Histoire des marques -

La saga des marques - Marie Brizard -

Publié à 11:02 par acoeuretacris Tags : marques
La saga des marques - Marie Brizard -

 

MARIE BRIZARD,
LA MÊME PRÉSENCE D'ESPRIT DEPUIS 240 ANS



Depuis 1755, le secret de la célèbre anisette de Marie Brizard se transmet au sein d'une même famille. Aujourd'hui aux commandes, la huitième génération fait fructifier l'héritage d'un groupe diversifié.





"Cédant aux demandes de ses nombreux correspondants, cette maison, fondée en 1763, vient d'établir à Paris un dépôt de son anisette et autres liqueurs, avec un assortiment de vins fins, rhums et cognacs".

Cette annonce publicitaire, la première de la maison Marie Brizard, paraît dans le journal La Gazette de France, à Paris, à l'occasion de l'ouverture de la succursale en 1863.




Premier prix en classe, première Marie Brizard


Et le puriste de corriger la date de naissance : 1755. Cette année-là, Marie Brizard, fille de Pierre Brizard, tonnelier de son état et bouilleur de cru, fonde à quarante et un ans, avec son neveu Jean-Baptiste Roger (1), la société "Marie Brizard et Roger";, fabricant d'anisette. Au commencement, la légende : l'histoire -vraie, selon Paul Glotin, actuel président du groupe- raconte que Marie Brizard aurait recueilli le secret de son anisette -de l'anis et onze aromates- en soignant un marin antillais. Puis son neveu, le capitaine Paul-Alexandre Brizard, "voguant vers les lointaines îles des Seychelles, des Antilles, ou de la Réunion, ramenait à sa tante Marie les plantes aromatiques et agrumes nécessaires à l'élaboration de sa célèbre liqueur au goût unique";, confirme une publicité en 1996.

Dans cette seconde moitié du dix-huitième siècle, Bordeaux , ville portuaire, compte une quarantaine de fabricants d'anisette. Une activité favorisée par l'essor des relations maritimes et les importations de sirop de sucre indispensable à leur fabrication.

Sans oublier la forte demande des marins en fortifiants. "Marie Brizard ne serait que l'un de ces petits patrons dont la production d'anisette et de liqueurs fines diverses est entraînée par l'essor du commerce portuaire"; (2).




L'une des spécialités de la maison lancée en 1905


Mais, en 1996, Marie Brizard vend près de un million et demi de caisses d'anisette et de liqueurs à sa marque quand toutes les maisons de liqueurs bordelaises ont depuis longtemps disparu. Une longévité exceptionnelle de la marque comme celle de la famille, toujours propriétaire et gestionnaire de la société, puisque la huitième génération est aujourd'hui aux commandes avec Paul Glotin, Pdg depuis 1987 (3).

Règle d'or jamais transigée depuis un Conseil du 27 décembre 1879 : "le droit sur la maison Marie Brizard est de tout temps expressément réservé aux héritiers directs du sang Roger";. Cette transmission héréditaire du pouvoir s'accompagne du recrutement de cadres à l'extérieur des lignages. Symbole de cette délégation de responsabilité par les associés-gérants de la famille : l'octroi, sur leur part de bénéfices, d'un pourcentage qui fait des cadres des "intéressés"; aux profits et à l'expansion de la société.








Une recette jamais brevetée

Au coeur de la réussite, l'anisette Marie Brizard. Un produit spécifique non seulement dans sa composition mais aussi dans ses propriétés. "Quand on mélange notre anisette avec de l'eau, elle se trouble et prend une couleur opaline.

Nous tenons beaucoup à conserver cet effet qui, constamment, sert à reconnaître notre produit des imitations et est devenu en quelques sorte un certificat d'identité de notre liqueur";, peut-on lire dans un document de la société en 1896. Paul Glotin confie aujourd'hui que "la recette de Marie Brizard n'a jamais été brevetée.








A chaque génération, trois membres de la famille en détiennent le secret. Cette recette, outre les progrès techniques de fabrication et d'amélioration de la qualité, n'a jamais varié";. Autres signes de reconnaissance pour lutter contre une contrefaçon qui sévit dès les origines de la maison, et ce jusqu'au milieu du vingtième siècle : l'étiquette et la forme de la bouteille.








La signature Marie Brizard et Roger est apposée sur les bouteilles d'anisette à partir de 1826, ainsi que les récompenses obtenues et le sceau aux armes de la maison. Elle évolue en 1920 quand des lettres blanches sur fond bleu distinguent plus spécifiquement le nom de Marie Brizard. La forme actuelle de la bouteille -déposée- est adoptée en 1948. Une forme que l'on sait désormais incontournable ! Très prisée par la cour de Louis XV, l'anisette Marie Brizard traverse une période noire sous la Révolution et l'Empire quand, blocus oblige, le sucre fait cruellement défaut. "La maison aurait pu disparaîre plus d'une fois";, souligne Jacques Antoine, neveu de Paul Glotin, et directeur du marketing et du développement.








Au milieu du dix-neuvième siècle, on recense quelque trente-deux fabricants d'anisette et de liqueurs en Gironde. Et la concurrence nationale dans le domaine des digestifs a pour nom Grand Marnicr, Cointreau ou Cusenier.

Autre adversaire : l'"hygiénisme";, mouvement médical et civique anti-alcoolique qui se développe à la fin du dix-neuvième siècle, inquiet de "l'abâtardissement de la race";... Les dirigeants de Marie Brizard participent alors aux campagnes de défense des alcools en 1900-1902.





En outre, dès la Belle Epoque et spécialement durant l'entre-deux-guerres, Marie Brizard encourage une consommation diversifiée de son anisette. Aussi, affiches et encarts publicitaires vantent la dégustation du produit à tous les moments de la journée. Pour conquérir de nouvelles clientèles -familles, femmes, sportifs-et étendre sa consommation durant l'été, Marie Brizard lance également dans les années trente une vaste campagne pour promouvoir l'anisette à l'eau et sur glaçons. La réclame met en avant ses vertus hygiéniques, toniques et désaltérantes.

On doit au graphiste Cappiello les slogans "Pas de fête sans elle"; ou "Eternelle favorite";, tandis que Georges Arandel orchestre dans la revue L'Illustration la publicité "la Marie Brizard à l'eau";. Prolongée dans les années cinquante par l'agence Havas, cette "pédagogie"; de l'anisette est abandonnée à partir des années soixante. L'heure est désormais aux "panels"; de consommateurs et à la "promotion des ventes";. Après avoir été interdite de publicité en 1954-1955 comme d'autres marques de liqueurs, Marie Brizard bénéficie, à partir de juillet 1957, du changement de classification des liqueurs, assimilées aux spiritueux, ce qui autorise de nouveau la publicité.

Celle-ci vante alors la vertu désaltérante de Marie Brizard, qu'elle soit bue sur glace ou avec un jus de citron. Citons, au nombre des slogans, "un cadeau venu du blizzard"; (1967), "la force de Marie Brizard, c'est son faible pour la glace"; (1976), "Marie Brizard on ice"; (1989).




Quand Marie Brizard s'embarque pour l'aventure.


Diversification du portefeuille de produits par acquisition


- 1971 : Jean Danflou, spécialiste d'eaux-de-vie blanches, de calvados, de cognac et d'armagnac;
- 1987 : les champagnes Phi-lipponnat dont Clos-des-Goisses;
- 1988 : la société Vedrenne avec ses crèmes de cassis et ses marcs de Bourgogne;
- 1989 : les Grands Champagnes de Reims, marques Abel Lepitre et Goerges Goulet;
- 1990 : Abel Bresson et les sirops de fruits;
- 1990 : Mohawk LP aux Etats-Unis;
- 1991 : les jus de fruits Cidou (accord de distribution en 1982);
- 1 993 : P.A.T. Foods en Australie;
- 1995 : le groupe Berger et ses marques Sirop Sport, Pastis Berger, anis Berger Blanc, cognac Gautier, calvados Père François ;
- 1996 : Bodega Marques del Puerto (Rioja).






Un fabriquant devient distributeur

Un nouvel acteur change la donne du paysage commercial : la grande surface supplante, à partir des années 1960 la filière traditionnelle des grossistes, demi-grossistes et détaillants classiques. Pour autant, le rapport de force joue encore en faveur des industriels.

Reste que "les sociétés à succursales deviennent préoccupantes et de plus en plus gourmandes et insupportables";, peut-on lire dans un document de la Maison en... 1950 ! Et ses dirigeants de s'interroger : "devons-nous en passer par toutes leurs fantaisies ? Ils demandent toujours plus de concessions et gâchent les prix";.





Dorénavant, Marie Brizard doit passer par les fourches caudines des centrales d'achat. Maître d'oeuvre de la révolution des mentalités chez Marie Brizard : Yves Glotin. Dès la fin des années cinquante, la raison d'être de la société change radicalement : vendeur de ses produits, elle devient un distributeur tant de ses marques que de celles d'autres sociétés. Grâce aux nombreux partenariats, dont le premier est signé en 1958 (rompu en 1993) avec la société Grant, la Maison amortit ainsi ses coûts en mettant son réseau commercial à leur disposition




Une liqueur qui peut être bue par les femmes l'aprés-midi.


Une stratégie déjà adoptée par la société dès ses origines puisqu'elle utilise l'image de marque de l'anisette pour promouvoir des boissons -liqueurs, cognac, rhum-transformées en "spécialités";. Très attachée au rhum depuis ses origines, Marie Brizard en vendra plus, en volume, que de liqueurs, jusque dans les années cinquante, et ce notamment sous la marque Charleston, lancée en 1905. Les débouchés du rhum se confinant peu à peu dans les préparations culinaires et les cocktails, la maison se retire de cette activité au début des années 80. Autre spécialité toujours développée : dès 1767, Marie Brizard élabore des liqueurs fines à base de "crèmes";. Fers de lance de ses ventes à la fin du dix-neuvième siècle : le cherry brandy, le curaçao triple sec, des liqueurs de fraises, de framboises... La complémentarité entre l'anisette et les liqueurs reste constante et permet d'amortir les périodes où les ventes d'anisette plafonnent. Ainsi, dans les années 1980, marquées par la vogue des cocktails, les liqueurs de fruits retrouvent la faveur des consommateurs.

D'où le lancement, en 1985, d'un curaçao bleu, d'une crème de mûre, d'une crème chocolat et de la menthe vive. Au nombre des succès commerciaux : le gin Old Lady's, nom donné en hommage à Marie Brizard lancé dans les années soixante, accède, en 1991, au premier rang des gins vendus dans la grande distribution. De même, la gamme de cocktails Charleston Follies, lancée en 1985 dans une bouteille en forme de shaker connaît un très grand succès à l'étranger.




Publicité parue dans L'Illustration dans les années 1930


Si l'exportation devient un axe stratégique durant l'entre-deux-guerres, c'est un siècle plus tôt que la maison plante ses couleurs sur plusieurs marchés extérieurs. Une médaille lui est d'ailleurs décernée à l'Exposition universelle de Paris de 1889 pour ses résultats à l'exportation. Terres de conquête : les Etats-Unis en 1891 où Marie Brizard est surtout réputée pour son cognac (qu'elle lance sous son nom en 1 890 et dont elle cessera la fabrication en 1916) et ses bitters, le Brésil dès 1869 (mais l'importation de cognacs y sera interdite en 1897 pour des raisons sanitaires) et, surtout, le marché espagnol, très prometteur dès 1880.


Pour contourner les mesures protectionnistes, une production locale y est lancée dès 1904, et une nouvelle usine ouvrira en 1950, puis en 1968. Devenue un centre de développement autonome, la succursale ibérique devient, en janvier 1976, la filiale Marie Brizard Espana. En termes de chiffre d'affaires, elle se place au premier rang des filiales du groupe à l'étranger.

Outre l'implantation de filiales au Portugal, aux Etats-Unis, et en Australie, le groupe s'internationalise grâce à des prises de participation (Belgique) et des joint-ventures ou des bureaux à Tokyo, Auckland ou Miami, et tout récemment en Chine et en Inde


Actuellement, le groupe distribue les marques suivantes, parmi d'autres.

- Scotch Whiskies : Whyte & Mackay (France), Cutty Sark (Australie), Bowmore (Espagne);
- Portos : Ferreira (France), Calem (Espagne);
- Rhums : La Mauny et Du-quesne (France), Gosling's (Etats-Unis);
- Fernet : Fernet Branca (Espagne);
- Vins : Mommessin (Etats-Unis et Australie), Rothschild (Etats-Unis), Peppertree (Australie). En 1997, le groupe Marie Brizard est présent sur 1 3 segments du marché des spiritueux; le marché des champagnes; le marché des vins effervescents; le marché des sirops; le marché des jus et nectars de fruits; le marché "gastronomie";.







Quand l'ésprit vient à Marie Brizard.


Un distributeur redevient industriel


Choix stratégique révolutionnaire de la maison opéré depuis les années soixante-dix : les boissons non alcoolisées. Marie Brizard lance en 1971, sous la marque Cresca (Express Citron), un jus de citron concentré que l'on peut associer avec l'anisette. Devant le succès rencontré, le nom de la marque aurait dû changer pour Sunbrise. "Ce nom déjà déposé, il a fallu trouver un autre nom en trois semaines";, se souvient Jacques Antoine. La maison jette alors son dévolu sur Pulco. Lancée en 1973, la marque aura des petits frères : Pulco Orange en 1982, Pulco Tropical en 1984, Pulco Citron vert et Pulco Exotique en 1989. De 100 000 bouteilles en 1972, les ventes atteignent 12 millions en 1996.





Autre diversification : celle engagée avec la famille Malher, propriétaire du jus de fruit Cidou vendu en briques. Après un accord de distribution en 1982, Marie Brizard acquiert la société en 1991. Elle vient de racheter, un an plus tôt, Abel Bresson, spécialiste des sirops de fruits. Dernière acquisition de taille, réalisée en février 1995 sous la forme d'une OPA amicale : le groupe Berger. Avec cette acquisition, 92% du chiffre d'affaires est réalisé par des marques appartenant au groupe, contre 63% en 1990.


Autre diversification : celle engagée avec la famille Malher, propriétaire du jus de fruit Cidou vendu en briques. Après un accord de distribution en 1982, Marie Brizard acquiert la société en 1991. Elle vient de racheter, un an plus tôt, Abel Bresson, spécialiste des sirops de fruits. Dernière acquisition de taille, réalisée en février 1995 sous la forme d'une OPA amicale : le groupe Berger. Avec cette acquisition, 92% du chiffre d'affaires est réalisé par des marques appartenant au groupe, contre 63% en 1990.


Reste que, après deux siècles d'expansion, la famille seule ne peut supporter le développement du groupe. Après avoir créé en 1976 une société holding -Marie Brizard et Roger International-, le groupe va progrèssivement ouvrir son capital à des partenaires étrangers (4), pour entrer, en 1984, à la Bourse de Paris, au second marché. Enfin, levier stratégique pour financer la croissance externe sans perdre le contrôle de la société : la création, en 1989, de la société Marie Brizard European Development, basée aux Pays-Bas, qui accueille de nouveaux partenaires financiers aux côtés de la majorité détenue par Marie Brizard & Roger International.





Preuve que, de 1755 à 1997, les descendants de Marie Brizard ont su, de génération en génération, se transmettre... une obsession : le développement du patrimoine familial. "En quarante ans, la huitième génération a multiplié l'activité de la maison par cinq !";, se félicite Paul Glotin. Ou comment faire mentir le vieux dicton selon lequel "une affaire serait ruinée par la troisième génération";...

 

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(1 ) Jean-Baptiste Roger épouse Anne Brizard, une fille de Martial, frère de Marie Brizard.
(2) Marie Brizard, de Hubert Bonin, Edition L'Horizon chimérique, 1994.
(3) Le capital du groupe est toujours contrôlé par les familles descendant des fondateurs : le holding Sofia (55,6%) et la famille en direct (7,3%) représentent 62,9% des actions, le reste étant dans les mains du public (32,2%), des salariés (0,6%) et des institutionnels (4,3%). La branche Glotin entre dans la famille avec la cinquième génération quand Pierre Joseph Glotin épouse en 1 856 Marie-Anne Suzanne Legrand arrière petite-fille de Jean-Baptiste Roger. Paul Glotin, actuel président, est entré dans la société en 1962.
(4) 1981 : Marie Brizard accueille trois sociétés de capital-développement qui prennent 7,3% du capital, l'Institut de développement des industries agricoles et alimentaires, la Société de développement régional Expanso et l'organisme bordelais Auxitex.

La saga des marques - Maille -

Publié à 09:29 par acoeuretacris Tags : marques
La saga des marques - Maille -
 
MAILLE,
OU COMMENT SAVEURS ET HISTOIRE, SE MARIENT DEPUIS QUATRE SIECLES



Contemporaine de Louis XV mais aussi des marques Moët et Chandon, Villeroy et Boch et Rémy Martin, la Maison Maille aura traversé trois monarchies, deux empires, cinq républiques, cinq guerres européennes et deux guerres mondiales. Elle entre dans le XXIe siècle en portant la mémoire de quatre siècles. Une rareté dans le patrimoine culturel français et... mondial





Les vinaigres de Maille deviendront l'objet d'un commerce très considérable, non seulement avec nos provinces et nos colonies, mais avec les pays étrangers". Annoncée à la fin du XVIIIe siècle, cette prophétie de Legrand d'Aussy, le célèbre auteur de l'Histoire de la vie privée des Français (1783), trouve quatre siècles plus tard, sa justification. Présente dans plus de 60 pays, la marque Maille y porte les couleurs de la gastronomie française. Et l'ambition de Thomas Derville, président-directeur général d'Amora-Maille est d'en faire, au XXIe siècle, "une des plus belles marques mondiales d'épicerie fine" et être ainsi le garant d'une longue tradition. Si la marque est, aujourd'hui, fière de pouvoir inscrire sur les étiquettes de bouteilles de vinaigre, pots de moutarde, cornichons et autres hors-d'oeuvres la date de 1747 ainsi que la signature "Antoine-Claude Maille", son histoire débute quelques années auparavant quand, Antoine-Claude Maille -le père - se fait connaître, en 1720, lors de la grande peste de Marseille. La chronique rapporte que "le sieur Maille invente le Vinaigre des Quatre voleurs dont les propriétés antiseptiques sauvèrent la vie à de nombreux habitants qui, par son emploi, parvinrent à éviter la contagion".




Claude Maille


Mais, sa véritable réputation, la Maison Maille la doit à Antoine-Claude Maille, deuxième génération, et à ses vinaigres de toilette vendus dans le magasin de son père. Il se distingue de ses concurrents non seulement par la diversité de ses produits - on comptera pas moins de deux cents vinaigres de toilette ou aromatisés et autant de moutarde - mais aussi par l'utilisation des journaux pour les promouvoir. Reçu maître-vinaigrier le 17 octobre 1742 - les corporations seront supprimées en 1791 -, il fait alors savoir dans le Mercure de France, un des journaux les plus lus: "Maille, Vinaigrier-Distillateur, rue des Arcs, la troifième Porte-Cochère à main droite en entrant par le bout qui fait , face à la rue de la Huchette, ci-devant rue de l'Hirondelle, feul pour la Composition des Vinaigres de Propriétés, & différents autres, fervant aux Préparations Chymiques & Galéniques".





Signes de la qualité des produits Maille, les armes des cours européennes vont peu à peu orner les pots de moutarde et les bouteilles de vinaigre. Vinaigrier-Distillateur ordinaire de l'Impératrice Reine de Hongrie en 1752, Maille ajoute, en 1769, les armes du Roy de France et celles de l'Impératrice Catherine II de Russie en 1771. Et, pour lutter contre la contrefaçon, Antoine-Claude Maille prévient ses clients, dont la célèbre marquise de Pompadour, par cet "Avis" paru dans Les Affiches de Paris le 29 janvier 1776 : "On prévient que toutes les bouteilles & pots sont revêtus d'une étiquette, au milieu de laquelle sont gravées les armes du Roi, & de chaque côté celles de l'Empereur & de l'Impératrice Reine de Hongrie et de l'Impératrice Catherine II de Russie. Cette précaution est prise pour éviter que l'on ne soit trompé par des personnes, qui souvent, sous prétexte d'acheter du Vinaigre, viennent demander un imprimé qu'elles envoyent, pour mieux cacher leurs contrefactions. On avertit le public que toutes les bouteilles où il y aura des étiquettes écrites à la main ou imprimées, au lieu d'être gravées, ne viendront point du magasin du sieur Maille, quand même ce seraient des bouteilles de la même forme que les siennes, ainsi que les pots". Le célèbre gastronome, Grimod de la Reynière, peut alors donner à Maille le titre de "premier homme de moutarde de l'Europe". Des fouilles archéologiques entreprises en 1979 dans l'archipel méridional de Finlande exhumeront de l'épave d'un navire marchand coulé deux siècles plus tôt une cargaison de pots de moutarde Maille à destination de Saint-Pétersbourg. L'un d'eux est exposé à la boutique Maille de Dijon.




La Pompadour


L'union paisible des cours européenne


1789, année des transitions, brusquées pour certains, préparées pour d'autres. Antoine-Claude Maille accueille un associé en la personne d'André-Arnoult Aclocque, commandant-général de la Garde nationale parisienne, et ancien brasseur. Agé et malade, Maille lui vend son affaire en 1800 avec une clause particulière : son associé doit verser à Robert, son fils, et à sa majorité, une somme égale à 10% du capital. Ce versement sera remplacé par un contrat d'association en 1819. Entre temps, André-Arnoult Aclocque est décédé en 1802 et Antoine- Claude Maille en 1804.






La Maison passe aux mains des enfants comme le souligne le Bottin de 1821 : "Maille et Aclocque aîné, vinaigriers-distillateurs du roi et de leurs Majestés les empereurs d'Autriche et de Russie, seuls fournisseurs de la maison du roi, 16 rue Saint- André-des-Arcs". En 1826, André-Gabriel Aclocque ayant cédé sa part à Robert Maille, ce dernier s'associe avec Robillard. Tous deux peuvent, la même année, se targuer d'un titre supplémentaire: celui de vinaigrier du Roi, Charles X.





En 1830, la Maison Maille Robillard devient fournisseur de S.M. le Roi d' Angleterre et, en 1836, vinaigrier du roi Louis-Philippe. La Maison s'est alors adjoint un troisième associé en la personne de M. Segond. Ce triumvirat cesse quand. Victor Tandeau rachète la société en 1878. Si elle a alors le titre de fournisseur des premières cours d'Europe, elle peut également avancer comme preuve de l'excellence de ses produits les nombreuses médailles gagnées aux Expositions Universelles comme les celles d'argent remportées à Paris en 1867, 1878 et 1889, Amsterdam en 1883, Anvers en 1885.





