François Bertrand (né le 29 octobre 1823 à Voisey en Haute-Marne et mort le 25 février 1878 au Havre), surnommé le Sergent nécrophile ou le Vampire du Montparnasse, est un sergent de l'armée française, connu pour avoir exhumé et mutilé des cadavres, essentiellement de femmes, dans plusieurs cimetières français, en particulier dans le cimetière du Montparnasse à Paris, avant de pratiquer sur eux des actes de nécrophilie et de nécrosadisme.
Entre l'été 1848 et mars 1849, une série de cadavres sont retrouvés exhumés et mutilés dans des cimetières parisiens. Celui que la presse appelle « le Vampire du Montparnasse » échappe toujours à la surveillance des fossoyeurs et des gardiens. De sorte que les autorités prennent la décision d'installer une machine infernale près du mur d'enceinte du cimetière du Montparnasse, là où des traces de boue indiquent son passage. Un fil métallique discret doit déclencher, s'il est heurté, un tir de mitraille, ce qui se produit dans la nuit du 15 au 16 mars 1849. Grièvement blessé, le sergent Bertrand est soigné au Val-de-Grâce où il est d'abord sauvé, puis confié au médecin militaire le Dr Charles Marchal de Calvi (1815-1873), qui recueille ses confidences et lui demande de les rédiger.
François Bertrand avoue que dès l'adolescence, il a la pulsion de tuer des femmes et de se masturber sur leurs cadavres . Il comparaît devant la cour martiale, où le Dr Marchal de Calvi plaide son irresponsabilité en raison d'une monomanie destructive, compliquée de monomanie érotique. Le conseil de guerre ne suit pas sa conclusion, déclare le sergent responsable et le condamne à un an de prison, pour « violation de sépulture » au titre de l'article 360 du Code pénal. L'écrivain Michel Dansel, qui a repris l'intégralité du parcours du sergent Bertrand dans son livre : Le Sergent Bertrand : portrait d'un nécrophile heureux, a retrouvé sa trace après que le nécrophile eut purgé sa peine : Bertrand est intégré dans le deuxième bataillon d'infanterie légère d'Afrique, chargé de construire des routes en Algérie, puis rentre dans la vie civile. En 1856, il se marie au Havre et effectue de nombreux petits métiers : commis, facteur, gardien de phare. Michel Dansel lui attribue deux violations de sépultures, qui se sont produites dans la région du Havre en 1864 et en 1867.
Répercussions de son cas sur les concepts psychiatriques de déviations et de perversions sexuelles
L'étrangeté du cas du sergent Bertrand, et surtout le fait que le conseil de guerre qui a jugé ce soldat n'ait pas suivi le Dr Marchal de Calvi dans son argumentation en faveur d'une pathologie caractérisée par une « monomanie destructive » compliquée de « monomanie érotique », a provoqué l'indignation unanime des médecins aliénistes de l'époque. Certains ont exprimé leur point de vue par des articles savants parus dans des revues médicales : Henri de Castelnau, Alexandre Brierre de Boismont, Claude-François Michéa, Félix Jacquot, Ludger Lunier. Brierre de Boismont, et Michéa ont, à cette occasion, situé la nécrophilie parmi d'autres « déviations maladives de l'appétit vénérien » et Michéa s'est employé à les classer. L'article du Dr Michéa, longtemps considéré par les historiens des idées et des mœurs comme la première étude médicale de l'homosexualité (dénommée philopédie par Michéa dans son article), constitue en vérité le premier plaidoyer scientifique pour l'innéité de cette disposition, basée sur les observations anatomiques de la bisexualité originelle des embryons de mammifères. Il est prouvé que Michéa était lui-même pédéraste [au sens de ce mot au XIXe siècle, càd. homosexuel] : l'inscription de son nom dans les registres de pédérastes de la Préfecture de Police repose sur des faits avérés. Les mérites du Dr Claude-François Michéa (1815-1882), membre fondateur de la Société médico-psychologique et aliéniste éminent, ont du reste été occultés par une condamnation pénale pour une affaire de mœurs à Dijon.
Inspirations
Guy de Maupassant mentionne le sergent Bertrand dans sa nouvelle La Chevelure, qui traite un sujet s'apparentant à la nécrophilie, et dans La Tombe, une des nouvelles du recueil intitulé Misti.
