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Date de création : 27.11.2008
Dernière mise à jour : 08.02.2013
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Paris autrefois-costumes et moeurs au début du XIXème

Publié à 14:35 par acoeuretacris Tags : paris autrefois costumes et moeurs XIXe

2ème partie

L'AURORE DU XIXe SIÈCLE
(D'après Les Modes de Paris 1797-1897, par Octave Uzanne, paru en 1898)

Que penser de cette égalité de parures, de ces promenades journalières, de cette fréquentation assidue des spectacles ? Elles occupent presque toutes les places, et on les retrouve encore la nuit à la clarté des illuminations. Le Pactole roule-t-il ses eaux au milieu de Paris ? Qui paye tous ces plaisirs ? La capitale renferme-t-elle plus de millionnaires qu'aucune autre ville du monde, et les femmes y sont-elles les seules de l'univers qui jouissent du privilège de se divertir sans cesse et de ne point travailler ?



Lire des romans, danser, ne rien faire, sont les trois règles de conduite qu'elles observent scrupuleusement... Il y a vingt ans, les jeunes filles n'auraient pas hasardé un seul pas hors de la maison paternelle sans leurs mères ; elles ne marchaient que sous leurs ailes, et les yeux religieusement baissés ; l'homme qu'elles osaient regarder était celui qu'on leur permettait d'espérer ou de choisir pour époux. La Révolution a changé cette subordination ; elles courent matin et soir en pleine liberté. Se promener, jouer, rire, tirer les cartes, se disputer les adorateurs, voilà leur unique occupation.

Plus de ciseaux, plus de dés ; elles ne connaissent d'autres piqûres que celles que décoche l'arc du petit dieu ailé, et ces piqures sont encore légères ; à peine sorties de l'enfance, elles sont plutôt guéries que blessées. .... Il n'y a point de promenade, – écrit comme un trait final l'observateur parisien, – où on ne voie des enfants de près de deux ans, mollement assis sur des genoux de dix-huit... Combien un ruban, un chapeau de fleurs, une robe à paillettes, deviennent des objets de puissante séduction, dans une ville où les bals sont en permanence, où les vierges de douze ans vont très souvent seules, où le violon des maîtres de danse est leur unique directeur ! La débauche est prise pour de l'amour ; la débauche est érigée en système, et des unions précoces nous préparent une génération affaiblie. »



C'est certainement là un des meilleurs écrits de ce minutieux annotateur Sébastien Mercier, et il fixe mieux que beaucoup d'autres l'état des mœurs aux premiers jours du Consulat, alors que le libertinage créé par le Directoire était encore à son apogée. La société francaise trouva un réorganisateur dans Bonaparte, qui sut discipliner la liberté licencieuse dont la population était repue, en fondant le droit civil, cent fois plus précieux pour la nation que le droit politique.

La France revint à toutes ses traditions religieuses et intellectuelles ; elle se releva sous la certitude absolue d'un lendemain. Après le 18 Brumaire, l'empire spirituel des femmes reprit peu à peu sa souveraineté douce et consolante dans les sphères mondaines ; les salons revinrent en honneur, la conversation eut son tour : on causa près de huit années. Depuis la conversation était exilée de son pays d'origine.



Ce retour aux usages, aux entretiens de la bonne compagnie eut lieu à la fois clans divers foyers, à la cour consulaire, dans le salon de Joséphine et surtout chez Mmes de Staël et Récamier. Tandis que Bonaparte reconstituait solidement l'édifice social, l'ex Mme de Beauharnais attirait à ses fêtes toutes les forces vives de l'intelligence, ainsi que les représentants autorisés de la France nouvelle ; elle accueillait autour d'elle les compagnons de gloire de son mari, ainsi que les artistes, les savants et les membres de l'Institut. Alors que le vainqueur de Lodi gouvernait, elle régnait par la grâce ou plutôt elle charmait par sa bonté conciliante, par ses manières un peu frivoles et ses coquetteries innées.

Le salon de Mlle Bonaparte aux Tuileries ne fut guère ouvert qu'en ventôse an VIII ; les femmes qui le composèrent, à cette époque de consulat préparatoire, étaient, selon Mme d'Abrantès : « Mme de La Rochefoucauld, petite bossue, bonne personne, quoique spirituelle, et parente de la maîtresse de céans ; Mme de La Valette, douce, bonne et toujours jolie ; Mme de Lameth, un peu sphérique et barbue ; Mme Delaplace, qui faisait tout géométriquement, jusqu'à ses révérences pour plaire à son mari ; Mme de Luçay; Mme de Lauriston, toujours égale dans son accueil et généralement aimée ; Mme de Rémusat, femme supérieure (dont on connaît et apprécie les très curieux Mémoires ); Mme de Thalouet, qui se rappelait trop qu'elle avait été jolie et pas assez qu'elle ne l'était plus ; Mme d'Harville, impolie par système et polie par hasard. »



