Hercule dans le jardin des
Hespérides, huile sur toile,
Pierre Paul Rubens, XVIIème siècle.
Le Jardin des Hespérides
Après déjà plus de huit années d'épreuves épuisantes, Héraclès se voit ajouter à ses dix travaux accomplis deux autres tâches supplémentaires, Eurysthée n'ayant pas validé ceux de l'Hydre de Lerne et des écuries d'Augias. Et cette fois, le roi de Mycènes place la barre très haute : il contraint le héros à deux voyages dans l'Au-Delà dont le premier consiste à découvrir le jardin des Hespérides afin d'y dérober les mystérieuses pommes d'or. Héraclès part donc à la recherche de cette obscure terre d'Occident dont il ignore totalement l'emplacement ; il quitte alors Mycènes pour se diriger vers le nord de la Grèce.
Quittant les terres familières grecques, Héraclès atteint la Macédoine en quelques jours de marches. Sur place, au passage du fleuve Echédôros, le héros va essuyer son premier contretemps : un certain Lycaon se présentant comme le fils d'Arès (Dieu de la guerre) prétend le battre en duel. Avivé par le défi, le sourire aux coins des lèvres, Héraclès se lance à toute allure sur l'ambitieux personnage pour lui faire goûter sa fameuse masse. Cependant, il s'aperçoit très vite que ses formidables coups sont tous esquivés et que ce Lycaon se permet même le luxe de le frapper en retour... or seul un dieu peut rivaliser avec la force d'Héraclès. D'ailleurs Zeus, qui observe cette étrange scène depuis le mont Olympe, se rend très vite compte que c'est en fait Arès qui dirige le combat de son fils. S'en est trop ! il prend son foudre et, tel un lanceur de javelot, l'envoie entre les deux lutteurs en signe d'interruption du combat. Abandonné par son féroce adversaire et encore ébloui par l'éclair divin, Héraclès constate avec joie que son illustre géniteur veille toujours sur lui. Après cet épisode, le héros s'interroge sur la direction qu'il va emprunter ; et même si le passage du fleuve Echédôros l'orientait plutôt vers l'est, c'est bien vers l'ouest qu'il poursuit son chemin.
Longeant la côte Adriatique vers le pays des Illyriens (dans l'actuelle Bosnie-Herzégovine) il atteint assez rapidement le fleuve mythique du nord-ouest : L'Eridan qui évoque à la fois le Pô et le Rhône. Héraclès remonte le mystérieux fleuve jusqu'à sa source, guidé par le chant envoûtant des naïades. Ces dernières s'avancent doucement vers le héros, virevoltent autour de lui, frôlent son corps, mais leur charme ne perturbe pas l'impassibilité d'Héraclès ; froid comme le marbre il questionne les nymphes aquatiques sur le jardin des Hespérides, sur ses pommes d'or et sa localisation. Mais les naïades continuent leur ronde, couronnées de fleurs, fredonnant les paroles d'une étrange sérénade.... Devant l'agacement évidant du héros, les gracieuses néréides vont lui livrer, toutes en chœur, une information importante : bien qu'elles ne connaissent pas l'emplacement du jardin des pommes d'or, elles connaissent un personnage nommé Nérée, Vieillard de la mer, qui pourrait l'aider dans sa quête ; elles lui indiquent avec un inquiétant sourire l'endroit où le vieux sage à l'habitude de dormir. Sur ces derniers mots Héraclès se lance sur les traces de ce mystérieux Nérée qu'il compte bien faire parler quoiqu'il advienne.
Après seulement une centaine de pas, le héros aperçoit un vieil homme endormi profondément dans une petite grotte, une longue barbe et de longs cheveux ne pouvait cacher son visage creusé par le temps. Héraclès s'approche lentement, à pas de velours... quand CRAC ! une branche cède sous son poids réveillant brusquement le vieillard. Pris de panique, ce dernier utilise la ruse classique des divinités marines : la métamorphose. Malheureusement pour lui, les mains robustes du héros tiennent déjà solidement ses membres et il a beau s'épuiser à se changer en pierre, en animal sauvage ou en en plante verte, il ne parvient pas à se libérer de l'étau qui le tient prisonnier. Vaincu par la force herculéenne, Nérée accepte de livrer quelques renseignements.
Hercule luttant contre Nérée, lécythe à figures noires, 500-490 avJC.