L'histoire du sergent Bertrand a donné lieu à un roman écrit en 1933 par l'Américain Guy Endore (en) : Le Loup-garou de Paris. Charles Fort évoque son cas dans son livre Talents insolites (en) (Wild Talents) et François Bertrand est le personnage principal du roman de Guy de Wargny La Bête noire (1965).
En 1965, lors de la XIe exposition internationale du surréalisme intitulée L'Écart absolu, à la galerie de la revue L'Œil à Paris, l'artiste plasticien surréaliste Jean Benoît lui rend hommage en apparaissant dans un costume de nécrophile, dont le poète Radovan Ivsic réalisa des photographies.
Le groupe allemand Sopor Aeternus & The Ensemble of Shadows a écrit une chanson sur François Bertrand, intitulée Dark Delight sur l'album Es reiten die Toten so schnell (en).
LE SERGENT BERTRAND
(1824-1849)
Une passion étrange
François Bertrand était un excellent soldat. Bien noté par ses supérieurs, parfaitement discipliné, tout dévoué au service de son pays.
Mais les gens comme il faut, apparemment bien sous tous rapports, ont parfois des passions étranges.
Bertrand était nécrophile. Il se sentait attiré par les jolies mortes. Leurs cadavres l'intéressaient davantage que les corps de femmes vivantes !
Un amour bizarre ? Une déviation ? En tout cas, entre les années 1846 et 1849, Bertrand se rendait nuitamment dans les cimetières des villes où il se trouvait en garnison, après l'inhumation de jeunes femmes. Il soulevait la dalle, ouvrait le cercueil fraîchement cloué et exhumait les corps qu'il honorait sexuellement avant de les mutiler de différentes manières.
«Souvent, il se contentait de mordiller, de baiser, de lécher la chair morte, devant laquelle il se masturbait, sans se laisser aller à la copulation proprement dite» nous précise Frédéric Blanchard son biographe.
Et même lorsqu'il commettait l'acte, ce ne pouvait être considéré comme un viol, puisqu'un viol ne s'entend, juridiquement, qu'avec le non consentement de la victime.
Que dire du consentement d'un cadavre, sinon qu'il se trouve dans l'incapacité de le formuler... La nécrophilie n'étant pas prévue par le code pénal, elle n'est pas considérée comme un délit. La violation de sépulture est seule répréhensible.
Le Vampire de Montparnasse
Après avoir sévi dans plusieurs cimetières des villes de province où il séjournait au gré des garnisons, le terrain de prédilection du sergent Bertrand devint le cimetière du Montparnasse.
Le nécrophile franchissait le mur de la rue Froidevaux là où il était moins haut qu'ailleurs, dans l'endroit le plus sombre. Ayant constaté quelques déprédations dans le cimetière, l'autorité compétente avait fait piéger le haut du mur avec un câble tendu qui, effleuré par tout visiteur nocturne, actionnait une culasse bourrée de mitraille propre à tuer un troupeau de sangliers.
Quelques chats imprudents, une chouette hulotte et d'autres oiseaux nocturnes furent les premières victimes de cette machine infernale avant que le sergent Bertrand n'en fut blessé lors de sa dernière expédition.
Il parvint à s'enfuir jusqu'au Val de Grâce sans être pris par les guetteurs postés autour du cimetière. La gravité de ses blessures finirent pas intriguer ses camarades et un officier l'ayant interrogé plus à fond, il finit par avouer être le coupable.
Alertée, la presse se déchaîna et parla avec délectation des méfaits du «vampire du Montparnasse».
Dès lors, le sergent Bertrand fut confié à la justice, avant d'être emprisonné au fort de Belle-Ile où il effectua sa peine d'un an, et, selon Krafft-Ebing, il se serait suicidé peu après sa libération.
Une abondante ittérature
Il existe une abondante littérature sur le cas du sergent Bertrand.
Michel Dansel a reconstitué l'errance du sergent nécrophile, suivi ses exploits à la trace, relevant que partout où il était passé, des sépultures avaient été profanées, des tombes de femmes. Les agissements connus du sergent Bertrand se situent dans les années 1846 à 1849.
Le sergent Bertrand aurait laissé un cahier où il raconta avec complaisance ses voluptés étranges et avoua ses fascinantes turpitudes. Mais cet ouvrage semble apocryphe et son contenu rédigé par un auteur facétieux !
