POLITIQUE - “Retenons cela: le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant. Nous serons plus forts moralement. Nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer toutes conséquences, toutes les conséquences”.
La phrase a fait mouche, dans l’esprit de beaucoup. Ce 12 mars 2020, alors que nous nous apprêtons collectivement, sans le savoir vraiment, à basculer dans le monde “d’après”, celui du confinement, de la fin des verres en terrasse et de la peur quotidienne pour soi et ses proches de la maladie que nous n’appelions pas encore le Covid-19, Emmanuel Macron fait une promesse. La promesse que “rien ne sera jamais comme avant”. Peut-on le croire? Que met-il derrière ces mots? Les avis sont divisés, même au plus haut sommet de l’État.
L'une des caractéristiques de Macron, c'est la tentation de la table raseJean-Louis Bourlanges, député MoDem
“L’une des caractéristiques d’Emmanuel Macron, c’est son approche disruptive des problèmes, la tentation de la table rase, de la remise en cause globale de tout ce qui s’est fait avant lui. Je crois, en bon conservateur-réformateur, qu’il faut se méfier de cette tendance à la radicalisation du diagnostic”, commente Jean-Louis Bourlanges. “Le bon chirurgien n’est pas celui qui s’attaque à tous les organes mais qui identifie le dysfonctionnement précis à corriger et qui porte le coup de bistouri au bon endroit”, poursuit le député MoDem qui pense que la faute n’est pas à chercher dans “le libéralisme” et qui prédit qu’on “ne passera pas d’une aile libérale mondialisatrice à une aile redistributrice socialiste”, après cette crise, comme le sous-entendait le chef de l’État dans un discours marqué par le vocabulaire de gauche, voire d’extrême gauche pour les suivants.
Quand j'entends certains dire que le virus vient à cause de la pollution, il faut arrêter le bullshitUn conseiller de Bruno Le Maire
Les mots de l’essayiste raisonnent avec ceux d’un conseiller de Bercy, joint par Le HuffPost le 24 mars. “Quand j’entends certains dire que le virus vient à cause de la pollution, il faut arrêter le bulllshit! 57% du PIB est mis dans la redistribution, je veux bien qu’on remette tout en cause, mais regardons ce qui se passe dans d’autres pays!”, s’agaçait presque ce proche de Bruno Le Maire qui s’inquiétait également que la construction d’avions d’Airbus ne redémarre pas “avant un an ou un an et demi”, si l’on interrompait la chaîne de production à cause du potentiel confinement des travailleurs.
“Le Président ne va pas s’appuyer sur une note de Bercy”
Des mots qui peuvent surprendre, seulement quelques jours après le discours d’Emmanuel Macron et alors qu’on s’ébahit quotidiennement du silence dans les rues de la capitale, de l’air pur qui se dégage des métropoles mondiales et de la nature qui reprendrait ses droits. ”Le Président de la République, quand il mettra les choses à plat, il ne va pas s’appuyer sur une note de Bercy”, démentait immédiatement, et avec vigueur, une conseillère du pouvoir. “Évidemment, à Bercy, ce n’est pas leur logiciel. Ils n’ont pas été spontanément sur la ligne d’arroser l’économie à coups de milliards”, confie également cette source bien placée.
Difficile de savoir exactement ce qui se passe dans la tête du chef de l’État. “C’est encore très flou”, concède cette conseillère de l’exécutif qui perçoit deux formes de leçons à tirer de la crise: “Ce peut être une façon de dire que si, par exemple, l’hôpital public n’était pas complètement prêt à une crise comme celle-ci, l’heure viendra de trouver des responsabilités politiques, mais pas maintenant où l’on doit être unis”.
Autre “conséquence”, qui serait sous-entendue par Emmanuel Macron: ”ça peut-être une autre façon de gouverner, une autre gestion des finances publiques pour l’après-crise”, lance-t-elle, comme une hypothèse.
“On a augmenté les allocations sociales aux dépens des services publics”
“L’argent est distribué. Est-ce qu’il est bien redistribué? Peut-être pas. Est-ce qu’on a augmenté les allocations sociales aux dépens des services publics? La réponse est oui”, analysait-on à Bercy sans jamais parler d’un éventuel changement de logiciel économique. “On met près de 15% de notre PIB dans la santé, la Corée en met 8% et elle gère mieux la crise. Malgré la mobilisation exceptionnelle des personnels de santé, nous souffrons d’une véritable ankylose de notre service public. Il ne s’agit pas de dépenser plus, mais autrement et mieux”, appuyait, à distance, le député Bourlanges.
Si Emmanuel Macron ne tire pas de leçons conséquentes sur la lutte contre le réchauffement climatique, la revalorisation des salaires “essentiels” ou encore le renforcement des services publics, nul doute qu’il trouvera sur sa route de nombreux Français, déjà chauffés par la crise des gilets jaunes et prêts au changement dans de nombreux domaines, si l’on en croit les messages qui s’échangent sur les réseaux sociaux dans des cercles de pensées aussi divers que ceux de l’échiquier politique.
