Paris autrefois -

Paris autrefois - mode et vetement- Directoire -

Publié à 14:15 par acoeuretacris Tags : paris autrefois mode et vetement directoire
(D'après Les Modes de Paris 1797-1897, par Octave Uzanne, paru en 1898)
(partie 6)
 
Pour la promenade matinale, les Parisiennes, afin de mieux se livrer aux caresses du zéphyr, dépouillaient tout ornement superflu ; une robe mince dessine les formes, un schall de linon jaune citron ou rose pâle tient lieu de fichu ; sur la tête un simple béguin, dont la dentelle s'échappe sous une gaze ornée de paillettes ; aux pieds des petits cothurnes rouges, dont les rubans de même couleur s'enroulent autour de la jambe : tel était le costume dans lequel les grâces assistaient, déjà sur le tard, au lever du soleil.
 
Dans le jour on ne voyait que chemises à la prêtresse, robes de linon coupées sur patron antique, robes à la Diane, à la Minerve, à la Galatée, à la Vestale, à l'Omphale, moulées au corps, laissant les bras nus et, bien que dégagées, modelant les formes comme des draperies mouillées.
 
On exigeait des costumes qui dessinassent les contours et eussent de la transparence. Les médecins s'évertuaient à répéter sur tous les tons que le climat de France, si tempéré qu'il soit, ne comportait cependant pas la légèreté des costumes de l'ancienne Grèce ; mais on ne se souciait aucunement des conseils des Hippocrates, aussi, Delessart put affirmer, à la fin de l'an VI, avoir vu mourir plus de jeunes filles, depuis le système des nudités gazées, que dans les quarante années précédentes.
 
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Les réunions au Luxembourg
An VIII (1800)
Quelques audacieuses, parmi lesquelles la belle Mme Hamelin, osèrent se promener entièrement nues dans un fourreau de gaze ; d'autres montrèrent leurs seins. découverts, mais ces tentatives impudiques ne se renouvelèrent point ; le bon sens blagueur du populaire les fit avorter dès le début et les extravagantes qui n'avaient pas eu le sentiment de leur impudeur sentirent la crainte de leur impudence quand les huées et les apostrophes des passants les poursuivirent jusques à leur domicile.
 
Les modes transparentes se modifièrent cependant peu à peu ; tout change vite dans l'empire féminin. Vers le mois de brumaire an VII, les robes à l'Égyptienne, les turbans à l'Algérienne, les fichus au Nil et les bonnets en crocodile occupèrent un instant l'esprit de nos frivoles. La campagne d'Égypte mit en vogue d'énormes turbans multicolores à côtes et à plumes recourbées, dont le fond était de nuance unie opposée à la toque ; le réticule ou ridicule revint en faveur sous une forme militaire, on le varia à l'infini, et les devises, les devinettes, les arabesques, les camées, les chiffres l'ornèrent tour à tour.
 
On ébouriffa à la main les cheveux à la Titus ou à la Caracalla ; on porta des chapeaux jockey, des chapeaux de courrier, des chapeaux de chasse, garnis de velours coquelicot ; le chapeau au ballon et le casque eurent grand succès. La multiplicité des modes qui se rivalisaient, se croisaient, se succédaient « avec la rapidité des éclairs », arriva à égarer et effarer jusqu'aux directeurs de journaux attitrés.
 
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Un tripot au Palais Royal,
An VIII (1800)
 
Les schalls surtout défrayèrent la chronique ; on les portait en sautoir, bien drapés sur l'épaule et ramenés sur le bras, les extrémités flottant au vent; on raffina sur les schalls aux couleurs vives, ponceau, orange, abricot avec bordures à la grecque noires ou blanches; on en essaya de toutes les formes, de toutes les étoffes, de tous les tons ; on en fabriqua en drap, en casimir, en serge, en tricot de soie et plus communément en poil de lapin gris. Schalls en pointe, schalls carrés, schalls houppelandes, d'hiver et d'été. Les élégantes commencèrent à couvrir leurs appas et les souliers cothurnes disparurent peu à peu.
 
Quant au costume des hommes au milieu de l'an VII, en voici un croquis ébauché par la tête. Le chapeau demi-haut de forme est à petits bords, relevés sur les côtés et abaissés sur le devant et à l'arrière ; les cheveux sont toujours à la Titus, en accord avec les favoris, qui tombent au milieu de la joue et descendent parfois jusque sous le menton ; le bon ton exige que les favoris soient noirs, lors même que les cheveux seraient blonds ; les impossibles ont plus d'un moyen pour satisfaire à la mode. La cravate est haute, toujours blanche et à nœuds très affilés en queues de rat. Elle engonce le cou jusqu'à l'oreille. La chemise plissée est en fine batiste ; on la voit à travers la large échancrure du gilet.
 