Au vingtième siècle, les surréalistes se sont beaucoup intéressés au personnage.
Récit du sergent Bertrand
«J'ai commencé à me masturber dès l'âge le plus tendre, sans savoir ce que je faisais; je ne me cachais de personne. Ce n'est qu'à l'âge de huit ou neuf ans que j'ai commencé à penser aux femmes: mais cette passion ne devint réellement forte qu'à l'âge de treize ou quatorze ans. Alors, je ne connus plus de bornes, je me masturbais jusqu'à sept ou huit fois par jour, la vue seule d'un vêtement de femme m'excitait.
En me masturbant, je me transportais en imagination dans une chambre où des femmes se trouvaient à ma disposition; là, après avoir assouvi ma passion sur elles et m'être amusé à les tourmenter de toutes les manières, je me les figurais mortes et j'exerçais sur leur cadavre toutes sortes de profanations.
Mutilations
D'autres fois, le désir me venait aussi de mutiler des cadavres d'hommes, mais très rarement : j'éprouvais de la répugnance.
Me voyant dans l'impossibilité d'avoir des corps humains, je recherchai des corps morts d'animaux, que je mutilai, comme plus tard ceux de femmes ou d'hommes.
Je leur fendais le ventre et, après en avoir arraché les entrailles, je me masturbais en les contemplant, après quoi je me retirais honteux de mon action et me promettant bien de ne plus recommencer; mais la passion était plus forte que ma volonté.
J'éprouvais dans ces circonstances un plaisir extrême, une jouissance que je ne puis définir, et pour la faire durer plus longtemps, je me masturbais lentement afin de retarder autant que possible la sortie du sperme.
Animaux
Il m'est arrivé de mutiler depuis le cheval jusqu'aux plus petits animaux tels que des chats, des petits chiens, etc...
Étant arrivé au camp de la Villette en 1844, je ne tardai pas à aller retirer du canal Saint-Denis des animaux noyés, des chiens, des moutons, etc., pour les traiter de la même manière que ceux dont j'ai parlé plus haut.
En 1846, je ne me contentai plus d'animaux morts, il m'en fallut de vivants. Au camp de la Villette, comme dans toutes les casernes, il y avait beaucoup de chiens, qui, n'appartenant à personne, suivaient tous les militaires indistinctement. Je résolus d'emmener de ces chiens à la campagne et de les tuer, ce qui m'arriva, en effet, trois fois; je leur arrachais les entrailles comme aux animaux morts, et j'éprouvais autant de jouissance qu'avec ces derniers.
Sur la fin de 1846 seulement, la pensée me vint de déterrer des cadavres; la facilité avec laquelle cela pouvait se faire dans la fosse commune du cimetière de l'Est, fit naître en moi cette idée; mais elle ne fut pas mise à exécution, la crainte me retenait encore.
Violation de sépulture à Bléré
Au commencement de 1847, mon régiment étant allé à Tours, ma compagnie fut envoyée dans la petite ville de Bléré.
C'est là que je commis la première violation de sépulture dans les circonstances que voici : Il était midi : étant allé me promener dans la campagne avec un de mes amis, la curiosité me fit entrer dans le cimetière qui se trouvait près de la route (ceci eut lieu sur la fin du mois de février); une personne avait été enterrée la veille ; les fossoyeurs, d'après ce qui m' a été dit le lendemain, ayant été surpris par la pluie, n' avaient pu achever de remplir la fosse, et avaient de plus laissé leurs outils à côté.
A cette vue, les plus noires idées me vinrent, j'eus un violent mal de tête, mon cœur battit avec force, je ne me possédais plus. Je prétextai un motif pour rentrer de suite en ville; m'étant débarrassé de mon camarade, je retournai au cimetière et, sans faire attention aux ouvriers qui travaillaient dans les vignes qui touchaient au cimetière, je saisis une pelle et je me mis à creuser la fosse avec une activité dont j'aurais été incapable dans tout autre moment.
Une rage inexplicable
Déjà j'avais retiré le corps mort. Ne me trouvant muni d'aucun instrument tranchant pour le mutiler, je commençais à le frapper avec la pelle que je tenais à la main, avec une rage que je ne puis encore m'expliquer.
Quand un ouvrier qui travaillait tout près, attiré par le bruit que je faisais, se présenta à la porte du cimetière. L'ayant aperçu, je me couchai dans la fosse à côté du mort et j'y restai quelques instants. L'ouvrier étant allé prévenir les autorités de la ville, je profitai de cet instant pour recouvrir le corps de terre et sortir du cimetière en escaladant le mur.