Sans lâcher le vieux magicien, Héraclès apprend que les pommiers aux fruits d'or sont gardés par un serpent aux cent cris différents, dans un jardin de l'Extrême Occident où vivent les nymphes Hespérides("Occidentales"). Mais ces informations un peu vagues laissent Héraclès dans le flou et Nérée profite de ce moment d'inattention pour se transformer en serpent et se faufiler entre deux pierres. Peu importe, le héros se dirige déjà vers les terres de l'ouest qu'il a eu l'occasion de visiter lors de son périple dans le royaume de Géryon. Après quelques jours de voyage il atteint la région de Tartessos (dans l'actuelle Andalousie) et, sans le savoir, il est tout proche du jardin des Hespérides. Cependant, il ne parvient pas à découvrir l'entrée du lieu sacré que lui a décrit Nérée et, bien vite, il se met à tourner en rond fouillant chaque recoin du sud-ouest de la péninsule ibérique. Le héros est dans l'embarras : bien qu'il sache où se situent les pommes d'or il ne sait pas comment y parvenir. Il se résout donc à aller consulter le Titan Prométhée, frère d'Atlas, qui sera certainement en mesure de l'aider dans sa quête ; le seul souci est que Prométhée se trouve enchaîné sur le Caucase, à l'autre bout de l'Europe...
En quelques jours, Héraclès franchit le détroit de Gibraltar d'où s'élèvent les colonnes à son nom, et parcourt toute l'Afrique du nord en longeant le littoral. Il traverse sans incident la Mauritanie, la Petite et la Grande Syrte (l'actuelle Tunisie et l'ouest de la Libye) avant de se voir retarder à l'est de Cyrène, en Libye, par le géant Antée (ou Antaios), fils de Gaia, la Terre. Ce roi cruel a pour habitude de couronner le temple de Poséidon avec les crânes des pauvres voyageurs qui traversent sa région. Le héros, bien loin d'être impressionné, accepte sans hésiter le combat que lui propose le libyen et il n'a d'ailleurs pas beaucoup le choix s'il veut poursuivre sa route. Les deux guerriers s'empoignent et, à la manière des lutteurs classiques, Héraclès tente de projeter le colosse au sol ; mais bien vite il s'aperçoit que c'est peine perdue : à chaque fois, Antée retrouve ses forces au contact de sa mère, la Terre. Pour le vaincre, le héros procède à l'inverse de la lutte habituelle, il saisit le géant à la taille, le soulève et le maintient suspendu ainsi, sans plus aucun contact avec le sol. Sentant ses forces l'abandonner, Antée tente en vain de se défaire de l'étreinte fatale de son adversaire ; Héraclès ne lâche prise qu'au moment où le fils de Gaia n'est déjà plus de ce monde.
Hercule et Antée, bronze,
Jean De Bologne, XVIème siècle.
Hercule soulevant Antée,
Zurbarán, 1637.
Une spectatrice inattendue a suivi avec passion le combat qui vient de s'achever : c'est Iphinoé, la femme du géant. D'abord attristée par la mort de son époux, elle ne peut résister longtemps au charme de son vainqueur. A peine a-t-il rendu à la Terre la dépouille de son fils que le héros voit cette femme se jeter à son cou et s'offrir à lui ; de cette union naîtra un fils du nom de Palaimon.
Fatigué par son combat et par sa nuit d'ivresse amoureuse, Héraclès s'endort à même le sol dans un sommeil lourd et régénérateur. C'est alors qu'il est attaqué sans s'en rendre compte par une horde de pygmées venu du sud-ouest de l'Egypte ; les petits hommes profitent du repos du héros pour ligoter solidement ses poignets et ses chevilles. Ce dernier se réveille, sentant des fourmillements sur tout son corps, et se libère sans peine de ses liens. Il observe calmement la fuite des pygmées et range les cordelettes (pour les enseigner à Eurysthée) dans un pan de sa peau de lion en souvenirs de cet étrange épisode.
Hercule attaqué par les Pygmées, gravure de Cornelis Cort (d'après Flans Floris), 1563.
Héraclès reprend son voyage à rebours d'ouest en est et se dirige vers la grande et glorieuse Egypte où règne le terrible pharaon Bousiris ; celui-ci sacrifie les étrangers sur l'autel de Zeus car, selon un oracle, c'était la seule manière d'en finir avec la disette. Ce fut d'ailleurs un chypriote nommé Phrasios, devin professionnel, qui prophétisa à la cour du roi ; en remerciement, il fut le premier étranger égorgé par le pharaon.
