L’ancien ministre Michel Charasse est mort Ministre du budget sous la présidence de François Mitterrand, dont il était proche, le « Gaulois » socialiste aura marqué par son verbe haut et son goût pour la bataille. Il est mort le 21 février à l’âge de 78 ans.
Par Raphaëlle Bacqué Publié aujourd’hui à 10h45, mis à jour à 12h04
Des bretelles, un gros cigare, des « cons » et des « gueules d’empeigne » lâchés en veux-tu en voilà à la télévision. Et puis, une façon de rester ostensiblement à la porte des églises même lors des enterrements, comme seuls les vrais « bouffeurs de curés » peuvent oser le faire. Et encore, un regard goguenard derrière les lunettes demi-lunes. Voilà ce qui frappait d’abord les esprits, lorsque apparaissait Michel Charasse. L’ancien ministre et fidèle de François Mitterrand, qui vient de mourir, vendredi 21 février à l’âge de 78 ans, était un drôle de politique. Un genre de modèle en voie de disparition. Fort en gueule pour la galerie mais gardien de secrets d’Etat ou de confidences privées. Le « Pasqua des socialistes », disait-on parfois, en comparant ces deux figures hautes en couleur pourtant rompues aux subtilités du pouvoir.
Examinons d’abord les racines. Corse par sa mère, Auvergnat par son père, il naît le 8 juillet 1941 à Chamalières, ce petit coin du Puy-de-Dôme où eut lieu vingt siècles plus tôt la bataille de Gergovie, lors de laquelle Vercingétorix a repoussé victorieusement les légions romaines. « Le Gaulois », c’est d’ailleurs ainsi que Le Monde titre le grand portrait qu’il lui consacre en 1988 alors qu’il vient d’entrer pour la première fois au gouvernement. Et c’est vrai que Charasse a, des Gaulois tels qu’on se les imagine, le verbe haut, la truculence et un certain goût pour la bataille.
Il a d’ailleurs débuté très tôt dans la politique, dans le sillage des trois députés d’Auvergne, Joseph Planeix, Arsène Boulay et Fernand Sauzedde, dont il est l’attaché parlementaire dès sa licence en droit et son diplôme de Sciences Po en poche. Ces trois-là sont des bons vivants qui aiment la chasse et la pêche et font téter au jeune homme le lait socialiste et radical qui fera de lui un Républicain et un laïc grand teint. Ils n’ont pas grand mal à le former. Michel Charasse est, depuis l’enfance, du genre à blaguer en fond de classe tout en raflant les prix d’excellence.
Une courte aventure électorale corse
En découvrant sa gouaille, les Français ont souvent cru qu’il avait le naturel de ceux qui ont plus fréquenté les bistrots que les salons de la République, mais, en vérité, il n’a jamais fait que de la politique. Etudiant, il militait à l’UNEF, a adhéré à la SFIO au lendemain des accords d’Evian qui, en 1962, marquent l’indépendance de l’Algerie, et écrit bientôt les discours parlementaires de ses trois parrains d’Auvergne. En 1967, lorsqu’il s’est lancé pour la première fois dans une bataille électorale, il a pourtant choisi la Corse maternelle pour être candidat aux municipales, près de Corte.
Cette élection dit déjà beaucoup de lui. La liste « républicaine d’union » dans laquelle il figure va des socialistes aux gaullistes dissidents. Il n’a pas 26 ans mais mène campagne contre les faux électeurs, les arrangements, les fraudes, armé de son code électoral. Il faut croire qu’il a un certain talent puisque sa liste est élue, malgré les remous que suscite sa campagne. Une fois élu, cependant, plus personne n’ose vraiment appliquer son programme et il doit démissionner trois mois plus tard. Sans doute retiendra-t-il cette expérience lorsque, vingt-cinq ans plus tard, il reviendra comme ministre du budget enguirlander les inspecteurs des impôts d’Ajaccio « complices des terroristes et des truands » en ne luttant pas assez contre la fraude fiscale. Et lorsqu’il votera, en 2008, contre la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution.
L’aventure électorale corse s’arrête là, en tout cas. Retour à l’Auvergne dès l’année suivante, où il se présente aux législatives dans le Puy-de-Dôme en 1968, en vain, avant de devenir neuf ans plus tard maire de Puy-Guillaume et de ses 2 700 habitants. S’il n’est pas élu député, il se rend cependant presque chaque jour à l’Assemblée nationale, où le jeune attaché d’administration centrale est devenu secrétaire général du groupe socialiste, alors présidé par Gaston Defferre. C’est là qu’il va peu à peu se rapprocher de celui qui comptera vraiment dans sa vie personnelle et politique : François Mitterrand.
