Retraite: les fâcheuses approximations de Darmanin et Ndiaye sur France 2
ANALYSE - Pour défendre la réforme des retraites au soir d’une mobilisation historique, le ministre des Comptes publics et la porte-parole du gouvernement ont développé jeudi dans l’émission «Vous avez la parole» plusieurs arguments erronés qui, il faut l’avouer, ne poussent pas à la clarté du débat. Pis, ils peuvent induire l’opinion en erreur.
Publié il y a 7 heures, mis à jour il y a 2 heures
Être ministre n’est pas un métier, c’est clair, mais cela peut parfois s’apparenter à un sacerdoce surtout quand les intéressés sont dépêchés sur les plateaux télé pour aller défendre une réforme dont ils n’ont pas la charge. Malgré toute la maîtrise et le talent (notamment de communication) qui les caractérisent, c’est ce qui est arrivé ce jeudi soir à deux jeunes talents du gouvernement, Gérald Darmanin et Sibeth Ndiaye, qui ont brillamment apporté le fer de la contradiction sur France 2 à une poignée de Français triés sur le volet (et censés être représentatifs de la grogne) sur la future réforme des retraites.
Parmi les deux heures et quelques qu’aura duré l’émission diffusée en direct sur France 2 et animée par le tandem Léa Salamé / Thomas Sotto, les deux ministres (respectivement de l’Action et des comptes publics, et porte-parole du gouvernement) ont en réponse à leurs contradicteurs quelques fois asséné des vérités qui, après examen, n’en sont pas. Et qui, affirmées comme elles l’ont été, non seulement induisent en erreur mais n’aident surtout pas à la compréhension du débat.
Darmanin et Ndiaye n’ont pas été les seuls toutefois à faire des approximations ou asséner des contre-vérités sans être une seule fois repris sur le plateau. Quasiment tous les participants à ce débat, à commencer par Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT (sur le système suédois, notamment), la directrice d’école quadra (sur la valeur du point, notamment) ou encore le syndicaliste Sud-Rail (dans à peu près chacune de ses prises de parole), y sont allés de leur intox/infox, le plus souvent par méconnaissance du sujet ou propagande politique mal renseignée. Quoi qu’il en soit, les deux ministres présents ne se sont pas laissés prier. Voici succintement trois exemples, parmi les plus notables de leurs approximations pendant le débat.
Darmanin assure que la pension des enseignants ne baissera pas
Cette affirmation, tout d’abord énoncée par Sibeth Ndiaye et reprise plus tard par Gérald Darmanin, est erronée car elle laisse penser qu’une femme sur cinq travaille jusqu’à ses 67 ans pour pouvoir bénéficier d’une pension complète, c’est-à-dire sans décote au motif qu’elle n’a pas suffisamment cotisé durant sa carrière pour pouvoir partir en retraite avant. Or ce n’est pas le cas. Les deux ministres confondent travail jusqu’à 67 ans et liquidation à 67 ans, ce qui n’a rien à voir. Si 20% des femmes liquident en effet leurs droits à retraite à 67 ans (parce qu’elles n’ont pas suffisamment cotisé pour le faire avant), toutes ne sont pas obligées de travailler jusque cet âge avancé, bien heureusement. Et surtout ne le font pas. Elles sont pour la plupart déjà inactives et attendent l’âge d’annulation de la décote, fixé à 67 ans depuis la loi Woerth de 2010, pour faire valoir leur droit à la retraite. La nuance est peut-être subtile mais elle est réelle.
● «Non, le président n’a pas menti en 2017 lorsqu’il a indiqué aux Français qu’il n’aurait pas besoin de faire de réforme financière des retraites au cours de son quinquennat car il se basait sur des prévisions du COR qui renvoyaient le déficit à la décennie 2040. Or la donne a changé il y a quelques mois quand le COR a constaté qu’il y aurait un déficit au début des années 2020»
Cette affirmation de Gérald Darmanin, en milieu d’émission, est là encore contraire à la vérité. Du moins partiellement. Le ministre de l’Action et des comptes publics dit vrai sur la première partie de la phrase. Lorsqu’Emmanuel Macron a bâti son programme en 2017 et indiqué qu’il n’aurait pas besoin de faire de réforme paramétrique/financière des retraites parce que le système n’afficherait pas de besoin de financement avant les années 2040, il ne faisait en effet que reprendre les prévisions alors disponibles du COR. Mais le conseil d’orientation des retraites -créé par Lionel Jospin en 2001 pour éclairer chaque année en juin le président de la République sur l’état des finances des régimes de retraite- a changé de braquet sitôt Emmanuel Macron installé à l’Élysée. Dès juin 2017, il a en effet fait état d’un besoin de financement finalement bien plus précoce que prévu jusqu’alors, c’est-à-dire dès la décennie 2020. Et il l’a répété en 2018 puis en 2019.
