Construction et Légende
Pourquoi une telle construction ?
Au début du XIII" siècle, les croisés s’emparent de Byzance et fondent l’Empire latin. L’empereur Beaudouin II de Courtenay ne régnant plus que sur sa capitale a un urgent besoin d’argent : il met en gage, auprès des Vénitiens, la plus précieuse des reliques, la Couronne d’Epines.
Il entreprend un voyage en Europe dans l’espoir de trouver des secours et, peut-être, de promouvoir une nouvelle croisade. En 1237 il rencontre le roi Louis IX. Ce dernier peu favorable à une expédition est prêt à acquérir les reliques mises en gage à Venise.
Il faudra deux ans pour conclure l’affaire. En effet le roi tient à s’assurer de l’authenticité des reliques. Moyennant la somme de 135 000 livres, la sainte Couronne prend la route de France en 1239.
Le 18 août 1239, elle arrive à Paris accompagnée du roi, de son frère Robert d’Artois et de leur mère Blanche de Castille.
La Couronne est déposée dans la chapelle Saint-Nicolas de la Cité. En 1241 Beaudouin II vend au roi de France de nouvelles reliques de la Passion, en particulier, une partie de la vraie Croix. Louis IX trouve que la chapelle Saint-Nicolas n’est plus adaptée à recevoir toutes ces reliques. Il décide alors la construction d’un monument digne de les recevoir : La Sainte Chapelle qui sera construite dans l’enceinte de l’ancien palais royal de l’île de la Cité.
La Sainte Chapelle
La légende de l’architecte
De nombreux architectes européens se mettent en route pour présenter leurs projets au roi de France. L’un d’entre eux pense qu’il a réalisé un projet parfait. Sur la route il rencontre un confrère et ils comparent leurs plans réciproques. L’architecte comprend immédiatement que son projet est bien moins bon que celui de son homologue. Il perd la tête, l’assassine et détruit les plans de ce dernier.
Quelques jours plus tard, il arriveà Paris. Mais là, chaque fois qu’il veut entrer dans le palais du roi, une force mystérieuse l’empêche de franchir le seuil. Désespéré, il se met à boire. Un soir, un jeune dominicain le ramasse dans le ruisseau et le réconforte. Le malheureux lui confesse son crime et, sur son conseil, entre en religion. Plusieurs mois passent dans le calme et la prière.
Un jour, l’architecte, devenu novice, rencontre le fils d’un pâtissier qui rêvait de construire de vrais édifices au lieu des architectures gourmandes que réalisait son père. Il s’attacheà ce jeune homme, nommé Pierre, et lui enseigne les secrets de son art. Par ailleurs, il apprend que le roi avait vu de nombreux projets, mais qu’aucun ne lui avait paru digne d’une chapelle destinée à abriter d’aussi saintes reliques.
L’architecte va trouver le dominicain qui l’avait recueilli dans son couvent. Il lui fait l’éloge du jeune Pierre et lui demande, pour ce dernier, l’autorisation d’aller présenter au roi les dessins qu’il avait gardés, sans que le nom de son auteur soit prononcé, ajoutant : « Si mon œuvre obtient la faveur royale, Pierre aura ainsi l’occasion d’exercer un métier dont il est digne et moi, je pourrai enfin trouver la paix. » Le dominicain donne son accord et le fils du pâtissier est reçu par le roi Louis.
Celui-ci fut séduit par les plans qui lui étaient montrés, mais s’étonna qu’une oeuvre aussi achevée soit présentée par quelqu’un d’aussi jeune. Pierre lui dit la vérité : le projet était d’un maître qui voulait rester inconnu, mais, avec la grâce de Dieu, il était capable de mener à bien la construction. Le roi accepta. Ainsi fut élevée la Sainte-Chapelle et nul ne sut jamais le nom de celui qui l’avait conçue. Quand au dominicain, il s’appelait Thomas d’Aquin.
La légende est belle, mais l’histoire est fausse. Pierre de Montreuil fut un grand architecte qui travailla à Saint-Denis, Saint-Germain-des-prés et Notre-Dame. Malheureusement, en 1240, c’était déjà un homme mûr qui possédait la faveur du roi. Certains auteurs ont avancé son nom, toutefois aucun texte ne donne d’assurance. Il faut donc se résigner à ignorer le nom du maître d’œuvre.
Vue du Palais de Justice
Construction et consécration
Les travaux commencent en fin 1242, l’architecte Pierre de Montreuil aurait donc réalisé l’exploit de mener à bien cette construction en cinq ans. Il en résulte une unité parfaite dans le style et les techniques employées. En 1248 la construction est terminée et le coût de l’opération s’élève à 40000 livres tournois.
En 1246, Louis IX créé un collège de chanoines. La consécration solennelle est faite par le légat du pape, Eudes de Châteauroux, pour la chapelle haute et par Pierre Berruyer, archevêque de Bourges, pour la chapelle basse le 26 avril 1248.
L’intérieur
La Chapelle basse
La chapelle basse, dédiée à la Vierge, est réservée aux familiers du palais. On y accède par une porte s’ouvrant au niveau du sol et précédée d’un porche. Éclairée par de petites fenêtres, elle est relativement sombre.
La hauteur de la salle a été dictée par la volonté de mettre le sol de la chapelle haute au niveau du premier étage des appartements royaux. Le plafond est donc bas et supporté par des voûtes en croisées d’ogives qui soutiennent en plus le plancher de la chapelle haute.
Les arcs-boutants [1] sont complétés par une rangée de colonnes basses qui soutiennent les voûtes et divisent la nef en trois travées.
