Les départements et leur histoire - Lozère - 48 -

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Les départements et leur histoire - Lozère - 48 -
(Région Languedoc-Roussillon)
 
1ère partie
 

Avant la conquête romaine, le pays qui forme aujourd'hui le département de la Lozère était habité par les Gabali ou Gabales, nom qui, en langue celtique, signifie montagnards ou habitants des hautes terres. César, Ptolémée, Strabon et Pline font mention de ce peuple, que les Arvernes confinaient au nord, les Vellaves et les Helviens à l'ouest ; au midi, les Volces, et à l'orient, les Ruthènes. Ils avaient pour cité Gabalum, aujourd'hui Javols.

Peuple libre comme les Arvernes (Arverni et Gabali liberi, suivant l'expression de Pline), ils furent les compagnons de Bellovèse et traversèrent les Alpes à la suite d'Asdrubal. Rome les eut toujours pour ennemis, jamais pour sujets ; et lorsque plus tard, ayant pris parti pour les Allobroges, ils furent vaincus, ils restèrent indépendants. A l'abri derrière leurs montagnes couvertes de neige, ils se gouvernaient par leurs propres lois et n'obéissaient qu'à des chefs élus par eux.

Il paraît que leur pays abondait en mines d'argent, déjà exploitées du temps des Romains. Pline vante les fromages de la montagne de Lozère (mons Lezurae). Ce pays est un de ceux qui ont conservé le plus de traces de l'ère celtique. A Javols, à L'Aumide, aux Fonds, à Grèzes, à Malavillette, au Montet, on voit encore des dolmens, des menhirs, des pierres druidiques, et l'on croit que la fontaine de la Canourgue est une fontaine gauloise. A Sainte-Hélène, sur la rive droite du Lot, le voyageur s'arrête devant un peulven qu'on appelle dans le pays lou Bertet de las fadas, le Fuseau des fées.

Après avoir laissé des garnisons à Narbonne et dans la Province, César franchit les Cévennes et campa dans le pays des Cabales avant de pénétrer dans l'Arvernie. C'est, dit-on, dans la plaine de Montbel, près de la forêt de Mercoire, que le général romain fit reposer ses légions. Surpris de cette brusque apparition, les Gabales se lèvent en armes, forcent les Helviens leurs voisins, qui s'étaient déclarés pour César, à rentrer dans leurs murs (intra oppida murosque) ; puis ils vont se joindre à l'armée nationale, rassemblée par Vercingétorix.

Après le désastre d'Alésia, ceux d'entre eux qui avaient survécu à la ruine de la patrie rentrèrent dans leurs montagnes ; mais là encore Rome victorieuse dut compter avec eux et respecter leurs libertés et leurs lois. Cependant Auguste les affranchit des liens qui les unissaient aux Arvernes, et les comprit dans l'Aquitaine. Alors Gabalum, colonie romaine, devint la résidence d'un préteur ou proconsul. Il y avait un temple, un palais, un cirque, dont on voit encore les vestiges ; un castrum s'élevait dans le Valdonnez, et la grande voie romaine, ouverte par Agrippa, qui conduisait de Lugdunum à la cité des Tectosages (Toulouse), avait, entre le Mas de la Tieule et le Bouchet, un embranchement sur Gabalum.

Peu à peu, la civilisation romaine tempéra la rudesse et l'âpreté de ce pays. Du temps de Strabon, les arts et les sciences y avaient pénétré, et les habitants commençaient à y parler la langue latine. Ils se livraient à l'agriculture, au commerce et à l'exploitation des mines ; mais leurs richesses firent leur malheur en excitant la cupidité et l'avarice des préteurs romains, et c'est pour se venger de leurs exactions qu'ils se révoltèrent sous Tibère.

