Le roman-photo sentimental
"Le rossignol chantera" in Festival n°211
"La presse du coeur accélère le processus de décomposition des qualités de devoir de fidélité qui sont les signes caractéristiques de la femme chrétienne".
Centrale technique d'information catholique
Le roman photo "sentimental" est une invention italienne, c'est une évolution du ciné roman ou roman film né dans les années trente : photos extraites de films et légendées. Il relève du domaine de la presse dite "presse du coeur". Presse née en France avec la revue "Confidences" créé en 1938 par Paul Winkler, qui offre des feuilletons écrits et des témoignages "vécus" d'histoires sentimentales souvent malheureuses.
Au lendemain de la guerre, les populations appauvries et en butte a des restrictions dans la vie quotidienne rêvent à un autre réalité.En Italie, les frères Alceo et Domenico Del Duca créent "Grand Hotel", du nom d’un film avec Greta Garbo et Joan Crawford. L'hebdomadaire publie des romans dessinés (fumetti) précurseurs du roman photo. "Grand-Hôtel" devient immédiatement un phénomène d'édition. Les 100 000 exemplaires du premier numéro s'arrachent, la légende voulant même qu'il ait fallu quatre réimpressions pour satisfaire la demande.
Les premiers vrais romans-photos sont publié en 1947 dans la revue italienne "Il Mio Sogno"avec "Nel Fondo del cuore" réalisé par Stefano Reda et Gianpaolo Callegari avec en vedette Diana Loris, future Gina Lollobrigida qui devance de peu dans l'exercice Sofia Lazzaro qui deviendra Sofia Loren. La même année "Bolero" revue des éditions Mondadori publiera deux romans-photo "Catene" et et "Tormento" réalisés par Damiano Damiani.
Sofia Lazzaro, future Sofia Loren, vedette de fotoromanzi italiens
Le premier numéro de "Nous Deux" - "Festival" une autre revue de Cino del Duca
Cino del Duca (1899 - 1967 ) et son groupe de presse Les Edition Mondiales créent en France en 1947 l'hedomadaire "Nous Deux". Les premiers romans-photo français apparaissent en 1949 dans "Festival" autre création de del Duca ("Au fond du coeur" et "Les portes du ciel", reprises de "Al fondo del cuore" et "Catene") , "Nous Deux" suivra en 1950 (l'hedomadaire publiait jusque la du roman dessiné),"Confidences" n'aura le sien qu'en 1955.
Sur le plan du scénario le roman-photo est l'héritier des romans populaires et sentimentaux, et des mythes des contes, la quête de l'amour (pour fonder une nouvelle famille) à travers tous les obstacles que le héros et l'héroïne doivent vaincre est au cœur des romans-photos. Dans ces récits souvent présentés comme des histoires vécues le héros est un homme ayant réussi professionnellement médecin, architecte, journaliste, entrepreneur, l'héroïne elle est séduisante, douce, patiente et admirative. "Nos héros vivent sur la même planète que nous, du moins en apparence, et doivent assurer leur survie en travaillant. Mais le statut professionnel est source de problèmes. Aujourd'hui, on n'accusera pas le roman-photo de dresser le portrait de femme maintenues dans la prison dorée du foyer [... ] Mais toute tentative de les imposer en tant qu'égales est vouée à l'échec, non pas tant parce que le roman photo estime que les femmes sont intellectuellement déficientes, mais parce que la carrière éloigne, distrait et détourne éventuellement la femme d'un sentiment qui doit être son véritable métier" Monique Benesvy in Le roman-photo
Ciné-roman "Anna Karénine" in Festival 1953 - Noir et blanc colorisé
Sur le plan visuel le roman photo présente une régression par rapport au roman dessiné,jusqu'au milieu des années 60 il n'utilise pratiquement pas de changement d'angle, de plan ou de taille de vignettes et a constamment recours au hors champ pour ce qui concerne les événements spectaculaires : accidents, tempêtes..... que le lecteur doit imaginer a partir du commentaire ou de la réaction d'un personnage-spectateur. "...la photo se fait donc davantage trace d'une action que de sa représentation. Ainsi dans "Amour de tzigane) (1953) une chute de trapèze est simplement rendue par un gros plan sur un visage renversé bouche ouverte, et, par un contre-champ sur la réaction des spectateurs" Sylvette Giet in "le Roman-photo"
Si en Italie de nombreuses stars débutèrent dans le roman-photo, les éditeurs français miseront, dans la plupart des cas, sur l'anonymat des "acteurs", véritables tacherons que l'on peut reconnaitre d'un roman à l'autre. "Le roman photo... se trouve confronté à la réalité physique d'acteurs pas toujours excellents. Là encore, le texte domine la photo, la beauté étant indiqué par le commentaire ("Barbara Scott, la cousine de Susan, femme d'une beauté remarquable"), ou par le dialogue [... ] parfois en contradiction ouverte avec la réalité photographique." Sylvette Giet, idem
Le genre est méprisé par les hommes et traité d'opium pour midinettes par les intellectuels."Nous Deux - le magazine - est plus obscène que Sade" dira Barthes dans "Fragment d'un discours amoureux" et dès 1952 Fellini s'est moqué de l'univers stéréotypé du roman-photo dans "Courrier du cœur" ou "le Cheik blanc". En 1959 la Centrale technique d'information catholique estime que la presse du coeur "accélère le processus de décomposition des qualités de devoir de fidélité qui sont les signes caractéristiques de la femme chrétienne". Une réaction qui donne peut être raison à Sylvette Giet pour qui "la presse du coeur ne s'inscrit donc pas dans un combat d'arrière garde, mais dans le vaste mouvement de notre société moderne, vers une autonomisation accrue de l'individu et un couple de plus en plus exclusivement fondé sur l'amour , le respect réciproque"
"Nous Deux" "l'hebdomadaire qui porte bonheur",parangon de la presse de coeur" vend " du rêve à ceux qui en ont le plus besoin, ceux pour qui la vie est une lutte quotidienne sans joie." A l'origine bimensuel il devient hebdomadaire dès le numéro 5. Le dessin de la couverture du premier numéro représente un couple à Venise dans une gondole, "Ames ensorcelées" et "Les sept gouttes d'or" sont les premiers roman dessiné français. Chaque numéro comporte cinq nouvelles, le premier roman photo, "A l'aube de l'amour" arrive en 1950. Dès 1949 "Nous Deux" atteint 600 000 exemplaires. Devant ce succès les Editions Mondiales de Cino del Duca lancent "Festival", "Madrigal", "Boléro" (qui deviendra "Secrets de femmes" puis "Pour vous madame"), "Véronique", et rachète "Intimité".
