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Date de création : 10.05.2008
Dernière mise à jour :
17.08.2024
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L'HOMME ENTRE DEUX ÂGE ET SES DEUX MAÎTRESSES
Un homme de moyen âge,
Et tirant sur le grison,
Jugea qu'il était saison
De songer au mariage.
Il avait du comptant,
Et partant
De quoi choisir ; toutes voulaient lui plaire :
En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant ;
Bien adresser n'est pas petite affaire.
Deux veuves sur son coeur eurent le plus de part ;
L'une encore verte, et l'autre un peu bien mûre,
Mais qui réparait par son art
Ce qu'avait détruit la nature.
Ces deux veuves, en badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L'allaient quelquefois testonnant,
C'est-à-dire ajustant sa tête.
La vieille, à tous moments, de sa part emportait
Un peu du poil noir qui restait,
Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La jeune saccageait les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
"Je vous rends leur dit-il, mille grâces, les belles,
Qui m'avez si bien tondu :
J'ai plus gagné que perdu ;
Car d'hymen point de nouvelles.
Celle que je prendrais voudrait qu'à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.
Il n'est tête chauve qui tienne :
Je vous suis obligé, belles, de la leçon."
Jean de La Fontaine
Livre l - Fable 17
Image trouvée sur le net.
Si vous aimez, un petit com. Merci.
LA MORT ET LE BÛCHERON
Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans,
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
"Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos."
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée,
Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
"C'est dit-il, afin de m'aider
À recharger ce bois ; tu ne tarderas guère."
Le trépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d'où nous sommes :
Plutôt souffrir que mourir,
C'est la devise des hommes.
Jean de La Fontaine
Livre l - Fable 16
Image trouvée sur le net.
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LA MORT ET LE MALHEUREUX
Un malheureux appelait tous les jours
La Mort à son secours.
"O mort, lui disait-il, que tu me sembles belle !
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle !"
La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, Elle se montre.
"Que vois-je ? cria-t-il, : ôtez-moi cet objet ;
Qu'il est hideux ! que sa rencontre
Me cause d'horreur et d'effroi !
N'approche pas, ô Mort ; ô Mort, retire-toi."
Mécénas fut un galant homme ;
Il a dit quelque part : "Qu"on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content."
Ne viens jamais, ô Mort ; on t'en dit tout autant.
Jean de La fontaine
Livre I - Fable 15
Image trouvée sur le net.
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SIMONIDE PRÉSERVÉ DES DIEUX
On ne peut trop louer trois sortes de personnes :
Les dieux, sa maîtresse et son roi.
Malherbe le disait ; j'y souscrit, quant à moi :
Ce sont maximes toujours bonnes.
La louange chatouille et gagne les esprits.
Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix.
Voyons comme les dieux l'ont quelquefois payée.
Simonide, avait entrepris
L'éloge d'un athlète ; et la chose essayée,
Il trouva son sujet plein de récits tout nus.
Les parents de l'athlète étaient gens inconnus ;
Son père, un bon bourgeois ; lui, sans autre mérite ;
Matière infertile et petite.
Le poète d'abord parla de son héros.
Après en avoir dit ce qu'il en pouvait dire,
Il se jette à côté, se met sur le propos
De Castor et Pollux ; ne manque pas d'écrire
Que leur exemple était aux lutteurs glorieux ;
Élève leurs combats, spécifiant les lieux
Où ces frères s'étaient signalés davantage ;
Enfin l'éloge de ces dieux
Faisait les deux tiers de l'ouvrage.
L'athlète avait promis d'en payer un talent ;
Mais quand il le vit, le galand
N'en donna que le tiers ; et dit fort franchement
Que Castor et Pollux acquittassent le reste.
"Faites-vous contenter par ce couple céleste.
Je vous veux traiter cependant :
Venez souper chez moi ; nous ferons bonne vie :
Les conviés sont gens choisis,
Mes parents, mes meilleurs amis ;
Soyez donc de la compagnie."
Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.
Il vient : l'on festine, l'on mange.
Chacun étant en belle humeur,
Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte
Deux hommes demandaient à le voir promptement.
Il sort de table ; et la cohorte
N'en perd pas un seul coup de dent.