La Chapelle basse
La Chapelle Haute
On accède à la chapelle haute par un porche qui la relie au premier étage du palais royal. Dédiée aux reliques de la Crucifixion, elle est réservée au roi et à sa famille.
Le linteau de la porte est orné de sculptures. La voûte culmine à vingt et un mètres et couronne ce vaisseau de pierre de trente-trois mètres de longueur et onze mètres de largeur.
La légèreté de l’architecture et la lumière filtrant à travers les immenses vitraux contrastent avec la pénombre et l’impression d’écrasement qui dominent dans la chapelle basse.
Les voûtes sont soutenues par les contreforts extérieurs, habillés par neuf petites colonnes qui ajoutent encore à la finesse de l’ensemble.
Chapelle haute
Les façades latérales, ornées chacune de quatre grands vitraux de quinze mètres trente de hauteur et de quatre mètres soixante cinq de largeur, constituent d’immenses murs de verre multicolores simplement interrompus par les fins contreforts.
L’abside [2] abrite une estrade en pierre, entourée de sept vitraux et servant de base au maître autel surmonté d’un édifice en bois qui abritait le reliquaire. Au fond, surplombant la porte, une grande rosace, qui dominait jadis le buffet d’orgues, inonde la chapelle de la lumière du soir.
Vue intérieure
Vitraux et statues
Les verrières de la Sainte Chapelle forment un des ensembles le plus complets de l’art du Moyen Age. Au début du XIIème siècle, c’est l’atelier de Chartres qui s’impose. On peut noter alors, la séparation habile des couleurs qui empêche le mélange des teintes vives avec les tons plus sourds.
Vers 1240, c’est Paris qui devient le centre du vitrail. Le travail est beaucoup moins délicat, on ne sépare plus le bleu du rouge ce qui donne une tonalité violette fort appréciée à cette époque.
Les disciples d'Emmaüs
Les deux tiers des vitraux sont authentiques et ils ont été restaurés de main de maître.
Au cours des différentes restaurations, une partie de ces vitraux ne figurent dans la Sainte Chapelle. Dix huit scènes se trouvent au musée de Cluny, six panneaux sont visibles au musée départemental de Rouen. Pour finir, en Angleterre, le musée Victoria et Albert possède deux assemblages complets et la fenêtre centrale du choeur de l’église de Twycross contient six panneaux de la même provenance.
Les vitraux de la Chapelle Basse, datant du XIIIème siècle sont détruits suite à une crue de la Seine en 1690.
Douze statues des apôtres prennent place à l’aplomb des piliers recevant les retombées des ogives et des arcs-boutants [1].
Ce sont douze statues d’apôtres et non pas les statues des douze apôtres. Un certain nombre d’entre elles n’ayant pu être identifiées.
Saint Jacques le Mineur
Ces statues appartiennent vraisemblablement à deux styles différents. Les premières datent très certainement de Saint Louis, les autres de Philippe le Bel.
Ont peut raisonablement penser que seules celles qui décorent la travée précédant l’abside [2] sont anciennes.
Les autres sont des copies dont les originaux très abimés notamment à la Révolution, ont été déposés au musée de Cluny.
Symbole de la royauté, la Sainte Chapelle va être la cible privilégiée des révolutionnaires.
Saint Louis
L’ensemble du mobilier, les stalles [3] et le jubé [4] disparaissent. Les orgues sont déplacés à Saint-Germain l’Auxerrois. Tous les insignes royaux sont détruits, la flèche est abattue. Les reliquaires et les châsses sont envoyés à l’Hôtel de la Monnaie pour y être fondus.
Les reliques sont dispersées, seule la Couronne d’épine est sauvée, pour être finalement abritée au sein du trésor de Notre Dame.
La chapelle haute devient un club, puis est aménagée en dépôt d’archives. Deux mètres de panneaux sont retirés par verrière afin d’y disposer des rayonnages. Les vitraux ainsi récupérés ont été vendu principalement à l’Angleterre.
La statue de Saint Louis qui porte une croix à double traverse. Appelée croix de Grèce ou croix d’outre-mer, elle symbolise la Vraie Croix. Elle devint croix d’Anjou avant de prendre définitivement le nom de Croix de Lorraine.
Felix Duban, Jean Baptiste Lassus et Emile Boeswillwald conseillés par Viollet-le-Duc, conduisent la restauration de l’édifice menée de 1840 à 1868. Leur souci principal : rendre à la Sainte Chapelle son aspect d’origine. Il faut attendre 1862 pour voir reconnaître la valeur patrimoniale du bâtiment, avec sa classification aux Monuments Historiques.
********************************************************
[1] arc-boutant : Dans les églises gothiques, élément de butée en forme de demi-arc situé à l’extérieur de l’édifice ; il repose sur un contrefort (ou culée) et soutient le mur là où s’exercent les plus fortes poussées des voûtes sur croisées d’ogives.
[2] abside : Partie d’une église située derrière le choeur, généralement à l’est, de forme semi-circulaire, parfois polygonale.
[3] stalle : Chacun des sièges de bois disposés autour du chœur d’une église, où prennent place les membres du clergé.
[4] jubé : Clôture transversale, ornée de statues et de reliefs sculptés, qui sépare le choeur de la nef centrale dans certaines églises. Percé d’une ou de plusieurs ouvertures, le jubé était surmonté d’une tribune à laquelle on accédait par des escaliers ; de celle-ci se faisait la lecture de l’épître et de l’Évangile. Apparus au XIIIe s., les jubés, qui masquaient l’autel, furent souvent détruits au XVIIe et au XVIIIe s. Les églises de la Madeleine à Troyes et Saint-Étienne-du-Mont à Paris en conservent encore des exemples.