J'étais tout tremblant, une sueur froide me couvrait le corps. Je me retirai dans un petit bois voisin où, malgré une pluie froide qui tombait depuis quelques heures, je me couchai au milieu des arbrisseaux, je restai dans cette position pendant trois heures, dans un état d'insensibilité complète.
Quand je sortis de cet assoupissement, j'avais les membres brisés et la tête très faible. La même chose m'arriva dans la suite après chaque accès de folie.
Deux jours après, je suis retourné au cimetière de Bléré, non plus à midi, mais au milieu de la nuit, par un temps pluvieux. Cette fois, n'ayant pas trouvé d'outils, je creusai la fosse avec mes mains; elles étaient en sang, mais rien ne pouvait m'arrêter, je ne sentais pas la douleur. n' ayant pu découvrir que la partie inférieure du corps, je la mis en pièces; je remplis ensuite la fosse de la même manière qu'elle avait été creusée.
Étant rentré à Tours dans les commencements du mois de mars, je ne fus pas longtemps sans éprouver le besoin de déterrer des morts. J'allai, à cet effet, au cimetière de cette ville, un soir; mais ayant reconnu l'impossibilité d'exécuter ma résolution, je me retirai et je n'y retournai plus. Cet état de choses dura pendant les mois de mars, avril et mai.
Au cimetière du Père Lachaise
Étant rentré à Paris à la fin de ce dernier mois, le mal se fit sentir de nouveau. M'étant laissé entraîner un jour au cimetière du Père-Lachaise, cette solitude me plut, la facilité d'y pénétrer me fit prendre la résolution d'y revenir dans la nuit. J'y entrai en effet à neuf ou dix heures du soir en escaladant le mur, je me promenai quelques instants agité des plus noires idées; m'étant ensuite approché de la fosse commune, je me mis à déterrer un cadavre. Ce corps était celui d'une femme d'environ quarante ans, assez bien conservé; je lui ouvris le ventre, j'en arrachai les entrailles, je la coupai en mille morceaux avec rage; mais je ne commis sur cette femme aucun acte impudique (juin 1847).
Pendant une quinzaine de jours, j'allai à ce cimetière presque tous les soirs. Dans cet espace de temps, je déterrai trois ou quatre femmes que je traitai comme la première, sans attenter à la pudeur. Après avoir arraché les entrailles aux divers cadavres dont je viens de parler, et les avoir mutilés, je me retirais après m'être masturbé deux ou trois fois à genoux près du cadavre. Je me masturbais d'une main, tandis que je serrais convulsivement de l'autre une partie quelconque du cadavre, mais plus particulièrement les entrailles.
Surpris par les gardiens
Ayant été surpris par deux gardiens du cimetière, qui furent sur le point de faire feu sur moi, je fus assez heureux pour me tirer d'affaire en leur disant qu'étant ivre je m'étais endormi dans le cimetière jusqu'à cette heure. Comme j'avais toujours eu soin de recouvrir les cadavres mutilés, ils ne se doutèrent de rien et me laissèrent sortir.
Le danger que je venais de courir produisit sur moi une telle impression que je ne pensai plus à retourner dans un cimetière, jusqu'au 12 novembre même année, jour où je quittai Paris pour aller à Soissons, ville où se trouvait le dépôt de mon régiment. La difficulté de pénétrer dans le cimetière de ce lieu m'empêcha encore de me livrer à ma funeste folie.
Arrivé à Douai, après les affaires de février, j'éprouvai le besoin de mutiler des corps morts. Un soir, vers le dix mars, j'allai au cimetière; il était neuf heures. Après la retraite qui se battait à huit heures, les militaires ne sortaient plus de la ville ; pour exécuter mon dessein, je me trouvais donc dans la nécessité d'escalader le mur d' enceinte et de sauter un fossé de quatre mètres environ de largeur sur deux de profondeur.
Ces difficultés ne furent pas capables de m'arrêter; après avoir grimpé au haut du mur dans un endroit où il tombait en ruine, je reconnus l'impossibilité de sauter le fossé, je le traversai à la nage après avoir jeté mes habits de l'autre côté. Le froid était très vif: il y avait même de la glace. A peine entré dans le cimetière, je me mis à déterrer une jeune fille qui pouvait avoir de quinze à dix-sept ans.