Un catalogue publicitaire présentant les grandes maisons parisiennes à la fin du XIX' siècle ne tarit pas d'éloges sur Maille qui fabrique, dans une "usine modèle, rue Violet (Paris-Grenelle) non seulement de la moutarde et du vinaigre mais aussi de l'eau de Cologne et du chocolat: "la réputation des produits de la Maison Maille est si bien établie en France et à l'étranger, que tous les éloges que l'on pourrait en faire ne seraient qu'une réputation superflue. Disons seulement que, grâce aux progrès de l'industrie, elle en est arrivée, tout en conservant pure et intacte leur admirable qualité, à les établir à des prix presque égaux à ceux de produits similaires, très inférieurs et souvent nuisibles. La moutarde de Maille, fabriquée avec les plus belles graines de la Hollande, les vinaigres les plus purs, et des aromates de choix, est exceptionnelle pour l'excellent effet qu'elle produit sur tous les tempéraments".


Le retour aux sources





L'entrée de la marque, dans le XXe siècle, tranche quelque peu avec celle qui fut la sienne un siècle plus tôt. Le temps des cours royales semble révolu. La Première Guerre mondiale met - provisoirement - fin à ses ambitions internationales. Rachetée en 1923 par Philippe de Rothschild, propriétaire de la société Elesca, fabricant de chocolat, Maille n'est alors commercialisée que dans les épiceries parisiennes et dans une dizaine de pays, plus particulièrement en Angleterre et au Danemark. Elle semble avoir perdu ses racines quand elle trouve en 1930, en la personne de Jean Herbout, le premier de ses mentors du XXe siècle. Maille lui doit son célèbre slogan "Que Maille qui m'aille", la redécouverte des documents prouvant l'authenticité de ses titres "vinaigrier du Roi et des cours royales européennes" et plus particulièrement le blason qui figure toujours sur les étiquettes.




Maille onnaise


Si la notion de "part de marché" n'est pas encore conceptualisée, la compétition entre les marques n'en demeure pas moins. Aussi Jean Herbout a-t-il pour ambition d'étendre le territoire de Maille. Pour concurrencer Savora, un condiment à base de farine lancé en 1899 par la société anglaise Coleman 's et commercialisé en France depuis les années vingt, il crée, en 1932, Maille Ora. Autre concurrent plus redoutable: Amora. Jean Herbout choisit le terrain de la réclame en illuminant tous les soirs quelques toits de Paris avec les six lettres de Maille. Ces lettres que l'on retrouve également sur le grand écran grâce au film publicitaire de 1936 intitulé "quand on en a pas". Mais l'élan commercial sera vite stoppée par la Seconde Guerre mondiale.


De l'épicerie à la grande surface

Nouveau destin pour Maille quand, en 1952, Philippe de Rotschild cède la marque à André Ricard et à son ami Joseph Poupon. Directeur-général adjoint de Grey-Poupon - maison fondée à Dijon en 1777 -, depuis 1948, André Ricard va sortir Maille du ghetto des petits épiciers. C'est avec le cornichon que la marque fait son entrée dans les grandes surfaces, un cornichon doux et croquant grâce à la technique de pasteurisation que la marque est alors seule à maîtriser.
André Ricard engage Maille dans une deuxième révolution : celle du vinaigre! Son ambition est de redonner à Maille son titre de vinaigrier quand le vinaigre alors commercialisé à la marque était fabriqué par Martin Pouret.




Tomato Ketchup


Pour se conformer aux directives du syndicat des vinaigriers qui s'opposait à la vente de matériel à quiconque n'était pas déjà vinaigrier, André Ricard rachète Dessaux, une vinaigrerie orléanaise. Il peut ainsi construire une vinaigrerie à Appoigny (Yonne) en 1966 et recevoir, de la part de la grande distribution, alors naissante, un accueil favorable, le marché étant très largement ouvert. Last but not least, la moutarde est fabriquée, depuis 1965, dans une nouvelle usine construite à Longvic, près de Dijon et dirigée par Henry Poupon, frère de Joseph. Seront également commercialisés sous la marque Maille, une mayonnaise (Maille-Onnaise), du ketchup, de la pâte d'anchois et de la Mailleora.


Une autre révolution attend Maille. Celle de la concentration sur fond de construction européenne. Devant la Générale Alimentaire, créée en 1963 par Raymond Sachot, le père de la marque Amora (1), l'ensemble Grey-Poupon Maille pèse de peu de poids. Ne disposant pas de moyens suffisants pour développer leur société, ils sont alors approchés, en 1970, par l' Américain Heinz. Mais le gouvernement français, à travers le Comité d'investissements étrangers impose un acquéreur français : Chocolat Poulain.





Le 31 décembre 1970, Joseph Poupon vend son groupe familial et André Ricard, actionnaire de la société des Moutardes Maille, cède ses parts. Mais il demeure à la barre, Chocolat Poulain le nommant président- directeur général des sociétés Grey-Poupon, Maille et Parizot, cette dernière société rachetée par Poulain au même moment. L'ensemble fusionne en décembre 1971 au sein de la SEGMA, Société d'exploitation des grandes marques alimentaires. Mais le pluriel va peu à peu s'effacer au profit du singulier : des trois marques condimentaires, Maille, Grey-Poupon et Parizot, décision est prise de n'en conserver qu'une seule. Un choix imposé par André Ricard et le directeur du marketing qui inaugure en 1976 cette nouvelle fonction. De fait, disperser les forces sur les trois marques, chacune offrant les mêmes produits sur les linéaires des grandes surfaces, serait suicidaire face à la concurrence. Mais quelle marque choisir ? Si Maille jouit d'une très bonne image, sa notoriété reste essentiellement parisienne. Parizot joue dans la cour des marques bas de gamme. Quant à Grey-Poupon, la marque a une bonne image et une implantation provinciale plus homogène mais elle est sur le même segment de marché qu'Amora.


La moutarde de Dijon


Plante herbacée annuelle, la moutarde peut atteindre un mètre de hauteur. Il en existe une quarantaine de variétés de par le monde. Les quatre principales sont :

1.la moutarde des champs (sinapis arvancis} ;
2.la moutarde blanche (sinapis alba} avec laquelle on fabrique les condiments ;
3.la moutarde brune (brassica juncea} : graines fines de couleur brunâtre pour la moutarde forte ;
4.la moutarde noire (brassica nigra} encore utilisée pour les cataplasmes.

En France, un décret du 10 octobre 1937 n'autorise que l'usage des deux dernières. Exception: la moutarde d'Alsace, fabriquée avec de la moutarde blanche. Selon ce décret " la moutarde résulte du produit obtenu par le broyage suivi ou non de tamisage ou blutage de graines soit de moutarde noire (brassica nigra) soit de moutarde brune (brassica juncea) soit d'un mélange de ces deux variétés. " Les dénominations " Moutarde de Dijon " , " Moutarde blanche " , " Moutarde forte " ou " extra-forte " sont réservées aux moutardes en pâtes fabriquées avec des produits blutés ou tamisés. De fait, la dernière récolte de moutarde en Bourgogne date de 1986. Depuis 1998, l'association " Moutarde de Bourgogne " créée à l'initiative d'Amora Maille et Fallot, entend promouvoir la création de l'indication géographique protégée " Moutarde de Bourgogne ". Elle implique l'utilisation exclusive de graines de moutarde et de vin blanc d'origine bourguignone ainsi que la fabrication sur place. A ce jour, les surfaces cultivées en Bourgogne représentent un peu plus de deux cent hectares.






Maille est donc retenue avec, comme positionnement, le haut de gamme. De nouveaux produits sont élaborés à la fin des années 70 pour être en adéquation avec cette stratégie: cornichons extra fins, moutarde à l'ancienne, moutarde fine de Dijon, moutardes spéciales (au poivre vert, à l'estragon, à l'échalote), vinaigres de luxe. Après le contenu, le contenant : verre à whisky et bocal "Fleur de Lys" pour la moutarde, abandon de la bouteille plastique au profit du format "demi-bordelaise" pour le vinaigre. Maille retrouve ses racines aristocratiques. Il s'agit maintenant de le faire savoir. Durant les années Chocolat Poulain, la marque est restée muette. Seule la presse se fait alors l'écho des turbulences financières.

Le 1er janvier 1978, Chocolat Poulain est vendu - ainsi que la Segma -au groupe pharmaceutique Clin-Midy. Un an plus tard, le 19 janvier 1979, ce dernier cède la Segma à la Générale Occidentale, le groupe Jimmy Goldsmith qui compte, parmi ses nombreuses marques, Amora. La période de turbulence s'achève quand en avril 1980, la Générale Occidentale vend ses marques alimentaires à BSN- Gervais Danone.








C'est au sein du groupe dirigé par Antoine Riboud que Maille va trouver les moyens de sa communication. Nous sommes en 1982 quand, un an avant le départ d'André Ricard, la marque s'invite à la table des Français via le petit écran. Mission confiée à l'agence de communication BCRC (Benchetrit, Callegari, Rebois, Communication) : illustrer l'excellence Maille. L'agence invente alors, sous la forme d'une bande dessinée, un format court qui permet, en huit secondes, de présenter la marque de manière dynamique et moderne. La devise "Il n'y a que Maille qui m'aille" est proclamée, sur un ton autoritaire, par des animaux, ceux-là même que les consommateurs vont déguster avec la moutarde... Maille. Le ton choisi marie l'humour et le côté aristocratique de la marque. On le retrouve dans la campagne toujours signée BCRC en 1989 quand le poète André Chenier, sur le point d'être guillotiné, affirme : "Périr pour ses idées, il n'y a rien de plus beau. Et puisque l'on me demande mes dernières volontés, je l'affirme bien haut : il n'y a que Maille qui m'aille ".





Adossée à Liebig - autre société de Danone - depuis 1983 au sein de SLM (Segma Liebig Maille ), Maille va voir ses parts de marché progresser de manière substantielle : de 1982 à 1995, sa part passe de 8,6% à 26,9% dans lé domaine des cornichons où la marque acquiert la première place, et de 8,2% à 20,6% pour la moutarde. A la qualité des produits et aux campagnes de communication, on doit ajouter comme autre facteur de succès, l'identité visuelle de la marque élaborée par l'agence de design Raison Pure en 1993.


Maille, symbole de l'épicerie fine





Face à la concentration de la grande distribution et au développement des premiers prix et marques distributeurs, le groupe Danone - nouveau nom de BSN depuis 1993 - décide de réunir Segma Liebig Maille et Amora dans une même société baptisée LMA (Liebig-Maille-Amora). Dirigé par Thomas Derville, le nouvel ensemble dédie à chaque marque, Maille et Amora, son propre territoire. Quand la valeur centrale d'Amora est celle du goût au sens gustatif du terme, celles de Maille sont le goût au sens culturel et le raffinement. La cession, à la fin de l'année 1997, d'Amora-Maille à un groupe d'investisseurs (2) laisse inchangé le partage des territoires. Les thèmes de communication de Maille sont, plus que jamais, fondés sur l'épicerie fine et l'élitisme. Comme en témoignent l'inauguration, en 1996, du magasin à l'enseigne Maille, place de la Madeleine et le lancement, en 1997, de Fins Gourmets, célébration du 250e anniversaire de la marque.














Après avoir disparue des écrans depuis 1996, Maille revient avec une campagne, en 1998, toujours signée BCRC. Le film publicitaire de Fins Gourmets, réalisé par Charlie Stebbings (l'auteur de Nestlé dessert, le chocolat indissociable de la poire et réciproquement), exprime l'élitisme de la marque à travers deux signes de reconnaissance: le ton musical et le coffret en bois. Un univers que l'on retrouve dans le film sur l'huile d'olive lancée en avri1 1999.
Si le slogan "Il n'y a que Maille qui m'aille" n'est plus prononcé par la voix off, l'esprit de Sieur Maille demeure à travers les initiales de son nom.











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(1) La Générale Alimentaire regroupe également les pains d'épices Philbée depuis 1939, Vandamne (1963), Savora (1964), La Pie qui chante et Caram'bar/Delespaul (1965), Francorusse (1966), les rillettes Bordeaux Chesnel et Lou (lingerie) en 1969.
(2) Paribas Affaires Industrielles (50%), Finances and Investors (25%) et Fonds Partenaires Gestion de la Banque Lazar (25%). De son côté, Liebig est cédé a Campbell Soup.

La saga des marques - Maggi -

Publié à 10:59 par acoeuretacris Tags : marques
La saga des marques - Maggi -
MAGGI, l'expertise culinaire depuis plus d'un siècle 
  
Potages déshydratés, plats cuisinés, sauces... sans oublier le célèbre Bouillon Kub et la purée Mousline, Maggi c'est aujourd'hui plus d'une centaine de produits en France et bien davantage. dans cent autres pays du globe. Maggi, ou l'histoire d'une marque dont la vocation, nutritionnelle dès l'origine, est d'ouvrir les portes de la grande à la petite cuisine. 
  
  
 
  
Le premier produit
instantané (1885)
 
  
  
7,5 milliards de bouillon cube, 1,2 milliard de sachets de nouilles, 700 millions de sachets de potages...
C'est la consommation mondiale et annuelle de trois des nombreux produits de la marque Maggi.
Pour les palais français, Maggi appose son nom sur le célèbre Arôme (1887), le Bouillon Kub (1908), Mousline (1963); Bolino (1980), les Noix de Saveurs (1995), Maggi Cup' (1997).
Une liste non exhaustive d'innovations qui témoigne, sur plus d'un siècle, d'une révolution des comportements alimentaires, et qui atteste l'adaptation de la marque Maggi à l'évolution des moeurs, ainsi que de son rôle dans la libération des femmes des contingences culinaires depuis les années 1980, les consommateurs Maggi ont "des idées qui ont du génie", ils doivent leur talent culinaire à Julius Michaël Johannes Maggi.
Italien, naturalisé suisse par son père, Julius Maggi est meunier à Kemptall (Suisse) depuis 1869 quand son ami, le docteur Fridolin Schuler, inspecteur fédéral en chef des fabriques et conseiller de la Société suisse d'utilité publique, s'inquiète des conditions d'existence des ouvriers et de l'insuffisance de leur alimentation.
De fait, la révolution industrielle, synonyme d'exode rural, engendre une autre révolution: celle de l'abandon des comportements alimentaires fondés principalement sur l'autoconsommation.
 
 
 
 
 
Carte postale du début du siècle. 
 
 
 
 
Julius Maggi (1846-1912) reprend,
à 23 ans, la minoterie familiale.
Nestlé a célébré, en 19986,
les 150 ans de sa naissance à Noisiel.
 
 
 
 
 
Enfants prescripteurs 
 
 
Les paysans deviennent ouvriers et les femmes quittent, elles aussi, la ferme pour l'usine. La malnutrition frappe alors les foyers les plus modestes puisque les mères consacrent moins de temps à cuisiner. Nous sommes en 1882 quand la Société suisse d'utilité publique adopte " une résolution pour améliorer l'alimentation des ouvriers de fabriques, en remédiant à son insuffisance et à ses défectuosités " (1) et recommande, à la suite de Fridolin Schuler, l'utilisation des légumineuses, en raison de leur haute valeur nutritive. 
 
Et c'est vers Julius Maggi, à l'époque le plus important des minotiers suisses qu'elle se tourne. Après deux ans de recherche, ce dernier, entouré de chimistes et de physiologistes, met au point, à l'aide d'appareils à griller et à moudre, une technique de transformation des légumineuses en aliments facilement digestibles, de préparation simple et rapide. Le 19 novembre 1884 est signée une convention avec Maggi aux termes de laquelle la Société suisse d'utilité publique patronne durant trois ans la nouvelle invention. 
 
 
 
 
En janvier 1885 commence, à Kempttal, la fabrication industrielle de la farine de légumineuses. La société Maggi et Cie, fondée en 1886, a alors pour finalité la "fabrication et commerce de produits alimentaires et populaires, de spécialités et de produits médicaux". La valeur gustative n'est pas absente des préoccupations de Julius Maggi.
La "gamme" s'enrichit en 1886 de trois farines de légumineuses - pois, haricots et lentilles - et d'un assortiment de "Potages déshydratés prêts à la cuisson" obtenus grâce à un procédé de séchage des légumes (déshydratation) et présentés sous forme de rouleaux compacts. Les produits instantanés viennent de naître. Parallèlement, Julius Maggi élabore en 1887 l' "Arôme" pour assaisonner bouillons et potages. "Cette industrialisation de la cuisine permet à l'ouvrier d'obtenir de suite, par simple chauffage, une nourriture substantielle et à bon marché" (2).
 
 
La demande n'étant pas circonscrite à la seule Suisse, des dépôts sont créés, durant les trois premières années, à Paris, Berlin, Vienne et Londres. En 1890, la société, devenue société anonyme, a pour dénomination "Fabrique des Produits Alimentaires Maggi". 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Produit lancé en 1912.
Illustration 1951.
 
 
 
 
 
L'aventure laitière 
  
En 1901, Julius Maggi devenu Jules Maggi, s'installe à Paris. Présent en France depuis 1897 à travers la compagnie Maggi et la société des boissons hygiéniques - en charge, depuis 1899 de la fabrication et du commerce de bouillons liquides stérilisés -, Jules Maggi se lance dans une nouvelle aventure: celle du lait. A la demande du gouvernement français inquiet du taux de mortalité excessif des nourrissons à Paris, dû à la qualité défectueuse du lait, Jules Maggi crée, en 1903, la Laitière Maggi et fait de l'observation rigoureuse des conditions de l'hygiène, une règle d'or. 
 
 
 
 
 
Une action prophylactique qui lui vaut d'être promu en 1907 au grade d'Officier de la Légion d'Honneur.
En 1912, année de son décès (3); la Société Laitière Maggi vend 61 millions de litres contre 900 000 en 1903. Au sortir de la Grande Guerre, la Société Laitière Maggi dispose de 1 200 boutiques ou locaux de vente où elle écoule également du beurre, du fromage, de la crème, des œufs et des yoghourts à la marque Maggi. En 1938, l' activité laitière a un chiffre d'affaires cinq fois supérieur à celui de la société fabriquant des produits culinaires !
Celle-ci n'en est pas moins performante avec, pour le seul Bouillon Kub, une production journalière de 1 800 000 cubes et 10 000 kilos de légumes cuits quotidiennement, destinés aux potages. Maggi est également présent en Belgique, Autriche, Pologne, Allemagne, Italie, Tchécoslovaquie, et aux Etats-Unis depuis 1940. Compte tenu du climat international, "la société s'attache avant tout à rester suisse par sa direction générale, par son capital et par ses actionnaires" (4). Une mesure salutaire quand, entre 1940 et 1945, bon nombre de sociétés du groupe seront situées dans des pays en guerre. Au sortir du conflit, la situation n'est guère florissante, certaines filiales se trouvant en Allemagne ou dans la zone soviétique.
 
 
 
 
 
1900 : Benjamin Rabier (le créateur de la Vache qui rit). 
 
 
 
 
 
 
 
1887 : le célèbre Arôme
avec l'emblème de l'étoile
à quatre branches
 
 
 
Plus d'un siècle d'innovations
1883 : Farines de légumineuses
1886 : les premiers potages prêts à consommer et à cuire sous forme de rouleaux
1887 : Arôme Maggi
1889 : bouillon concentré
1898 : bouillon en cube puis en tablette
1908 : le célèbre Bouillon Kub
1912: Poule au pot et potages en barre
1936 : bouillon gras et potage de viande en tablettes
1950 : potages en sachets et gelée
1952 : Pot-au-feu
1956 : Bouillon de volaille et potages en sachets
1958 : Bouillon Kub Or
1959 : potages gastronomiques
1960 : potages pour enfants
1963 : soupe de poisson en sachets
1963 : Mousline (croquette Mousline en 1970, Dauphine Mousline en 1971, Gratin Mousline en 1973, Mousline au lait en 1974, Mousline de légumes (carottes, céleris, épinards} en 1982, Mousline au fromage en 1984, portions individuelles en 1990, Mousline saveur à l'ancienne en 1998)
1965 : court-bouillon
1967: potages en boîte
1976 : Rapid soup
1977 : bouillon bouquet de légumes et préparations culinaIres
1979 : potages en flocons
1980 : Bolino
1981 : sauces "fines saveur
1983 : la soupe chinoise
1985 : bouillons dégraissés, bouquet garni et soupes moulinées
1990 : Fonds et fumets, assaisonnements pour sauce salade, soupes délices et sauces cuisinées en pot-verre
1995 : noix de saveur et fonds de sauce
1995 : nouilles asiatiques
1997 : Maggi Cup, Maggi regroupe deux grandes catégories de produits: les déshydratés (les aides culinaires, les potages, Mousline et les plats cuisinés soit 120 produits) et les apertisés (couscous, taboulé, paela, gratin).
 
 
 
 
 
Des premiers livrets de recettes de cuisine édités en 1920 au journal lancé en 1997 et diffusé à 300 000 exemplaires, sans oublier le Minitel et la préparation d'un site sur Internet, un même objectif : l'aide culinaire et la fidélisation. 
 
 
 
 
Capiello 1931. 
 
 
 
 
Sepo 1956. 
 
 
Quand deux nutritionnistes font route commune 
  
  
 
 
Sepo 1958 
 
 
Le destin de la société change quand, le 5 décembre 1947, Maggi fusionne avec Nestlé, autre société suisse (5).
Ou quand deux nutritionnistes se marient! Pour le meilleur puisque Nestlé se diversifie dans la fabrication de produits qui ne sont plus exclusivement à base de lait, de cacao et de café: présent dans le chocolat, les produits laitiers et café soluble, Nestlé enrichit sa gamme. Reste que le groupe n'entend pas conserver la vente de lait frais pour ne privilégier que les laits de conserve. La Société Laitière Maggi est cédée ainsi que les magasins, sauf 224 d'entre eux qui constituent le Cercle Bleu, chaîne de distribution de produits de qualité, revendue dans les années soixante.
 
 
Quant à Maggi, ce rapprochement lui permet d'envisager une diffusion mondiale de ses produits. Dans une lettre interne, le président de Nestlé justifie ainsi son choix: "Lorsque nous aurons repris cette affaire, il nous sera certainement facile de la développer dans tous les marchés de l'Amérique latine, puis en Espagne et au Portugal, un peu plus difficile dans les pays anglo-saxons..." (6). 
 
 
 
 
Savignac 1964 
 
 
Seule solution pour conquérir ces nouveaux territoires: "les mettre au goût anglo-saxon". Maggi alors spécialisé, à travers 11 usines, dans la fabrication de produits populaires et bon marché, doit s'adapter à l'évolution des habitudes alimentaires portées par l'amélioration du pouvoir d'achat, et ce en proposant une gamme de produits élaborés à destination d'une couche plus large de consommateurs. Ainsi, en Allemagne, le plus grand marché de la marque avant 1940, Maggi redouble d'efforts pour répondre à la demande. Dès les années soixante, aux potages, bouillons et "Arôme" traditionnel, Maggi propose un assaisonnement en cube et en poudre, des potées déshydratées ou en conserve, des ravioli et plats cuisinés en boîte, des potages en boîte et un assortiment de sauces. 
 