Bientôt le christianisme vint achever l'oeuvre de la colonisation, et ce peuple libre et fier, dont Rome n'avait conquis que le territoire, courba la tête sous le joug de la croix. C'est, suivant quelques-uns, à saint Martial, selon d'autres, à saint Séverin, qu'il dut de connaître l'Evangile. Quoi qu'il en soit, la cité des Gabales avait, au IIIe siècle, son église et son siège épiscopal relevant de la métropole de Bourges, et la persécution y avait fait plus d'un martyr.

Quand les Vandales, au Ve siècle, parurent pour la seconde fois dans ce pays, saint Privat en était évêque. Après le sac de Gabalum par ces barbares, il se réfugia avec son troupeau dans la petite forteresse de Grèzes (Gredonense castellum), y soutint un siège contre l'ennemi et le força de se retirer.

Cependant, au VIe siècle, il y avait encore dans ce pays des restes de l'antique religion druidique. Tous les ans, le peuple se rendait auprès d'un étang du mont Helanus (le lac Saint-Andéol), dans lequel on jetait par manière de sacrifices, qui du linge et des vêtements, qui du fromage, du pain et de la cire. Alors, pour détourner les Cabales de ce culte grossier, le saint évêque Evanthius fit construire à peu de distance du mont Helanus une église, où il engagea te peuple à venir offrir au vrai Dieu ce qu'il destinait à l'étang. C'est ainsi que le christianisme faisait tourner à son avantage les pratiques les plus grossières du paganisme.

A la chute de l'empire romain, les Wisigoths s'emparèrent du pays des Cabales ; mais Clovis les en chassa. Alors, ainsi que nous l'apprend Grégoire de Tours, ce pays s'appelait Terminus Gabalitanus ou Regio Gabalitana. Plus tard, il forma le Pagus Gavaldanus, dont parlent les écrivains du Moyen Age ; d'où le nom moderne de Gévaudan. Sous les rois francs, le Gévaudan eut des comtes particuliers. Au temps de Sigebert, roi d'Austrasie, il était gouverné par un certain Pallade, originaire d'Auvergne. Homme violent et emporté, ce Pallade, au dire des vieux chroniqueurs, vexait et pillait le peuple. Accusé devant le roi par l'évêque Parthenus, il prévint son châtiment en se transperçant de son épée.

A la fin du VIe siècle, sous le règne de Childebert, un autre comte du nom d'Innocent gouverna ce pays en digne successeur de Pallade. Il persécuta entre autres saint Louvent (Lupentius), abbé du monastère de Saint-Privai de Gabalum (Gabalitanae urbs), et l'accusa, pour faire sa cour à la reine Brunehaut, d'avoir mal parlé de cette princesse et de la cour d'Austrasie. Cet abbé ayant été mandé à Metz, où se trouvait Brunehaut, se justifia et fut renvoyé absous ; mais il ne put échapper à la vengeance du comte, qui fut l'attendre à son retour, se saisit de sa personne et l'emmena à Pont-Yon en Champagne, où, après divers tourments qu'il lui fit souffrir, il lui permit de se retirer. Ce n'était qu'un piège, car à peine le pauvre moine libre et parti, te comte le poursuivit, et l'ayant surpris au passage de la rivière de l'Aisne, il l'égorgea et jeta son corps dans la rivière. Après son crime, le comte se présenta à la cour d'Austrasie. On a prétendu qu'il obtint pour récompense l'évêché de Rodez, mais ce fait n'est rien moins que prouvé.

Réuni à l'Aquitaine, ce pays en suivit le sort : il obéit successivement aux rois d'Aquitaine et aux comtes de Toulouse. Raymond de Saint-Gilles, l'un d'entre eux, l'aliéna, dit-on, en faveur des évêques de Mende. Cependant, au XIe siècle, un certain Gilbert, qui épousa Tiburge, comtesse de Provence, se qualifiait de comte de Gévaudan. Ce Gilbert laissa une fille qui, mariée à Raymond Bérenger, comte de Barcelone, lui apporta tous ses droits sur le Gévaudan ; mais l'évêque de Mende se disait aussi seigneur et comte du pays.