Telle était, d'après la malicieuse et bavarde épouse de Junot, la composition première de l'entourage de Joséphine ; mais bientôt d'autres femmes, jeunes, jolies, aimables, ne tardèrent pas à venir briller aux Tuileries. De ce nombre étaient : Mme Lannes, une beauté dans toute sa splendeur ; Mme Savary, plus jolie que belle, mais élégante jusqu'à l'extravagance ; Mme Mortier, future duchesse de Trévise, douce et touchante ; Mme Bessières, gaie, égale d'humeur, coquette et d'une réelle distinction; Mlle de Beauharnais, dont chacun aujourd'hui a appris à connaître les mérites et l'histoire ; Mme de Montesson, qui tenait salon avec manificence et dont les dîners du mercredi étaient alors excessivement recherchés pour leur service hors ligne ; enfin nombre de dames jeunes et presque toutes spirituelles dont la nomenclature risquerait d'être interminable.

La société des Tuileries était trop officielle ; c'est à la Malmaison que l'on retrouvait l'intimité des petits cercles rieurs et les causeries délassantes. On y jouait la comédie, on y prenait ses plaisirs comme l'ancienne cour à Trianon ; après le dîner, le Premier Consul ne dédaignait pas de faire une partie de barres avec ses aides de camp ou de se faire banquier au jeu du vingt-et-un. La Malmaison, c'était le séjour favori de Joséphine ; elle aimait s'y promener avec ses compagnes au milieu des kiosques, des bergeries, des chaumières, autour des petits lacs où les cygnes noirs et blancs apportaient la vie. Dans cette simple maison, d'où le grand luxe était exclu, elle vivait selon son cœur, loin des tracas de cette cour naissante qui lui était imposée par l'ambition de son maître, ne se cloutant pas encore qu'un jour prochain viendrait où l'a raison d'État la conduirait dans cette paisible retraite, comme dans un caveau d'exil, après un divorce éclatant et cruel.


Les Galeries de Bois du Palais Royal, 1803

Le salon de Mme de Staël, avant qu'elle quittât Paris par ordre de Bonaparte, qui favorisa si peu sa plus sincère admiratrice, était plutôt une sorte de bureau d'esprit, un véritable salon de conversation ; on en retrouvera bien des aspects dans le roman de Delphine.

« Elle recevait beaucoup de monde, dit Mme de Rémusat ; on traitait chez elle avec liberté toutes les questions politiques. Louis Bonaparte : fort jeune, la visitait quelquefois et prenait plaisir à la conversation ; son frère s'en inquiéta, lui défendit cette société et le fit surveiller. On y voyait des gens de lettres, des publicistes, des hommes de la Révolution, des grands seigneurs. Cette femme, disait le Premier Consul, apprend à penser à ceux qui ne s'en aviseraient point ou qui l'avaient oublié. »

Mme de Staël avait le goût des conversations animées et poussait ce goût jusque sur les discussions auxquelles elle ne prenait point part : « On l'amusait, écrit le duc de Broglie, en soutenant avec vivacité toutes sortes d'opinions singulières, et chacun s'en donnait le plaisir. On se battait à outrance dans sa société, il se portait d'énormes coups d'épée, mais personne n'en gardait le souvenir... Son salon était cette salle d'Odin, dans le paradis des Scandinaves, où les guerriers tués se relèvent sur leurs pieds et recommencent à se battre. »

Cependant Mme de Staël ne conservait pas sous le Consulat la haute action politique qu'elle avait eue précédemment dans le cercle constitutionnel où régnait son ami Benjamin Constant ; ceux qui se rendaient à ses réunions étaient tenus pour suspects, et les courtisans du futur Empereur ne fréquentaient point par prudence le cénacle de l'auteur des Lettres sur Rousseau. Un remarquable dessin de Debucourt, de la collection Hennin, à la Bibliothèque nationale, représente une Conférence de Mme de Staël, par une belle soirée d'été, au jardin du Luxembourg ; hommes et femmes font cercle autour d'elle, et la conversation semble fort animée.


Salle de Théâtre de Strasbourg
Un bal officiel en 1805

Le salon de Mme Récamier, rue du Mont-Blanc, puis à Clichy-la-Garenne, était plus spécialement littéraire que celui de Delphine ; ce fut un véritable terrain de conciliation pour tous les partis, car la politique n'y trouvait aucun écho ; la beauté éclatante de la maîtresse de céans la fit non moins célèbre que son esprit ne la rendit aimable. Les portraits que nous ont laissés d'elle Gérard et David nous font comprendre l'admiration qu'elle rencontra partout où sa fraîcheur d'Hébé et la grâce de son sourire de dix-huit ans se montrèrent.

A cette époque où la société se composait de tant d'intérêts contraires, de passions hostiles, de professions différentes et de prétentions exagérées, les réunions semblaient pleines d'aspérités et les convenances n'avaient pas encore suffisamment pris le dessus pour qu'on n'eût pas à craindre à tout instant des chocs, des froissements, des heurts de vanités manifestes. Le talent de Mme Récamier fut d'apporter l'apaisement, la concorde, la bienveillance dans le milieu où régnaient ses charmes. Dans son salon, les nobles susceptibilités des gens de lettres furent un moment aux prises avec l'arrogance du sabre ; mais la charmante hôtesse préféra constamment l'homme de talent à l'homme en place, et l'artiste sincère au simple courtisan.