"Nous deux" 1959 - 1961
"La maison du Causse-mort" in Libelle - 1962
D’autres éditeurs suivent cet exemple avec Rêves, les Veillées, Lectures d’aujourd’hui, Bonne soirée, Chez nous, Capri et Femmes d’aujourd’hui.
En 1963 le roman dessiné disparait définitivement du magazine. Jusqu'en 1967 les couvertures sont dessinées par des illustrateurs célèbres comme Bertoletti, Frisano, Fromont, Aslan, Di Marco, Raymond, Saint-Croix. La photo en couverture apparaît pour la première fois en 1964 avec Johnny Hallyday pour "la Belle aventure de Johnny", elle remplacera peu à peu l'illustration. La diffusion hebdomadaire de "Nous Deux" atteint 1.5 millions d'exemplaires à son apogée, en 1954, et durant vingt années sa diffusion dépassera le million d'exemplaires. Le premier roman-photo en photographies couleurs est réalisé en 1984
"Nous Deux" connait un lent déclin a partir des années 80,face à la concurrence des sagas télévisuelles et à l'évolution des mentalités, il reste aujourd'hui le dernier titre d'un genre de presse disparu.
1964 voit apparaitre les premiéres couvertures en photo de "Nous Deux"
****************************************************************************************
Roman dessiné in "Grand Hôtel"
Roman photo in "Grand Hôtel"
Le roman dessiné
"[...] Le premier critère fondamental de sa définition tient dans sa technique picturale: les dessinateurs n'utilisent pas le simple trait (ni la couleur), mais le lavis, qui autorise une représentation très analogique des décors et des corps, très marquée par l'esthétique cinématographique essentiellement hollywoodienne [...] Les meilleurs dessinateurs (qui restent souvent anonymes) mettent en scéne de nombreux sosies de vedettes contemporaines de l'écran, et d'abord les américaines.
Deuxième critère: s'il juxtapose des vignettes [...] le roman dessiné se caractérise par une constante variabilité de leur forme et de leur taille, qui donne à l'organisation de la page une souplesse typique. Les meilleurs dessinateurs peuvent user de cette liberté dans le sens de l'expressivité et de l'émotivité.
Pour qu'il y ait roman dessiné, le texte est bien sûr nécessaire. Sa graphie est généralement manuscrite, et s'intégre sans difficulté au dessin: le roman dessiné est à ce niveau plus harmonieux que le roman-photo.
Les meilleurs créateurs sont italiens (ils fournissent également la presse féminine en illustrations diverses et en couvertures de magazines), mais chaque pays producteur développe ses propres ateliers."
Giulio Bertoletti
Giulio Bertoletti (1919-1976) a compté durant les années cinquante et soixante, parmi les plus prolifiques, les plus poulaires et les mieux payés des illustrateurs. ce sont ses travaux pour la revue italienne "Grand Hotel" qui lui ont permis d'accéder à la célébrité. Né dans un milieu de la petite bourgeoisie de Pergine Valsungana, à 17 ans il part pour Milan tenter sa chance comme peintre et illustrateur.
Bertoletti - Pax britannica 1943
Il y fait connaissance tout à la fois des fins de mois difficileset de l'illustrateur Boccasile qui l'entraïne à travailler pour les services de propagande fascistes de Mussolini, sa première commande sera des images de propagandes pour l'invasion de l'Abyssinie. Des travaux qui lui procureront de nouvelles commandes et le confort financier. L'entrée en guerre de l'Italie aux côtés de l'allemagne nazie contribua à l'alimenter en commandes. Il collabora jusqu'au bout avec le régime y compris pendant les 18 mois que dura l'éphémère "Repubblica Sociale Italiana" de Mussolini en Italie du Nord.
En 1945, à 26 ans on le retrouve ilustrateur dans la publicité et la mode. En 1946 il est engagé par les frères Alceo et Mimmo del duca comme illustrateur pour leur nouvel hebdomadaire"Grand Hotel", un an plus tard il devient également aux côtés de Walter Mollino, le dessinateur vedette de "Nous-Deux".
Il dessinera des centaines de couvertures pendant 20 ans. Il s'y révéla un remarquable metteur en scene d'images capable de variations infinies sur un thème qui lui restait pratiquement identique d'un numéro à l'autre : la rencontre d'un couple. On lit a travers ses vint années de travaux l'évolution des maoeurs et de la société, le passage à la société de consommation, les modes, l'esprit du temps.
Bertoletti - Grand Hotel - 1949
Bertoletti - Grand Hotel - 1963
Bertoletti - Grand Hotel - 1965