LES GRENIERS PARISIENS
(D'après Tableau de Paris, paru en 1782)
Parlons d'abord de la partie la plus curieuse de Paris, les greniers. Comme dans la machine humaine le sommet renferme la plus noble partie de l'homme, l'organe pensant, ainsi dans cette capitale le génie, l'industrie, l'application, la vertu occupent la région la plus élevée. Là, se forme en silence le peintre ; là, le poète fait ses premiers vers ; là, sont les enfant des arts, pauvres et laborieux, contemplateurs assidus des merveilles de la nature, donnant des inventions utiles et des leçons à l'univers ; là, se méditent tous les chef-d'œuvres des arts ; là, on écrit un mandement pour un évêque, un discours pour un avocat général, un livre pour un futur ministre, un projet qui va changer la face de l' état, la pièce de théâtre qui doit enchanter la nation. Allez demander à Diderot s'il voudrait quitter son logement pour aller demeurer au Louvre, et écoutez sa réponse. Presque point d'hommes célèbres, qui n'aient commencé par habiter un grenier.
J'y ai vu l'auteur d'Émile, pauvre, fier et content. Lorsqu'ils en descendent, les écrivains perdent souvent tout leur feu ; ils regrettent les idées qui les maîtrisaient lorsqu'ils n'avaient que le haut des cheminées pour perspective. Greuze, Fragonard, Vernet, se sont formés dans des greniers ; ils n'en rougissent point, c'est là leur plus beau titre de gloire. Que le riche escalade ces hautes demeures pour y apporter quelques parcelles d'or, et tirer un profit considérable des travaux de jeunes artistes pressés de vivre et encore inconnus. Le riche est utile, quoiqu'il soit dirigé par l'avarice, et qu'il cherche à tirer parti de l'indigence où languit l'ouvrier ; mais puisqu'il a fait le voyage, qu'il frappe à la porte voisine... osera-t-il entrer ? Les horreurs de la misère vont l'investir et attaquer tous ses sens : il verra des enfant nus qui manquent de pain ; une femme qui, malgré la tendresse maternelle, leur dispute quelques aliments ; et le travail du malheureux devenir insuffisant pour payer des denrées que grève le plus cruel des impôts.
On a falsifié la nourriture du misérable, et il ne mange presque plus rien tel qu'il est sorti des mains de la nature. Le cri de l'infortuné retentit sous ces toits entr'ouverts et ressemble au vain son des cloches dont il est voisin, qui ébranle l'air et s'évanouit ; la langueur le consume, en attendant que l'hôpital s'ouvre et l'engloutisse. Quand cet infortuné s'éveille le matin pour recommencer ses pénibles et infructueux travaux, il entend le char de la fortune, qui en rentrant fait trembler la maison. L'homme opulent et débauché, voisin du malheureux par le local, éloigné de lui à mille lieues par le cœur, se couche, fatigué du plaisir, lorsque l'autre s'arrache au sommeil. Le riche a perdu ou gagné sur une carte ce qui aurait suffi à l'entretien d'une famille entière, et il ne lui vient point à l'idée de soulager les souffrances de son semblable.
L'écrivain est souvent placé entre ces contrastes frappants, et voilà pourquoi il devient véhément et sensible ; il a vu de près la misère de la portion la plus nombreuse d'une ville qu'on appelle opulente et superbe ; il en conserve le sentiment profond. S'il eût été heureux, il y a mille idées touchantes et patriotiques qu'il n'eût pas eues. Orateur du plus grand nombre, et conséquemment des infortunés, il doit défendre leur cause ; mais la défend-on quand on n'a pas senti le malheur d'autrui, c'est-à-dire, quand on ne l'a point partagé ?
(sources "chroniques d'autrefois")
je zsuis déçue la plupart des images n'apparait pas...merci mais c'est vraiment dommage.
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