Ces deux hommes étaient les gémeaux de l'éloge.
Tous deux lui rendent grâce ; et pour prix de ses vers,
Ils l'avertissent qu'il déloge
Et que cette maison va tomber à l'envers.
La prédiction en fut vraie.
Un pilier manque ; et le plafond,
Ne trouvant plus rien qui l'étaie,
Tombe sur le festin, brise plats et flacons,
N'en fait pas moins aux échansons.
Ce ne fut pas le pis ; car pour rendre complète
La vengeance due au poète,
Une poutre cassa les jambes à l'athlète,
Et renvoya les conviés
Pour la plupart estropiés.
La Renommée eut soin de publier l'affaire :
Chacun cria miracle. On doubla le salaire
Que méritaient les vers d'un homme aimé des dieux.
Il n'était fils de bonne mère
Qui, les payant à qui mieux mieux,
Pour ses ancêtres n'en fit faire.
Je reviens à mon texte, et dis premièrement
Qu'on ne saurait manquer de louer largement
Les dieux et leurs pareils ; de plus, que Melpomène.
Souvent, sans déroger, trafique de sa peine ;
Enfin qu'on doit tenir notre art en quelque prix.
Les grands se font honneur dès lors qu'ils nous font grâce :
Jadis l'Olympe et le Parnasse
Étaient frères et bons amis.
Jean de La fontaine
Livre I - Fable 14
Image trouvée sur le net.
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LES VOLEURS ET L'ANE.
Pour un âne enlevé deux voleurs se battaient :
L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre.
Tandis que coups de poing trottaient,
Et que nos champions songeaient à se défendre,
Arrive un troisième larron
Qui saîsit Maître Aliboron.
L'âne, c'est quelquefois une pauvre province :
Les voleurs sont tel ou tel prince,
Comme le Transylvain, le Turc et le Hongrois.
Au lieu de deux, j'en ai rencontré trois :
Il est assez de cette marchandise.
De nul d'eux n'est souvent la province conquise :
Un quart voleur survient, qui les accorde net
En se saisissant du baudet.
Jean de La Fontaine
Livre I - Fable 13
Image trouvée sur le net.
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LE DRAGON A PLUSIEURS TETES ET LE DRAGON A PLUSIEURS QUEUES.
Un envoyé du Grand Seigneur
Préférait, dit l'histoire, un jour chez l'Empereur,
Les forces de son maître à celles de l'Empire.
Un Allemand se mit à dire :
"Notre prince a des dépendants,
Qui, de leur chef, sont si puissants
Que chacun d'eux pourrait soudoyer une armée."
Le chiaoux, homme de sens,
Lui dit : "Je sais par renommée
Ce que chaque Electeur peut de monde fournir ;
Et cela me fait souvenir
D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.
J'étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent têtes d'une Hydre au travers d'une haie.
Mon sang commence à se glacer ;
Et je crois qu'à moins on s'effraie.
Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal :
Jamais le corps de l'animal
Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.
Je rêvais à cette aventure,
Quand un autre dragon, qui n'avait qu'un seul chef,
Et bien plus d'une queue, à passer se présente.
Me voilà saisi derechef
Détonnement et d'épouvante.
Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi :
Rien ne les empêcha ; l'un fit chemin à l'autre. Je soutiens qu'il en est ainsi
De votre empereur et du nôtre."
Jean de La Fontaine
Livre I - Fable 12
* le "Grand Seigneur" est le sultan des Turcs
* l"Empereur" est le titre du souverain d'Allemagne
* le "chiaoux" ici est l'officier du gouvernement turc, envoyé comme ambassadeur
Image trouvée sur le net.
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L'HOMME ET SON IMAGE
Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde :
Il accusait toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans une erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux
Présentait partout à ses yeux
Les conseillers muets dont se servent nos dames :
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galands,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés :
Il s'y voit, il se fâche ; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau ;
Mais quoi ? le canal est si beau
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.
On voit bien où je veux venir.
Je parle à tous ; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d'entretenir.
Notre âme, c'est cet homme amoureux de lui-même.
Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui,
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes ;
Et quant au canal, c'est celui
que chacun sait, le livre des Maximes.
Jean de La Fontaine
Livre I - Fable 11
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