A la fin des années 1970, la gauche est en pleine ascension. De jeunes sabras, souvent énarques, sont arrivés par dizaines au Parti socialiste, aux côtés des syndicalistes, des enseignants, des avocats et des médecins. Avec sa façon de parler comme au bistrot et sa fine connaissance du droit, Charasse navigue sans trop de mal dans toutes les strates de la mitterrandie bientôt victorieuse.
Dans l’intimité de François Mitterrand
En 1981, le voici conseiller de Pierre Bérégovoy, tout juste nommé secrétaire général de l’Elysée par le nouveau président Mitterrand. Copain de l’acteur Jean Carmet et de Coluche, il est aussi devenu sénateur, en remplacement de Roger Quilliot, nommé ministre. Désormais, il est au cœur du pouvoir et, peu à peu, dans l’intimité de François Mitterrand. C’est au bord du lac Chauvet, dont Charasse est l’un des copropriétaires en Auvergne, que le chef de l’Etat vient chaque année passer la journée avec Anne Pingeot, la femme qu’il aime, pendant que Charasse et ses trois parrains d’Auvergne pêchent l’omble chevalier.
Bientôt, Mitterrand, sûr de sa fidélité et de sa discrétion, lui confie une mission de confiance : dès 1987, alors que la victoire de la droite aux législatives oblige le président de la République à cohabiter avec le gouvernement de Jacques Chirac, Charasse est chargé de trier dans les archives, classant ou détruisant dans sa broyeuse des milliers de papiers afin de conserver les secrets ou d’éliminer les médiocrités qui pourraient entacher la légende mitterrandienne.
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En 1988, Mitterrand, réélu, le nomme ministre délégué chargé du budget dans le gouvernement dirigé par Michel Rocard, qui n’a pas eu son mot à dire. Edith Cresson, à la tête du gouvernement suivant, se le voit imposer pareillement. Quelle formidable revanche, pour Charasse dont le père avait été employé puis cadre moyen dans l’usine de fabrication des billets de banque, en Auvergne !
C’est peu dire qu’il prend sa nouvelle fonction à cœur. C’est sous sa direction qu’est aussitôt rétabli l’impôt de solidarité sur la fortune, que le ministre de l’économie de droite, Edouard Balladur, avait supprimé. Il impose également que le Trésor public adresse directement aux contribuables des chèques les remboursant en cas de trop-perçu. Mais le nouveau ministre du budget suscite aussi rapidement la controverse, insinuant un peu trop souvent – contre les journalistes de TF1 trop critiques notamment – qu’il pourrait bien mettre son nez dans certaines déclarations d’impôts. Désormais, il planera systématiquement, autour de lui, le parfum du soupçon. On lui reproche de pouvoir d’un geste épargner un gros contribuable ou de déclencher contre un autre un contrôle fiscal dévastateur. Il dément mollement, préférant laisser planer ce doute qui renforce son pouvoir.
En 1992, Pierre Bérégovoy, devenu premier ministre, fait de lui un ministre du budget de plein exercice, mais le mitterrandisme amorce son déclin. L’année suivante, alors que les électeurs ont à nouveau imposé au chef de l’Etat une seconde cohabitation, Michel Charasse s’installe franchement à l’Elysée, dans un petit appartement de fonction à quelques mètres des appartements privés où François Mitterrand, malade, se repose de plus en plus souvent. Il s’agit désormais de préserver les derniers attributs du pouvoir présidentiel et parfois simplement les apparences. Le jour, Charasse reçoit dans sa salle à manger élus ou journalistes et livre un récit à sa façon où François Mitterrand tient sans faiblesse son rôle de chef d’Etat. La nuit, il n’est pas rare qu’il s’installe sur un lit de camp, au pied du lit présidentiel, soignant par sa verve les insomnies et les angoisses de mort d’un Mitterrand rongé par la progression de son cancer.
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Des années plus tard, Michel Charasse confiera au Monde comment le chef de l’Etat, craignant que les métastases cérébrales n’altèrent sa lucidité, lui avait fait promettre : « J’ai peu d’amis à qui je peux le demander mais, si je ne suis plus en état, je compte sur vous pour faire le nécessaire afin que je ne subisse pas cette avanie… » Le jour des obsèques de François Mitterrand, le 11 janvier 1996, la France entière peut voir l’anticlérical Charasse, resté à la porte de l’église de Jarnac tenant en laisse la chienne du défunt. Désormais, il sera, comme vice-président de l’Institut François-Mitterrand, une sorte de gardien du temple, défendant la mémoire du chef de l’Etat contre tout droit d’inventaire.
