16 janvier 1547
Ivan le Terrible fonde la Russie moderne
Ivan IV a trois ans quand il devient grand-prince de Moscou, à la mort de son père Vassili III. À seize ans, le 16 janvier 1547, il troque son titre contre celui de tsar, déjà porté par son grand-père Ivan III.
Excessif dans la violence comme dans le mysticisme, Ivan IV met en place l'autocratie russe, telle qu'elle perdurera jusqu'à Staline.
Naissance d'un empire improbable
Un siècle avant que naisse le futur tsar, Moscou n'était encore qu'une modeste principauté. Elle était soumise comme les autres principautés russes de l'Est au redoutable Khan (souverain mongol) de la Horde d'Or, qui régnait à Saraï, non loin des bords de la mer Noire. Cette Horde d'Or, dirigée par un chef autocratique et brutal, était un lointain legs de Gengis Khan.
Farouchement attachés à la foi orthodoxe, ces Russes supportaient mal la tutelle mongole mais appréhendaient davantage encore la menace que faisaient peser à l'ouest les Lituaniens et les Polonais catholiques.
En 1462, Ivan III, un lointain descendant d'Alexandre Nevski et Riurik, devient grand-prince de Moscovie. Il va transformer sa petite principauté en empire en avalant les unes après les autres toutes ses rivales. Il s'affranchit en 1480 de la tutelle mongole et repousse les Polonais et les Lituaniens. Inspiré par la tradition mongole, il se qualifie d'«autocrate», ce qui signifie qu'il n'a de compte à rendre à personne sinon à Dieu.
L'empire byzantin, héritier de Rome, étant tombé aux mains des Turcs en 1453, le grand-prince Ivan III a aussi l'audace de relever le titre impérial. Il se fait désormais appeler «Tsar». Il s'agit d'une déformation de César (qui se retrouve aussi dans l'allemand Kaiser). C'est le mot par lequel les Russes désignaient auparavant l'empereur byzantin.
La «Troisième Rome»
En 1520, sous le règne de Vassili III, fils et successeur d'Ivan III, mort en 1505, le moine Philothée écrit dans une célèbre «missive contre les astronomes» : «Je voudrais aussi dire quelques mots sur le présent royaume de notre prince ; sur terre, il est l'unique prince des chrétiens, le guide de l'église apostolique qui, de Rome et de Constantinople, s'est trouvée transférée dans la ville bénie de Moscou ; elle seule répand sur le monde une lumière plus claire que le Soleil. Sache-le, hommes pieux : tous les empires chrétiens se sont écroulés, un seul reste debout et il n'y en aura pas de quatrième...»
Ainsi le moine proclame-t-il la vocation de Moscou à devenir sur le plan religieux la «Troisième Rome», c'est à dire l'ultime rempart de la vraie foi chrétienne après la trahison du pape et la chute du patriarcat byzantin ! Cette mystique va dès lors marquer toute la vie politique du nouvel empire, un empire au demeurant bien modeste et misérable, au regard des prospères États de l'Europe occidentale, en pleine Renaissance.
Des débuts prometteurs
Ivan IV devient officiellement grand-prince de Moscou à la mort de son père en 1533. Il a alors 3 ans. Son règne véritable commence en 1547, lorsqu'il se fait sacrer tsar de Russie par son précepteur, Macaire, le métropolite orthodoxe de Moscou.
Ivan IV
Le nouveau souverain est un jeune homme érudit et plein de talents. Il se présente comme l'égal de l'empereur allemand et l'héritier des empereurs byzantins, disparus un siècle plus tôt.
Ivan IV veut sortir la Russie du désespoir où l'a laissée une longue occupation par les Mongols. Il ambitionne de la hisser au niveau de l'Occident, alors en pleine Renaissance. Pour cela, il commence par soumettre les grands seigneurs féodaux, les boyards, en s'appuyant sur les représentants du peuple et de la petite noblesse. Il réunit ceux-ci dans une Assemblée de la Terre, le «zemski sobor», analogue aux états généraux de la France.
Ivan IV vainc après d'âpres combats les Tatars établis sur la Volga, autour de Kazan et Astrakhan. À Moscou, il ajoute au Kremlin la fameuse cathédrale Saint-Basile pour célébrer la prise de Kazan.