Pis, le comité de suivi des retraites (CSR), organe créé après la loi Touraine de 2014 pour indiquer au gouvernement les correctifs à apporter afin de ramener le système des retraites dans les clous en cas de dérapage annoncé, avait alerté Édouard Philippe et Emmanuel Macron sur l’obligation de boucher les trous dès... juillet 2017 (le CSR doit rendre son rapport annuel avant le 14/07 chaque année) et a répété son avertissement en 2018 et 2019. Rapports 2017 et 2018 du COR et du CSR que l’exécutif a ostensiblement ignorés par quatre fois donc (en cumulé), préférant faire l’autruche alors que tout indiquait que la promesse du président ne pourrait pas être tenue. Ce n’est qu’à l’été 2019, alors qu’on entrait dans le dur de la réforme systémique aux termes des quasi deux ans de concertation menées par Jean-Paul Delevoye avec la remise de ses préconisations le 18 juillet, que le gouvernement a semblé découvrir l’ampleur du trou à combler. Ce n’était pourtant pas faute de l’avoir alerté, à plusieurs reprises, depuis deux ans...
● «Le nombre de chômeurs a baissé de 500.000 en deux ans»
Là encore, Gérald Darmanin a fait une fâcheuse confusion quand, en réponse à une interpellation de l’avocat présent sur le plateau (avec lequel clairement le courant ne passait pas), il a affirmé que le nombre de chômeurs a baissé de 500.000 en deux ans. Pour le coup, c’est totalement faux. Si on prend les statistiques des inscrits à Pole emploi, les fameux DEFM communiqués désormais à un rythme trimestriel, la décrue depuis l’élection d’Emmanuel Macron est limitée à 126.600, soit plus de trois fois moins que ne le dit le ministre des Comptes publics. L’erreur est un peu moindre si on se réfère à la baisse du nombre de chômeurs au sens du BIT et comptabilisés par l’Insee: dans ce cas, le reflux est plus net (-313.000 depuis la fin du 2è trimestre 2017) mais pas au point d’approcher le demi-million annoncé.
En fait, Gérald Darmanin confond avec le nombre de créations d’emplois dans les entreprises qui, depuis l’élection d’Emmanuel Macron, dépasse effectivement les 500.000 (545.700 précisément depuis la mi-2017). Et c’est en l’occurrence plus une erreur qu’un mensonge intentionnel puisque le ministre de l’Action et des comptes publics l’a déjà affirmé dans ses prises de parole précédentes. Omettant alors simplement de rappeler que cette bonne tendance de l’emploi n’a pas démarré en mai 2017 avec l’élection du président de la République mais deux ans plus, début 2015, avec le virage de la politique de l’offre de François Hollande dont le ministre de l’Économie était à l’époque un certain... Emmanuel Macron.
Réforme des retraites : grève encore massive dans les transports, nouvel appel à manifester mardi La journée de vendredi s’annonce décisive pour la suite du mouvement de contestation. Les syndicats veulent garder la main face à l’exécutif, qui a prévu de s’exprimer au cours de la semaine prochaine.
Le Monde avec AFP Publié aujourd’hui à 06h02, mis à jour à 12h37
C’est le jour d’après. Ragaillardie par la mobilisation massive contre la réforme des retraites, qui a vu au moins 800 000 personnes dans les rues de France le 5 décembre (1,5 million selon la CGT), l’intersyndicale interprofessionnelle (CGT, FO, Solidaires, FSU et organisations étudiantes et lycéennes, UNL, MNL et UNEF), réunie vendredi matin au siège de FO, a appelé à une nouvelle journée de grève et manifestations mardi 10 décembre.
La CFE-CGC, qui était représentée, n’a pas souhaité s’associer à cet appel. La centrale des cadres, qui avait rejoint le mouvement du 5 décembre en cours de route en appelant à manifester ce jour-là, attend désormais « la réponse du gouvernement » pour décider de la suite.
Les transports toujours très perturbés
Vendredi, les transports restent très perturbés : à la SNCF, 90 % de TGV et 70 % de TER ont été annulés. Le taux de grévistes au sein de la compagnie ferroviaire a atteint 55,6 % jeudi, du jamais-vu depuis 2007. A la RATP, la reconduction du mouvement a été votée jusqu’à lundi et dix lignes de métro sont fermées, comme jeudi.
Du côté de la route, alors que le périphérique francilien connaissait une accalmie inhabituelle jeudi, il est au contraire très perturbé vendredi, avec un cumul de bouchons exceptionnel de 347 kilomètres.
« 10 % de grévistes » dans les écoles vendredi
Au lendemain d’une mobilisation massive (51,15 % de grévistes dans les écoles, 42,32 % dans les collèges et lycées), la mobilisation est moindre, vendredi. Le taux de grévistes dans l’éducation nationale atteint « 10 %, peut-être un peu moins », a déclaré le ministre, Jean-Michel Blanquer, sur RMC et BFM-TV.