 

De là de longs démêlés avec les comtes de Barcelone, qui néanmoins continuèrent à jouir de la seigneurie directe du Gévaudan, où ils possédaient le château de Grèzes. Jacques, roi d'Aragon et comte de Barcelone, céda, en 1225, ce château et le Gévaudan à l'évêque et au chapitre de Mende ; « mais il y a lieu de croire, dit un historien, que cette cession ne regardait que le titre seigneurial, et que Jacques se réservait le domaine utile, puisque, par une transaction passée en 1255 avec saint Louis, le roi d'Aragon renonça alors non seulement à ses droits sur la terre de Grèzes, mais encore à tous ceux qu'il avait sur le Gévaudan. »

Dès lors, ce fut contre les rois de France que l'évêque de Mende eut à faire valoir ses prétentions ; mais la lutte était inégale. Après avoir conservé jusqu'en 1306 la souveraineté du pays, il dut, pour mieux s'assurer la possession du reste, en céder la moitié au roi Philippe le Bel, qui lui laissa le titre de comte de Gévaudan.

Au XIVe et au XVe siècle, ce pays fut ravagé par les Anglais, et par les guerres civiles et religieuses dans les deux siècles suivants. Alors, comme les vallées des Alpes, les Cévennes étaient peuplées d'Albigeois et de Vaudois dont les familles s'étaient réfugiées dans ces montagnes pendant la persécution ; mais là encore l'inquisition les avait poursuivis, et grand était le nombre des victimes qui avaient péri sur le bûcher ou sous le poignard dans ces terribles jours qui suivirent la Saint-Barhélemy.

Cependant les religionnaires prirent les armes. Après s'être rendus maîtres de Marvejols et de Quézac (1562), ils marchèrent sur Mende, qui leur ouvrit ses portes, et de là sur Chirac ; mais comme la place était sur le point de se rendre, le capitaine Treillans, qui commandait un corps catholique, arrive à son secours et force les assiégeants à se retirer. Poursuivant son succès, il reprend Mende, où deux autres chefs catholiques, d'Apcher et Saint-Remisi, viennent le rejoindre.

Bientôt les protestants se présentent de nouveau devant Chirac : la ville fut emportée et mise à feu et à sang. Il y périt plus de quatre-vingts catholiques ; on brûla l'église et la place fut démantelée. De là les religionnaires marchèrent sur Mende ; mais d'Apcher, qui s'y était renfermé avec plusieurs gentilshommes de l'arrière-ban, fit bonne contenance, et la capitale du Gévaudan resta au pouvoir des catholiques. Vint l'édit de Nantes (1598) ; mais la tranquillité dont jouirent les religionnaires des Cévennes ne fut pas de longue durée. Sans cesse menacés dans leurs privilèges, leur liberté et leur vie ; patients et fidèles, ils se reposaient sur la foi des traités et sur le souvenir des services qu'ils avaient rendus à la monarchie en refusant de prendre part à la révolte de Montmorency, et plus tard à celle de Condé.

Cependant la persécution était proche. Colbert, qui prévoyait qu'elle aurait pour résultat l'émigration d'une population essentiellement industrielle et l'exportation de grands capitaux, s'y opposa de tout son pouvoir. « Vous êtes roi, disait-il à Louis XIV, pour le bonheur du monde, et non pour juger les cultes. » Mais les conseils de Mme de Maintenon l'emportèrent, et l'édit de Nantes fut révoqué (1685).