 
Hmmmousline ! 
  
En France, Maggi, se lance, sous l'égide de la Société des Produits Alimentaires et Diététiques (Sopad) dans l'élaboration de nouveaux produits. 
 
Le destin de la société change quand, le 5 décembre 1947, Maggi fusionne avec Nestlé, autre société suisse (5).
Ou quand deux nutritionnistes se marient!
Pour le meilleur puisque Nestlé se diversifie dans la fabrication de produits qui ne sont plus exclusivement à base de lait, de cacao et de café: présent dans le chocolat, les produits laitiers et café soluble, Nestlé enrichit sa gamme. Reste que le groupe n'entend pas conserver la vente de lait frais pour ne privilégier que les laits de conserve.
La Société Laitière Maggi est cédée ainsi que les magasins, sauf 224 d'entre eux qui constituent le Cercle Bleu, chaîne de distribution de produits de qualité, revendue dans les années soixante.
 
 
 
 
 
1980 : une innovation qui concerne le produit et le packaging 
 
 
Bénéficiant de la technologie Nestlé, Maggi crée, en 1962, des soupes de poisson en sachets et la première purée de pommes de terre en flocons sous la marque Mousline en 1963. Une vraie rupture par rapport aux modes de consommation, hostiles à toute transformation industrielle des produits alimentaires. Au reste, cette innovation est en droit fil de l'esprit du fondateur: libérer les femmes des corvées de la cuisine " pour que les mamans aient plus de temps de jouer avec leurs enfants " et " pour choyer un peu plus ceux qu'on aime ", souligne la publicité. 

Changement du comportement des consommateurs oblige, Bolino est lancé en 1980 : une innovation qui concerne aussi bien le produit que le packaging. Et son nom se décline différemment selon les pays : "Maggi, 5 minuten terrine" en Allemagne ou Quick Lunch en Suisse. De fait, la marque s'adapte aux marchés locaux en fonction des goûts et du contexte concurrentiel.
Ainsi trouve-t-on des surgelés Maggi en Allemagne et non en France, ainsi que des épices et du Ketchup. Avec la soupe chinoise lancée en 1983 et les saveurs vietnamienne et mexicaine en 1987, Maggi s'ouvre progressivement sur "une nouvelle façon de souper" et inaugure, en 1995, une autre génération d'aide à la cuisine, avec Noix de Saveur et Fonds de Sauce.
 
 

La saga des marques - Lux -

Publié à 10:22 par acoeuretacris Tags : marques
La saga des marques - Lux -
 
LUX, LA STAR DES STARS
NÉ SOUS LE SIGNE DES PAILLETTES
 
 
 
 
 
 
Depuis soixante-dix ans, plus de 2000 vedettes ont vanté les mérites du savon Lux. Histoire d'une continuité, rare en communication. 
 
 
En Angleterre, à la fin du siècle dernier, William H.Lever fait construire sur les rives de la Mersey, à quelques miles de Liverpool, un vaste ensemble industriel.
Objectif : faire face à l'expansion de son entreprise.
Il le baptise Port-Sunlight, du nom du savon qui, en un peu plus d'une décennie, a fait la renommée et la prospérité de sa firme, Lever-Brothers.
 
 
Au cours de ces dix années, la compagnie a certes mis de nouveaux produits sur le marché mais aucun, même le révolutionnaire Lifebuoy au phénol - dont les propriétés désinfectantes étaient bien suggérées par sa marque- n'a connu un succès semblable à celui de Sunlight.
Aussi, quand en 1899, W.H.Lever décide de lancer un second produit tout aussi révolutionnaire pour l'époque, des paillettes de savon extrêmement fines destinées au lavage des textiles délicats, estime-t-il judicieux de le baptiser Sunlight Flakes.
 
 
 
 
 
 
A sa grande surprise, l'accueil des ménagères anglaises est plutôt tiède. Lever se tourne alors vers l'agent en marques de fabrique W.P.Thompson de Liverpool, celui-là même qui en 1875 lui avait si heureusement proposé le mot Sunlight. Ce dernier soumet entre autres suggestions Lux, trois lettres aisées à retenir et de surcroît évocatrices de lumière et de blancheur. Un choix judicieux : sous la marque Lux Flakes, les ventes de savon en paillettes connaissent un rapide développement puisqu'elles vont tripler, ce dès la première année. 
 
L'étape de l'internationalisation est franchie le 13 janvier 1900 : la marque Lux est alors déposée en France où les Paillettes Lux vont également connaître un beau succès. 
 
 

 
 
Sunlight ou le savon qui a fait la renommée de Lever Bros. 
 
 
Lever à la conquête des Etats-Unis 
 
 
 
 
William H. Lever,
père de Lux
 
 
 
Si William H.Lever vient de s'implanter avec succès sur le vieux continent, sa fascination est ailleurs... en Amérique. 
 
Tout l'y impressionne : les perspectives qu'ouvre un pays immense dont la population a doublé entre 1860 et 1886.
Et, surtout, le dynamisme et l'efficacité de ses industriels et hommes d'affaires. Il décide donc de s'y implanter en rachetant en 1897 sa première affaire à Boston et, deux ans après, une autre à Philadelphie.

Pourtant, le succès n'est pas au rendez-vous : ni Sunlight, ni Lifebuoy, les deux vedettes de la firme, ne marchent vraiment.
Ainsi, en 1912, le total des ventes de tous les produits n'atteint pas 200.000 paquets par an.
Ce qui ressemble fort à un échec en comparaison des 48.000 pains de Sunlight vendus l'année où ce savon, bénéficiant alors de l'aura de la nouveauté, a été introduit aux Etats-Unis.
 
 
 
Countway à l'oeuvre 
 
 
 
 
 
Totalement désarmé face à l'évolution de ses affaires, William H. Lever se résoud même à engager des détectives privés qu'il lance sur les traces de Francis Countway, son agent de New-York !
Mais l'explication de cet échec commercial aux Etats-Unis est à rechercher ailleurs. Du côté des habitudes de consommation des Américains, tout d'abord, qui préfèrent alors la quantité à la qualité. Aussi pensent-ils réussir une meilleure affaire en achetant du savon en barres comme autrefois plutôt que de petites unités sous emballage.
Autre raison, plus profonde : l'équipe de Boston n'a pas su acquérir la mentalité américaine.
Analysant la situation, Francis Countway comprend qu'il faut étendre le champ d'action de la société à l'extérieur du cocon douillet de Boston, laisser Sunlight mourir de sa belle mort et porter tous les efforts sur trois marques, Welcome, Lifebuoy et Lux. Une stratégie qui va bientôt porter ses fruits.
 
 
 
 
 
Lux, le savon des stars : la preuve en images. 
 
 
La situation de Lever-Etats-Unis commence à se redresser à la veille de la Seconde Guerre mondiale : n'atteignant pas mille dollars en 1913, les bénéfices s'élèvent déjà à 762.846 dollars en 1920, pour ne cesser de croître par la suite, au point de doubler cinq ans plus tard.

En 1923, avec un budget d'environ six millions de dollars, les dépenses publicitaires de Lever en Amérique représentent presque la totalité des sommes engagées en Angleterre et dans les autres pays étrangers où le groupe est présent.
 
 
 
Et Lux devient savon 
 
 
 
 
 
Pendant ce temps, William H.Lever n'a pas abouti dans les laborieuses négociations qu'il menait avec la Palmolive Company à laquelle il voulait s'unir. Pour se venger de son échec, il déclare la guerre à son concurrent. Celui-ci tient-il le marché du savon de toilette avec son savon vert aux huiles de palme et d'olive ? Pour le contrer, Lever lance au Royaume-Uni, en 1924, Olva, une savonnette également verte. Elle ressemble tellement à Palmolive que les milieux industriels s'élèvent - à l'étonnement du savonnier - contre cette manoeuvre foncièrement déloyale. Et lorsqu'est envisagé, l'année suivante, le lancement de Olva aux Etats-Unis, Countway estime d ' emblée qu'une telle contrefaçon n'a aucune chance de succès sur ce marché. Il est en revanche conscient de la nécessité que représente, pour la Compagnie, le lancement d'un savon de toilette. Pourquoi ne pas promettre à la peau ce que l'on a offert au linge ? Selon Countway, ce lancement doit s'inscrire dans la réussite sans cesse grandissante des Lux Flakes : les trois mille paquets écoulés en 1913 ont essaimé et les ventes ont atteint un million cinq cent mille unités en 1919. Si ces paillettes connaissent un tel engouement, c'est en partie parce que les articles de soie et de soie artificielle ne sont plus l'apanage de quelques femmes fortunées. Mais c'est aussi et surtout parce que Countway a su profiter de ce tournant de la mode. 
 
 
 
 
 
Il a ainsi passé des accords avec les grandes chaînes de vêtements féminins qui lui donnent la possibilité d'organiser des démonstrations de lavage dans leurs magasins, les clients pouvant apporter leur linge personnel et l'y faire laver gratuitement. Aussi, le manager américain suggère-t-il de lancer une savonnette sous la marque Lux. Un savon qu'il entend présenter comme un véritable produit de beauté et qui, surtout, se démarque de ses concurrents par sa couleur. Ni verte comme Palmolive, ni rose comme Cadum, la savonnette se doit d'afficher une blancheur aussi éclatante que celle des paillettes dont elle portera le nom. En un trimestre, à la fin de l'année 1925, les tests sont confirmés par la vente de... 135.000 savonnettes. Et Lux renoue avec l'histoire glorieuse de Sunlight. 
 
 
Publicité à l'américaine 
 
 
 
 
 
Le succès de Lux aux Etats-Unis se révèle spectaculaire et dépasse même les prévisions les plus optimistes. En quatre ans, de 1925 à 1929, les ventes de ce savon de beauté passent de 40.000 tonnes à 91.000 tonnes, tandis que les bénéfices, dans le même temps, triplent pour atteindre près de trois millions de dollars. Une publicité intensive soutient cette expansion, rendue d'autant plus indispensable que, dans cette branche, les marges sont extrêmement faibles au regard des standards européens. Jusqu'en 1928, la publicité de Lux est fondée sur le concept d'un savon de beauté aussi sophistiqué que ceux des grands parfumeurs parisiens et pourtant dix fois moins cher. Les slogans n'empruntent rien à l'euphémisme...«Bénéficiez du luxe parisien sans dépenser une fortune !»...«Au lieu de débourser un dollar, vous ne paierez Lux que dix cents. C'est le génie américain des fabricants de Lux paillettes qui vous vaut ça !» En Angleterre, où Lux est mis sur le marché l'année suivante, la stratégie demeure la même. En France, en revanche, les publicitaires se voient bien sûr contraints de modifier leur approche pour le lancement de Lux savon en 1928. Ils s'appuient donc sur la notoriété des paillettes lancées sept ans auparavant et mettent l'accent sur la blancheur du savon, gage de sa pureté : «...Lux toilette n'est ni vert, ni jaune, ni mauve, ni rose, ni violet. Il est blanc car il n'a rien à cacher !». 
 
 
Les stars entrent en scène 
 
 
 
 
 
Né sous le signe des paillettes, Lux ne pouvait que devenir le savon des stars...
En 1928, à l'agence J.Walter Thompson, l'une des toutes premières aux Etats-Unis, Helen Landsowne met au point la stratégie publicitaire qui va devenir la signature de la marque et en assurer la pérennité. Ou comment s'appuyer sur la notoriété des stars de cinéma pour promouvoir celle de Lux. L'idée de faire témoigner des vedettes en faveur d'un produit n'est certes pas nouvelle.
Dans l'Angleterre du dix-neuvième siècle, Sarah Bernhardt témoignait déjà de la douceur du savon Pears. Et Cadum. avant d'attacher l'image d'un bébé joufflu au succès de sa marque, a lui aussi associé de nombreuses artistes aux qualités de sa savonnette.
Avec Lux, la nouveauté de la démarche réside dans sa systématisation. Il ne s'agit pas d'une vedette, non plus de quelques unes adoptant Lux pour leur toilette, mais de la quasi totalité des étoiles qui brillent au firmament du Star System créé par Hollywood.
 
 
 
 
 
 
Une universalité qui permet en outre d'éviter la vampirisation de la marque par une star.
Et si les plus beaux visages du septième Art changent, le message, lui, demeure. L'axe des campagnes restera immuable : l'utilisation du produit par une star prescriptrice. Un an après le début de sa campagne, Lever peut fièrement annoncer que quatre cent quarante trois stars utilisent son savon !
En fait, dès le début des années trente, le slogan «Neuf stars sur dix emploient Lux...» est pleinement justifié.
«Seules quelques Divas isolées n'avaient pas été sollicitées ou plus rares encore s'interrogeaient toujours sur les avantages et les inconvénients d'une telle participation», écrit Jean- Marc Lehu qui cite comme seule exception notable «Greta Louisa Gustafsson, celle qui prit pour l'écran le nom de Greta Garbo.
La «Divine» ne cédera d'ailleurs jamais aux avances maintes fois renouvelées de Lux.
Etait-il trop tard pour charmer Garbo ? Souhaitait-elle rester unique une fois encore par son refus ?»
 
 
 
Des arguments convaincants 
 
 
 
 
 
Dans les premiers temps, un cachet parfois très élevé est offert aux vedettes pour parrainer le savon de beauté. De même, la Compagnie doit se montrer plus prompte que la concurrence pour s'assurer les services d'une star. Toutefois, le générique réuni par J.Walter Thompson et Lever Bros devenant de plus en plus imposant, les stars et leurs agents se montrent de moins en moins exigeants. Rares sont les actrices qui ont refusé de faire partie du bataillon de charme des vedettes Lux. Soulignons que le terrain est soigneusement préparé à Hollywood et que Lux, figurant sur tous les plateaux de cinéma sans distinction de studio, devient, en quelques mois, partie intégrante de la machine à rêves hollywoodienne. Les toilettes des major companies sont bien approvisionnées en savonnettes et au cours des campagnes publicitaires, les annonces de presse y sont même affichées. 
 
 
 
 
 
Etre choisie par Lux représente alors pour l'élue une consécration, sorte de confirmation publicitaire de son statut de star. Hommage à sa beauté, preuve de sa notoriété internationale, une publicité Lux est parfois même, surtout aux Etats-Unis, un certificat de bonnes moeurs... Marilyn, star mondiale s'il en est, ne fut admise dans cette constellation que lorsque se fut estompé le souvenir des années où elle avait posé nue pour des calendriers ! Par ailleurs, la publicité du savon, dans tous les pays où la marque est vendue, se trouve conjuguée avec la sortie des films des actrices Lux. Des spots publicitaires qui constituent le meilleur moyen de mondialiser une vedette. Au lendemain de la guerre, Countway, âgé de 68 ans, prend sa retraite. Lux toilette est alors le champion incontesté des savons de beauté vendus aux Etats-Unis. Plus d'un millier de stars sous contrat en ont proclamé les vertus ou sont prêtes à les proclamer. Aucun metteur en scène n'égalera jamais le prestigieux casting de Lux... Au générique de soixante-dix ans de films publicitaires : plus de 2.000 stars, de Louise Brooks à Mathilda May, en passant par Marlène Dietrich, Ava Gardner, Michèle Morgan ou Brigitte Bardot. 
 
 
Les stars nationales 
 
 
 
 
 
Le fichier des stars, véritable Almanach du Gotha de la planète Cinéma, est géré en Angleterre.
C'est à Londres en effet, qu'à partir d'une liste proposée par les différents pays, la décision est prise de faire un film avec telle ou telle vedette internationale.
Pour qu'un pays soit autorisé à faire ses propres films avec une actrice nationale, son marché doit être assez important et sa production cinématographique spécifique. C'est le cas de l'Inde, de l'Italie et bien sûr celui de la France.
 
 
 
 
 
 
C'est ainsi que Mireille Darc, Marie Laforêt, Marina Vlady, Mathilda May plus récemment, et bien d'autres encore ont vanté Lux sur nos écrans. Certains de ces films ont pu être exploités à l'étranger, à l'instar de celui d'Isabelle Adjani en Italie et en Thaïlande, ou celui de Sophie Marceau en Belgique et au Japon. 
 
 
Festival Lux 
 
Après la Seconde Guerre mondiale, un effort de relance doit être consenti en France pour tous les produits de marque dont les restrictions ont estompé le souvenir.
Pour Lux, ce rôle est confié à une émission radiophonique diffusée en «prime time» le dimanche soir sur Radio Luxembourg : Festival Lux.
L'émission, enregistrée en public au Théâtre des Champs Elysées, nécessite d'incessants tours de force : il ne s'agit rien de moins que de réunir deux fois par mois un plateau où se succèdent chanteurs de variétés et interprètes classiques, jazzmen et grands solistes, stars de l'écran et vedettes de théâtre, écrivains et compositeurs célèbres, soit un panorama complet des plus grands artistes du moment.
 
 
 
 
 
 
Le tout, accompagné par un orchestre classique de soixante-dix musiciens et par une formation de jazz et de variétés qui en compte soixante ! Au hasard des programmes, citons quelques uns des grands noms qui ont fait le succès du Festival : les guitaristes Narcisso Yepes, Andres Segovia, Django Reinhardt, la cantatrice Victoria de Los Angeles, des écrivains tels que Jean Cocteau, Henri Jeanson ou Pierre Mac Orlan et bien entendu, tout le monde du théâtre et du cinéma, de Danielle Darrieux à Humphrey Bogart, de Jean-Louis Barrault à Louis Jouvet, et de Lauren Bacall à Walt Disney.
Rien d'étonnant à ce que, dès le deuxième mois de ces enregistrements, les places étant gratuitement distribuées, la direction du théâtre ait découvert un trafic de billets vendus au marché noir !
 
 
 
Festival au Festival 
 
Lux se devait de manifester sa présence partout où les stars du monde entier se donnent rendez-vous.
En France, le jeune Festival de Cannes qui, bien que prévu pour 1939, n'a pu voir le jour qu'au lendemain de la guerre, devient vite incontournable.
Le succès de Festival Lux fournit à Lever une excellente carte de visite pour y être admis comme un partenaire à part entière.
 
 
 
 
 
 
Ainsi chaque année, l'équipe de production au grand complet descend-elle sur la Croisette afin d'organiser un enregistrement public de son émission au casino municipal, ce avec de grandes vedettes recrutées sur place.
Une mission rendue d'autant plus facile qu'une génération d'étoiles montantes aspirant à la célébrité s'agite en coulisses du festival : les starlettes sont nées.
Certes, sur la centaine d'entre elles qui signent un contrat avec Lux, bien peu vont atteindre la notoriété.
L'opération se révèle toutefois payante. Les signatures de Martine Carol ou de Brigitte Bardot, obtenues avant leur ascension vers la gloire, valent bien les quelques boîtes de savonnettes qu'elles ont coûté !
 
 
 
 
 
 
Une vedette incontestable 
 
Notre époque est grande dévoreuse de célébrités. Il ne se passe pas de jour sans qu'un nouveau nom ne cherche à s'imposer à nos mémoires. Et la télévision fait dans ce domaine une rude concurrence au cinéma... Où sont les stars mythiques ? Toutefois, les vedettes du petit écran sacrifient le plus souvent leur notoriété à l'éphémère et ne dépassent que rarement la popularité des vedettes du grand écran d'autrefois. Victoria Principal a été, il y a dix ans, l'exception qui confirme cette règle. 
 
 
 
 
 
L'annonce pour Lux faite avec son témoignage est celle qui, parmi toutes les campagnes, a obtenu le meilleur impact. L'actrice tenait alors l'un des premiers rôles de Dallas, la série télévisée qui, de chaque côté de l'Atlantique, a battu elle-même tous les records d'audience. Ceci explique cela. Par ailleurs, tandis que les stars internationales quittaient leur piédestal, le savon de toilette perdait, dans le même temps, sa prééminence. Autrefois produit unique dans les salles de bain, il est devenu l'un des instruments de la beauté. Il n'a pas décliné. Il a été décliné. Sous la marque Lux, un gel douche apparaît en 1988, un bain moussant l'année suivante, bientôt suivis en 1991 par deux nouveaux gels douche et un nouveau bain moussant. 
 
 
 
 
 
Aujourd'hui, Lux signe une ligne complète de soins d'hygiène corporelle qui comprend deux crèmes de bain, une crème lavante et trois soins de douche hydra-équili-brants, relaxants et revitalisants, qu'accompagne une formule enrichie du célèbre savon. Le tout dans des packagings modernisés, le design de Canetti ayant été revu et corrigé par l'agence anglaise Design Bridge en avril 1995. Des changements qui ont rendu nécessaire une nouvelle conception publicitaire. Ecueil à éviter, dans ce domaine aussi : la destruction, par l'innovation, du patrimoine de la marque. Ou soixante-dix années d'une communication fondée sur les stars du cinéma. Equation résolue par le slogan : «Lux révèle la star qui est en vous». 
 
 
 
 
 
Puisqu'aujourd'hui les stars ne sont plus l'unique référence des femmes, Lux a inversé, dans son nouveau spot publicitaire, ce jeux de miroir... Dans un aéroport, une voyageuse anonyme est remarquée par un homme que l'on ne peut identifier. Leurs regards se croisent et au cours de cet échange muet, la jeune femme inconnue révèle un charisme de star... tandis que la fin du spot dévoile en l'admirateur l'acteur Paul Newman. Si les grandes stars se font rares, gageons que la nouvelle promesse de Lux, révéler la star qui est en chaque femme, augure d'un thème inépuisable ! 
 
 
 
 
1995 :
un nouveau design habille une gamme élargie en 1991
 

La saga des marques - Lu -

Publié à 09:22 par acoeuretacris Tags : marques
La saga des marques - Lu -
Création graphique: Delphine Delaneau pour Vénus en Mars


LU
DONNE LE LA...



LU ou le "petit écolier" devenu grand. Chaque année, 30 millions de paquets de Petit-Beurre sont vendus et les quatre coins de ce centenaire grignotés aux quatre coins du monde... Du petit beurre Bambin au cookie made in LU, histoire d'une marque que même le générique des Guignols de l'Info n'oublient pas !


Les fondateurs Jean-Romain Lefèvre et Pauline-Isabelle Utile vers 1860

"Qu'on se figure un biscuit de forme carrée, longue, aux bords découpés en festons arrondis, qui croque sous la dent sans s'émietter, qui fond dans la bouche en y laissant un goût exquis sans être trop prononcé".