Je me livre à des excès impudiques
Ce corps est le premier sur lequel je me livrai à des excès impudiques. Je ne puis définir ce que j'éprouvai dans ce moment, tout ce que l'on éprouve avec une femme vivante n'est rien en comparaison.
J'embrassai cette femme morte sur toutes les parties du corps, je la serrai contre moi à la couper en deux; en un mot, je lui prodiguai toutes les caresses qu'un amant passionné peut faire à l'objet de son amour. Après avoir joué avec ce corps inanimé pendant un quart d'heure, je me mis à le mutiler, à lui arracher les entrailles, comme à toutes les autres victimes de ma fureur. Je remis ensuite le corps dans la fosse, et après l'avoir recouvert de terre, je rentrai à la caserne par les moyens employés pour aller au cimetière.
Mon régiment ayant été envoyé à Lille, le 15 mars, j'exhumai quatre corps de femmes dans cette dernière ville, dans l'espace d'un mois. et je me livrai sur ces quatre cadavres aux mêmes excès qu'à Douai.
Quelque temps après, ma compagnie alla tenir garnison à Doullens (Somme), d'où elle ne sortit que le 16 juillet pour rentrer à Paris. Étant allé dans le cimetière de cette ville, et n'ayant pu venir à bout de creuser une fosse, tellement la terre dure m'avait abîmé les mains, je n'y retournai plus.
Nous étions rentrés à Paris (17 juillet 1848), le régiment occupait le camp d'Ivry. Après quelques jours de repos, le mal me revint plus violent que jamais. Pendant la nuit, les sentinelles étaient très rapprochées et avaient une consigne sévère; mais rien ne pouvait m'arrêter, je sortais du camp presque toutes les nuits pour aller au cimetière du Montparnasse, où je me livrai à de si grands excès.
Cimetière du Montparnasse
La première victime de ma fureur dans ce cimetière fut une jeune fille de douze à treize ans; son corps était tout décomposé, ce qui ne m'empêcha pas de le profaner par des actes impudiques. Ensuite, après lui avoir ouvert le ventre, en avoir arraché les entrailles et coupé les parties génitales, je me masturbai encore et je me retirai. Cette violation de sépulture eut lieu vers le 25 juillet 1848.
La même profanation eut lieu au cimetière d'Ivry, du 20 au 25 août et sur la fin du mois de septembre, sur les corps d'une petite fille de sept ans et d'une femme de trente-huit à quarante ans. Je me livrai sur ces deux cadavres aux mêmes excès qu' au cimetière Montparnasse; excepté, quoique je n'arrachai ni ne dispersai les entrailles, je me contentai d'ouvrir le ventre. Après avoir mutilé la petite fille, je la remis dans la fosse et je la recouvris de terre. La femme était enterrée depuis treize jours.
Du 25 juillet au mois de décembre 1848, je ne retournai que deux fois au cimetière du Montparnasse, où il était très difficile de pénétrer. La première fois, à minuit, par un beau clair de lune, je fus assez heureux pour échapper à un gardien qui se promenait armé d'un pistolet ; je sortis sans rien faire.
La deuxième fois, je déterrai une femme âgée d'environ soixante ans, et un enfant de deux ou trois ans au plus. Après avoir transporté ces deux cadavres sur une tombe assez éloignée de la fosse commune, je profanai et mutilai celui de la femme sans toucher à celui de l'enfant. Toutes les autres profanations de sépulture eurent lieu dans le cimetière des suicidés et des hôpitaux.
Des cadavres d'hommes
Les premières mutilations dans cet endroit eurent lieu sur des cadavres d'hommes. Je ne pouvais me résoudre à mutiler un homme. Si cela m'est arrivé quelquefois, c'était la rage de ne pouvoir trouver des femmes qui me le faisait faire; alors, je me contentais de leur donner un coup de sabre sur une partie quelconque du corps. Il va sans dire que je n'éprouvais pas le besoin de me masturber, c'était tout le contraire, j'éprouvais une grande répulsion. Il m'est arrivé de déterrer douze ou quinze corps pour trouver une femme.
Du 30 juillet au 6 novembre je déterrai deux femmes et un grand nombre d'hommes : mais je ne mutilai que deux de ces derniers. Quant aux femmes, qui étaient âgées de soixante à soixante-dix ans, je me livrai sur elles à un nouveau genre de mutilation.