Depuis longtemps, les protestants du Dauphiné et du Vivarais s'étaient insurgés contre la révocation de l'édit, que ceux des Cévennes, toujours soumis, n'avaient pas songé à remuer. « Néanmoins, dit Rabaut Saint-Étienne, on les ménageait alors parce que l'on appréhendait sans doute que les mauvais traitements que l'on faisait souffrir à leurs frères ne les jetassent dans le désespoir. On leur permit même de convoquer une assemblée générale des députés et des gentilshommes de leur province pour y passer un acte de fidélité au roi. » Cette assemblée eut lieu à Colognac, en septembre 1683. Cinquante pasteurs protestants, cinquante-quatre gentilshommes, trente-quatre avocats, médecins ou bourgeois notables, y protestèrent de leur attachement au roi, exhortant tous leurs coreligionnaires à la modération et à la patience.

Après la paix de Ryswick(1697), les protestants espérèrent encore ; mais, au lieu de leur être favorable, cette paix tourna contre eux, et les maux qu'ils avaient soufferts depuis la révocation et qui s'étaient un peu relâchés pendant la guerre se renouvelèrent avec plus de violence que jamais. Pressés d'abjurer, ils répondirent qu'ils étaient prêts à sacrifier leur vie au roi, mais que leur conscience étant à Dieu, ils ne pouvaient en disposer. Alors la terreur et la proscription régnèrent dans ce pays. D'abord on leur envoya des dragons pour les convertir. Ces missionnaires bottés, comme ils les appelaient, entraient dans les maisons l'épée à la main : « Tue ! tue ! criaient-ils, ou catholique ! » C'était leur mot d'ordre.

Ces moyens expéditifs ne suffisant pas, on en inventa d'autres : on pendait ces pauvres gens à leurs cheminées par les pieds pour les étouffer par la fumée ; d'autres étaient jetés dans des puits ; il y en eut auxquels on arracha les ongles ou qu'on larda de la tête aux pieds d'aiguilles et d'épingles. C'est ainsi qu'on leur extorquait parfois leurs signatures ; mais ces. conversions à la dragonne ne faisaient que des hypocrites.

Tel était, au commencement du XVIIIe siècle, le sort des protestants des Cévennes, et non seulement on les surchargea de gens de guerre, mais d'impôts. Les prêtres, abusant de leur influence, firent peser sur eux une capitation extraordinaire, et plus de vingt paroisses du Gévaudan se trouvèrent tout à coup ruinées par ces exactions. Au mois de juin 1702, de pauvres paysans qui n'avaient pu payer ayant été pendus, ceux des villages voisins se soulevèrent, surprirent pendant la nuit les receveurs du droit de capitation et les pendirent à des arbres leurs rôles au cou ; et comme ils s'étaient déguisés en mettant deux chemises, l'une par-dessus leurs vêtements et l'autre sur la tête, on les appela camisards, du mot camise (en patois du pays chemise).

Cependant les historiens varient sur l'origine de ce mot : les uns le font dériver du mot cami (chemin), les autres le font remonter au siège de La Rochelle, les protestants qui entreprirent de secourir cette place s'étant couverts chacun d'une chemise pour se faire reconnaître ; d'autres- enfin prétendent que, comme les camisards étaient vêtus la plupart à la manière des paysans des Cévennes qui portaient alors un justaucorps de toile, ressemblant de loin à une chemise, ils en ont tiré leur nom. Quoi qu'il en soit, il est certain que ce sobriquet fut particulier à ceux des Cévennes.

Cependant la persécution ne se lassait pas. Les prisons regorgeaient de protestants ; on confisquait leurs biens. Des pères de famille, des vieillards étaient condamnés aux galères ; d'autres périssaient dans les supplices : roués, brûlés ou pendus. Une pauvre fille fut exécutée au Pont-de-Montvert ; une autre fouettée par la main du bourreau. Chaque jour des proscriptions et des victimes. On arrachait les enfants des bras de leurs mères, et l'on jetait celles-ci dans des couvents pour être converties. « Bien plus, dit le savant Tollius, on soulevait les enfants contre leurs parents en les émancipant, en dépit de leur jeune âge. » Plus de temples que les couvents ; point d'autre sépulture que les grands chemins ; partout l'inquisition avec ses missionnaires expéditifs. Tels sont, en substance, les détails sur lesquels s'accordent les historiens protestants.

