Hercule se reposant après avoir nettoyé les écuries d'Augias, relief en ivoire, IVème siècle.
Après quatre premières épreuves qui renforcèrent un peu plus la légende du héros, Eurysthée décida de froisser l’amour-propre d’Héraclès en lui assignant une mission aussi laborieuse que dégradante : nettoyer les écuries d’Augias. Selon lui, l’orgueilleux fils de Zeus méritait une bonne leçon de modestie et quoi de plus jouissif, pour un homme comme Eurysthée, que d’humilier un demi-dieu. Héraclès, résigné, accepta l’ordre sans broncher : c’était le prix à payer pour conquérir l’immortalité.
Héraclès quitte donc Mycènes et se lance en direction du royaume d’Elide, au nord-ouest du Péloponnèse. Il est bien décidé à ne pas perdre plus d’une journée dans ce travail d’esclave, sans aucun doute le plus dégradant qu’il n’aura jamais à réaliser. Le héros longe le nord de la péninsule, traverse l’Achaïe et arrive aux frontières de l’Elide où une forte odeur âcre parvient à ses narines. Au fur et à mesure qu’il pénètre à l’intérieur de la région, l’air se fait de plus en plus irrespirable et Héraclès découvre la cause de cette puanteur : les pâturages de la vallée se trouvent totalement recouverts d’excréments bovins et la couche nauséabonde empêchent non seulement le labourage des terres d’Elide mais en plus, elle commence à asphyxier les peuples voisins. Le héros comprend assez vite que cette puanteur est liée au travail qui lui a été confié et il part à la rencontre du fameux Augias. Ce dernier, souverain d’Elide et fils d’Hélios, vit non loin de là, dans la cité d’Elis ; il peut se vanter de posséder le plus important troupeau du monde : parmi ses 3000 têtes de bétail, on ne compte pas moins de 12 taureaux argentés consacrés à son père, le soleil, auxquels s’ajoutent 200 taureaux rouges et 300 taureaux noirs à pattes blanches… De plus, ses bêtes allient une santé de fer à une extraordinaire fécondité.
On imagine un peu mieux l’état des écuries royales d’autant plus qu’elles n’ont pas été nettoyées
Hercule dérivant le cours du fleuve
, dessin, Nicolas Poussin, XVIIème siècle
Hercule détournant le fleuve Alphée, dessin, Charles Lameire, vers 1872.
Les écuries d'Augias, pigment sur bois, François Peltier, 2001.
Confiant en sa force, Héraclès demande à être reçu par Augias. Sans jamais évoquer l’ordre d’Eurysthée, il lui propose le marché suivant : il se charge d’extraire tout le purin des écuries en une seule journée en échange d’un dixième du formidable troupeau d’Augias; il prend d’ailleurs à témoin Philée, le propre fils du roi. Augias accède à la demande du héros et il ne lui donne sa parole d’honneur que parce qu’il est certain de l’échec de l’entreprise. Sur place, Héraclès constate le degré extrême de saleté ; jamais il n’avait vu autant d’immondices dans un même lieu et le nettoyage allait nécessiter sans aucun doute une immense quantité d’eau. Ainsi lui vient l’idée toute simple de détourner les deux fleuves de la région : en déviant l’Alphée et le Pénée il se simplifierait les choses sans se souiller les mains. Sans perdre un instant, et avec la délicatesse qui le caractérise, il prend sa massue et crée deux brèches dans un des murs de l’écurie après avoir mis les animaux à l’abri. Il se lance ensuite sur les bords des deux rivières et il creuse deux tranchées en directions des étables ; avec sa force titanesque il jette dans les eaux des fleuves les plus lourdes pierres qu’il rencontre et bloque ainsi leur cours naturel. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, l’Alphée et le Pénée s’écoulent dans les canaux tracés par Héraclès et se précipitent vers les écuries, les décrassant, les nettoyant, les purifiant. Les eaux tumultueuses charrièrent tout le fumier accumulé depuis des années et emportèrent avec elles l’énorme couche d’excréments qui étouffaient les terres fertiles d’Elide. Héraclès contemple fièrement le résultat de sa grande lessive et, voyant s’éloigner vers la côte les flots infâmes, il répare les dommages qu’il a causé. En une seule journée le héros réussit à rendre aux étables royales leur aspect originel ; en deux temps trois mouvements il colmate les brèches de l’écurie et rend aux deux fleuves leur lit d’origine.
Hercule détourne l'Alphée, huile sur toile, Zurbarán, 1637.
Hercule nettoyant les écuries d'Augias, Honoré Daumier,1842.
Réjoui d’avoir fini sa corvée, Héraclès s’en retourne au palais d’Augias bien décidé à faire respecter l’engagement du roi. Mais la mauvaise foi d’Augias n’a pas de limite : refusant de lui donner ne serait-ce qu’un seul animal, il nie purement et simplement lui avoir promis le dixième de son troupeau en gage du nettoyage et d’ailleurs, avaient-ils signé un contrat ? Le pauvre Héraclès retient sa colère avec une surprenante maîtrise et demande le témoignage du propre fils du roi, Philée. Ce dernier, de bonne foi, confirme la version du héros et provoque par là même le courroux de son père. Pour éviter tout procès qui lui serait défavorable, Augias expulse de son royaume à la fois Philée et Héraclès : le premier s’exile à Doulichion et quant au héros, il quitte l’Elide non sans avoir promis au malhonnête Augias qu’il reviendrait lui faire la guerre, et tout le monde savait qu’Héraclès, lui, tiendrait sa parole. Sur le chemin du retour, Héraclès traverse une petite cité d’Achaïe nommée Olénos où un étrange mariage a lieu : le roi Dexaménos est forcé de marier sa fille Mnésimaché au centaure Eurytion, ce dernier menace de dévaster la région si on ne cède pas à tous ses désirs. Eurytion n’en était d’ailleurs pas à son premier coup, il avait déjà joué les trouble-fête lors des noces de Pirithoos et d’Hippodamie et avait survécu au massacre des centaures perpétré par Héraclès durant son quatrième travail. Quand Héraclès reçoit l’hospitalité de Dexaménos, celui-ci lui demande d’empêcher à tout prix ce mariage honteux. Toujours près à rendre service, le héros, fidèle à sa finesse légendaire, écrase sa massue sur la tête du centaure en plein milieu de la cérémonie et libère Mnésimaché du joug du maudit Eurytion.
Le reste du trajet vers Mycènes se passa sans encombre et Héraclès se présenta une nouvelle fois devant la cour d’Eurysthée pour lui annoncer le succès de son cinquième travail ; mais Eurysthée était réellement de mauvaise humeur : le dégradant labeur qu’il exigea du héros ne l’avait pas soulagé, maintenant il refusait de prendre en compte la réussite de l’épreuve ; le fourbe Eurysthée prît connaissance du marché entre Augias et Héraclès et ce dernier ne devait demander aucun salaire tant qu’il ne terminerait pas ses travaux.