Après avoir assouvi ma passion brutale sur leur cadavre, leur avoir ouvert le ventre et en avoir retiré les entrailles, je leur fendis la bouche, je leur coupai les membres, je leur lacérai le corps dans tous les sens, ce qui ne m'était pas encore arrivé. Ma fureur ne fut pas satisfaite après ces actes horribles ; je saisis les membres coupés, je me mis à les tordre, à jouer comme un chat avec sa proie; j'aurais voulu pouvoir les anéantir; jamais je ne m'étais vu dans un tel état. Je terminai, comme à l'habitude par la masturbation.
Un coup de feu tiré à bout portant
Le 6 novembre, à dix heures du soir, j'étais sur le point de sauter dans le cimetière, quand un coup de feu me fut tiré à bout portant; je ne fus pas atteint.
Ce fait ne me découragea pas; je me retirai et je me couchai à quelques pas du cimetière sur la terre humide, par un froid rigoureux; je restai dans cette position environ deux heures, après quoi je rentrai au cimetière, où je déterrai une jeune femme noyée, âgée de vingt-cinq à vingt-six ans, très bien conservée.
J'arrache les entrailles, coupe les parties génitales...
Je traitai cette femme comme les autres victimes de ma folie; je me retirai après lui avoir arraché les entrailles, coupé les parties génitales et fendu la cuisse gauche jusqu'au milieu. La jouissance que j'éprouvai avec cette femme fut plus grande encore que toutes les autres fois. Cependant, je commençais à me fatiguer de toutes ces violations de sépulture, ma maladie n'était plus si violente, et je suis porté à croire qu' elle touchait à son terme.
A dater de cette dernière violation, jusqu'au 15 mars 1849, je ne suis retourné que deux fois au cimetière, une fois du 15 au 20 décembre et l'autre au commencement de janvier.
Ces deux fois encore, j'ai essuyé deux coups de feu; le premier, tiré à trois ou quatre pas de distance, a fait balle, et a troué le derrière de ma capote, à hauteur de la ceinture.
Ce soir, il faisait très mauvais temps, mes habits étaient traversés par la pluie; mais il fallait que ma fureur se passât, rien n' était capable de m' arrêter.
Aussi, malgré le coup de feu que je venais de recevoir et la pluie qui tombait à verse, me fallut-il aller au cimetière d'Ivry à travers champs.
Je cherche inutilement à déterrer un mort
Étant arrivé dans ce cimetière, accablé de fatigue, je cherchai inutilement à déterrer un mort; je fus obligé de retourner à la caserne où j'arrivai à trois heures du matin, dans un état déplorable.
Le deuxième coup de feu que j'essuyai au Montparnasse ne m'atteignit pas. Il m'eût été très facile de briser ou d'emporter les machines dressées contre moi, puisqu'il m'est arrivé plusieurs fois d'en désarmer; mais jamais cette pensée ne m'est venue, ces machines ne me causaient aucune terreur. Il m'est arrivé plusieurs fois aussi de rencontrer des chiens, ils n'ont jamais cherché à me faire du mal.
Le 15 mars 1849, étant sorti du Luxembourg, à dix heures du soir, pour aller à un rendez-vous qui m'avait été donné, mon malheur voulut que je passasse près du cimetière Montparnasse; je fus poussé à y entrer comme à l'habitude, et c'est en escaladant la clôture que je fus blessé; je crois que si cette fois la machine m'eût manqué, je ne serais retourné de ma vie dans un cimetière; cependant je n'en suis pas certain.
Dans toutes mes violations de sépulture, jamais il n' y a eu préméditation de ma part; quand le mal s'emparait de moi, à midi comme à minuit, il fallait que je marche, il m'était impossible d'ajourner.
Dans ma jeunesse
Dans ma jeunesse, je me plaisais à contrarier tout le monde; il fallait peu de chose pour m'irriter; mais ma colère était vite passée; je ne me suis battu, je crois, que deux ou trois fois; j'avais toujours peur de faire du mal à mon adversaire.