Dès qu'il a franchi les frontières qui séparent la Libye de l'Egypte, Héraclès est immédiatement arrêter par les autorités du pays. On lui lie ses poignets derrière le dos et on lui impose une marche forcée sur Per-Ousere (aujourd'hui Abousir), lieu de résidence du sanguinaire Bousiris. Bien loin de se rebeller, le héros constate avec amusement que les coutumes locales sont décidément très enclines au ligotage des voyageurs et il est bien loin d'imaginer qu'on le mène sur l'autel des sacrifices. Escorté par une centaine de guerriers, il est présenté au pharaon à l'intérieur de son somptueux palais, et c'est en son honneur que Bousiris lève un fastueux banquet rempli des mets les plus succulents. Tel un mort de faim Héraclès se jette sur la table et avale tout ce qu'il peut, ingurgite, dévore, croque à pleines dents dans un tel élan de gloutonnerie que beaucoup en sont écœurés. Cependant, bien loin d'être un message de bienvenue ce repas semble plutôt s'apparenter au dernier festin d'une victime qu'on engraisse avant de sacrifier au dieu. D'ailleurs, Bousiris ordonne déjà à ses valets de placer l'insatiable héros sur l'autel du temple tel un bœuf pendant l'hécatombe. A ce moment, le héros prend conscience de la menace qui pèse sur lui ; il attend patiemment le moment opportun, et quand le pharaon en personne lève sa lame tranchante au-dessus de sa gorge, il brise ses liens et écrase son poing sur le visage de Bousiris, le tuant sur le coup ; il procède de même avec le fils du roi nommé Amphidamas, réglant par avance les problèmes de succession. Profitant du chaos occasionné par le crime de lèse-majesté, Héraclès s'enfuit du palais pharaonique et, au pas de course, il atteint rapidement l'Arabie laissant derrière lui l'Egypte orpheline de son souverain.
Héraclès luttant contre Busiris, amphore à figures noires, Vème siècle avJC.
De l'éprouvante traversée du héros dans les régions désertiques d'Arabie on ne retiendra que sa rencontre fortuite avec un certain Emathion, fils d'un prince troyen, dont le goût pour les défis au combat lui coûtera la vie. Héraclès, pour calmer les esprits, intronise Memnon, le frère du roi défunt, et il poursuit son chemin vers le nord où il aperçoit déjà, dans le lointain, les sombres montagnes du Caucase.
En escaladant quelques rochers, il finit par apercevoir, enchaîné contre la paroi d'un sommet, le Titan Prométhée. Ce dernier avait était sévèrement puni par Zeus pour avoir appris aux hommes l'usage du feu ; prisonnier pour l'éternité, il devait subir un supplice terrible : son foie était dévoré par un aigle puis régénéré chaque jour pour que se perpétue le châtiment.
Héraclès et Prométhée, fresque,
Annibale Carracci, XVIIème siècle
Hercule délivrant Prométhée, dessin, Toussaint Dubreuil, XVIème siècle.
Hercule et Prométhée, huile sur toile, Christian Griepenkerl, XIXème siècle.
Et quelle ne fut pas sa surprise quand il vit le rapace transpercé par une seule flèche du héros! Ensuite, Héraclès rompt les chaînes de Prométhée et, pour ne pas contrarier Zeus qui s'était juré autrefois de le garder attaché, il les remplace par des liens d'oliviers ; par la même occasion, il fournit à son divin père le malheureux Chiron -l'immortel centaure que le héros avait involontairement blessé lors de son quatrième travail-qui acceptait de mourir en échange de Prométhée. Après sa libération, le Titan consent à aider Héraclès dans sa quête : il lui décrit avec précision le chemin qu'il doit prendre et lui dévoile ses futures péripéties. Sans plus attendre, le héros se lance de nouveau vers l'Extrême Occident en suivant scrupuleusement les conseils prodigués par Prométhée ; quittant le Caucase, il rejoint la Thrace et le nord de la Grèce par le détroit du Bosphore, en quelques semaines de marche il atteint le pays des Ligures (au nord de l'Italie et au sud de la France) où, comme le lui avait prédit le Titan, il est attaqué par des indigènes locaux tellement nombreux que les flèches viennent à lui manquer ; le sol trop mou ne lui offre aucun type de projectile pour exterminer les derniers survivants et c'est Zeus lui-même qui fait tomber une avalanche de pierres pour aider son fils à chasser les belliqueux latins. Héraclès poursuit sa route et franchit les Pyrénées pour la seconde fois dans ce onzième travail.