Nous sommes en 1886. Louis Lefèvre-Utile vient de créer le "Petit-Beurre LU". De la petite pâtisserie acquise par ses parents en 1850, Louis et son beau-frère Ernest Lefèvre font de la société LU une des plus belles réussites de l'industrie alimentaire française.

Créateur, le véritable père de LU, l'est à plus d'un titre : il s'inspire d'un napperon de grand-mère pour donner forme à un biscuit qui, aujourd'hui, fête ses cent dix ans. Il emprunte à la broderie le lettrage pour écrire sur le biscuit : "LU, Petit-Beurre, Nantes". Précision géographique qui n'est pas anodine, puisqu'il donne ses lettres de... famille à un marché jusqu'alors aux mains des Anglais. Créateur encore, il invente lui-même ses slogans publicitaires dont, en 1902, "qui me croque, craque. Qui m'a croqué recroquera".

C'est toujours en créateur qu'il introduit l'art dans le domaine populaire. Louis Lefèvre-Utile va allier le bonheur de la dégustation au plaisir de l'objet, ces fameuses boîtes en métal lithographiées.


Le 5 de la rue Boileau, à Nantes vers 1854.

Consonne... Voyelle...

Flash-back... 1846: Jean-Romain Lefèvre, pâtissier de son état, quitte la Meuse pour s'installer, 5 rue Boileau, à Nantes. La "Fabrique de Biscuits de Reims et de bonbons secs" devient rapidement LU. Ce grâce au trait d'union entre Jean-Romain Lefèvre et Pauline-Isabelle Utile, sa femme, dont les seules initiales vont bientôt suffire à désigner la marque(1).

Et si le couple Lefèvre-Utile appose désormais sur les emballages une représentation de la Renommée (une femme embouchant une trompette) qui signera les productions de la maison jusqu'en 1943, la véritable renommée de LU réside dans ces deux lettres. 1882 : alors que Jean-Romain Lefèvre vient de remporter la médaille d'or à l'Exposition de Nantes, son troisième fils, Louis, alors âgé de 24 ans, lui succède à la tête de l'affaire. Son ambition : battre l'Empire britannique du biscuit avec les mêmes armes... ces matières premières bretonnes et vendéennes exportées outre-Manche pour le plus grand succès des biscuits anglais.


Louis Lefèvre-Utile véritable père du Petit-Beurre LU

Faute de pouvoir répondre à la demande pour ces biscuits très en vogue, ses parents commercialisaient des produits concurrents des leurs, comme les fameux biscuits Huntley & Palmers(2)! D'un voyage en Grande-Bretagne, leur fils rapporte l'idée d'un découpoir. Sa stratégie est sans équivoque. Louis décide de construire une grande manufacture de biscuits le long de la Loire, sur le quai Baco, face au château des Ducs de Bretagne. Inaugurée fin 1885, elle est équipée de la technologie... anglaise ! La maison "Lefèvre-Utile" passe alors de cent cinquante à deux mille mètres carrés et l'usine comptera cent trente ouvriers en 1889.

Prophétique, il annonce, en 1886, "je crois que je viens de mettre au point un produit promis à un grand avenir". Au départ appelé le petit beurre Bambin, le "Petit-Beurre -LU-Nantes" est né. Sa forme et sa marque sont déposées au tribunal de commerce de Nantes le 9 avril 1888(3).

"Bretonne au bouquet", Hippolyte Berteaux, 1900

Le Petit-Beurre ou l'instrument de la reconquête... "Ce n'est pas le biscuit d'origine britannique, sec comme une Anglaise en route pour l'Exposition, fade comme le navet bouilli dont raffolent nos voisins d'outre-Manche, c'est un biscuit vraiment français, vraiment breton, avec une pointe de sucre, un nuage de lait, un doigt de ce beurre succulent qui a valu à nos départements armoricains une renommée universelle". Une anglophobie de façade, puisque Louis fait siennes les innovations venues d'outre-Manche, dont celle qui révolutionne le conditionnement.


De fait, la vente des biscuits ne se fait plus en vrac, mais dans des boîtes en fer-blanc habillées de papier imprimé. Un emballage qui, essor des transports oblige, assure une plus longue conservation et offre un support idéal pour la réclame. "Pour susciter la gourmandise, rien de tel que de séduire l'œil", constate Louis qui met les nouvelles techniques d'impression lithographique au service de sa marque. Là encore, étiquetage en relief ou chromolithographie nous viennent d'Angleterre. Avec les plus grandes marques de biscuit, l'art entre dans le domaine populaire et l'emballage devient un objet familier.


LU célèbre la premère ligne de tramways française.

construite à Nantes en 1879 - Boîtes en fer blanc émaillé, 1900.
L'Art Nouveau au service des biscuits
Patrimoine artistique rare que celui constitué par Louis, qui va faire appel aux meilleurs peintres et graphistes : Luigi Loir, Leonetto Cappiello, Benjamin Rabier, etc.. Après le succès de "la petite fille Menier"(4), Firmin Bouisset choisit son fils Michel comme modèle du "petit écolier". Ce dernier incarne alors en 1897 la défense du nationalisme et de deux de ses expressions : l'école républicaine et l'industrie ici biscuitière concurrencée par l'Angleterre.


On doit à Alfons Mucha la représentation, en 1904, de Sarah Bern-hardt dans son costume de scène de la Princesse lointaine d'Edmond Rostand. Elle signe : "Je ne trouve rien de meilleur qu'un petit LU... oh si, deux petits LU". Aux talents de la scène, Louis Lefèvre-Utile associe à sa réussite ceux du monde littéraire : Georges Feydeau, François Coppée, Jean Charcot, Anatole France et bien d'autres illustres signatures sont réunies, en 1904, dans un volume intitulé "Les Contemporains célèbres". Affiches, collections d'images, cartes postales, boîtes décorées, objets peints, calendriers, publicités murales, la marque LU ne délaisse aucune technique ni support pour rayonner.


La créativité de Louis Lefèvre-Utile ne se cantonne pas au seul Petit-Beurre. Il s'inspire de la célèbre marque anglaise Huntley & Palmers pour élaborer la première gaufrette vanille française. Il crée surtout en 1905 la fameuse Paille d'Or, gaufrette au jus de framboise dont il dessine la forme en stylisant une botte de paille. A la fin du XIXe siècle, près de deux cents biscuits sont proposés, vanille, biscuits glacés, cakes ou autres pâtisseries.

Les recettes ou étiquettes nouvelles célèbrent les événements politiques ou mondains : Neva, "biscuit russe", pour la visite du tsar Alexandre III à Paris en 1892 ; la gaufrette Iceberg, pour la seconde expédition en Antarctique de l'océanographe Jean Charcot en 1908 et une série de vignettes "Aviation" en hommage à la traversée de la Manche par Blériot en 1909.


"Les contemporains célèbres", 1904

Les Anciens et les Modernes

Le début du siècle marque la grande époque de l'intégration verticale. Comme Menier, LU entend maîtriser tous les éléments qui entrent dans la fabrication de ses produits. C'est ainsi que, pour ne plus être tributaire de l'Angleterre sur le plan de l'équipement, un atelier de construction de machines pourvoit, au sein de l'usine, aux besoins de la production. LU possède sa propre menuiserie, sa ferblanterie, une usine à gaz, une laiterie et une beurrerie. Signe incontestable de modernisme et de perfectionnisme, un laboratoire d'analyses interne contrôle les matières premières.

En 1913, la fabrication annuelle de biscuits dépasse les six mille tonnes, l'usine de Nantes emploie mille deux cents ouvriers (quatorze en 1882) et occupe quarante mille mètres carrés, soit vingt fois plus qu'en 1885. La biscuiterie subit, sans être déstabilisée, les réquisitions de la Première Guerre mondiale. Seule entorse à la tradition, pour répondre à la demande des soldats américains en produits plus sucrés, la formule du Petit-Beurre est exceptionnellement modifiée en 1918(5).


"Clair de LU", Frédéric Guilkt, 1991

Époque de stabilité et de stagnation, les années trente sont celles qui voient LU faire figure d'entreprise semi-artisanale dans ses procédés. De fait, Louis redoute qu'une mécanisation extrême ne nuise à la qualité. Régnant en patriarche, il est moins sensible à l'évolution économique et technique, et ce, malgré les recommandations de son fils cadet Michel, avisé des progrès de la concurrence.

Dès 1922, la Biscuiterie Nantaise B.N. lance le fameux "Casse-croûte", quand de son côté, la gamme des produits LU n'évolue pas. La troisième génération des Lefèvre-Utile se heurte au conservatisme des pionniers et axe surtout ses efforts sur la région parisienne. On doit à Michel l'invention d'un container qui assure des conditions idéales de protection et d'isothermie des produits et réduit de moitié le temps de livraison.


Contes Perrault, 1886 : "Peau d'Ane"

Il met également en place un réseau de représentants exclusifs. Sur le plan de la communication, "l'esprit maison" perdure avec Michel qui associe au nom de LU les personnalités des arts et des lettres. Comment oublier le "Vive Lefèvre-Indispensable" de Sacha Guitry ! Occupée par l'armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale et bombardée en 1943, l'usine voit sa modernisation, souhaitée par Michel, retardée de dix ans.

Habillé de neuf

Au cours des années cinquante, la quatrième génération prend les rênes de l'entreprise. Les mots d'ordre sont alors rénovation de l'image, production de masse et internationalisation. Maître d'œuvre de cette révolution, Patrick Lefèvre-Utile, directeur du développement de LU de 1956 à 1968. Avec le petit-fils, la source d'inspiration n'est plus anglaise mais américaine. Première étape : une nouvelle gamme de conditionnements plus spécialement destinés à l'exportation, développée, dès 1950, avec André Maurus, de la maison Goossens (une imprimerie lilloise liée à la société depuis le grand-père).

"Pour la première fois, chez LU, nous introduisons la photographie du produit en couleurs sur le paquetage". Le nouveau logo LU, deux lettres sur fond rouge, est récompensé, en 1954, par le "Package designers council" de New York. C'est également aux Etats-Unis que la nouvelle image, signée René Gruau, connaît un succès tel, qu'elle est rapidement diffusée en France. Bientôt, la révolution commerciale initiée par les libre-services impose une nouvelle lisibilité des marques sur le linéaire.


"La tradition du Futur", Jean-Michel Folon, 1985

C'est à Raymond Loewy, rencontré aux Etats-Unis en 1946, que Patrick Lefèvre-Utile demande, en 1956, de redessiner le paquet de Petit-Beurre et notamment le logotype LU. "Redessiner le paquet du Véritable Petit-Beurre LU, c'est redessiner le drapeau français", s'exclame alors le célèbre designer. Au printemps 1957, les codes sont bouleversés : changement de matériau, de design, de couleur. Patrick Lefèvre-Utile se souvient : "le paquet retrouve un éclat grâce à son fond blanc, son bandeau rouge à droite portant le monogramme LU en blanc et la photographie couleur du biscuit en perspective". Une révolution qui reçoit, en 1958, l'Eurostar for packaging, la première haute distinction européenne décernée au meilleur design d'emballage de l'année.
Autre conséquence du libre-service : une ligne de fabrication continue -la première est installée en 1951- remplace progressivement les fours à brique pour le Petit-Beurre. "La hantise de mon grand-père, rappelle Patrick Lefèvre-Utile, c'était la production de masse.
Il était convaincu qu'un produit de qualité ne peut se fabriquer en trop grande quantité sans se banaliser
". Le conditionnement devient automatique et la boîte en fer-blanc s'efface devant le papier d'aluminium. Présent sur chaque spécialité, le logo LU se déguste désormais aussi bien sucré que salé.


Annonce publicitaire pour le New-Yorker et le Sunday New-Yok Times. René Gruau, 1954

Si la gamme sucrée se réduit (de deux cents à quinze produits au début des années 60), elle s'enrichit, poussée par la vogue anglo-saxonne, de snacks salés, lancés dans les années cinquante. Avec les Picklu, le Sticlu et le Cracklu, la marque crée son propre vocabulaire. Qui s'enrichit aussi dans le sucré avec Figolu, en 1961.

Quatrième et... nouvelle génération

Marque phare pour ses propres gammes, LU le devient aussi sur le marché de la biscuiterie. Et ce en proposant, dès 1967, une politique d'alliance. Raison avancée par Patrick Lefèvre-Utile: "En France, de multiples fabricants se concurrençaient dans une lutte difficile et stérile, mais n'arrivaient pas à percer à l'exportation. Il était nécessaire d'avoir des partenaires répartis dans différentes régions françaises, de réduire les gammes respectives de chacun de façon à les rendre complémentaires et d'obtenir une gamme générale équilibrée. D'autres part, il fallait faire fusionner les réseaux de vente pour couvrir efficacement le territoire". Cette politique d'alliance se concrétise en 1969 avec la fusion de six fabricants au sein du groupe LU-Brun et associés : LU, Brun, Trois Chatons, Saint-Sauveur, Rem et le biscottier Magdeleine. Patrick-Lefèvre Utile en devient le premier président.


Un ménage à six qui pose cependant des problèmes, certains souhaitant concentrer la plus grande partie de là production, quand d'autres préconisent la décentralisation des usines. Hostile à la politique du groupe, Patrick Lefèvre-Utile se voit contraint de partir. Deuxième étape : celle initiée par Claude-Noël Martin, qui, président de la société Céraliment (Biscottes de France, Heudebert, Prior, Pelletier), s'empare en 1975 du tiers du capital de LU-Brun et associés. Le groupe, numéro un français du marché de la biscuiterie, devient Céraliment LU-Brun (CLB) et réunit désormais dix-huit entreprises.


Deux ans plus tard, Claude-Noël Martin prend le contrôle de la société belge GBCo (L'Alsacienne, De Beukelaer, Parein). Le nouveau groupe, introduit en bourse en 1978 sous le nom de Générale Biscuit, regroupe alors trente-deux entreprises et se place au troisième rang mondial de l'industrie biscuitière et biscottière, ce derrière l'américain Nabisco et l'anglais United Biscuit. Détail... croustillant dans l'aventure LU, c'est à la demande de Claude-Noël Martin que Patrick Lefèvre-Utile revient au sein du groupe comme délégué au développement international. Il impose, avec l'agence Lonsdale, un "Livre de normes graphiques" pour préserver l'image de la marque LU, celle-ci devant désormais fédérer des produits aussi différents que le cracker salé Tue, le biscuit Thé Brun, Prince, Granola, Pim's... Dernier acte : BSN prend, en 1986, le contrôle de Générale Biscuit et la fusion des deux sociétés s'opère en 1987.


Revers de la médaille industrielle et financière, des années 1960 à 1980, la publicité n'est pas prioritaire. Elle se contente d'énumérer les composants dans "le secret du véritable petit-beurre LU" ou dans "une recette que toutes les mamans devraient lire avant d'offrir des petits beurres à leurs enfants". De 1978 à 1981, une signature unique célèbre "cent ans de gourmandise", avant que deux spots publicitaires ne mettent en scène Jean-Claude Brialy en 1981 et 1983. L'humour tient le premier rôle dès 1984, dans la série d'affiches déclinant un Petit LU croqué par les quatre coins. En 1988, la nouvelle campagne "LU et approuvé" (signée par Jacques Hénocq, de l'agence Bélier) remporte le premier prix de l'affichage, premier d'une longue série(6). Humour toujours en 1994, avec le dernier film pour "la barquette", dans lequel une mère de famille ne les donne à ses enfants que... "lorsqu'ils sont sages".


Le Petit Ecolier, création Hotshop, 1989

Renouant depuis 1983 avec la tradition, LU fait de nouveau appel à des artistes contemporains : Savignac, Folon, Gruau, Topor, Sempé, etc(7). Soixante-neuf artistes et cent dix-neuf œuvres à ce jour qui enrichissent les nombreuses (80 depuis 1979) expositions itinérantes du patrimoine artistique LU. Dernière en date : celle ayant pour thème "LU fête 150 ans d'histoire", la marque exposant, pour la première fois à Nantes l'intégralité de son patrimoine artistique. Pleines LUmières sur la marque !


Hello ! de LU, un cas d'école.

Lorsqu'en 1986, LU crée Hello !, le terrain en France est presque vierge. Belin vient de lancer les Cookies et L'Alsacienne les Boogies.

Design Consulting Group crée une mini révolution packaging, avec une boîte non plus à l'horizontale, mais en hauteur.

Elle est aujourd'hui la référence du marché et le cookie "mode in Lu" a inspiré près de 200 copies.

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1. La société LU est fondée le 1er février 1887.
2. Cf. La Revue des Marques. N°12. Huntley & Paimers, le globe-trotter du biscuit.
3. Le 8 septembre 1886, l'emprein-te définitive des moules du Petit-Beurre est consignée dans les registres du constructeur... anglais Vicars.
4. Cf. La Revue des Marques. N°13 janvier 1996.
5. Pour la deuxième fois dans son his-toire, le Petit Beurre change de goût (plus de beurre et plus aéré) en 1994, à l'initiative d'Antoine Riboud, PDG de Danone (ex-BSN), ce pour récupérer les jeunes consommateurs.
6. La campagn e gagne le premier prix de l'affichage. En 1989, deuxième prix du Club des direc-teurs artistiques pour les biscuits Mikado. En 1991, argent au festival de New York pour les Pim's. En 1993, 7 d'or pour les Petits Ecoliers.
7. Derniers "artistes" en date, pro-posés par l'agence Allez Zou : Yannick Noah et Eric Cantona.

La saga des marques - Lipton -

Publié à 13:23 par acoeuretacris Tags : marques
" LIPTON, QUAND LE MONDE EST SON "JARDIN"
 
  
 
  
Au nombre des premières marques alimentaires mondiales du groupe Unilever; Lipton, leader du thé noir; est la quatrième marque de boissons dans le monde derrière Coca Cold;Pepsi et Nescafé. Autrefois boisson des femmes, Lipton est devenu avec ses deux Piliers, Lipton Yellow et Lipton Ice Tea, un soft drink consommé par les jeunes. Récit autour d'une tasse ! 
  
Une brise légère souffle sur les jardins de thé de Dambatene. Le soleil se couche et pourtant. Sir Thomas ne peut se résigner à rentrer. Ce gentleman à la curiosité insatiable veut encore profiter d'une scène sublime: la charmante silhouette d'une cueilleuse de thé enveloppée d'une douce étoffe de voile léger." Nous Sommes en avri11891, date confirmée par la photo d'époque représentant la scène. A la manière d'un "carnet de voyage", ce texte accompagne une annonce parue dans la presse, en France mais aussi à l'international, en... 2000. 
  
 
  
L'agence J Walter Thompson (JWT), en charge de la publicité de Lipton depuis 1992, s'est permise deux accommodements avec la vérité historique: Thomas Lipton n'est pas encore Pair du Royaume et son "carnet de voyage" n'est que page blanche. Mais l'homme, -pardon -, "l'Empereur du thé", qui a fait du monde son "jardin", n'est pas le fruit d'une invention marketing. On le retrouve, toujours dans cette même saga publicitaire, en septembre 1891, assis à côté d'un trieur "paré de nuances orangées." Sir Thomas Lipton ? "11 emmène vos sens sur la route du thé", promet JWT. Une route qui, aujourd'hui, peut conduire au thé chaud Lipton Yellow et au thé glacé Lipton Ice Tea, qu'il soit "plat", "gazeux" et "aromatisé". Et qui est empruntée, non plus seulement par nos grands-mères ou vieilles tantes, fidèles abonnées au "tea-time" mais aussi par les jeunes, consommateurs de soft-drinks et autres boissons rafraîchissantes. 
  
De l'épicerie au thé 
  
Les études mènent à tout, à condition, parfois, d'en sortir très tôt. Thomas Lipton est de ces êtres qui, assis sur le banc de l'école, rêvent à d'autres aventures. Son ambition ? Gagner sa vie pour parcourir les mers et voyager. Né le 10 mai 1850 à Glasgow, Thomas Lipton est embauché à dix ans chez un papetier comme garçon de course puis chez un fabricant de bonneterie pour enfin devenir mousse! Il n'a pas quinze ans quand il part pour les Etats-Unis travailler d'abord dans une plantation de tabac en Virginie puis dans une rizière en Caroline du Sud et découvrir, enfin, comme employé au rayon épicerie d'un grand magasin, le commerce moderne et ses deux aiguillons, la promotion et la réclame. Il aurait pu rester à New York et y réussir. Il fera fortune à Glasgow. De retour en 1869, il applique, dans l'épicerie de ses parents, les méthodes amé- ricaines mais préfère voler de ses propres ailes. Le 10 mai 1871, le jour de ses vingt et un ans, il ouvre sa propre épicerie, à l'enseigne Lipton. La clientèle afflue, attirée par des produits vendus moins chers grâce à la suppression des intermédiaires. 
  
 
  
Précurseur en terme de réclame, il est un des premiers à utiliser les hommes sandwichs ( I) et à peindre ses camions aux couleurs de sa boutique. 

Revers de la médaille, "Lipton, souligne la presse locale en 1878, est sur le point de devenir, à Glasgow, un nom commun." Vingt ans plus tard, il ne compte pas moins de deux cents magasins en Angleterre. 
  
 
  
Direct from the tea garden to the tea pot 
  
La chance lui sourit une deuxième fois quand, en 1890, il débarque à Ceylan, une île alors réputée pour ses plantations de café. Une maladie vient cependant de contraindre les caféiers à choisir une nouvelle plante: le théier. Il fera la fortune de Thomas Lipton qui se lance un nouveau défi : démoCratiser le thé, devenu la boisson la plus diffusée au Royaume-Uni. Sa méthode commerciale ne change pas : aller à la source pour supprimer les intermédiaires, réduire les coûts et donc les prix. Il achète des plantations de thé à Ceylan (aujourd'hui Sri Lanka) dont celle de Dambatenne, évoquée par la publicité de JWT en 2000. Avec pour slogan "direct from the tea garden to the tea pot", "directement du théier à la théière", Lipton cesse d'être le nom d'une chaîne d'épicerie pour devenir celui d'une marque. Nous sommes en 1893. La même année, c'est un conquérant qu'il revient aux Etats-Unis pour ouvrir quatre boutiques à Chicago où il possède déjà une usine pour l'emballage de la viande. Suivront la Suède, le Danemark et l' Allemagne à la fin du XIXèm, siècle, le Japon en 1905. 
  
Fournisseur officiel de la reine Victoria depuis l895, Thomas Lipton est anobli, le 18 janvier l898, pour son action envers les associations caritatives. 