Étant arrivé au régiment, mon habitude de me moquer des autres et de les contrarier en tout m'attira deux affaires sur les bras. J'allai sur le terrain, bien résolu de me battre, et, quand j'ai pris une résolution, il est bien difficile de m'empêcher de la mettre à exécution : cependant, les témoins firent si bien que le duel n'eut pas lieu. Il en fut de même à la deuxième fois. Arrivé sur le terrain, je n'avais plus ni colère ni haine, je me serais battu froidement, mais pour le point d'honneur seulement, et sans chercher à faire trop de mal à mon ennemi.
Maintenant, encore, comme dans ma jeunesse, je m'emporte et je m'enflamme outre mesure en discutant, je veux toujours avoir gagné. Depuis que je suis à l'hôpital, j'ai eu plusieurs disputes; quand on me poussait à bout, oubliant mon mal, je sautais vivement à bas de mon lit, et je crois que si la force ne m'eût manqué, j'aurais frappé.
J'aime les femmes à la folie
J'ai toujours aimé les femmes à la folie, je n'ai jamais permis à qui que ce fût de les insulter en ma présence. Dans tous les endroits où j'ai été, j'ai toujours eu pour maîtresses des femmes jeunes et aimables que je savais contenter, et qui m'étaient très attachées, puisque plusieurs d'entre elles, quoique de famille assez bien, voulurent quitter leurs familles pour me suivre. Jamais je n'ai pu m'adresser à une femme mariée.Les propos pouvant alarmer la pudeur me déplurent toujours, et toutes les fois que, dans une société dont je faisais partie, une conversation de ce genre s'engageait, je faisais tout mon possible pour la changer. Ayant été élevé très religieusement, j'ai toujours défendu et aimé la religion, mais sans fanatisme.Dans toutes les villes où j'ai été en garnison, les bourgeois que je fréquentais habituellement m'ont toujours vu partir avec peine. Au régiment, j'étais aimé de mes inférieurs à cause de ma douceur, et estimé de mes supérieurs et de mes égaux pour ma franchise et ma manière d'agir.
Je ne peux rester tranquille
J'ai toujours aimé l'agitation et le changement; je ne pouvais rester tranquille, les revues, les prises d'armes, les promenades militaires et les manœuvres, qui déplaisent tant aux autres militaires, faisaient mon bonheur parce que j'y trouvais le moyen d'exercer mon activité.
Avant ma maladie, j'avais une force musculaire assez considérable, surtout beaucoup d'agilité; cette dernière se développait encore dans mes moments de monomanie. Jamais je n'ai su ce que c'était que de reculer devant le danger. Aussi, j'ai échappé bien des fois, comme par miracle, à une mort certaine.
J'ai toujours aimé la distraction; étant jeune, mes parents ne voulaient rien m'acheter parce que je brisais tout. Dans un âge plus avancé, je n'ai pu conserver un objet tel qu' un couteau ou un canif plus de 15 jours sans le briser; maintenant encore j'éprouve ce besoin de briser; ainsi, il m'arrive quelquefois d'acheter une pipe le matin et de la casser le soir ou le lendemain.
Étant au régiment, il m'est arrivé, quand j'étais un peu pris de boisson, de détruire en rentrant dans ma chambre tous les objets qui me tombaient sous la main.
Je n'ai jamais aimé l'argent
Je n'ai jamais aimé l'argent, et je ne conçois pas même qu'un individu puisse l'aimer, aussi je n'ai jamais pu ramasser un centime; au contraire, j'ai toujours eu des dettes; c'est ce qui est la cause de la colère de mes parents contre moi. Quand j'avais de l'argent, ce qui m'arrivait fréquemment, il était autant à mes amis qu'à moi.
Dès mon enfance, on remarqua en moi une grande tristesse; mais elle ne s'emparait de mon âme qu'à certains moments du jour, quelquefois à plusieurs jours de distance; à part cela, j'étais très gai. Je n'ai jamais été malade. Je détruisais les cadavres après les avoir profanés, non pour cacher la profanation, comme on a voulu dire, mais bien parce que j'éprouvais le besoin de les mutiler, je ne pouvais me retenir."
SOURCES :
Richard von Kraft-Ebing (1840-1902)professeur de psychiatrie à Strasbourg:Psychopathie sexualis (1886)ouvrage qui décrit les déviations sexuelles et les pulsions criminelles. Frédéric Blanchard: La passion du Sergent Bertrand(Chez l'auteur Paris 1924) Michel Dansel: Le sergent Bertrand, portrait d'un nécrophile heureuxÉditions Albin Michel (1990)