L'habit est ordinairement brun foncé, à collet noir ou violet, croisé avec boutons de métal uni. Le pantalon, très collant, est en casimir chamois ; il règne sur les coutures une petite ganse d'or, à la manière des hussards. La mode implique un énorme cachet de parade à l'extrémité des chaînes de montre : au lieu de canne un simple petit crochet de bambou, bottes molles venant à la naissance du mollet ; au bal, frac noir, culotte de couleur et souliers. La nuance des pantalons est jaune serin et vert bouteille.
 
Les modes furent si changeantes de 1795 à 1799 qu'il ne faudrait pas moins de deux gros volumes in-octavo pour en fixer les différents caractères et les principales variations. Mercier lui-même, qui saisissait cependant sur l'heure d'un crayon si habile et si fin ces physionomies parisiennes, semble déconcerté de se voir si vite distancé par le changement des costumes féminins :
 
« Il y a peu de jours, dit-il, la taille des femmes illustres se dessinait en cœur ; actuellement celle des corsets se termine en ailes de papillon dont le sexe semble vouloir en tout se rapprocher et qu'il prend le plus souvent pour modèle. Hier, c'étaient les chapeaux à la Paméla, aujourd'hui les chapeaux à l'anglaise; hier elles se paraient de plumes, de fleurs, de rubans, ou bien un mouchoir en forme de turban les assimilait à des odalisques ; aujourd'hui, leurs bonnets prennent la même forme que ceux de la femme de Philippe de Commines ; hier, leurs souliers élégants étaient chargés de rosettes et fixés au bas de la jambe avec un ruban artistement noué ; aujourd'hui, une grande boucle figurée en paillettes leur couvre presque entièrement le pied et ne laisse apercevoir que le bout d'un léger bouquet dont la broderie vient finir sur la petite pointe du soulier. Et que l'on ne croie pas que ce soit ici la caricature de nos illustres ; à peine est-ce une légère esquisse de leurs folies, de leurs changements variés à l'infini. »
 
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Les Merveilleuses survécurent de deux ans aux Incroyables; Mme Tallien, cette éventée qui les personnifia si gracieusement, nous fournit un modèle de la dernière heure ; elle vint chez Barras, à la fin de 1795, avec une robe de mousseline très ample, tombant en larges plis autour d'elle et faite sur le modèle d'une tunique de statue grecque ; les manches étaient rattachées sur le bras par des boutons en camées antiques ; sur les épaules, à la ceinture, d'autres camées servaient d'attache ; pas de gants ; à l'un des bras, un serpent d'or émaillé dont la tête était une émeraude.
 
Les bijoux se portaient en nombre aux bras, aux doigts, au cou, en bandeaux, en aigrettes sur turbans ; on ne peut se faire une idée de la quantité innombrable de diamants alors en circulation ; les chaînes de cou, d'une longueur excessive, tombant jusqu'au genou, relevées et agrafées au-dessous du sein, étaient adoptées par la majorité des femmes. Des rivières de pierres précieuses et de diamants enserraient leur gorge ; les ceintures étaient gemmées et les perles couraient en zigzags sur la gaze des robes et des coiffures ; les camées, mis en relief clans les toilettes de Mme Bonaparte, à son retour d'Italie, ornèrent les cheveux et le cou ; on vit jusqu'à des perruques enrichies de plaques et de ces colombes, dits esprits, en diamants.
 
Dans une lettre inédite à une amie très tendre, la citoyenne Bazin, établie à Rouen, le nommé Favières, auteur dramatique alors célèbre, expose à la date de fructidor 1798, le charme des femmes qu'il coudoie. Nous en extrayons ce curieux passage :
 
« La mise des femmes à Paris est délicieuse, ma chère sœur ; la manche de la robe ne descend que cinq à six doigts au-dessus du coude, les rubans croisés par derrière et passant sous les bras en faisant le tour sur chaque épaule, reviennent former une ceinture avec une rosette sur le côté ; la taille est courte, ce qui grandit singulièrement la plus petite femme. Presque toutes vont à pied ; beaucoup, parées comme des nymphes, relèvent le jupon et la robe par le côté et portent avec grâce tout le flot des plis rassemblés sur le bras, découvrant ainsi la jambe jusqu'au genou par devant et quelque peu de jarret par derrière.
 
« Au total, il faut bien avouer qu'elles ont une langueur, un charme, une coquetterie, un petit air coquin et abandonné qui damnerait un hermite. – Toujours la perruque blonde, et presque rien autre sur le corps que du linon, de la gaze ou du crêpe. Le soulier plat de satin vert pomme, le bas de soie blanc à coins de satin brodé rose ou lilas ; le chapeau très large et plat tombant sur les côtés comme un parasol, et le tout garni de rubans à grosses coques, la forme toute ronde sur la tête. – Je t'assure, il faut voir tout cela pour modeler ses habillements si l'on veut être muse comme elles le sont. – Le détail n'est rien en comparaison de la vue. »
 
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L'anglomanie sévissait sur les moeurs et les modes non moins que l'anticomanie ; pour certaines élégantes, rien n'était de bon goût et de jolie façon si l'usage n'en était pas établi à Londres. Ce fut au point que certaines ouvrières françaises franchirent le détroit pour satisfaire plus sûrement à leur clientèle ; elles retrouvèrent au delà de la France l'ancienne maison de Mlle Bertin, la célèbre modiste parisienne, ainsi que de nombreuses émigrées, alors établies marchandes de modes, et qui avaient su vulgariser pour autrui le goût exquis qu'elles montraient autrefois à la Cour pour elles-mêmes.
 