Proximité avec Nicolas Sarkozy
Est-il encore socialiste, lui qui préfère inviter en grande pompe dans sa mairie de Puy-Guillaume, le 27 avril 2007, juste entre les deux tours de la présidentielle, Nicolas Sarkozy, adversaire bientôt victorieux de la candidate officielle du PS, Ségolène Royal ? Dès l’année suivante, il est exclu du PS pour avoir soutenu un candidat dissident à la présidence du conseil général du Puy-de-Dôme. En vérité, cependant, il s’est depuis longtemps rapproché du nouveau pouvoir : ami du sarkozyste Brice Hortefeux, élu d’Auvergne comme lui, il entretient depuis quinze ans des relations suivies avec Nicolas Sarkozy lui-même, qui, en 1993, lui avait succédé au ministère du budget.
En 2010, lorsque ce dernier nomme Michel Charasse au Conseil constitutionnel, il ne s’agit plus vraiment d’une prise de guerre à la gauche. Depuis, Michel Charasse était un membre actif de l’institution de la rue de Montpensier, où il continuait à raconter avec sa verve de Gaulois les histoires d’un pouvoir peu à peu disparu.
Dès 2017, avide de toujours rester dans les cercles du pouvoir, Michel Charasse s’était rapproché d’Emmanuel Macron. Celui-ci, informé de sa maladie, avait alors décidé de lui rendre un dernier hommage. Alors que l’ancien grognard du mitterrandisme avait quitté le Conseil constitutionnel en mars 2019, le président de la République avait convié tous les amis de Charasse, Eddy Mitchell et les copains auvergnats, la famille de Coluche et les survivants de la nomenklatura socialiste. Et lui avait remis, le 27 janvier 2020, les insignes d’officier de la Légion d’honneur.
Michel Charasse en dates
8 juillet 1941 Naissance à Chamalières (Puy-de-Dôme)
1977-2010 Maire de Puy-Guillaume (Puy-de-Dôme)
1988-1992 Ministre du budget
1981-1988 puis 1992-2010 Sénateur du Puy-de-Dôme
2010 Nommé au Conseil constitutionnel
21 février 2020 Mort à Puy-Guillaume (Puy-de-Dôme)
Raphaëlle Bacqué
Réforme des retraites : Pluie de sous-amendements, invectives... A l'Assemblée, des débats chaotiques sur le texte
REPORTAGE La guerilla parlementaire se poursuit à l’Assemblée nationale où les députés continuaient, ce jeudi, l’examen du projet de réforme des retraites
Laurent Pietraszewski, le — Jacques Witt/SIPA La réforme des retraites est embourbée à l’Assemblée nationale, où la majorité et les oppositions se livrent une bataille parlementaire sans merci.
Entre attaques procédurières et chahut, voire invectives, l’ambiance est électrique dans l’hémicycle, tandis que l’examen des deux lois est ralenti.
A ce rythme, il semble peu probable que les députés puissent adopter la réforme dans les temps, avant le 6 mars, et le recours au 49.3 se profile.
Plus les séances s’enchaînent, plus le bout du tunnel semble s’éloigner. L’examen chaotique de la réforme des retraites se poursuit à l’ Assemblée nationale depuis ce lundi. Les députés examinent encore l’article premier du texte, instaurant un système « universel » et « par points ». La majorité et les oppositions s’écharpent et rivalisent de trouvailles dans cette bataille législative effrénée. Ce jeudi, dans l’hémicycle, les débats n’ont pas fait exception, avec son florilège d’invectives, de chahut, de suspensions de séances et de rappels du règlement…
Les oppositions, surtout de gauche, se sont saisies de tous les outils à leur disposition pour dénoncer une réforme « injuste » et « impopulaire », tandis que, dans la rue, des manifestants faisaient à nouveau part de leur opposition au texte. La majorité, moins audible, a dénoncé un « sabotage parlementaire », mais elle a été contrainte à reculer sur une mesure prise mercredi pour raccourcir les débats. 20 Minutes vous raconte ce match législatif.