Hercule cueille les pommes d'or, Georges Desvallière, XXème siècle.
Hercule luttant contre le serpent, XVIIème siècle.
De nouveau il traverse la péninsule ibérique et, sur les conseils de Prométhée, il enjambe le détroit de Gibraltar afin de rencontrer le Titan Atlas : ce dernier est le seul à pouvoir aider le héros dans sa quête des pommes d'or car le jardin des Hespérides est une région extra-océanique réservée uniquement aux immortels. Arrivé sur la pointe nord du continent africain, Héraclès découvre l'immense Atlas courbé sous le poids de la voûte céleste qu'il est chargé de supporter depuis la défaite des Titans contre les dieux de l'Olympe ; c'est tout naturellement que le héros relate à Atlas les raisons de sa visite. Après avoir écouté avec la plus grande attention, le Titan accepte sans hésiter de se rendre au jardin des Hespérides pour y cueillir trois malheureuses pommes mais il explique à Héraclès qu'il ne peut pas se déplacer sans lui laisser son terrible fardeau. Impatient d'obtenir enfin ces pommes, le héros accepte le marché sans broncher et il endosse sur ses épaules le poids du ciel tandis que le Titan Atlas s'éloigne d'un pas léger, tout heureux de s'être débarrasser un moment de sa douloureuse charge. Le cou endolori, les épaules en feu, Héraclès attend patiemment le retour de la cueillette mais ne voyant personne à l'horizon il commence à se demander si Atlas n'a pas pris goût à sa nouvelle liberté. Et, en effet, c'est après plusieurs heures de promenade que le Titan apparaît enfin, trois fruits d'or à la main, bien décidé à profiter encore un peu du bon temps. Sans lui demander son avis, Atlas se propose d'aller porter lui-même les pommes à Eurysthée. Conscient du risque qui pèse sur lui, Héraclès utilise une ruse infaillible: il feint d'accepter le service du Titan et le prie de reprendre le poids du ciel, pour quelques secondes seulement, le temps de trouver un bon coussin pour ses cervicales. Atlas pose les pommes d'or sur le sol et reprend la voûte céleste en toute confiance ; mais quand il aperçoit le héros ramasser les fruits qu'il a cueillis et s'éloigner avec un geste d'adieu, il se rend bien compte qu'il a été piégé de la manière la plus stupide. Dans une colère noire, immobilisé par le poids du ciel, Atlas profère insultes et menaces tandis que le héros entame le chemin du retour vers la Grèce sous les grondements sourds du Titan humilié.
Hercule soutenant le monde, dessin,
Annibale Carracci, XVIIème siècle.
Héraclès reçoit d'Atlas les pommes d'or, métope
du temple de Zeus à Olympie, Vème avJC.
En quelques semaines, Héraclès rejoint la Grèce en traversant l'Espagne, le sud de la France et le nord de l'Italie sans aucune complication. Après un si long voyage autour de la Méditerranée, il est content de présenter les fruits sacrés à Eurysthée dans son palais mycénien. Ce dernier les contemple longuement et, sans doute conscient de leur caractère inviolable, il préfère en faire cadeau à celui qui les a dérobé. Le héros, décontenancé par le comportement du roi, est bien décidé à se débarrasser d'une si lourde possession ; il demande à quitter le palais pendant quelques heures et, quand il se retrouve aux portes de la ville pour y enfouir les fruits d'or, la déesse Athéna lui apparaît. Elle lui explique que les pommes n'ont rien à faire dans le monde des mortels et que leur place ne peut être ailleurs que dans le jardin des Hespérides. Sans hésiter, Héraclès rend à sa déesse protectrice ces objets tant convoités par les hommes et celle-ci disparaît comme elle était venue. Une nouvelle fois, le héros voit s'échapper le but matériel de son travail : les pommes d'or, à peine conquises, s'en retournent à cet Au-Delà mystérieux qui enveloppe le monde des hommes.
Les pommes des Hespérides, bronze, Norman Sunshine, 2002.