Les départements et leur histoire-Lot et Garonne-47-

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Les départements et leur histoire-Lot et Garonne-47-
(Région Aquitaine)
 

Le département du Lot-et-Garonne correspond à peu près au territoire qu'occupait avant l'invasion romaine la peuplade celtique des Nitiobriges. Cette peuplade et celle des Bituriges Vivisques étaient les deux seules appartenant à la grande nation des Celtes, dont la domination s'étendit sur la rive gauche de la Garonne.

Ce territoire formait le Pagus Aginnensis, ainsi appelé de la capitale Agedinum. Loin de s'associer à cette énergique résistance nationale dont leurs voisins leur offrirent tant d'exemples, les Nitiobriges trahirent la cause commune en livrant le passage de la Garonne aux Romains, lorsque Crassus, lieutenant de César (56 ans avant J.-C.), attaqua l'Aquitaine. La petite peuplade des Sotiates opposa seule de la résistance dans la forteresse de Sos, dont le nom se retrouve aujourd'hui à l'extrémité sud-ouest du département. C'est là que le chef Adcantuan se défendit avec un courage héroïque ; il pratiquait des mines jusque sous les travaux des assiégeants ; il faisait des sorties terribles, accompagné de ses six cents Soldures, ces hommes qui se dévouaient à la vie à la mort à un chef de tribu.

Une capitulation honorable lui fut accordée. Les Nitiobriges avaient accepté le titre flétrissant d'alliés de la république romaine. Pourtant, lorsque Vercingétorix, assiégé dans Alésia, fit un dernier appel au patriotisme des Gaulois, ils revinrent à de meilleurs sentiments et fournirent cinq mille hommes sous le commandement de Teutomar, fils d'Ollovicon ; malheureusement, ce chef imprudent se laissa surprendre sous les murs de Gergovie, tandis qu'il faisait la méridienne dans sa tente, et vit son camp enlevé avant qu'il eût pu se reconnaître ; il n'eut que le temps de sauter demi nu sur son cheval et faillit tomber aux mains des ennemis.

L'époque celtique n'a pas laissé des traces bien nombreuses dans le département de Lot-et-Garonne ; pourtant, on trouve dans les environs d'Agen et de Tournon des dolmens et des peulvens assez bien conservés ; à La Plaigne, près de La Montjoie, arrondissement de Nérac, on voit des ruines d'un vaste édifice qu'on suppose avoir été un temple druidique ; enfin on a déterré aussi en plus d'un endroit des monnaies gauloises, des haches en silex, en porphyre, en bronze, débris de la demi civilisation qui précéda dans ces lieux la civilisation romaine.

Quand les Romains, maîtres de la Gaule, la divisèrent en dix-sept provinces, le Pagus Aginnensis, que nous appellerons désormais Agénois, fut compris dans la seconde Aquitaine, dont il forma l'angle méridional. L'Aquitaine était renommée pour la fertilité de son sol, même à cette époque de décadence où tant de parties de l'empire étaient devenues désertes, puisque Salvien l'appelle le « coeur des Gaules, les mamelles de la fécondité, l'image du paradis. »

Or, dans l'Aquitaine, l'Agénois se distinguait encore par la richesse de ses belles vallées de la Garonne, du Lot et de la Baïse, par la grâce et la fraîcheur des nombreux vallons qui entrecoupent ses plateaux élevés ; il n'est donc pas surprenant que les riches Romains se soient plu à l'habiter, à y construire de somptueuses villas dont les fouilles, particulièrement celles que l'on a faites à Nérac et à Sainte-Pompogne, nous ont révélé l'existence. Statues, figurines, vases antiques, amphores, médailles, monnaies impériales, admirables mosaïques ont été recueillies avec soin.