Côté universités, les syndicats qui ont appelé à la « première journée » de mobilisation étaient réunis vendredi pour « faire entrer le mouvement dans la durée », ont assuré leurs responsables, juste avant l’intersyndicale. La réunion se déroule dans les locaux de FO à Paris, avec des représentants de la CGT, FO, FSU, Solidaires, les organisations lycéennes FIDL, MNL, UNL et étudiante UNEF. La CFE-CGC, qui n’était pas organisatrice de la première mobilisation mais avait rejoint l’appel à manifester, s’est jointe vendredi à l’intersyndicale.
La direction de Lumière Lyon-II (lettres, langues, sciences humaines et sociales) a annoncé le maintien de la fermeture de ses deux sites à la suite d’un appel au blocage la veille par une assemblée générale étudiante.
Les partenaires sociaux reçus lundi
La ministre des solidarités, Agnès Buzyn, a annoncé vendredi matin qu’elle recevrait lundi avec le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, tous les partenaires sociaux. Et d’ajouter :
« En fonction de tout ce qui aura été remonté par ces concertations, ces négociations avec les partenaires sociaux sur les différents points, le premier ministre fera des annonces en fin de semaine prochaine pour dessiner les contours définitifs de cette réforme. »
Interrogée sur les concessions que pourrait faire l’exécutif, Mme Buzyn a déclaré qu’« il y a effectivement une discussion sur l’âge d’application, l’âge de bascule, quelle génération serait concernée, tout cela est encore sur la table ». « Il reste des marges de négociation », avait assuré la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye.
Le « système par points » au cœur des critiques
A l’origine de la colère : le « système universel » par points censé remplacer à partir de 2025 les 42 régimes de retraites existants (général, des fonctionnaires, privés, spéciaux, autonomes, complémentaires). L’exécutif promet un dispositif « plus juste », quand les opposants redoutent une « précarisation » des retraités. Des sondages récents ont montré que le mouvement était majoritairement soutenu par les Français.
Seule la CFDT continue de soutenir l’idée d’un régime « universel ». Mais son secrétaire général, Laurent Berger, a regretté que « la logique qui prévaut », c’est « de se mettre (…) sur la figure avant de commencer à discuter ».
Le premier syndicat français pourrait cependant avoir été entendu sur un point dont il avait fait un casus belli : la mise en œuvre d’une mesure « paramétrique » (allongement de la durée de cotisation, mesure d’âge…) pour équilibrer les comptes avant le changement de système. L’une des grandes incertitudes concerne en effet la mise en place, à côté de la réforme structurelle, de mesures budgétaires destinées à résorber le déficit à venir du système, estimé à une dizaine de milliards d’euros en 2025.
Puisque l’exécutif ne veut ni augmenter les cotisations, ni baisser les pensions, ni relever l’âge légal de départ, il reste la possibilité d’allonger la durée de cotisation. « Il ne faut pas être bêtement budgétaire, pas tout de suite », a tempéré jeudi soir, sur France 2, le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin. « Notre proposition, c’est pas de baisser les pensions, c’est pas d’augmenter les cotisations, mais c’est de travailler plus longtemps, puisqu’on vit plus longtemps », a confirmé M. Darmanin tout en s’interrogeant :
« Est-ce qu’on est pressé au point qu’il faut le faire (…) dès l’année prochaine ? Il ne faut pas casser la réforme sociale que nous voulons porter (…) en faisant effectivement une réforme budgétaire immédiatement. »
Jusqu’à maintenant, l’entourage du premier ministre a toutefois plutôt défendu la mise en place d’un volet budgétaire, estimant qu’il fallait s’attaquer au déficit en même temps qu’au système de retraites dans son ensemble. Un report à 2021 des mesures d’économies, notamment, « n’est pas arbitré » à ce stade, assurait-on jeudi soir autour de M. Philippe.
Grève du 5 décembre : TGV, TER, Intercités, Transilien... Retrouvez toutes les prévisions de trafic de la SNCF
La SNCF a fait le point sur vos conditions de circulation pour cette grande journée de mobilisation contre la réforme des retraites.
Une France à l'arrêt. C'est ce qui se profile, mercredi 4 décembre, à la veille de la grande journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Franceinfo fait le point sur vos conditions de circulation sur le réseau SNCF :
>> Grève du 5 décembre : 6 000 policiers et gendarmes mobilisés pour encadrer le cortège parisien. Suivez la situation en direct
• Pour les TGV : la SNCF annonce un train sur dix, avec un léger mieux sur le Nord et l'Est, où un train sur six devrait circuler.
• Pour les TER : de fortes perturbations sont à prévoir sur tout le territoire. Il y aura 3 à 5% de trafic, complété par des cars (20-23% de trafic, au-delà de 40% dans certaines régions).
• Pour le Transilien : il y aura un train sur dix avec une priorité en heure de pointe. Pour les lignes A et D, il y aura deux trains par heure, mais aucun train sur les lignes R et U.
• Pour les Intercités : il n'y aura pas de train de nuit. En journée, seul un train sur dix circulera. Vers la Normandie par exemple, la SNCF n'assurera que deux allers-retours entre Paris, Rouen et Le Havre. La compagnie a annoncé mercredi qu'elle maintenait également un aller-retour vers l'Auvergne et un aller-retour vers la Corrèze.