Pluie de sous-amendements Dès l’étape de la commission spéciale, les députés insoumis avaient opté pour une stratégie de bombardement massif d’amendements, en demandant la modification ou la suppression de chacun des alinéas des deux lois présentées par le gouvernement. En examen public, insoumis et communistes ont adopté une autre technique de guerre parlementaire : ils ont déposé des centaines de sous-amendements sur le premier article, et ils comptent en faire de même pour les suivants. Le principe étant d’amender chaque amendement, le plus souvent en proposant de changer ou d’ajouter un ou plusieurs mots, sans modifier le fond (par exemple remplacer les mots « pas de » par « aucune ») avec, à la clé, la possibilité de multiplier les prises de parole au micro de l’Assemblée. Pour Gilles Le Gendre, président du groupe macroniste à l’Assemblée, c’est « du sabotage parlementaire ».
Pour contrer cette avalanche de sous-amendements, le président de l’Assemblée Richard Ferrand (LREM) avait décidé ce mercredi d’appliquer une règle aux amendements ayant un objectif identique : les supprimer. « Si nous sous-amendons de cette manière, c’est parce que le président Ferrand a délibérément décidé de supprimer 1.184 amendements déposés par les députés communistes, c’est une première sous la Ve République ! », s’est notamment insurgé Fabien Roussel, demandant la réparation de « cette ignominie ».
Ferrand assouplit ses règles Il a finalement obtenu gain de cause ce jeudi en début d’après-midi : la présidence de l’Assemblée rétropédale et renonce à supprimer les amendements identiques. « Ça va rajouter du temps de parole aux oppositions », concède Gilles Le Gendre, « mais ça en enlève aux polémiques »
Quant à l’opposition de droite, elle attaque également la majorité. « On n’a pas à être pris en otage entre insoumis, qui en rajoutent tout le temps, et LREM », soupire Eric Woerth, agacé. « A texte chaotique, débat chaotique », résume-t-il. Son collègue Patrick Hetzel a accusé la majorité « de saboter l’intégralité de ce débat parlementaire ».
Une majorité silencieuse et « frustrée » Les députés de la majorité, quant à eux, se sont très peu fait entendre depuis le début de la semaine. « J’ai demandé la parole à 10 h, je l’obtiens à 13 h », s’étonne le MoDem Erwan Balanant. « A ce rythme, le premier amendement déposé par le MoDem sera examiné le 26 mai », soupire Patrick Mignola, chef de file des députés centristes. « Il y a une frustration, car nos députés ont beaucoup travaillé », reconnaît Marie Le Bec, vice-présidente du groupe LREM. « Certains se sont spécialisés sur certains points comme la pénibilité, ou certaines catégories professionnelles mais, pour l’instant, ils sont empêchés de s’exprimer ».
« On ne va pas prendre la parole juste pour le plaisir. Et on ne veut surtout pas participer à l’hystérisation des débats », explique Gilles Le Gendre, qui estime que les groupes insoumis et communistes ont monopolisé chacun 20 % du temps de parole, contre 7 % pour les marcheurs et 7 % pour les élus MoDem. Les députés LREM et MoDem ne se sont toutefois pas privés de chahuter l’opposition à plusieurs reprises.
Le député socialiste Boris Vallaud brandit le règlement de l'Assemblée nationale. - Jacques Witt/SIPA Invectives et brouhaha Autre conséquence de ces débats sans fin, les tensions se sont multipliées. Dans le brouhaha, les députés de gauche ont multiplié les rappels au règlement, dénonçant avoir été molestés ou photographiés dans l’hémicycle, en violation des règles de l’Assemblée nationale. Une vive dispute a éclaté entre l’insoumise Clémentine Autain et l’UDI Meyer Habib, après qu’il a insultée sa collègue dans un tweet.
Dans une telle atmosphère, les questions de fond n’ont pas trouvé beaucoup de réponses ce jeudi. « Quel sera le taux de remplacement ? » demande le député communiste Pierre Dharréville à Laurent Pietraszewski, secrétaire d’Etat chargé de la réforme des retraites. Mais cette interrogation sur le futur montant des pensions reste sans réponse.
Le temps file, les amendements défilent, mais les parlementaires en sont toujours à examiner l’article premier, sur les 65 que comporte la loi ordinaire. Ce qui fait dire, du bout des lèvres, à certains élus de la majorité, que l’article 49-3 de la Constitution pourrait être dégainé. « Je pense que nous finirons en 49-3 mais ce sera plutôt un 3-49, ce sera la faute de l’opposition », dit le MoDem Patrick Mignola. Le calendrier prévoit que les débats se poursuivent tous les jours, week-ends inclus, jusqu’au 6 mars.