La même année, "Sir Tea" ouvre le capital de sa société au public. Une victoire lui a néanmoins échappé: celle de l'America's Cup. A bord de son voilier, le Sharmrock dont il construisit le premier modèle -réduit! -à onze ans et dont le nom signifie "trèfle", symbole de l'Irlande (pays que ses parents ont dû fuir au moment de la famine), il participera à cinq courses, sans succès. Ou presque, puisque le maire de New York le surnommera "le meilleur perdant du monde du sport". Intuition ou volonté de séparer les genres, ''l' empereur du thé" n'apposera jamais la marque Lipton sur ses cinq Sharmrock.    

 

     

 

 

 Ses affaires, elles, prospèrent. Si l'on doit à un quaker, John Horniman, la vente au détail du thé en paquets fermés dès l826 et à Thomas Sullivan, marchant de thé à New York, l'invention en 1904 du premier sachet de thé, alors distribué comme échantillon, Lipton est le premier à vendre le thé dans des boîtes et à indiquer sur l'étiquette, dès 19l0, la méthode à suivre pour bien infuser! On ne parle pas encore de sponsoring quand Lipton est partenaire de la première coupe du monde de football, en 19l0. Le prix ? La coupe... Lipton.     Changement de cap pour la société quand, affichant pour la première fois de piètres performances en 1925, elle passe aux mains de deux puissants groupes, Van Den Bergh et Meadow Diary. Elle perd son fondateur en 1931 et entre en 1938 dans le giron d'Unilever, du moins pour sa partie nord américaine (Etats-Unis et Canada). Ce n'est qu'en 1972 que les filiales, présentes dans les autres pays, rejoindront le groupe anglo-néerlandais. 

 

       

 

 Les leviers du développement    

 

N'en déplaise aux partisans du pluralisme, le monde se divise en deux! D'un côté, les buveurs de thé, de l'autre, ceux fidèles au café. Si les Français se rangent dans la deuxième catégorie, ils ne sont pas pour autant insensibles au plaisir du thé. C'est en 1920 que la marque s'im- plante dans l 'Hexagone: elle est alors commercialisée en vrac dans des petits paquets de 25 et 50 grammes. Mais la consommation ne décolle vraiment qu'à partir des années cinquante avec Lipton Jaune vendu en sachet individuel dès 1956.       

 

 
  
 
 
 
La légende de la découverte du thé 
2737 avant JC, l'empereur Shen-Nung se repose près d'un arbre quand quelques feuilles tombent dans son bol d'eau chaude. Il en boit et découvre que ce breuvage éclaircit son esprit, clarifie ses idées. La légende rapporte qu'il serait resté sept ans sous le théier à boire du thé ! En usage dans la médecine chinoise au IVème siècle avant JC, le Japon le découvre en l'an 800. Après avoir séduit les Arabes, les Perses et les Mongols, le thé arrive en Europe au XVIII.ème. Le thé est la deuxième boisson au monde après l'eau. 
  
La marque entre dans le giron d'Unilever en 1972 et fusionne avec la Société des Thés Eléphant en 1977 au sein de Fralib (Française d'alimentation et de boissons), filiale du groupe anglo-néerlandais (2). La même année, Lipton communique pour la première fois sur le petit écran et présente, sur des plateaux d'argent, la nouvelle gamme Lipton of , London, commercialisée dans des boîtes métalliques. 
  
 
  
 
  
En 1982, deux amis dégustent, "comme aux Indes", Lipton of London Orange Windsor, servi toujours chaud. Toujours ? Plus nécessairement depuis qu'en 1980 la marque ! Lipton Jaune suggère de boire le thé "glacé" après une promenade à cheval, par exemple, comme en témoigne la publicité les cavaliers. C'est encore glacé que Pierre Barth ès offre en 1985 Lipton Yellow "le thé classé première série" à ses amis, après un match de tennis. La j marque jaune quitte le salon et le "tea I time" pour de nouveaux moments et ! lieux de consommation et un horizon ( international, depuis qu'en 1982 Lipton I Jaune devient Lipton Yellow. Reste que, boire Lipton glacé nécessite d'abord de le faire chauffer, d'avoir des glaçons et de mélanger, le tout dans une carafe. En 1984, la marque décide de faciliter la vie du consommateur et lance Liptonic, thé glacé pétillant aromatisé au citron vert, en canette 33cl. 
  
Afin de promouvoir ce nouveau produit, Lipton préempte le territoire du sport avec Pierre Barthès (de 1987 à 1992) et Jimmy Connors (de 1992 à 1995). En 1995, pour séduire les jeunes et s'identifier aux soft drinks, Liptonic surfe sur les vagues. L'humour se met de la partie quand Eric Cantona est mis en valeur sur un terrain qui n'est pas le sien: le golf. Grâce à Liptonic, le célèbre joueur de football transforme un échec en exploit: "Liptonic, ressource- toi! T'as pigé ?"
 
 
 
  
  
 
  
De la tasse à la canette
 
  
  
Produit fondateur du marché du thé glacé, prêt à boire, en France, Liptonic n'est que l'adaptation française d'un mode de consommation américain. C'est aux Etats-Unis que le thé glacé est né par hasard quand, en 1904, lors de la 25 Foire de Saint-Louis, un vendeur de thé, - Richard Blechynden, importuné par une vague de chaleur, n'arrive pas à séduire le chaland. Assoiffé lui-même, il décide de se désaltérer en mettant des glaçons dans sa tasse! 
  
 
  
Mais il faut attendre 1972 pour que la première canette Lipton's Iced Tea fasse son apparition aux Etats- Unis. Vingt ans avant le lancement en France, en 1993, de Lipton Ice Tea, thé glacé plat, aromatisé à la pêche, au citron, et à menthe, commercialisé en brique d'un litre.
 
  

En sept ans, cette boisson s'est hissée de la sixième à la troisième place des marques de soft drinks en France avec 117 millions de litres vendus en 2000 (500 millions en Europe).
  
 
  
Une progression à mettre au compte de plusieurs facteurs. Au carrefour des eaux minérales, jus de fruits et soft drinks, le thé glacé offre les mêmes bénéfices de rafraîchisse- ment, de naturel et de plaisir. Depuis le début des années 90, le comportement des consommateurs a évolué comme en témoigne une plus grande consommation de boissons non alcoolisées qu'alcoolisées, froides que chaudes et plates que gazeuses. De 1992 à 2000, le marché français du thé glacé est ainsi passé de 32 à 156 millions de litres. Mais les Français ne consomment que 2,5 litres de thé glacé par an et par habitant (0,6 litre en 93) quand les Allemands en consomment 8 litres, les Italiens, 9 litres et les Suisses, 30 litres. Le marché est donc ouvert et l'innovation, deuxième facteur du succès de la marque, vient répondre aux attentes, que se soit sur le plan du format que du parfum : Lipton Ice Tea lance ainsi l'étui poudre (1994), la boîte 33 cI et la bou- teille PET 2 litres pour séduire les jeunes (1995), le PET 50 cI. (1996), le parfum framboise (1997), la briquette de 20 cI pour le goûter et la récréation ( 1999), Lipton Ice Tea Light (à la pêche), premier thé glace light à moins d'une calorie par verre (2000). 
  
 
  
Signe que la marque Lipton Ice Tea devient une marque ombrelle (3), est lancé en mars 2001 pour désaisonnaliser les ventes de thés glacés, aujourd'hui très concentrées sur l'été, Lipton Ice Tea Thé Vert Tchaé, (Tcha signifie thé au Japon et en Inde). Autre facteur du succès: la visibilité et la disponibilité de la marque dans un marché où l'achat d'impulsion est important. Après une première campagne montrant une famille découvrant ce nouveau produit " enfin, du nouveau sous le soleil"), la marque promène l' acteur Tom Selleck jans le désert australien (de 1995 à 1998). Retour en France, en 1999 avec Eric Cantona s'illustrant au golf et au water-polo : "Lipton rafraîchit le corps et l'esprit." Humour, toujours quand, en 2000, une équipe de basket débarque d'avion et découvre que ses bagages ont été échangés avec ceux d'une troupe de majorettes. Une gorgée de Lipton et le moral revient! Autre vecteur de communication : la rue. En 1997 est lancé le programme "peindre la France en jaune" pour aller à la rencontre du consommateur de plus en plus nomade, dans les cafés, bars, hôtels, club de sport et salons de coiffure. 
  
 
  
 
  
Plus de 30 000 points de vente sont ainsi habillés et animés aux couleurs de la marque. Et, pour mieux répondre à cette consommation ambulatoire, Lipton lance, en 2001, une bouteille en verre de 25 cl Lipton Ice Tea Pêche avec un bouchon "twist off" refermable. Si Liptonic -devenue Lipton Ice Tea Liptonic en 2001 - et Lipton Ice tea sont présents en distribution automatique sous forme de canette, il n'en est pas de même de Lipton Yellow et du thé chaud en général, excepté sous la forme de poudre. 
  
 
  
Un marché longtemps négligé car les consommateurs estimaient que le thé était de mauvaise qualité., Cette mauvaise réputation appartient au passé puisque Lipton s'apprête à lancer, sur le plan international, après la France, le thé Lipton en boisson chaude en distributIon automatIque. La marque joue également la carte de la proximité avec les jeunes. Lipton est ainsi partenaire, depuis deux ans, de la Fête du Vélo qui se tient les 2 et 3 juin dans plus de 300 villes de France (site lafeteduvelo.com). Elle inaugure, en 1999, une tournée des plages, de Menthon aux Sables d'Olonne avec stands de dégustation, démonstration de vélo trial et prêt de VTT aux estivants. 
  
 
  
Elle propose également, depuis 2001, près de six cents balades et randonnées sur le site loisir-soutdoor.com.Lipton. 


De 1993 à 1998, Liptonic a parrainé le Grand Prix des jeunes de la fédération Française de tennis (9-16 ans). En 1998, Liptonic est le sponsor officiel de .'L'Open Tour Liptonic Dunlop", qui organise plus de 700 tournois de tennis amateurs, soit plus de 150000 joueurs.  

  
  
 
  
 
  
 
  
L'effet Lipton 
  
Si le marché des soft drinks est une priorité pour Lipton, la marque n'oublie pas pour autant ses origines ni celles et ceux qui continuent de préparer leur thé en théière et représentent 41% des buveurs de thé. Produit naturel, sain et convivial, le thé bénéficie de l'évolution des habitudes alimentaires. En 1988, un consommateur sur sept buvait du thé au petit déjeuner, ils sont un sur quatre en 1999. I, 40% des consommateurs l'apprécient au petit déjeuner, 60% l'après-midi et 30% à en soirée.
 
 
 
  
  
 
  
Pour séduire des consommateurs plus jeunes et plus masculins, la marque se lance à l'eau en 1998 avec le témoignage d'un skipper en mer: "moi, avant, je pensais que le thé c'était juste de l'eau chaude. Mais Lipton Yellow, c'est bien plus que ça. Ça se diffuse en toi et ça te relaxe, et après.. ça te stimule, ça te remet au meilleur de ta forme, et pour longtemps. C'est ça l'effet Lipton Yellow." La marque joue également sur l'innovation produit. Afin de donner aux feuilles de thé plus d'espace pour infuser dans la théière, Lipton Yellow pro- pose, depuis 1999, le sachet "Pyramid", de forme...pyramidale (4). La gamme premium Lipton of London et ses huit thés parfumés (5) change de nom en 1990 pour Sir Thomas Lipton. Pour la première fois, "L'Empereur du thé" apparaît sur les écrans en 1992. Sur fond d'images d'archives, une saga nous décrit, de 1992 à 1998, la route du thé et le rôle que Sir Thomas Lipton a joué dans la démocratisation de sa consommation: "entrez [ans la légende de Sir Thomas Lipton, le gentleman du thé." En 2000, c'est à travers la presse que J .Walter Thomson ) prolonge cette saga avec les fameux carnets de voyages de "Sir tea", Objectif : montrer d'authentiques cueilleuses et rieuses de thé pour retrouver les sensations multiples du monde du thé. 
  
Le thé, une boisson relaxante et stimulante 
  
 
  
Lipton, partenaire du Su.Vi.Max. (cf Revue des Marques no32, octobre 2000) entreprend des études pour mesurer les relations entre la consommation de thé, la qualité de la santé et la prévention des maladies cardiovasculaires. le thé contient de puissants antioxydants appelés flavonoïdes qui contribuent à protéger le corps contre les "radicaux libres" de l'oxygène. 


Ceux-ci abîment les cellules et sont notamment issus de l'environnement (rayons ultraviolets, stress, pollution, etc.). les antioxydants du thé sont quatre fois plus actifs que la vitamine Cet que la vitamine E. le thé vert est naturel, diurétique et riche en fluor, ce qui aide à lutter contre les graisses, les caries et le vieillissement. la théine est un stimulant naturel présent dans le thé . théine et caféine sont les deux noms donnés à une même molécule présente dans le thé et le café en quantité différente, moitié moins pour le thé.    

 

Lipton, la quatrième marque de boissons dans le monde

     Paradoxe: Lipton, marque anglaise, n'existe pratiquement pas dans son pays d'origine! "N'existait" devrait-on dire, puisque la reconquête de l'île est programmée avec Lipton Ice Tea et Lipton Tchaé. Présente, aujourd'hui, dans cent- vingt pays, c'est aux Etats-Unis que la marque a le plus de spécificités (6).80% de la consommation se fait sous la forme du thé froid: on prépare du thé brûlant et on le refroidit sur des glaçons. Depuis le lancement de Brisk, en 1944, Lipton a multiplié les gammes aussi bien dans le domaine des thés noir ou vert que dans celui des prêts à boire.    

 

 

     

 

Citons, dans la première catégorie, outre Lipton "Brisk" Tea, Lipton Iced Tea Brew, Lipton Decafeinated Tea (le premier thé décaféiné lancé en 1983), Lipton Loose tea, Lipton Iced Tea Mix (en poudre), Lipton Green Tea. Dans la deuxième catégorie, Lipton propose Lipton Brisk et Lipton ' s Iced Tea en neuf variétés, Lipton Cold Brew Blend qui infuse dans l'eau froide et Lipton Soothing Moments Herbal Tea (12 variétés) à partir de fleur, herbe et fruit. Certaines marques sont France: Lipton Sun Tea, lancé en 1997, correspond, en France à la marque Eléphant (7), Liptonice est équivalent à Liptonic, la gamme infusion Secret Garden se dit Saveurs du soir en France. 

 

    

 

  Si cette diversité en terme de goût répond aux particularismes locaux, Lipton entend néanmoins faire de Lipton Yellow Label et de Lipton Ice Tea, ses deux piliers à l' international. Pour preuve, la nouvelle identité visuelle, signée Dragon Rouge en 2001, pour Lipton Ice Tea. Même tendance en terme de communication avec des slogans communs aux pays -"Lipton, the sign of good taste", "Lipton calm you down, pick you up" -et des univers qui rappellent la jeunesse, le dynamisme, le bien-être dans un milieu socialisé, non intimiste .Mondialisation de l'économie et conquête de cibles jeunes (8) obligent, pour la première fois dans son histoire publicitaire, Lipton opte en 200 1 pour une campagne mondiale commune au thé chaud et au thé froid, Lipton Yellow Label et Lipton Ice Tea, sur le thème "be alive".
  Boisson relaxante et stimulante, le thé pro- cure une sensation de bien-être : avec Lipton, la vie s ' éveille!    

 

     

 

Traduction par l'image: après dégustation d'une canette, un animal s'anime et découvre la vie sur la chanson de Patrick Hernandez "Born to be alive". Où l'on découvre un petit chien "nodding-dog" buvant sur la plage arrière d'une voiture du Lipton Ice Tea, se transformer en conducteur et finir la soirée sur la plage en compagnie d'une blonde. Pour Lipton Yellow, un King Kong danse sur un piano et finit sur le toit de l'Empire State Building. Symbole du Nouveau Monde que Thomas Lipton découvrait, jeune et l'esprit…animé.    

 

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La saga des marques - Lesieur -

Publié à 10:44 par acoeuretacris Tags : marques
LESIEUR, ET LA GOURMANDISE N'EST PLUS UN PECHE 
 
 
 
Marque préférée des Français* avec un taux de notoriété de 99% Lesieur est en 1998,le leader français des huiles avec 40% du marché. Lesieur où quand l'huile n'est plus seulement synonyme de pureté mais aussi de saveur.

* Privilège partagé avec Danone selon un sondage TMO (1996)
 
 
" Le public auquel on rabâche sans cesse les noms des plus obscurs politiciens ignore presque complètement ces belles figures de grands constructeurs, de grands créateurs". Toujours d'actualité, cette réflexion, signée Henri de Kérillis, paraît dans L'Echo de Paris (1) du 24 novembre 1931. Georges Lesieur vient de mourir à 83 ans. Et la marque d'huile qui porte son nom depuis mars 1923, ne jouit alors que d'une notoriété locale, essentiellement dans le nord de la France. Aujourd'hui, leader français des huiles alimentaires, Lesieur a, dès sa création, une préoccupation cardinale: "la quête de la pureté pour être la meilleure huile du monde", rappelle François Attali, directeur marketing Lesieur Alimentaire. Berceau de la marque : 
 
 
 
 
 
Coudekerque, dans la banlieue du port de Dunkerque, alors troisième port arachidier français derrière Marseille et Bordeaux. Georges Lesieur a déjà un long passé d'industriel quand il jette son dévolu sur cette ville. Entré, en 1863, comme employé de commerce dans la société pétrolière Desmarais, il en devient, vingt ans plus tard, co-gérant. Entreprise qu'il quitte en 1908 au moment où elle se diversifie dans la production d'huiles alimentaires! La raison ? Les actionnaires ne veulent pas de la présence de ses trois fils, Maurice, Paul et Henri. Georges Lesieur, homme de "clan" tenait à associer étroitement sa famille à la direction de l'entreprise (2). Aussi est-ce avec ses fils et pour eux qu'à 60 ans, il se lance en 1908 dans l'aventure. Son ambition ? Bâtir un groupe d'huileries, industrielles et alimentaires. La société "Georges Lesieur et ses fils", fondée en 1911, a donc pour objet social "la fabrication et le commerce des huiles végétales et des produits qui en dérivent" ainsi que "le raffinage et le commerce des huiles et essences minérales et des produits qui en dérivent" (3). Et c'est : avec un de ces derniers, le savon à la marque "Père Savon", que Georges Lesieur découvre la consommation de masse. 
 
Lesieur, première huile de marque 
 
"I1 semble que ce soit au début de l'an née 1922 que les dirigeants de Lesieur aient évoqué pour la première fois la question du conditionnement de l'huile", mentionne Tristan Gaston-Breton (4). Alors commercialisée sans appellation (5) et en vrac - des fûts de bois consignés et dont la contenance varie de 50 à 200 litres -, l'huile est, comme le lait, versée par l'épicier dans un récipient apporté par le consommateur ! Et ce dernier détermine son choix en fonction du prix. Ce qui n'est pas sans inquiéter Georges Lesieur : "la situation des huiles au point de vue commercial est aujourd'hui terrible. Quel que soit le prix que nous consentons, nous trouvons toujours devant nous un concurrent faisant meilleur marché"(6). 
 
Dans la famille Père Savon...
 
Le père du célèbre "Père Savon" ? Georges Lesieur ! Il n'en est pas à sa première tentative. Ses marques, "Notre-Dame de l'Océan" et "Notre-Dame de Capelle", lancées en 1911, ont cependant une connotation géographique et culturelle trop marquée. L'origine du mot Persavon proviendrait de "Père Savon", surnom donné au responsable de la fabrication de savons de la société Lesieur. Commercialisé à la fin de l'année 1922 - la marque ne sera déposée qu'en 1949 -, sous la forme de pains de 300 à 500 grammes, sans emballage et en caisse en bois, le "Père Savon" est vendu l'année suivante en boîte individuelle cartonnée. L'heure de la grande consommation a sonné ! La gamme s'enrichira, pour peu de temps, avec le "Frère Savon" et la "Sœur Savon", ces deux marques vite abandonnées. Rebaptisée "Persavon" en 1950, la marque conçue pour les soins corporels et le lavage des linges et présentée dans un étui de deux morceaux de 400 grammes servira de base à une autre marque "CDK" (abréviation de Coudekerque} qui marque l'arrivée de Lesieur sur un nouveau marché, celui des lessives, commercialisées à partir d'avril 1952 et stoppées en 1955 face à la concurrence de Procter. Persavon passera dans les mains de Colgate avant d'appartenir, depuis 1991, aux Savonneries Bernard. 
 
Le conditionnement en bidons métalliques et en bouteilles existe déjà, utilisé par les fabricants marseillais d'huile d'olive. Georges Lesieur le sait qui, lors du dépôt du logo en 1909 - quatre losanges rouges -, spécifie que l'emballage peut se faire "en boîtes métalliques, en bidons, en fûts et en bouteilles et flacons". Mais jusqu'au début des années 20, la société Lesieur s'en tient au fût! Raisons avancées par Tristan Gaston- Breton: "la réticence de Georges Lesieur à se tourner vers la consommation de masse et les traditions culinaires du nord de la France, zone traditionnelle de la cuisine au beurre quand le sud, grand consommateur d'huile d'olive, est plus sensible à l'emballage léger et plus réceptif à la notion de marque". 
 
Une double valence
 
"Produit instrumental et alimentaire, l'huile a, dans l'esprit du consommateur, une double valence : produit gras, il a une image négative. Produit essentiel pour la santé, il a une image positive", explique François Attali. Autre particularité de ce produit et non des moindres! Son mauvais goût ! "Quand l'Europe du sud privilégie la saveur, l'Europe du nord va, tout au long du XXème siècle, la neutraliser. Et Lesieur sera la première marque à vendre, grâce au raffinage, une huile sans goût, sans dépôt, digeste et pure". La marque va également se singulariser par ses innovations en terme de packaging. La première bouteille de marque en verre, c'est Lesieur qui, en 1924, met l'huile d'arachide à la portée du consommateur. "De fait, la marque signe le passage du vrac au produit individuel, emballé et signé du nom de son créateur", rappelle François Attali. Seul dans le secteur huilier de l'époque, le groupe réalise les opérations d'embouteillage, d'étiquetage et de capsulage des bouteilles, fabriquées par la verrerie Souchon-Neuvesel. 

Il est une période où Lesieur abandonnera sa politique de marque et la vente de l'huile en bouteille de verre pour un conditionnement de nouveau en vrac et en fût: Vichy, entre 1940 et 1944. La première bouteille non consignée en plastique ? Lesieur, en 1963. La société assure non seulement le conditionnement mais aussi, et c'est nouveau, la conception et la fabrication de l'emballage. 