Le problème, c'est qu'ils continuent à dérouler leur programme libéralUgo Bernalicis, député La France insoumise
“Juqu’aux ordonnances, on pouvait leur accorder le bénéfice du doute”, admet Ugo Bernalicis. “Le problème, c’est qu’ils déroulent toujours le même discours libéral”, déplore le député insoumis. Membre de la commission des Lois, l’élu critique par exemple l’ordonnance qui concerne la Justice. ”Tout peut se faire sur écrit sans la présence d’un avocat et sans les parties. C’est une disposition qu’ils avaient déjà essayé de faire passer dans le projet de loi Justice et qui va au-delà de la crise. Ensuite, ils diront, ‘vous voyez, ça marchait très bien, on peut généraliser’. Et c’est pareil dans les autres domaines”, pense cet ancien fonctionnaire du ministère de l’Intérieur.
“Ils continuent à dérouler leur projet! Sans parler des 60 heures de travail hebdomadaire, ils ont quand même essayé de fermer des classes avant qu’on réussisse à s’y opposer”, relève Sébastien Jumel, député communiste qui a écrit une lettre à Jean-Michel Blanquer sur le sujet, comme d’autres parlementaires de l’opposition jusque sur les bancs LR.
Il faudra changer de logiciel et tirer les leçons pour la crise climatiqueBruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat
Bruno Retailleau pousse un long soupir au téléphone. Et laisse un blanc. “J’ai quelques doutes sur leur volonté de faire autrement...”. Il regrette notamment le choix d’Emmanuel Macron de ne pas avoir fermé les frontières et estime que “les 35 heures aussi ont bousillé l’hôpital”. Mais dans le même temps, le patron du groupe LR au Sénat le dit sans détour: “Il faudra changer de logiciel”. “Il faudra déglobaliser pour relocaliser et on devra tirer des conséquences similaires sur la crise climatique”. Des mots rares dans la bouche d’un dirigeant de droite.
“La démocratie risque de vivre des jours difficiles”
“Évidemment qu’il faudra tirer des conclusions radicales de ce qui s’est passé”, abonde Boris Vallaud, député socialiste. “D’ailleurs, sur un certain nombre de sujets, nous avons porté ce discours: l’arrêt des traités de libre-échange comme le CETA, le retour de l’Etat, la transition écologique et les impôts sur les multinationales”, énumère-t-il en parlant de propositions de loi ou amendements socialistes déposés depuis deux ans et demi.
A la crise économique durable qui se profile, beaucoup craignent qu’une crise politique s’y ajoute. “Face à cette terrible épreuve, je vois deux pulsions simultanées, à la fois contradictoires et complémentaires: une pulsion anarcho-révolutionnaire née de toutes les détresses morales et matérielles engendrées par la crise et, par ailleurs, une pulsion autoritaire, latente dans la société actuelle, mais qui sortira puissamment renforcée par l’angoisse et le désarroi. La démocratie risque de vivre des jours difficiles”, pressent Jean-Louis Bourlanges.
“Potentiel révolutionnaire”
La “pulsion anarcho-révolutionnaire”, certains la souhaitent. “Il y a un potentiel révolutionnaire dans les éléments qui sont là. On verra comment la suite des événements se passe...”, lance, à la volée, Ugo Bernalicis, convaincu en revanche que des responsabilités politiques seront trouvées par la suite. “La cour de justice de la République va être saisie, LR a prévu une commission d’enquête... Ceux qui ont imposé le premier tour des municipales alors qu’il y a eu des morts vont manger!” lance l’insoumis, sans filtre.
“Pour l’instant les leçons qu’ils tirent c’est le libéralisme. On ne peut pas dire d’un côté c’est la crise de 29 et ne pas en tirer les leçons, rappelons nous ce qui arrive politiquement après 29″, lance, amer, le député Jumel.
L'alternative à Emmanuel Macron n'est pas Emmanuel Macron.Boris Vallaud, député socialiste
Beaucoup citent le discours de Nicolas Sarkozy, à Toulon, en septembre 2008, quelques mois après la tempête financière la plus grave de ces dernières années. “Une certaine idée de la mondialisation s’achève avec la fin d’un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à la pervertir”, disait le Président d’alors qui voulait plus de régulation.
“L’idée que les marchés ont toujours raison était une idée folle”, lançait Nicolas Sarkozy, réclamant des règles pour les encadrer. “Rien n’a été fait”, déplore Boris Vallaud qui compare Emmanuel Macron à l’un de ses prédécesseurs. “Est-ce qu’on leur fait confiance pour opérer ces changements? Beaucoup ont fait confiance à Emmanuel Macron il y a trois ans pour tout changer, ils ont vu. L’alternative à Emmanuel Macron n’est pas Emmanuel Macron”.