Du pays des brumes nous vinrent des douillettes bordées de velours, le spencer bordé en poil, ouvert sur la poitrine demi-nue, donnant aux dames un faux air Lodoïska ; les bonnets paysanne, les dolmans, qu'on écrivait dolimans, et une multitude de costumes d'un arrangement assez heureux. – Les chapeaux-capotes en linon, en organdi, en dentelle avec ganses perlées, furent bien accueillis sur la fin de l'an VII ; on les portait de nuance blanche, rose, jonquille ou bleue ; ils accompagnaient la mode des tabliers-fichus, de couleur assortie ; ces tabliers formaient à la fois ceinture et fichu ; on les nouait d'abord par derrière avec des rubans en rosettes.
 
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Les Petis Patriotes An VIII (1800)
 
Cette parure pouvait paraître au premier coup d'oeil un objet de luxe ; mais, dit un écrivain de modes, « si l'on en venait à considérer la finesse transparente de la robe qui servait souvent de chemise, on lui reconnaissait la même utilité qu'aux tabliers des sauvages ».
 
Un citoyen « amateur du sexe », Lucas Rochemont, songea, vers la fin du Directoire, à ouvrir un concours de modes nouvelles entre les véritables élégants de France, la mode primée devant porter le nom de sa créatrice. Il fit part à La Mésangèrede cet ingénieux projet dans la lettre que voici :
 
« Vous parlez périodiquement, Citoyen, des prodiges de la Mode, de ses formes multipliées, de ses succès inouïs ; mais vous gardez le silence sur les séduisants objets qui lui ouvrent une si brillante carrière. En effet, que serait la Mode sans les grâces du sexe charmant qui la fait admirer? Une fugitive qui échapperait à tous les yeux. Mais elle doit tout aux belles ; et son élégance, et sa richesse, et sa simplicité ; rien n'est bien, n'est beau sans leur concours. N'est-ce pas le bon goût qui admet telle ou telle folie de la Mode ? et le bon goût n'est-il pas le cachet de la beauté ? A ce titre, je voudrais, Citoyen, qu'à chaque époque qui nous amène une mode nouvelle, vous rendissiez justice à qui elle appartient, et que vous nommassiez celle qui l'a créée ; ce serait un moyen d'émulation qui nous mettrait en mesure de connaître à qui nous sommes redevables de tel ou tel changement clans la parure des dames et qui nous ouvrirait un temple où chacun aurait la faculté de porter son encens aux pieds de la divinité à laquelle il accorderait la préférence. »
 
Ce projet original n'eut pas de suite, et cela est fâcheux, car, à part une vingtaine de jolies femmes à demi célèbres de l'entourage de Notre-Dame de Thermidor, nous ignorons presque complètement les noms des élégantes de l'époque du Directoire. Toutes ces nymphes et merveilleuses sont anonymes, toutes ces beautés grecques et romaines passent voilées, et l'histoire anecdotique reste aussi muette à leur égard que s'il s'agissait des pimpantes petites chercheuses d'amour des Prés-Saint-Gervais.
 
Ces « beautés fières et majestueuses » se nomment Calypso, Eucharis, Phryné ; elles ont tout laissé voir à travers leurs robes ouvertes aux Apollons du jour sous les ifs chargés de lampions septicolores de Frascati ; mais, de cette longue mascarade dans les jardins d'Armide des bons républicains, peu de personnalités ressortent ; l'eau de volupté qui brillantait leurs charmes d'éternelle jeunesse les a confondues dans une même vision idéale de charmeuses.
 
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Un salon de Fracasti, An VIII (1800)
 
Quoi qu'il en soit, ces modes extravagantes qui, pour ainsi dire, « essuyèrent les plâtres » de la société nouvelle, ces modes folles, incohérentes, insaisissables que nous venons de décrire d'une plume cursive, ces modes de nos Impossibles peuvent être considérées comme les types fondamentaux et transitoires qui influencèrent le costume civil de ce XIXe siècle entier. A ce titre, elles mériteraient de trouver leur monographe.
 
Nous voudrions voir écrire l'Histoire des modes sous la Révolution et le Directoire. – Pour avoir à peine effleuré le sujet, comme un hanneton éperdu dans cet immense vestiaire de gazes, nous n'en sommes pas moins assuré que ce serait là un sujet passionnant pour quelque chercheur convaincu, amoureux du passé et assez furieusement féministe pour aimer à secouer toutes ces légères tuniques encore si pénétrantes et si troublantes en raison des belles formes voluptueuses et de la vie tout ivre de mouvement et de plaisir qu'elles ont contenu.