Lesieur est alors le premier industriel dans le monde à utiliser l'emballage en PVC pour le conditionnement des liquides alimentaires (7). La première bouteille en PET ? Lesieur, toujours, en 1985. La première bouteille avec un bouchon bec verseur ? Lesieur encore, en 1997. La marque fête cette année-là ses 70 ans! Sa vocation n'a pas changé. 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
On peut la lire dans la première publicité signée en 1926 par l'affichiste Carlier : "une seule qualité: la meilleure", affirme un épicier portant triomphalement la bouteille Lesieur avec, en arrière-plan, les usines de Coudekerque et le logo. La campagne publicitaire lui fait écho : "L'huile Lesieur vous apporte la pureté jusque sur votre table". Et Lesieur d'inaugurer une forme de promotion originale: sous la capsule de la bouteille est gravée l'une des lettres composant les mots "huile Lesieur". A ceux qui obtenaient les deux mots complets étaient adressés un colis d'échantillons d'huile et des jouets ! "Cette quête de la perfection n'est pas sans incidence sur le plan marketing", explique François Attali. 


"Jusqu'aux années 1990, on se devait de mettre sur le marché "la" meilleure des huiles, supérieure à toutes les autres. Le marché, alors monolithique, privilégiait les contraintes instrumentales au détriment de l'axe alimentation. Ce n'est pas l'image positive de l'huile qui est valorisée puisque tous les efforts sont dirigés pour conjurer l'image négative de l'huile. Le mot d'ordre est alors d'éviter que l'huile ne soit mauvaise". Et ce, quelles que soient les modes: arachide ou tournesol. 

 
Lesieur, première huile de marque 
Flash back. 1945. "Privée de l'essentiel de son appareil productif, la société Lesieur se trouvait, au lendemain de la guerre, dans l'incapacité de reprendre ses fabrications en métropole. Une situation qui aurait pu être dramatique sans la présence des établissements africains, dont la construction avait été décidée dans les derniers jours de 1940" (8). 

Ce "pari africain", que n'ont pas relevé les huiliers marseillais place Lesieur au premier rang des fabricants d'huiles de marque parmi quelques 1300 établissements. La société renoue avec sa politique de marques comme en témoignent l'huile d'arachide Lesieur, l'huile de colza à la marque Alba et l'huile d'olive, Bel Canto. Parallèlement, l'entrée à la Bourse de Paris en 1951 signe l'abandon de la structure familiale pour celle d'un grand groupe (9). Aux commandes, Paul Lesieur, président du conseil d'administration et du comité de direction jusqu'en 1966. Le groupe représente alors 75% du marché français des huiles de marque dont 48% pour la seule huile Lesieur, loin devant Huilor (13%) et Salador ! Une prépondérance obtenue grâce au contrôle d'un certain nombre de sociétés huilières avec lesquelles le groupe était lié depuis les années 50 et qui lui permet de" sortir" du marché des marques concurrentes (10). Avec une production annuelle de 125 millions de litres, Lesieur était alors non seulement le premier fabricant français d'huiles alimentaires, toutes catégories confondues, mais également le premier huilier européen, Unilever fondant alors sa politique sur la margarine. Et la publicité de renchérir: "Avec Lesieur, c'est trois fois meilleur". 

La décennie 60 est également riche en événements pour le groupe qui décide de se renforcer dans le secteur des corps gras avec le lancement d'une mayonnaise, tout en se diversifiant, par croissance externe, vers l'agro-alimentaire et les détergents. 
 
La pureté, du sol au plafond 
 
C'est en 1967 que le groupe Lesieur opte pour la diversification en prenant une participation majoritaire dans la société Garbit ("c'est bon comme là- bas, dit !"), première devant Buitoni avec plus de 50% du marché des plats préparés, pizzas, paëllas, couscous). la même année, une filiale commune est créée avec Cotelle et Foucher. Une diversification dans les détergents, néé du hasard: Michel Marotte, président de Cotelle et ancien directeur de l'usine Lesieur à Casablanca, requiert alors le soutien de Lesieur pour contrer une tentative de rachat. A l'époque, Cotelle et Foucher représente 70% des ventes totales d'eaux de Javel en France (marques Javel et la Croix), 51% des détergents liquides (Mir, Rex, Mir Rose), 9% des poudres à laver (Comète, Super Croix, Crio), 9% des poudres à récurer (Bref). Une filiale commune, Lesieur-Cotelle, est créée en 1968 tandis que les sociétés Georges Lesieur et ses Fils et Cotelle et Foucher se transforment en société de portefeuille sans activité directe. Répartition des titres: 69 ,33% pour Lesieur, 30,67% pour Cotelle. En 1970, Lesieur Cotelle prend une participation de 20% dans Henkel France, numéro deux européen des détergents. En 1978, Lesieur lance un nouveau concept d'utilisation des détergents: le pistolet pulvérisateur, sous la marque Altor, qui devient nettoyant pour vitre en 1979. Durant les années 80, Lesieur-Cotelle propose Rex Citron, la Croix WC et Minidou. Fin de la diversification dans les produits d'entretien en 1987. 
 
Revers de la médaille: dans le domaine des huiles alimentaires, Lesieur, avant tout synonyme d'arachide, est touché par une crise à la fin des années 60. Conséquence d'une sécheresse dans les pays producteurs (Sénégal, Niger et Nigéria), les cours mondiaux flambent quand, en France, les prix de ventes sont bloqués! De surcroît, les huiles de tables de colza et de tournesol font une percée. C'est un an après Astra Calvé (Unilever) et sa marque Fruit d'or (11) que Lesieur lance en 1970 l'huile de tournesol sous la marque "Auréa". C'est un échec! La marque Auréa n'a ni la notoriété, ni la réputation de la marque Lesieur ! De surcroît, la campagne publicitaire est bien pâle face à celle de Fruit d'or et du professeur Tournesol! Au milieu des années soixante-dix, Auréa détient 13% du marché face aux 40% de Fruit d'or. Les années 70 sont également celles qui voient la fin du contrôle exclusif de la famille. 
 
 
 
Quand certains sont partisans d'un rapprochement avec un groupe industriel, d'autres choisissent la banque, en l'occurrence, la Banexi (Banque pour l'expansion industrielle) et filiale de la BNP. En septembre 1972, la Banexi détient 25% du capital et la famille Lesieur 26%. "La BNP va jouer un rôle déterminant dans la réorientation stratégique de Lesieur marquée par un recentrage sur les métiers de base", rappelle Tristan Gaston-Breton. La même année, Lesieur est la première marque à se doter d'un service consommateur. En 1973, les plats cuisinés (SapaI) sont cédés à Panzani Milliat Frères (12). 
 
 
 
L'objectif est alors de couvrir tous les segments du marché de l'huile avec, en 1976, le lancement de deux huiles Lesieur (maïs et olive) et le label "Lesieur" apposé sur l'huile de tournesol Auréa. Toujours sous l'égide de la BNP, Lesieur entend devenir, à la fin des années 70, un pôle de regroupement de l'industrie alimentaire tout en abandonnant la dimension "franco- française" et la stratégie africaine: Le groupe acquiert, en 1979, l'Omnium de Participation agroalimentaire des Etablissements William Saurin et des Etablissements Dagousset ( condiments, sauces et vinaigres) et la Française Alimentaire (dont Végétaline) en 1981. Dans le domaine de l 'huile, Lesieur joue la carte espagnole, deuxième rang européen pour la consommation d'huile alimentaire et acquiert 50% de Salgado ( 4ème huilier espagnol) en 1978 et 50% de Koïpe (nO3) en 1980. La décennie suivante sera celle des turbulences. Elle est d'abord marquée par le retrait de la 3ème génération: président de la société depuis 1966, Michel Lesieur, atteint par la limite d'âge, quitte la présidence du groupe en 1982 et cède son siège à Guy de Brignac. La même année est scellée une alliance entre Lesieur et le groupe sucrier Saint.- Louis Bouchon sous forme de prise de participation réciproque (13). 
 
 
 
Cette décennie est également celle où Lesieur et Astra-Calvé rivalisent à coups de lancement de nouveaux produits. Coup d'envoi, en 1984, quand la France se pliant à la réglementation européenne, autorise le conditionnement rectangulaire de la margarine et non plus en cube (format fixé par une loi de 1897 qui voulait la distinguer du beurre). Lesieur lance, à sa marque, une margarine au tournesol et une pâte à tartiner quand Astra Calvé modifie le conditionnement de ses margarines (Astra, Planta, Epi d'or et Fruit d'or). Sur le front de l'huile, pas de répit! Le groupe Astra lance en avril 1985 une huile d'arachide Eclat d'Or sous l'appellation "deux fois raffinée" qui améliore le goût et prolonge sa conservation. Un mois après Astra, Lesieur lance une huile d'arachide "deux fois raffinée" suivie d'une huile de tournesol elle aussi "purifiée deux fois" : avec cette dernière huile Lesieur parvient à éliminer totalement les cires provenant de la graine de tournesol. Et c'est pour bien distinguer les protagonistes que l'agence Dupuy et Saatchi signe en 1985 le slogan publicitaire "Pas d'erreur, c'est Lesieur". Des études de marché ont en effet montré qu'un grand nombre de ménagères (46% ) achètent les produits Astra en croyant acheter les produits Lesieur. 
 
 
 
Le groupe italien Ferruzi, lui, ne se trompe pas quand, en 1986 .la marque vient de lancer le slogan " je veux tout " -,il convoite Lesieur. Réponse du groupe: une OPE Lesieur Saint.Louis Bouchon, le 20 novembre 1986.
Saint-Louis, alors deuxième actionnaire (14%), derrière la Banexi (20%) mais devant la famille Lesieur (9%) et l'UAP (6%), contrôle à l'issue de l'opération 95% du capital de Lesieur. L'objectif de Bernard Dumon, président de Saint-Louis Bouchon et de Lesieur entend créer, face à BSN, un nouveau pôle agro-alimentaire. Aussi décide-t-il la vente à Henkel des activités produits d'entretien Lesieur Cotelle en juin 1987. 1 Un choix qui provoque alors la démission de Michel Lesieur alors président d'honneur de la société et de celle de son frère, Georges, administrateur. Nouvelle offensive en octobre 1987 : Ferruzi, (qui détient depuis 1985 le sucrier Béghin-Say) intéressé par la branche corps gras de Lesieur, lance un raid sur 6,.3% du capital de Saint Louis puis 13,9% en décembre 1987. Le 18 février 1988, le conseil d'administration de Saint Louis, soucieux de mettre le groupe à l'abri d'une prise de contrôle de Ferruzi, décide de vendre la branche corps gras de Lesieur (huiles, mayonnaises et sauces, margarine Excel et la filiale espagnole) à Béghin-Say. "Cette vente témoigne de l'échec des ambitions agroalimentaires de Saint Louis qui s'ampute alors de 40% de son chiffre d'affaires", conclut Tristan Gaston-Breton. Lesieur qui représente alors 31% du marché des huiles alimentaires en France et 25% en Espagne, passe sous le contrôle d'Eridania.
 
 
 
 
De l'huile aux huiles 
 
L 'heure est au recentrage sur la vocation première de la marque: l'huile. Symboles du renouveau: l'essor de l'huile d'olive et le lancement, en 1990, de I 'huile Isio 4 (4 pour quatre huiles : tournesol, soja, pepins de raisins et oléisol), dans une bouteille à la forme inédite. "Elle répond à un changement de la perception de l'huile par le consommateur", souligne François Attali. "La grande mode du "Iight" est derrière nous qui rend possible le retour de la dimension "gras" du produit. Mais le vrai changement trouve son origine dans le retour du sacré et la quête du sens. Or, l'huile, fruit de l'olivier, n'est- elle pas, dans la culture judéo-chrétienne, le symbole de vie, de prospérité et de joie mais aussi de lumière et de pureté ? .Il n'est pas un sacrement chrétien qui ne se déroule sans l'huile". Traduction marketing: l'essor de l'huile parfumée qui, chez Lesieur, a pour nom "Le jardin d'Orante", une gamme de quatre huiles "gourmandes" et sa signature "on ne peut plus se passer de saveur" .Le marché, longtemps monolithique -une seule huile multi-usage - offre aujourd'hui une pluralité de goûts. Traduction publicitaire: "Faites-vous du bien". Ce slogan, lancé en 1996 par l'agence CLM, quand le contexte économique portait plutôt au pessimisme, avait un double sens: la quête du plaisir et la santé du corps. "Une polysémie qui traduit un choix d'alimentation et un choix de vie", explique François Attali. Et c'est peut- être pour "se faire du bien" que Lesieur et Astra enterrent la hache de guerre en 1998. Un échange d'actifs clarifie les territoires de chacun : Lesieur cède Végétaline à Astra quand ce dernier lui apporte son secteur huile de graines (marques Fruit d'or, Epi d'or, Equilibre et Frial). 90 ans après les débuts de l'aventure, Lesieur confirme sa vocation d'huilier. 
 
Lesieur, une marque "partagée" 
 
Comme la marque Gervais, partagée entre Nestlé et Danone, Lesieur, marque d'huile est aussi une marque de condiments, aux mains de Bestfoods (ex.CPC) depuis 1995. C'est en 1960 que Lesieur lance une mayonnaise "toute préparée" à la marque Lesieur pour concurrencer la mayonnaise Bénédictin (future Bénédicta du groupe Astra- Calvé), une gamme de sauces émulsionnées Béarnaise, Tartare, en 1980 et les premières vinaigrettes prêtes à consommer en 1986. C'est sur les terres du même Astra- Calvé que Lesieur chasse, en 1963, avec la margarine Lesieur. 
 
 
 
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1) Lesieur, une marque dans l'histoire, 1908-1998, par Tristan Gaston-Breton, Edition Perrin, 1998. Page 44.
2) op cit p.41
3) Georges Lesieur détient 58.6%, Maurice Lesieur 16.6%. En 1924, la société devient une société anonyme avec pour actionnaires, Gearges Lesieur (16.3%), Maurice (16.3%), Paul (16.3%), Henri (16.3%), Simone, sa fille (7.5%) et Pierre Laguionie, mari de son autre fille (7.5%). En 1926, Jacques Lemaigre Dubreuil, mari de Simone, entre au conseil d'administration.
4) op cit. p.100.
5) Dès octobre 1910, la société a néanmoins déposés les marques "Alba" et "Auréa" mais leur commercialisation n'est attestée qu'à partir des années 1920 avec l'huile de colza. Contrairement aux huiles alimentaires, les huiles industrielles étaient alors vendues sous deux marques "Hiberna" et "Centric".
6) op. cit. p.101
7) C'est aux Etats-Unis que l'emballage perdu ("one-way) fait son apparition au début des années 50 sous la forme du carton, du métal ou du polyéthylène pour la bière, l'huile et les produits d'entretien. En France, c'est la société Cotelle et Foucher qui montre la voie pour l'eau de Javel La Croix. Quelques temps avant Lesieur, Astra-Calvé avait mis sur le marché une bouteille plastique vite retirée car elle ne semblait pas répondre aux attentes du consommateur.
8) op.cit. p.192. Lesieur construit, sur les lieux de production de l'arachide, trois usines, à Dakar (oprérationnelle en 1943), Casablanca (1943), Alger (1948)
9) La famille conserve 80% du capital. Le conseil d'administration comprend alors six membres pendant les années 50 : Jacques Lemaigre Dubreuil de 45 à 54 (date de son assassinat) puis à partir de 1955, son fils Jean-Pierre, Jean Gaston-Breton, époux de Françoise Lesieur (fille aînée de Maurice Lesieur), Robert Lesieur (fils d'Henri Lesieur) et Georges Lesieur (fils aîné de Paul Lesieur).
10) Les Huileries Maurel en 1959 et les marques Rufiscin, Rufidor, Lutetia, Maurel, Supra et Samba. Seule marque conservée : huile de maïs Sablor. Les Huileries Pierre Marchand en 1963 et les marques Marchand, Banc-vert et Maisor.
11) Cf. La revue des Marques, n°14, avril 1996.
12) Acquise en 1969, la société Bretagne-Provence (4ème rang pour le concentré de tomates, 2ème pour les sauces tomates et les pâtes farcies en boîtes et 5ème rang pour les potages), fusionne en 1970 avec Garbit dans la Sapal (Société anonyme des produits Alimentaires).
13) Saint Louis porte sa participation de 5 à 10% en 1985 et la même année, les deux sociétés acquièrent, ensemble, 70% dans le groupe Guilbaud, premier producteur mondial de champignons.
 

La saga des marques - La vache qui rit -

Publié à 09:35 par acoeuretacris Tags : marques
 
 
La vache qui rit, Marylyn de la marque 
 
A près de soixante quinze ans, la Vache qui Rit poursuit sa brillante carrière et n'a jamais été aussi moderne. Leader des fromages fondus en France, elle s'est également fait une belle place à l'étranger. 
 
 
 
Première boîte en métal dessinée par Léon Bel en 1921. La Vache qui Rit n'est pas encore commercialisée en portions. 
 
Sa puissance graphique et l'attention qu'elle a portée à l'évolution des goûts des consommateurs sont, au regard des stratèges d'aujourd'hui, le minimum obligatoire pour maintenir sa suprématie. Mais l'humour ne serait-il pas aussi un actif à porter au bilan de son succès? Véritable Coca-Cola français, avec l'humanisme, l'histoire et la culture en plus, la Vache qui Rit sort grandie de ses efforts de constance et s'impose comme un des grands symboles de ce siècle. Tout en s'affirmant comme un produit "bien de chez nous", elle ne symbolise pas moins l'archétype de la réussite industrielle. Si l'intuition de Léon Bel compte pour beaucoup dans ce succès, la Vache qui Rit est d'abord un pari graphique. Industriel astucieux, il s'adresse à l'un des plus grands dessinateurs et caricaturistes de l'époque : Benjamin Rabier (1) réussira l'exploit de faire rire une vache! 
 
 
 
Avis de passage de la société Bel, avec en illustration l’usine de Lons, avant la création de La Vache qui Rit. 
 
Et pourtant... "Mon métier est plus difficile qu'on ne croit à exercer. Dessiner des bêtes, c'est l'enfance de l'art. Leur donner une expression triste ou joviale, tout est là. Or, si l'on peut dresser un chien à faire le beau, à sauter dans un cerceau ou à traîner une petite voiture, il faut une patience à nulle autre pareille pour le faire rire ou pleurer. Passe encore pour le chien, mais faire rire une vache! J'ai passé des nuits blanches pour y arriver. 

J'avais loué à mon laitier une vache et son veau. J'entrepris de suite le veau, pensant qu'il serait plus sensible, étant plus jeune. Et bien pas du tout. C'est la mère qui s'est mise à rire en première, heureuse de me voir jouer avec son enfant" déclarait celui que l'on surnommera "l'homme qui fait rire les animaux"(2).
Et le coup d'essai se transforme en coup de maître. Léon Bel parvient ainsi à concilier l'art et l'industrie, la réussite économique et la véritable identité de marque.
 
Parmi les grandes marques internationales, combien jouissent d'un tel capital de sympathie? La vache, symbole nourricier, maternel et chaleureux, est un animal joyeux et intimement lié à l'enfance tout court, mais aussi à celle de l'humanité. Sacrée en Inde, elle figure dans les grottes de Lascaux, et jalonne toute notre culture mythologique. 

Mais à y regarder de plus près, la Vache qui Rit est-elle encore une vache? Au-delà de l'imagerie populaire, elle a surtout introduit l'humour et l'achat ludique dans les linéaires. Elle est adorée des petits. Tout y concourt. Elle se croque ou se tartine avec un plaisir constant au fil des générations. "Elle subit toutefois la désaffection des adolescents. 
 
 
 
Comment rendre une vache humaine? 
 
Dans cette période de recherche d'identité, elle est momentanément rejetée comme symbole de l'autorité parentale. Devenus grands, ces mêmes adolescents renouent avec l'animal, au travers de leurs propres enfants" explique Isabelle Guilmain, responsable du marketing. Un transfert affectif sur lequel joue aujourd'hui la campagne télévisée. 
 
 
 
Benjamin Rabier esquisse en 1925 dans sa propriété de Faverolles 
 
 
 
La publicité et le don d'ubiquité. 
 
Peu de concurrentes à la hauteur de ses sabots 
 
La Vache qui Rit ne serait-elle pas en fait l'une des marques les plus remarquables du monde? Chauvinisme mis à part, on est bien en peine de lui trouver des concurrentes à la hauteur de ses sabots.

Son symbole est simple, immédiatement compréhensible. Son irréalisme fait sa force: une vache rouge au faciès plus humain qu'animal qui, comble d'absurde, rit et porte des boucles d'oreilles.

Il fallait une audace certaine à l'époque pour oser l'imposer. Audace toute calculée. Le choix de Léon Bel répond même à une analyse qualifiée aujourd'hui de stratégique. Pendant la Grande Guerre, la société fondée en 1865 par Jules, son père, voit arriver dans le Jura où elle est implantée, les frères Graf.

Ces fabricants suisses ont mis au point un procédé de fabrication du fromage fondu.
Ce nouveau produit est plein d'avenir: il permet d'écouler les meules excédentaires. Fabriqué à partir de comté et d'emmental de qualité, il permet d'obtenir une pâte savoureuse. Il est économique et se conserve aisément dans des boîtes métalliques.
 

Léon Bel pressent que le procédé des frères Graf représente une opportunité à saisir. Il sous-traite le procédé puis s'associe très vite avec les industriels helvétiques. 
 
 
 
Second conditionnement, la vache devient rouge sur fond de paysage. 
 
Merci Wagner, pour la Walkyrie ! 
 
Reste que le principe du fromage fondu est une nouveauté en France. Léon Bel doit imposer la qualité de son produit pour lui faire une place sur le grand plateau des fromages traditionnels. "A l'époque, on trouve dans les épiceries, "l'Excellent", "le Mignon", "le Guilleret", souligne Guillaume Villemot(2). Léon Bel choisit de vanter la caution naturelle de son produit, à base de bon lait de vache, gommant ainsi les doutes du consommateur sur sa fabrication. Il va donc au plus simple et décore sa boîte ronde d'un bovin rigolard planté dans un décor campagnard. Il la dessine luimême, reproduisant de mémoire une vache que Benjamin Rabier, un de ses coreligionnaires, a croqué pendant la guerre. Légendes, rumeurs et hypothèses entourent souvent la création d'une marque. 
 
 
 
La Vache qui Rit est désormais vendue en portions. 
 
Le nom "la Vache qui Rit" serait né grâce à la femme de Léon Bel. Interprétant au piano un extrait de la Walkyrie de Wagner, elle provoque un déclic chez son mari: la Vache qui Rit est née. Celle-ci, hilare, dessinée en pied, est déposée le 16 avril 1921. Elle évoluera très vite grâce à Benjamin Rabier, toujours lui. Il teinte la vache en rouge, l'humanise et la pare de boucles d'oreilles en forme de boîtes de Vache qui Rit. Surprenant, ce projet fera hésiter Léon Bel qui l'adopte finalement en 1922. Ce graphisme animera les boîtes de Vache qui Rit jusqu'en 1950 où son attrait faiblit. Elle est alors jugée vieillotte dans son dessin. Elle s'affine, s'humanise encore, simplifie son expression. Le traité illustratif disparaît, le dessin devient signe. Depuis lors, tous les grands esthéticiens de l'image se sont penchés sur la mine de cette drôle de vache, dont l'agence Lonsdale qui lui donnera sa forme quasi définitive. Aujourd'hui, elle évolue encore par petites touches, imperceptibles pour le consommateur, signe selon Claude Dubois, directeur de la division des fromageries de la Vache qui Rit, "qu'elle a atteint une sorte de perfection et donc une intemporalité". 
 
