception pour avoir un suivi proche des conditions de prélèvement. Ces collectes de pluies et l'étude de leur composition isotopique en regard des conditions météorologiques locales et régionales (température et précipitation) ont permis de mettre en évidence que la composition isotopique des glaces andines retrace les conditions d'humidité (les quantités de précipitation) en amont des Andes, c'est à dire en Amazonie et au-dessus de l'Océan Atlantique tropical.
Comment dater les carottes
La datation des carottes de glace tropicales découle d'une combinaison de méthodes. Lorsque la résolution temporelle le permet, généralement sur la première moitié de la carotte (les premiers 50-60 m), la datation se fait par comptage des cycles saisonniers des éléments chimiques et de la composition isotopique de la glace. La présence de cycles saisonniers marqués s'explique par l'alternance de saisons sèches et humides modifiant d'une part la manière dont les éléments chimiques se déposent (dépôt sec ou humide) et d'autre part la composition isotopique de la neige à cause de "l'amount effect" (en saison des pluies, la composition est très appauvrie en molécule lourde).
Equateur : Couche de cendre volcanique visible dans une carotte de glace
- Patrick Wagon
Cette datation par comptage est contrainte par des repères dits absolus : identifications de couches de cendre correspondant à une éruption volcanique connue (le Tambora en 1815 par exemple ou le Pinatubo en 1991) et des tests thermonucléaires laissant dans l'atmosphère des traces telles que de fortes concentrations en Tritium ou en Césium 137 (doubles pics caractéristiques des essais atmosphériques de 1963). On utilise aussi la décroissance de certains éléments radioactifs comme le Plomb 210. La datation basée sur les cycles saisonniers permet de dater à plus ou moins 2 ans le dernier siècle suivant la carotte considérée.L'erreur sur la datation augmente avec la profondeur et peut atteindre plusieurs dizaines d'années à la profondeur où les cycles saisonniers disparaissent (vers 70-80 m à Illimani par exemple). Ainsi, lorsque la compaction de la neige ne permet plus d'identifier les cycles saisonniers dans les analyses, la datation peut être effectuée en utilisant des modèles d'écoulement de la glace calculant l'évolution de la compaction de la neige en fonction de la profondeur, par comparaison avec d'autres carottes possédant des profondeurs bien datées (par exemple, des débris végétaux et un insecte retrouvés dans la carotte du Sajama ont permis de donner un âge à la glace grâce à des mesures de carbone 14 sur ces matériaux).
c'est vrai...
sans ça elles auraient pû disparaître des environs
http://leschauvessouris.centerblog.net
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