Ses victoires sur les lointains héritiers des Mongols permettent au tsar d'accéder à l'immense Sibérie. C'est ainsi que, sous la conduite d'un chef prestigieux, l'hetman Ermak, une troupe de Cosaques s'en va combattre le khan de Sibérie pour le compte d'Ivan IV. Leurs succès ouvrent la voie à la colonisation par les paysans russes, à l'heure même où les Occidentaux entament la colonisation de l'Amérique.
Vers lecauchemar
Ivan IV connaît cependant un grave échec face au khan tatar de Crimée. Celui-ci n'aura de cesse de le menacer jusque dans sa capitale, Moscou.
Le tsar échoue aussi dans ses efforts pour ouvrir la Russie sur l'Occident et la mer Baltique. Il n'arrive pas à établir des relations durables avec les commerçants anglais même s'il propose rien moins que d'épouser la reine d'Angleterre, Elizabeth 1ère. Il doit faire face à l'union des Polonais et des Lituaniens, ainsi qu'aux Suédois. C'est à ce moment qu'il éprouve la trahison de plusieurs boyards dont son favori, le prince Andréi Kourbski.
Pour contrer la montée des périls, le vieux tsar s'attribue un pouvoir sans limites sur les terres les plus riches de la vieille Russie. Elles prennent le nom d'opritchnina, du mot russe «opritch» qui signifie à part. Il en élimine les boyards. 12000 familles nobles sont ainsi chassées de l'opritchnina et l'administration de leurs terres est confiée aux hommes de main du tsar, les opritchniki. Mais ceux-ci, surnommés les «chiens du tsar» (ils portent une tête de chien à la selle de leur cheval !) commettront tant d'excès que le tsar devra plus tard les remplacer par une noblesse à son service.
Pour tenir les paysans dans la soumission, Ivan IV commence par restreindre leur liberté de circulation. C'est ainsi que la paysannerie russe entre peu à peu dans le servage (elle en est à peine sortie avec la fin du régime communiste).
Faillite
La fin du règne est placée sous le signe d'une horrible répression, ce qui vaut au tsar le surnom de Grozny («Terrible» ou «Redoutable»). Les boyards sont exterminés par milliers. Les habitants de la prestigieuse cité de Novgorod, au nord de Moscou, sont noyés pour s'être révoltés.
Ivan IV, qui s'est marié 7 fois (mieux que son contemporain, le roi d'Angleterre Henri VIII, qui s'en est tenu à une demi-douzaine d'épouses), pousse la folie meurtrière jusqu'à tuer son fils aîné Ivan à coups de bâton en 1581. Plusieurs décennies d'anarchie (le «temps des Troubles») s'annoncent avec la mort du tsar à 55 ans, le 18 mars 1584.
Dans la continuité de son grand-père et de son père, Ivan IV aura forgé l'État russe. Il l'aura aussi orienté vers les immensités de l'Asie. mais il a échoué dans sa tentative de le hisser à marches forcées au niveau de l'Occident. Si l'on met à part la prise de Kazan, tout son règne est une longue suite de défaites. Il laisse son pays meurtri, avec une population sans doute inférieure d'un tiers à ce qu'elle était au début de son règne !
D'autres que lui connaîtront semblable échec : Pierre le Grand et... Staline.
Ivan le Terrible au cinéma
Le cinéaste soviétique Serguei Eisenstein a mis en images «Ivan le Terrible» en 1943, afin d'exalter le nationalisme russe dans la guerre contre l'envahisseur allemand. Il a ainsi contribué à la gloire tardive et quelque peu imméritée du tsar.
Plus près de nous, en 2009, le personnage d'Ivan IV Grozni a aussi inspiré le cinéaste Pavel Lounguine, qui s'est rendu célèbre par des films au souffle mystique (L'île, Le pope,...).
Celui-ci raconte dans le film Tsar (ou Tzar) deux années terribles (1567-1569) durant lesquelles le souverain, écartelé entre mysticisme et violence, entre en conflit avec le métropolite de Moscou, son ancien ami d'enfance, Philippe. Ce dernier, tiré d'un monastère reculé et hissé à la plus haute place du clergé orthodoxe, signifie au tsar sa réprobation à l'égard de ses méthodes de gouvernement (tortures et massacres en veux-tu en voilà). Il finit par être déposé et étouffé par l'un des hommes de main du tsar.