 
 
La Vache qui Rit au Louvre,
illustration publicitaire réalisée par l'agence Chavane, 1955.
 
 
Locomotive du groupe Bel 
 
Cette évolution exemplaire, malgré la tentative criminelle de publicitaires de faire disparaître la vache au début des années quatre-vingt, accompagne les progrès constants du produit lui-même. L'histoire de la Vache qui Rit est jalonnée d'innovations : les portions préfigurent l'ère du grignotage et des repas déstructurés et leur ouverture est simplifiée par la languette en 1988. Le goût change également. Il n'a aujourd'hui plus rien de commun avec le produit d'origine. Les portions ont évolué vers plus d'onctuosité, de douceur. "Selon de récentes études, la Vache qui Rit est le produit typique de l'an 2000" commente Claude Dubois. Sain, riche en calcium, c'est un produit universel, doux, fondant, au goût caractéristique. La Vache qui Rit n'est pas du genre à regarder passer les trains. Elle répond aujourd'hui à de nouveaux besoins avec une version allégée, la mini-crème, spécial tartine, La Vache qui Rit au chèvre, noix ou jambon, Magic Circus pour les tout petits et riquiqui, des petites portions à grignoter toute la journée.
 
 
 
 
Première affiche dessinée par Benjamin Rabier et imprimée par Vercasson, en 1925. En filigrane, les débuts de la publicité comparative. 
 
Lancée par Léon Bel, elle conserve un rôle de locomotive pour l'ensemble des marques du groupe Bel. On doit à Monsieur Bel cet intérêt pour ce que l'on nomme aujourd'hui la veille marketing.
Dès 1926, il crée un service de publicité intégré qui réalise des sondages réguliers auprès des consommateurs.
Dès sa naissance, la Vache qui Rit utilise tous les vecteurs de la communication. Sponsor d'émissions de radios, d'une course cycliste, "les six jours de la Vache qui Rit", elle a également ouvert la voie en matière de publicité comparative.
 

Elle investit aujourd'hui trente cinq millions de francs, soit un des plus gros budgets publicitaires français dans le domaine des fromages. Si elle a imposé sa présence en affichage et en télévision, elle continue à s'associer à de grandes manifestations populaires. Ou à en organiser : elle figure ainsi dans le Guiness Book des Records pour l'organisation de la plus grande fondue du monde, à Dôle en 1992. 

Au fil des campagnes, une conviction s'affirme. Les consommateurs aiment "voir" leur vache favorite. La Vache qui Rit a bien le droit de faire des caprices de star. Elle peut se permettre d'imposer sa trombine radieuse bien au-delà du couvercle de sa boîte, puisque telle est la volonté de ses fidèles. 
 
 
 
Dès sa naissance, la Vache qui Rit utilise tous les vecteurs de communication : Ici une affiche pour une course de vélos sponsorisée, en 1925. 
 
Un prototype de marque internationale 
 
La star franchit les frontières et entame une carrière internationale.
Ses atouts? Facilité de conservation et faible coût. En cours de conquête sur certains marchés, la Vache qui Rit est déjà présente dans quatre-vingt neuf pays. Une situation que Bel doit à son fondateur qui, dès les années trente, s'est tourné vers l'étranger.
 

Son gendre Robert Fiévet, qui dirige encore la société avec son propre gendre Bertrand Dufort, œuvre toujours pour le développement de la marque hors Hexagone. 
 
 
 
Affiche de Morvan qui témoigne de la qualité naturelle des produits qui entrent dans la composition de la Vache qui Rit. 
 
La Vache qui Rit peut ainsi se prévaloir d'une présence significative en Belgique, Suisse, Grèce, Grande-Bretagne, Espagne, Etats-Unis et Canada, sans compter le Moyen-Orient. La grande force de la marque la Vache qui Rit réside dans sa traduction littérale dans toutes les langues. "Laughing cow" ou "Vaca que rie", ne la font souffrir d'aucune différence de perception d'un pays à l'autre.
Elle est, en ce sens, un prototype de marque internationale. Rançon de ce succès, la Vache qui Rit est, en quelque sorte, le "Vuitton de l'agro-alimentaire" !
 
 
 
 
Avis aux consommateurs: avec 50% de matière grasse, la Vache qui Rit ne peut être qu'un fromage de qualité. 
 
Dès ses débuts, la marque a dû lutter âprement contre la contrefaçon. Comme en témoigne la liste des marques de fromage, véritable anthologie de l'humour alimentaire : "Vache qui parle", "Vache qui lit", "Veau qui pleure", "Vache savante" et "Vache qui rue".
Son contrefacteur le plus sérieux fut incontestablement "la Vache sérieuse", que Bel, après dix ans de procès, réussit à évincer.
 

Son spectre continue toutefois de planer sur les parts de marché de la Vache qui Rit, puisqu'elle s'est réincarnée en "Vache Grosjean". 

Et la contrefaçon échevelée de la "star des vaches" continue dans le monde entier. Moins drôle que les "Happy Cow" et autres "Vache contente", certains plagiaires étrangers vont même jusqu'à reproduire la boîte dans ses moindres détails. "Le problème, s'insurge Claude Dubois, est qu'ils vendent sous notre emballage, un produit quasiment immangeable". D'autant que les secrets de fabrication, bien gardés, protègent l'avance technologique de la société Bel. 
 
 
 
La marque doit vivre comme ses consommateurs. Aussi, l'image du produit doit-elle être le moins statique possible. Pour la première fois, la vache révèle toute son anatomie et se dépense dans toutes sortes de situation. Ici le cyclisme. 
 
Une avance qu'attestent ses nombreux produits commercialisés aujourd'hui (Babybel, Bonbel, Samos, Kiri, Port Salut, etc).
Innovation phare : les Apéricubes. Lancés au début des années soixante, ils ne connaissent à ce jour aucune concurrence.
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
Véritable anthologie de l'humour alimentaire, la liste des contrefaçons de la Vache qui Rit témoigne de la lutte que le groupe Bel a dû mener dès ses débuts. 
 
La marque doit manier élégance et humour 
 
 
 
"Si Andy Warhol avait été français, la Vache qui Rit l'aurait probablement autant inspiré que les soupes Campbell ou que Marilyn Monroe"Jean Perret. 
 
Que peut bien envier la Vache qui Rit à Coca-Cola? 99% de reconnaissance spontanée, 75% du marché de fromages fondus, cinq millions de portions vendues chaque jour dans le monde... Des chiffres qui se passent de commentaires. Produit de consommation affective, la Vache qui Rit pourrait bien avant la fin de ce siècle devenir, comme Coca-Cola, un style de vie. Celui où la préférence va aux marques qui savent marier élégance et humour 
 
 
 
 
 
La grande force de la marque: sa traduction littérale dans toutes les langues. 
 
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(1) Benjamin Rabier, l'homme qui fait rire les animaux de François Robichon (Ed. Hoëbeke, 1993)
(2) La Chevauchée de la Vache qui Rit de Guillaume Villemot et Vincent Vidal (Ed. Hoëbeke, 1991) - Le Livre des Marques, Jean Perret (Ed. Du May, 1993) - Email et Pub, 100 ans de plaques émaillées françaises de Pascal Courault et François Bertin (Ed. Ouest-France 1993)
 

La saga des marques - La Pie qui Chante -

Publié à 17:59 par acoeuretacris Tags : marques
 
Emile Cornillot,
fondateur de la confiserie en 1860
 
  
Depuis 70 ans,
La Pie qui Chante,
Un goût qui enchante

 
Première marque sur le marché français du bonbon, La Pie qui Chante doit son succès à la ténacité de plusieurs générations de confiseurs et à leur esprit d'entreprise. Ou comment faire adopter les bonbons par toutes les générations. 
  
«Plus maligne que Maître Corbeau, La Pie qui Chante garde ses bonbons pour les enfants sages». Nous sommes dans les années cinquante... En écho à La Fontaine, la marque de confiserie détourne la célèbre fable en couverture des cahiers scolaires. Morale de l'histoire : La Pie qui Chante fait du bonbon la récompense d'un parcours sans faute. Morale ? A qui, de la Pie qui «donne», ou du renard qui «prend», l'enfant s'identifie-t-il ? Au premier quand le bonbon offert est un réconfort, au second quand, transgressant l'autorité parentale, il s'offre sa propre confiserie ! Le comportement est intemporel et le goût des bonbons éternel... Quand Emile Cornillot s'installe, en 1860, dans des ateliers artisanaux de la rue Colbert, puis de la rue du Faubourg de Roubaix, à Lille, il est l'un des premiers à fabriquer les bonbons dits «Suisses», satinés et fourrés. 
 
 
Cahier d'écolier.
Un document original
des années 50.
 
 
Ce dans une région qui, de tradition betteravière, est aussi terre d'élection des sucreries et des... confiseurs. Artisanale, l'entreprise est également familiale, puisque Emile Cornillot la fait prospérer avec l'aide de trois de ses fils. Aussi, dès 1885, la petite confiserie s'installe dans des ateliers plus importants au n°7 de la rue de l'Hôpital Militaire. Elle emploie alors une trentaine de personnes. Coup de génie commercial : en 1896, Emile Cornillot lance la marque «Confiserie Franco-Russe», qui célèbre l'alliance entre la France et la Russie, signée la même année. Ou comment cristalliser l'air du temps et la «russophilie» naissante(1). Mise en quarantaine par l'union des trois empereurs -russe, allemand et autrichien-, la France cherchait alors un allié pour sortir de son isolement. Il fallut l'effort d'hommes comme Sadi Carnot, Charles de Freycinet, Gabriel Hanotaux et Théophile Delcassé, pour vaincre les réticences : pour beaucoup de républicains, la Russie des Tsars n'était qu'une tyrannie et pour le Tsar Alexandre III, la IIIéme République, héritière de la Révolution de 1789, un «Etat terroriste».
 
 
La russophilie laisse des traces 
 
Simple convention militaire signée en 1893 pour mettre la France à l'abri d'une offensive foudroyante de l'état-major allemand, le rapprochement franco-russe est scellé officiellement en 1896 par la visite du Président Félix Faure en Russie. L'empire des Tsars jouit alors d'une excellente image qui rejaillit sur les ventes des confiseries Franco-Russe : en 1905, Louis Cornillot, qui a pris la direction de la société à la mort de son père en 1901, achète un immeuble avec ateliers, au 285 de la rue de Paris à Lille. En 1914, l'entreprise emploie alors soixante ouvriers et la production atteint 800 kgs par jour : bonbons de sucre cuit acidulés, fourrés et pralinés, articles à la pièce pour enfants et, principalement, articles en sucre pour Pâques, St-Nicolas et Noël. 
 
 
1925 :
La Pie qui Chante commercialise
les Galéjades,
fabriquées à Marseille
 
 
1925 : une étape essentielle 
 
Mais la prospérité est, pour un temps, stoppée. Dès le début de la première guerre mondiale, le 23 août 1914, les abords de Lille essuient le feu des uhlans. C'est en octobre, pendant la «course à la mer», que les combats sont les plus violents puisque le 9, les Allemands bombardent Lille avec 144 batteries de campagne tirant 15 000 obus. Plus de 1000 maisons seront détruites dont un magasin de la confiserie Franco-Russe. Durant quatre an la région du Nord sera occupée par les armées allemandes. Une époque peu propice au développement des affaires... Mobilisé en 1914, Louis Cornillot retrouve, en 1918, ses ateliers ravagés, le matériel en cuivre ayant été enlevé par les occupants.
 
 
les ateliers artisanaux de Lille 
 
En 1920, Georges Cornillot, frais émoulu de l'Institut de Chimie de Lille, entre dans la société aux côtés de son père. Puis, celui-ci décédé, il doit, l'année suivante, en prendre la direction à l'âge de 19 ans. Il amorce alors une nouvelle spécialisation avec la fabrication de caramels et de toffées. 1925 : une date à marquer d'une pierre blanche. Georges Cornillot achète une petite société installée à Marseille. Celle-ci commercialise des caramels mous et notamment des «Galéjades» sous la marque «La Pie qui Chante». Jean Chabanon, son propriétaire, avait choisi cette marque en souvenir du cabaret du même nom exploité avant 1914 à Montmartre par Charles Fallot et ses chansonniers. 
 
 
Mi-Cho-Ko, un classique de la gamme, né en 1936 et fabriqué artisanalement jusque dans les années 60. 
 
Une opportunité qui va permettre d'abandonner progressivement la marque Franco-Russe pour l'ensemble de la confiserie, tant à Lille qu'à Marseille. Un choix fondé sur des considérations politiques : l'heure n'est plus à l'entrente franco-russe. Depuis la Révolution d'octobre 1917 et la victoire des bolcheviks en Russie, la crainte du bolchevisme et de la contagion révolutionnaire envahit les esprits, non seulement ceux de la bourgeoisie conservatrice, mais aussi les ruraux (48% de la population française), les petits rentiers (les malheureux porteurs des fameux «emprunts russes») et la majorité de la classe moyenne. L'antibolchevisme culmine avec la célèbre affiche représentant un moujik au long couteau entre les dents. Progressivement, la marque La Pie qui Chante remplace la marque Franco-Russe pour l'ensemble de la confiserie. Dès 1925, une pie est représentée sur les emballages des bonbons. C'est elle qui vante le caramel Hollywood, marque déposée en 1925. «Sur chaque caramel, nous dit alors la publicité, une véritable photographie des principales vedettes de cinéma». Que les consommateurs peuvent réunir dans un «superbe album»... 
 
 
À partir de 1925, la Pie est de toutes les publicités. Elle prend désormais sous son aile toute la gamme existante. 
 
En 1933, la construction du nouvel Hôtel de Ville de Lille décide de l'expropriation de l'entreprise. Wattignies accueille ses installations et une nouvelle usine. Dans le même temps, l'affaire marseillaise est fermée. Un repli géographique qui ne signe pas, loin s'en faut, la mort de la marque, puisque La Pie qui Chante va désormais prendre sous son aile toute la gamme existante et les nombreux nouveaux produits. Et s'affranchir ainsi de la légende qui en fait un animal néfaste qu'il faut détruire. «Mais quel oiseau, mieux que La Pie qui Chante, la marque française de toute une gamme de bonbons, symbolise avec autant de bonheur l'oiseau chanteur ? Et même si la pie est reconnue comme bavarde, voleuse et futile (elle est attirée par tout ce qui brille), la légende grecque en fait la chanteuse par excellence, capable de rivaliser avec les Muses»(2). Hasard ou proximité plus que temporelle, un autre animal va conquérir l'imaginaire des enfants selon la même syntaxe : La Vache qui Rit, née en 1921(3). 
 
 
Sommet de ta gourmandise... 
 
1936 : les manuels d'histoire retiennent la remilitarisation de la Rhénanie, la victoire du Front Populaire en France, la guerre d'Espagne. Pour Georges Cornillot, l'actualité a pour nom Mi-cho-ko, pâte de caramel découpée au carré et enrobée de chocolat noir qui deviendra l'un des grands succès de La Pie qui Chante. L'origine du nom demeure incertaine. On peut toutefois avancer trois explications : pour la première, il s'agit de la composition mi-caramel et mi-chocolat, pour la deuxième d'une référence à la note de musique «mi» et pour la troisième, qui emprunte au langage ch'timi, patois du nord, de la signification «mon chocolat» («mi» voulant dire «moi»). Un grand classique de la gamme, demeuré carré jusqu'en 1961, et fabriqué manuellement jusqu'alors. 
 
La fin des années trente offre à la société une double mutation : sous l'effet de la mécanisation et de l'utilisation de la publicité, la production journalière atteint cinq tonnes de bonbons, de quoi justifier désormais un rayonnement national. En 1939, l'entreprise emploie alors 125 ouvriers. Second coup d'arrêt au développement de La Pie qui Chante : 1940. Lille se trouve en zone occupée, et plus spécifiquement dans la zone nord rattachée à l'administration allemande de Bruxelles. L'usine de Wattignies est alors transformée en hôpital militaire. Célébrant, le 22 septembre 1960, le centenaire de la société, Georges Cornillot se souvient : «C'est après la dernière guerre que l'affaire changea complètement de caractère. En effet, jusqu'à cette date, l'entreprise avait toujours été menée par un seul homme qui assurait à la fois la direction commerciale, administrative et technique. Arrivés à notre stade, il n'était plus possible de progresser sans un travail équipe»(4). 
 
La tradition familiale perdure puisque son fils, Pierre, rejoint au début des années cinquante l'équipe de direction. La société crée, en 1955, un réseau de vente fort d'une centaine de commerciaux, multicartes et exclusifs, répartis dans sept régions dirigées par autant de directeurs régionaux. 
 
 
La Pie qui Chante met les bonbons en boites, aujourd'hui très recherchées par les collectionneurs.
 
Une marque européenne 
 
Une innovation commerciale qui porte ses fruits : cinq années plus tard, en 1960, le chiffre d'affaires a doublé, la société emploie 250 personnes et La Pie qui Chante est désormais vendue non seulement dans la France entière mais aussi en Belgique et en Allemagne. Georges Cornillot peut alors annoncer : «nous pouvons regarder le vaste Marché Commun qui va s'ouvrir et dans lequel nous entrerons sans aucun complexe d'infériorité». Des propos pour le moins iconoclastes à une époque où le patronat ne cache pas son hostilité à l'ouverture des frontières. La même année, le diplôme «Prestige de la France» récompense la qualité des bonbons La Pie qui Chante. Une distinction qui honore les entreprises qui ont bien servi «Le Prestige National par leurs réalisations». Et qui sert l'image de la marque, sur un marché où la concurrence est vive : dans le Nord, avec des confiseries dont les noms -le Merle Blanc, le Cygne Gracieux- créent la confusion, et surtout sur le plan national avec, notamment, Krema, Lamy, Dupont d'Isigny, Becco, Dolis, Verquin ou Outsider. 
 
 
 
Auréolée de prestige dans l'Hexagone, la marque est saluée par l'étranger pour ses innovations techniques qui, dans les années soixante, bouleversent la production. De fait, en 1960 naît Menthe Claire, le futur «bonbon glaçon», grâce à une technologie totalement nouvelle : elle permet de produire en continu des sucres cuits coulés, tandis qu'ils étaient, jusqu'alors, pressés. C'est la nouvelle technologie même qui donne son nom à Menthe Claire, puisque les bonbons sont désormais clairs et transparents. 
 
 
Jean Nohain «parle aux Jeunes Amis de la Pie qui Chante» 
 
Véritable consécration : les Américains considèrent alors l'usine comme la plus mécanisée et la plus moderne du monde ! Ils se montrent également séduits par la réussite commerciale de La Pie qui Chante, puisque la société American Chewing-gum Company, fabricant la marque Adams Chi-clets, signe un accord au terme duquel La Pie qui Chante détient l'exclusivité de l'importation et de la vente du Chiclets en France. A cette production de masse, doit bientôt répondre une communication de masse. A l'instar d'autres marques, dont Dop(5), La Pie qui Chante entend occuper tout l'espace publicitaire. Cible toujours privilégiée : les enfants, d'autant que les Trente Glorieuses sont marquées par un formidable «baby boom». En témoigne l'explosion des effectifs scolaires : l'ensemble des établissements publics du niveau du second degré (11-18 ans) accueille, en 1946, 740.000 élèves; ils sont 1,8 million en 1961, 3,5 millions en 1971 et atteignent la barre des 4 millions en 1976... Soit une croissance de 438%! Quelle entreprise ne rêve pas d'une telle progression de son marché... Quand, de plus, des millions d'enfants prescripteurs et consommateurs seront, adultes, toujours fidèles... Car on ne peut oublier le goût du plaisir.
 
 
Dans la foulée du «Muppet Show», La Pie qui Chante contribue au retour des marionnettes 
 
Sans aucun apport nutritionnel, le bonbon répond à l'attente d'un plaisir organoleptique, mais aussi, souvent psychologique. Associé à la récompense et au réconfort, le bonbon est, dès la plus tendre enfance, tout d'abord offert par les adultes, au premier rang desquels la mère. Le bonbon est ensuite un moyen de s'affirmer pour l'enfant qui achète lui-même, sur le chemin de l'école, ses propres confiseries. Il découvre alors l'économie marchande, à la fois par son acte d'achat et lorsqu'il utilise le bonbon comme monnaie d'échange. Quand l'enfant décide seul de ses achats en boulangerie, le bonbon permet de transgresser l'autorité parentale. Tandis que pour le consommateur devenu adulte, le bonbon aura toujours le goût de la régression, du retour à sa petite enfance. 
 
La Pie chante sur les ondes 

 

 
Autant de consommateurs que La Pie qui Chante a su séduire en présentant ses marques et son savoir-faire, sur tous les supports alors disponibles. Dans les années cinquante, un écolier peut, en ouvrant son cahier, lire sur la page de couverture comment on fabrique un bonbon La Pie qui Chante. Une approche toute pédagogique pour un discours avant tout publicitaire. Quand il quitte l'école, l'écolier retrouve encore la marque, puisque Jean Nohain «parle aux Jeunes Amis de La Pie qui Chante», lors des crochets radiophoniques tous les jeudi sur Radio-Luxembourg et Radio Monte-Carlo. Et c'est toujours la Pie qui lui rappelle, sur des buvards imprimés, ses émissions préférées. Déjà présente au travers d'objets scolaires, la marque accompagne aussi l'enfant dans ses activités extra-scolaires.
 
 
 
Elle crée le «Courrier des petits amis», parraine le «Club des 9 à 13», où «tante Marie-Claire» répond aux questions que lui adressent les membres. La marque n'oublie pas sa vocation pédagogique dans Pomme d'Api, où elle explique -sans pour autant se nommer- la fabrication des caramels. Dans les magazines, sur les affiches et les écrans, si la cible est adulte, la finalité demeure la même : promouvoir la marque et la qualité de ses produits. Les grands écrans, puisque après la guerre, Mi-cho-ko est vendu dans tous les cinémas. Et les films publicitaires dépassent l'Hexagone puisqu'on peut les voir aussi bien à Bruxelles qu'à Beyrouth. Le petit écran ensuite où, depuis 1969, la publicité est autorisée. La Pie qui Chante peut alors construire un territoire de communication fort et cohérent et devenir une véritable vedette. 
 