« Mme Récamier, nous raconte l'auteur des Salons de Paris, est la première personne qui ait eu une maison ouverte où l'on reçut ; elle voyait d'abord beaucoup de monde par l'état de son mari ; ensuite, pour elle, il y avait une autre manière de vivre, une autre société que celle que nécessairement son goût ne pouvait comprendre avec ces hommes qui savent et connaissent la vie. Portée à la bonne compagnie par sa nature, aimant ce qui est distingué, le cherchant et voulant avoir un bonheur intérieur dans cette maison où le luxe n'était pas tout pour elle, et où son cœur cherchait des amis, elle se forma une société et, malgré sa jeunesse, elle eut la gloire dès ce moment de servir de règle et de modèle aux femmes.»

On rencontrait chez elle Garat, avec le charme de son chant fêté et acclamé de toutes parts, M. Dupaty, Hoffmann, Benjamin Constant, M. Després et son malicieux badinage, Adrien et Mathieu de Montmorency,
M. de Bouillé et souvent aussi M. de Chateaubriand, le grand ami, le demi-dieu des jours à venir, M. de Bonald, M. de Valence, M. Ouvrard, Lucien Bonaparte et tous les hommes de bon ton, de manières courtoises, qui affectaient l'extrême quintessence du savoir-vivre. Les ambassadeurs, les généraux, les anciens révolutionnaires et les royalistes se voyaient là en bonne intelligence, semblant avoir abdiqué toutes leurs passions politiques. Mme de Staël manquait rarement aux fêtes intimes de sa jeune rivale, chez laquelle elle se plaisait à reconnaître un esprit supérieur et comme un doux parfum de beauté, de modestie et de vertu parfaite. Parmi les dames de ce salon, on citait lady Holland, Mlle de Krüdener, Mme de Sévrieux, Mme Junot, Mme Visconti, lady Yarmouth, et tout ce que Paris comptait de notabilités parmi la grande société française et étrangère.



Ce fut chez Mme Récamier que se donnèrent les premiers bals en règle dans une maison particulière après la Révolution. Ces fêtes étaient très suivies, et la délicieuse Juliette savait varier sans cesse l'attraction de ses soirées ; c'était tantôt un concert, tantôt une lecture littéraire, tantôt un spectacle entre deux paravents ; non seulement on y était reçu avec une grâce et une simplicité touchante, mais encore on pouvait admirer cette délicieuse jeune femme, semblable aux heures d'Herculanum, dansant un pas avec tambour de basque ou scandant la danse du schall, qu'elle avait inventée et qui faisait valoir la splendeur de sa poitrine et de ses bras nus, la merveilleuse proportion de son corps enveloppé d'une tunique à la prêtresse, garnie de fleurs et de dentelles. Le vieux chevalier de Boufflers, qui venait d'être rayé par le Premier Consul de la liste des proscrits et qui revenait en France pour y reprendre esprit, disait de Mme Récamier : « Jamais on n'a vu mieux danser avec ses bras ».



Un autre salon moins brillant, mais qui eut son influence, était celui de Mme de Genlis, à l'Arsenal. Cet inépuisable bas-bleu approchait alors de la soixantaine ; Bonaparte, qui la jugeait inoffensive aussi bien par son talent que par ses opinions, la rappela d'exil, lui donna une pension assez considérable avec le logement à la bibliothèque de l'Arsenal et le droit de prendre dans cette bibliothèque tous les livres qu'elle jugerait nécessaires à son usage.

Mme de Genlis prit un jour de réception : le samedi ; chaque semaine, son salon fut de plus en plus fréquenté par le monde littéraire et artiste ; on composait et jouait des proverbes, on faisait de la musique ; parfois Millevoye, le mélancolique poète, disait de sa voix lamentable et touchante, qui était si bien en harmonie avec son visage de jeune désespéré, quelque élégie sombre et frileuse dont la note attristée mettait des larmes aux cils des femmes ; d'autres fois, c'était Dussault qui lisait avec une certaine pédanterie ses principales causeries critiques du Journal des Débats, ou quelques considérations sur la Littérature dans ses rapports avec les institutions sociales ; le comte Elzéar de Sabran, frère de Mme de Custine, récitait ses fables avec esprit ; M. Fiévée contait le canevas de la Dot de Suzette, et la nièce de Mme de Montesson ne se faisait pas prier pour lire des chapitres de ses romans en cours. Parmi les auditeurs, tout un monde académique : MM. Chaptal, La Harpe, Fontanes, M. le comte de Ségur, Radet, Sabattier de Castres, Choiseul-Gouffier, le cardinal Maury et même M. de Talleyrand.