Le supplice continue pour le groupe LREM. «C’est vrai que cette semaine, on n’avait pas encore eu de nouveau groupe, ni de création de courant, ni de plainte pour harcèlement contre un député», rit jaune l’un d’entre eux. L’article publié, ce vendredi, par Marianne, a de nouveau plongé le groupe dans la consternation. Et fait monter la colère contre son chef de file. L’hebdomadaire révèle des notes adressées fin mai à Emmanuel Macron par Gilles Le Gendre qui lui livre ses pistes «sur le casting d’un nouveau gouvernement», en particulier pour remplacer à Matignon un Edouard Philippe à qui il fait plusieurs griefs.
De quoi mettre en fusion la boucle Telegram des députés marcheurs : «Soit c’est un fake soit c’est très grave», envoie une élue. «J’hésite entre affligeant et accablant #teampascredible», grince un député tandis qu’une autre s’étrangle : «Je ne peux pas le croire. Si aucun député du groupe n’est crédible qu’en est-il du président de ce même groupe ?» Une remarque citée dans l’article les a particulièrement ulcérés. Pour le poste de Premier ministre, Gille Le Gendre cite entre autres Jean-Yves Le Drian ou Bruno Le Maire mais ne voit «aucun candidat crédible» dans les rangs LREM de l’Assemblée nationale.
Il parlait seulement de Matignon, assure l’entourage de Gilles Le Gendre, qui, lui, ne veut pas réagir. Celui-ci a toutefois tenté d’éteindre le feu en s’expliquant auprès de ses collègues : «Cet article comporte de nombreuses contre-vérités et interprétations tendancieuses, dont chacun pourra comprendre les intentions politiques, leur a-t-il affirmé sur Telegram. Par ailleurs, comme cela a toujours été le cas, je ne commenterai pas le contenu de mes discussions avec le chef de l’Etat, inhérentes à mes responsabilités de président de groupe. Elles sont privées et, pour ce qui dépend de moi, le demeureront.»
«Gilles a accéléré sa sortie»
Qui a fait fuiter ses notes ? Cette question turlupine le député de Paris. «Soit il l’a organisé lui-même et c’est suicidaire soit quelqu’un l’a exécuté», suppose un parlementaire. «La fuite est soit à l’entrée, soit à la sortie. Si ça vient de l’Elysée, ça ressemble un peu à une mise à mort», abonde un autre.
Le président du groupe majoritaire – un job infernal, d’un avis unanime – a été bien servi en déconvenues, ces dernières semaines. La frustration est montée chez les députés autorisés à venir au compte-gouttes à l’Assemblée nationale pendant le confinement. Puis la création du groupe Ecologie démocratie solidarité, composé de marcheurs et ex-marcheurs déçus a coûté à LREM sa symbolique majorité absolue tandis qu’En commun, un courant, sur le même créneau écolo-social, s’est lancé en interne. Au lendemain d’une houleuse réunion de crise, c’est un autre groupe qui s’est créé à l’initiative de députés Agir, attirant encore une poignée d’élus LREM. «Là, c’est l’estocade», commente un pilier du groupe qui relève la maladresse de l’initiative d’un Le Gendre déjà fragilisé : «Des notes au Président, on en envoie tous mais il faut se souvenir d’où on parle.» «Quand on voit le sens politique de Gilles, tous les pièges qu’on n’a pas vu venir, s’il y a un casting à ne pas faire ce serait bien celui que propose Le Gendre», cingle un autre qui estime que sa position à la tête du groupe «devient intenable». «Vous le voyez accueillir le Premier ministre en réunion de groupe en lui donnant du "Edouard mon cher ami" ? Ce sera pas crédible pour deux balles», ajoute un troisième.
Avant cela, le patron des députés LREM devra essuyer les reproches de ses troupes, mardi matin, en réunion de groupe. «On est plusieurs à considérer que mardi, il faudra une expression forte pour demander son départ, s’il est encore en fonction, avertit Bruno Questel. Il y avait déjà, depuis un moment, un sujet de crédibilité. Il l’a confirmé.»
Depuis quelques jours, l’hypothèse d’un changement à la tête du groupe – via une éventuelle exfiltration de Le Gendre vers le gouvernement – alimente les discussions et certains noms reviennent pour le remplacer. Certains imaginent désormais un intérim jusqu’au second tour des municipales, suivi d’une élection interne. «Gilles a accéléré sa sortie», décrypte une députée. Dans l’entourage du patron du groupe, on se rassure en affirmant que la grogne est circonscrite à ses adversaires habituels. Un autre pilier de la majorité doute, lui, qu’un tel remplacement tombe «au bon moment» et souligne l’issue incertaine : «Cela aurait du sens si le président de la République pouvait imposer quoi que ce soit. Ce n’est pas le cas. Si l’on organise un vote, c’est du sans pilotage, on ne sait absolument pas quel nom peut sortir et cela pourrait être tout aussi effrayant.»
Laure Equy