 
Dernière campagne de la marque : «Je suis sa créature»... 
 
En 1977, l'agence de publicité T.B.W.A., en charge du budget depuis 1975, propose de donner vie à La Pie qui Chante sous la forme d'une pie de type «muppet». Dans la foulée du «Muppet Show» américain et bien avant le «Bébête Show» et les «Guignols de l'info», La Pie qui Chante contribue ainsi au grand retour des marionnettes. Le succès est immédiat et de nombreux films donneront de La Pie qui Chante l'image d'une marque drôle, sympathique et complice. Si l'apparence physique de la «muppet» a évolué au fil des ans, elle a toujours gardé son caractère parfois provocateur mais toujours tendre, qui séduit toutes les générations. 
 
Si La Pie qui Chante doit son premier rayonnement à trois générations de la famille Cornillot, le paysage concurrentiel, dans les années soixante, la fait entrer dans l'ère des concentrations dont elle sort renforcée. 
 
 
 
Nouvelle vague d'innovations 

 

 
Première étape : en 1965, La Pie qui Chante et quatre autres entreprises de confiserie (KBO, MOB'S, Femina, Clausse) rejoignent la Générale Alimentaire qui réunit déjà, depuis 1963, les sociétés Unimel, Amora, Francorusse et Van-damme. Conséquence de la fusion : sur les cinq sociétés de confiserie, seule La Pie qui Chante continue d'exister en fédérant leurs produits. 
 
Deuxième étape : en 1972, la chocolaterie Delespaul-Havez, créatrice du fameux Carambar en 1954 et entrée dans la Générale Alimentaire en 1966, fusionne avec La Pie qui Chante. La production moyenne atteint alors 80 tonnes par jour et La Pie qui Chante s'affirme comme le numéro deux du marché de la confiserie en France. En 1973, la Générale Alimentaire entre dans le groupe Générale Occidentale. 
 
 
 
Troisième étape : ce dernier cède, en 1980, La Pie qui Chante au groupe BSN (aujourd'hui Danone). Enfin, en 1981, La Pie qui Chante fusionne avec Vandamme et prend la dénomination Van-damme-Pie qui Chante S.A. Autant de mutations qui n'altèrent pas l'esprit d'entreprise et d'innovation. La Pie qui Chante crée de nombreux bonbons, dont en 1982, le fameux Petit Pimousse, «petit... mais costaud» et, en 1987, les premiers bonbons sans sucre... Durant les années quatre-vingt, la société prend pied sur le marché du gélifié sur lequel elle innove encore, en 1989, avec le lancement couronné de succès de Mini Top 3, un assortiment de dix mini-sachets très pratiques. 
 
1992 voit le développement de la marque Mi-cho-ko qui double son volume en deux ans grâce à des variétés enrobées de chocolat blanc et de chocolat au lait ainsi qu'à la boîte Assortiment. C'est, enfin, l'élargissement de la marque Pimousse qui comprend aujourd'hui une nouvelle variété de bonbons tendres aux goûts «fantaisie» et qui cautionne toute la gamme des gélifiés. Soixante-dix ans après son adoption par une famille de confiseurs nordistes, La Pie qui Chante est la première marque de bonbons en France, avec une part de marché de 25% et un taux de notoriété de 89%. Aujourd'hui encore, la marque innove, gage des lendemains de La Pie qui Chante.
 
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(1) Au même moment, une autre marque prend le même nom «Francorusse». Elle existe toujours : ce sont les fameux entremets.
(2) Voyage symbolique dans la marque, Julien Behaeghel, page 188, Vif Editions.
(3) Cf. La Revue des Marques N°6. Avril 1994. Histoire d'une marque : La Vache qui Rît.
(4) Bulletin d'information de La Pie qui Chante, N°3, septembre 1960.
(5) Cf. La Revue des Marques N°10. Avril 1995. Histoire d'une marque : Dop.
 

La saga des marques - Lanvin -

Publié à 17:26 par acoeuretacris Tags : marques
 
 
LANVIN OU L'ELEGANCE INDEMODABLE

Lanvin, ou l'histoire de Jeanne, une petite modiste, créatrice de la plus ancienne maison de couture française. Aux mains de L'Oréal depuis 1996, la maison entend marier tradition et modernité sans renier ses valeurs.
 
 
 
 
Points communs entre le kasha et la vlgogne ? La rareté et le raffinement. Deux qualités que la maison Lanvin fait sienne depuis sa création. Tissu de laine très souple provenant des chèvres du Tibet, le kasha est, durant les années 20, une des matières les plus nobles, très appréciée par Jeanne Lanvin. Aujourd'hui, la vigogne, du genre lama et matière la plus rare au monde, sert à confectionner les manteaux sur-mesure de... Lanvin. Ajoutons une note de parfum et quelques accessoires - un chapeau par exemple - et l'élégance peut s'incarner. Au 5ème étage du 15 rue du Faubourg Saint-Honoré, un atelier de chapelières et de modistes qui a repris, en 1968, le chapelier Gélot, perpétue, aujourd'hui, la tradition. Il conçoit, depuis trois ans, le célèbre Panama Roland Garros. 
 
 
Jeanne Lanvin 
 
Rue Boissy d'Anglas depuis 1889 
 
1880 : Rodin se fait Penseur, une loi vient d'être votée sur l'enseignement secondaire des jeunes filles, et l'une d'entre-elles, Jeanne, fête ses treize ans. Aînée d'une famille de onze enfants, son destin semble tracé quand elle entre comme arpette ou apprentie couturière chez la modiste Boni. L'époque est celle où les femmes ne sauraient sortir "en cheveux", sans chapeau ! A chacun ses Illuminations : l'année où Rimbaud publie les siennes, Madame Félix, modiste au 15 rue du Faubourg-Saint-Honoré, décelle chez Jenny - surnom de Jeanne - qu'elle vient d'embaucher comme garnisseuse de chapeaux, un réel talent. Début d'une longue consécration, Jeanne est nommée première d'atelier. Sa modestie -un des traits de son caractère - demeure comme en témoigne le surnom, " la petite omnibus", que lui donnent alors les fournisseurs: lors de ses livraisons, Jeanne court derrière l'omnibus pour économiser le prix du billet. 
 
 
 
Le destin frappe de nouveau à sa porte quand, en 1885, un louis d'or donné par une cliente et un crédit de trois cents francs accordés par quelques fournisseurs financent la création de son atelier de modiste: Zola vient de publier Germinal quand Jeanne Lanvin, entrée dans sa dix-huitième année, ouvre une enseigne à son nom. Installée, dans un premier temps, rue du Marché-Saint- Honoré, elle déménage à deux reprises pour devenir, en 1889, la voisine d'une autre maison Hermès - installée elle aussi rue Boissy d'Anglas. Comme la Tour Eiffel, inaugurée la même année, la maison Lanvin ne changera jamais de place. Le bureau de "Madame"; seul mot qu'elle avait fait graver sur sa porte, est celui de Gérald Asaria, directeur général de Lanvin depuis 1995. 
 
Quand une fille donne naissance à sa mère 
 
Entrons au 15 rue du Faubourg Saint-Honoré. Si, du rez de chaussée au cinquième étage, l'univers est entièrement dédié à l'homme, un symbole est constamment présent, mais toujours de manière discrète : l'emblème de la marque. Stylisé par le dessinateur Paul lribe - amant de Coco Chanel -, à partir d'une photo prise en 1907, il représente une mère penchée tendrement sur sa fille, et lui tenant les mains, toutes deux costumées pour un bal. Jeanne Lanvin a trente ans quand, mariée au comte Emimio Di Pietro depuis 1995, elle donne naissance à celle qui sera sa principale source d'inspiration : sa fille, Marguerite... 
 
 
Boutique 
 
" C'est pour l'émerveiller que, de fil en aiguille, elle émerveilla le monde", résumera, dans les années trente, Louise de , Vilmorin, Surnommée "la discrète", Jeanne Lanvin va créer un empire autour de ses trois passions: la mode, le parfum et la décoration. Avec, toujours en filigrane, sa fille comme muse. Modiste de renom international, le nom de Lanvin apparaît dans l'annuaire de la mode dès 1901. Cette année Ià, la maison réalise son premier costume d'académicien, celui d'Edmond Rostand ainsi que son chapeau .Nul doute que lors des séances d'essayage, l'écrivain  a été distrait par la petite Marguerite. Comme tous les enfants de son âge, elle joue aux poupées. Mais les siennes sont uniques: leurs robes sont dessinées par sa mère. Une grande couturière vient de naître qui habille non seulement les poupées mais sa fille. Aux clientes, séduites par sa création et qui s'enquièrent de connaître l'adresse où Jeanne Lanvin achète les vêtements de Marguerite, celle-ci répond, modestement : "je les fais moi même". Pour satisfaire les nombreuses commandes, un département "Enfant" est créé en 1903. Une vraie révolution quand le marketing de segmentation est encore dans les limbes et lorsque l'enfant n'a pas, dans la société française, la place qu'il occupe aujourd'hui. De la robe des enfants à celle de leur mère, le pas est franchi en 1908 avec la création des départements "Jeune Fille" et "Femme". Jeanne Lanvin passe alors du statut de modiste à celui de couturière et adhère au Syndicat de la couture. Pendant la Première Guerre mondiale, la pénurie de tissus et de dentelle la conduit a créer sa propre usine de teinture d'étoffe, à Nanterre. 
 
 
Chambre décorée 
 
Toujours en avance sur son temps, "Jeanne Lanvin crée, en 1920, le département Lanvin Décoration. Une boutique dédiée à " l'art de la maison" ouvre au 15, rue du Faubourg-Saint-Honnoré,là où elle fit ses débuts de modiste ! Son aménagement intérieur est signé Armand Albert Rateau architecte décorateur dont Jeanne Lanvin a fait la connaissance chez le couturier Paul Poiret. Une rencontre déterminante pour la maison Lanvin qui trouve dans ce "magIcIen des formes", ce brillant animalier, une source inépuisable d'inspiration . 
 
Aujourd'hui, le 15, rue du Faubourg- Saint-Honoré en porte toujours témoignage par la présence de meuble de décors signés Rateau. Et les motifs de certaines cravates - poisson, chat mais aussi marguerite- s'en font l'écho. 
 
 Jeanne Lanvin ambassadrice de l'élégance 
 
 
Années 20 
 
Les Années, folles seront pour "Madame", celles de l'expansion. Au, début des années vingt, la maison Lanvin compte 23 ateliers (tailleurs, lingerie, chapeaux, dessin, broderie, etc.) et huit cents personnes qui s'activent pour présenter, à chaque collection, près de 300 modèles. Jeanne Lanvin occupe trois immeubles à Paris - 16 rue Boissy-d'Anglas, 15 et 22 rue du Faubourg-Saint-Honoré - et ouvre sept succursales, à Madrid, Barcelone, Biarritz, Cannes, Deauville Le Touquet et Buenos Aires. Un département Sport est créé en 1923. Le rond-point des Champs-Elysées accueille Lanvin Fourrures en 1926 et Lanvin Parfums, l'année suivante. Jeanne Lanvin confie à son neveu, Maurice Lanvin la direction du département "Homme " créé en 1926 au15 de la rue du Faubourg Saint-Honoré. 
 
"Il faut se, méfier de l'imagination, conseille alors Jeanne Lanvin. L'imagination doit d'abord servir à voir d'avance les défauts de ce qu'on imagine. Il faut créer en retranchant". Définir le style de "l'enchanterresse ",ainsi surnommée par Louise de Vilmorin, c'est souligner les réminiscences historiques, les motifs anciens comme l'atteste la robe dite "de style" (1924) proche des robes du XVIIIème siècle. L'élégance Lanvin est celle d'une silhouette fluide et longiligne, celle de robes brodées, perlées et festonnées. "Ambassadrice de l'élégance dans le monde", Jeanne Lanvin préside la section Haute-Couture de nombreuses expositions internationales comme celle, en 1925, des Arts Décoratifs en tant que vice-présidente du pavillon de l'Elégance. Son inspiration, Jeanne Lanvin la tire également des salons culturels organisés par sa fille et de ses nombreux voyages d'où elle ramène des idées de tissus et de... couleurs. C'est au cours de l'un d'entre eux, à Florence, qu'elle se prend de passion pour un tableau de Fra Angelico et spécialement pour une touche de bleu. De retour à Paris, elle crée sa couleur, "le bleu Lanvin", qui demeure, aujourd'hui, un signe distinctif de la Maison. 
 
 
1929 
 
1927 est une date importante pour Lanvin, marquée par le lancement du parfum Arpège. Si la maison compte déjà, au nombre de ses créations, Lajea, My Sin (lancé aux Etats-Unis en 1925 et rebaptisé "Mon péché" en France en 1926), Le Chypre, J'en raffole et La Dogaresse, Arpège est le premier de la maison à entrer dans la légende. Son nom est choisi par Marguerite, pianiste virtuose et cantatrice. Sa fragrance - rose de Bulgarie, jasmin muguet, seringa et chèvrefeuille -, est créée par Jeanne Lanvin et André Fraysse, le " nez " de la maison. Le flacon, en forme de boule noire ou transparente, surmonté d'une pomme de pin dorée à l'or fin est l'œuvre d'Armand Albert Rateau. Enfin, le dessin de Paul Iribe - la mère tendrement penchée sur sa fille -, traduit l'alchimie Lanvin, Dans les années 60, la réclame vante ainsi le parfum : "Un voile d'Arpège, soin pour la peau. Le parfum qui fait la peau douce. Un geste d'une minute : mille minutes de bien-être". Relancé au début des annees 90, Arpège demeure aujourd'hui, encore, un parfum mythique. 
 
Personnage incontournable de la mode, Jeanne Lanvin exprime également son talent sur la scène et au cinéma, Elle compte ainsi, au nombre de ses clientes, Yvonne Printemps, BIanche Montel, les Dolly Sisters, Cécile Sorel, MarieVentura, Arletty ( qui porte ses créations dans les "Enfants du Paradis", en 1945). Elle dessine les costumes de nombreux spectacles pour les pièces de Sacha Guitry - qui lui remet la Légion d'honneur (officier) en 1938 -, Bourdet, Giraudoux (Amphytrion 38). Aujourd'hui, la tradition est maintenue puisque Lanvin habille pour le cinéma ou le théâtre Daniel Auteil, Jean-Hugues Anglade, Francis Huster, Céline Dion Natacha Régnier (prix d'interprétation au festival de Cannes) 
 
 
 
 
 
 
 
1946 : quand la fille reprend le flambeau 
 
Singularité de la maison Lanvin : le clan familial. Dès ses débuts, Jeanne Lanvin accueille, comme collaborateurs, quatre de ses frères ainsi que sa sœur. Dans les années 30, elle confie à l'un de ses neveux, Yves Lanvin, la direction des laboratoires de parfum qui remplaçent l'usine de teinture à Nanterre .Il développe alors l'image de Lanvin à travers le monde en mettant en place un réseau d'agents. Quand Jeanne Lanvin décède le 6 juillet 1946, sa fille , Marie-Blanche ,lui succède à la présidence de Jeanne Lanvin SA et de Lanvin Parfums SA. Elle dirige, sans enfant, la cède à Yves Lanvin, neveu de Jeanne Lanvin. En 1959, la présidence de la Maison de couture revient à Madame Yves Lanvin. Le nom Lanvin figure également parmi les créateurs de la maison , puisque Maryll Lanvin, épouse de Bernard Lanvin (fils d'Yves Lanvin et président de Lanvin Parfums), crée sa première collection de prêt-à-porter féminin en 1981 et prend en charge le département Haute Couture de 1985 à 1989. Cette année-là, Lanvin passe dans les mains de la Midland Bank. Pour peu de temps puisqu'en janvier 1990, Henry Racamier, président d'Orcofi (holding de la famille Vuitton) s 'associe avec L'Oréal à 50/50 pour racheter Lanvin. 
 
 
 
Turbulences financières sans effet sur la création puisque Claude Montana, ebgagé en 1990 pour dessiner la Haute Couture, obtiendra deux Dés d'Or. Quelques années plus tard, la Maison Lanvin confie, en 1992, à Dominique Morlotti, ancien styliste de Dior, la direction artistique des lignes masculines et féminines, après le départ de Claude Montana et Patrick Lavoix, ce dernier, styliste du prêt-à-porter masculin.
 
Tournant pour Lanvin en 1993 : Loïc Armand prend en mains les rênes de la Maison. Il est amené à arrêter la haute couture, mais tient à conserver les ateliers sur mesure Hommes. Ceux-ci offrent pas moins de 16 000 échantillons pour les costumes et plus de 800 pour les chemises. " Lanvin était devenu une belle au bois dormant ", explique Gérald Asaria, directeur général depuis 1995. Challenge dicté par L'Oréal, unique propriétaire en 1996  : " faire, de nouveau, de la Maison Lanvin, une entreprise mondiale centrée sur la mode masculine et féminine, les parfums et les accessoires ". 
 
Dans l'esprit des créations masculines de Dominique Morlotti, associant confort et raffinement, sans négliger une créativité chaque saison plus fortee à l'écoute de l'homme contemporain, est lancée, en janvier 1997, l'eau de toilette " Lanvin L'Homme ", aux senteurs boisées, couleur bleu Lanvin, dans un flacon original : un galet surmonté d'un bouchon goupille. Une ligne de six produits (après-rasage, gel, déodorants, etc.) accompagne ce lancement. Mannequin choisi pour la campagne de communication : olivier Casadessus, petit fils de la comédienne Gisèle Casadessus dont les costumes de scènes étaient dessinés par …Jeanne Lanvin ! En 1999, une boutique ouvre à Paris à Saint-Germain-des Prés, à l'angle de la rue Marbeuf . Présence dans les grands magasins oblige, Lanvin dispose de deux " shop in shop " au Pintemps de l'Homme et aux Galeries Lafayette. 
 
 
 
En 1997, le prêt-à-porter féminin est confié à une nouvelle styliste, Cristina Ortiz. Son style ? Une mode aux formes épurées et longilignes avec, comme ambition, de faire passer les modèles luxueux de la vitrine à la rue. Depuis le mois de mars, les modèles de la collection Printemps/Ete 2000 sont vendus sur un corner consacré à la femme aux Galerie Lafayette et dans la boutique Maria Luisa, rue Cambon. 
 
 
 
Pour chaque collection, Cristina Ortiz invente une histoire de tissu. A l'ère de la communication, Cristina Ortiz souhaite que ses vêtements " aident à communiquer plus rapidement ". En somme, capter l'air du temps que Jeanne Lanvin souhaitait traduire quand elle déclarait, en 1945, dans le magazine Vogue : " Depuis des années, le public de mes collections s'est plu à reconnaître " un style Lanvin ". Je sais que l'on en a beaucoup parlé, et cependant je ne me suis jamais attaché à un genre et n'ai jamais cherché à accentuer un certain style déterminé. Je m'efforce au contraire, chaque saison, de saisir l'impondérable qui vogue dans l'air, influencée par les événements, et d'en tirer, d'après ma conception personnelle, une réalisation traduisant mon idéal passager " 
 
Aujourd'hui, Lanvin entend exprimer cet idéal en lançant, parallèlement aux collections de Cristina Ortiz, un grand parfum feminin. Baptisé, " Oxygène ", il a bénéficié, en France, d'un lancement inédit en trois temps. Proposée en avant-première, au grand public, du 15 janvier au 18 février 1999  dans " l'Espace Ephémère " de Lanvin à Paris, la fragance a ensuite rejoint la boutique féminine parisienne. 
 
Pour être, ensuite, lancée le 20 mars 1999 dans l'ensemble des points de vente en France, puis dans les principaux pays d'Europe, du Moyen-Orient et d'Amérique Latine.
L'ambition est de construire une affaire de parfums solide, et d'insuffler un vent de modernité à Lanvin, en écho à la mode féminine de Cristina Ortiz . Grâce à ce lancement majeur, Lanvin table sur un accroissement de sa notoriété dans le monde . Fin 2000, " Oxygène " était présent dans une vingtaine de pays et lancé aux Etats-Unis un peu plus tard.
 
 
Le retour sur la scène mondiale 
 
" Lanvin est avant tout une Maison qui peut se décliner sous forme de griffe et de marque avec des partenaires mais qui entend veiller jalousement à son identité pour ne pas la galvauder ", résume Gérald Asaria.
Le chiffre d'affaires mondial sous la marque atteint 1.3 milliard de francs, dont 75% reevant de l'international. " Aujourd'hui, nous avons une bonne visibilité de la marque dans le monde entier avec 20 magasins en propres et 40 franchisés ou shop in shop ". Au Japon, ou Lanvin réalise la moitié de ses ventes, un accord a été signé avec le groupe Kanebo. Deux lignes spécifiques ont été créées : Lanvin La Collection et une ligne féminine de tenue de golf "
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
La morphologie de la femme japonaise et la tradition culturelle nous amènent à adapter nos produits. Aussi y avons-nous un partenaire dans le costume pour homme et un autre pour les femmes, explique Gérald Asaria. Pour les autres pays, Lanvin conserve la maîtrise de la fabrication que ce soit dans le domaine de la mode ou des accessoires. Il se vend ainsi, chaque année, plus de 500 000 cravates dans le monde !
 
 
 
Témoignage du dynamisme de la Maison : les nombreux projets d'ouverture . Lanvin envisageait d'ouvrir deux nouvelles boutiques à Pékin et à Shangaï. Le Canada va accueillir les collections féminines, présentes dans la plus grande chaïne de grands magasins londoniens, Holt Renfrew, à Montréal et à Toronto. Deux boutiques Lanvin Homme ouvriront leurs portes en Europe et au Moyen-Orient l'une dans la capitale
Turque Ankara, l'autre dans les Emirats Arabes Unis au pied des nouvelles tours Emirates à Dubaï.
 
 
 
 
En Corée, deux franchises accueillent à Séoul, l'une des collections Homme, Femme, Accessoires, l'autre le prêt-à-porter masculin, portant ainsi à quatre le nombre d'ouvertures de magasins d'import Lanvin en Corée depuis deux ans. A Hong-Kong, une nouvelle boutique Lanvin Homme, en nom propre, ouvrira ses portes dans le shopping mall très célèbre d'Ocean Terminal, à deux pas de la baie et du célèbre hotêl Peninsula à Kowloon. Enfin, dansle grand magasin Harvey Nichols installé en Arabie Saoudite, à Riyadh, Lanvin aura un espace réservé pour son prêt-à-porter féminin. Et demain ? La Maison, dont le capital de marque n'a jamais été galvaudé, souhaite étendre son territoire pour créer un véritable univers, un style de vie. Avec, toujours comme règle d'or, respecter l'esprit de " l'enchanteresse " qu'était " Madame " : la création et l'élégance.