Les voies romaines sillonnaient le pays ; l'une d'elles subsiste encore aujourd'hui et conduit les voyageurs des rives de la Garonne vers la ville de Sos et l'Armagnac ; on l'appelle la Ténarèse (iter Caesaris). Quiconque allait à Bordeaux, venant du centre de l'empire, traversait l'Agénois. Agen possédait une école qui le disputait à celtes de Toulouse et d'Auch, sinon à celles de Bordeaux.

Le christianisme fut apporté dans l'Agénois, vers 250, par saint Vincent, qui fut martyrisé à Vellanum. Les légendes parlent également de saint Maurin, martyrisé au lieu même où s'éleva depuis l'abbaye de Saint-Maurin, sur les confins de l'Agénois et du Quercy.

L'Aquitaine ayant été cédée par Honorius aux Wisigoths, l'Agénois appartint à ces nouveaux maîtres jusqu'en 507, que les Francs de Clovis les chassèrent du bassin de la Garonne. Les rois francs se le disputèrent. Gontran l'enleva à Chilpéric et le perdit en 587. Dagobert le comprit dans le royaume qu'il constitua à son frère Caribert. En 732, les Sarrasins l'envahirent. Pépin s'en empara sur Waïfre. Charlemagne, à la fin du VIIIe siècle, l'érigea en comté en faveur d'Ermiladius, arrière-petit-fils du duc Eudes.

Ce comté devint héréditaire et passa sous le régime féodal après la chute des Carlovingiens, révolution qui s'accomplit partout au milieu des incursions dont les Normands criblaient notre pays. Pour ces pirates, les fleuves étaient des routes ouvertes. Ils remontèrent ainsi la Garonne jusqu'à Toulouse, en 863, semant l'incendie et la mort sur ces beaux rivages. Pépin, roi d'Aquitaine, les avait appelés pour se maintenir avec leur secours contre ses sujets révoltés.

Enfin ce fléau s'épuisa. L'Agénois avait passé pendant ce temps à Wulfrin, comte d'Angoulême et de Périgord. Garcias le Courbé, duc de Gascogne, le lui enleva en 886. En effet, depuis que les Gascons, au VIe siècle, descendant du versant des Pyrénées, s'étaient répandus vers le nord, la domination de leurs ducs atteignait la Garonne ; elle la dépassa dès lors, et, jusqu'en 1030, ils demeurèrent maîtres de l'Agénois ; ce comté fut alors donné en dot à la fille d'un des ducs gascons, laquelle le porta à la maison de Poitiers.

Au siècle suivant, Éléonore de Guyenne, à son tour, le porta successivement aux rois de France et aux rois d'Angleterre, qui le gardèrent peu de temps, Richard Coeur de Lion l'ayant donné en dot (1196) à sa soeur Jeanne lorsqu'elle épousa Raymond VI, comte de Toulouse. Ces comtes, déjà suzerains de l'Agénois depuis deux siècles, en devinrent alors seigneurs directs.

 

Avec la domination toulousaine, l'hérésie albigeoise se répandit dans l'Agénois. Au reste, ce pays était particulièrement préparé à la recevoir puisque, dès la fin du r siècle et le commencement du XIe, il s'y trouvait un grand nombre de manichéens condamnés par plusieurs conciles et qu'un auteur contemporain, Rodolphus Ardens, désignait sous le nom d'Agénois. Il souffrit considérablement de la fatale croisade qui coûta alors au midi de la France sa prospérité et sa brillante civilisation. « O terres d'Agen, de Béziers, de Carcassonne, s'écrie un troubadour, quelles je vous vis et quelles je vous vois ! »

Simon de Montfort y exerça le pouvoir en souverain et y établit un sénéchal. Moins heureux, son fils Amaury fut chassé et ne rentra qu'avec le secours de Louis VIII, auquel il céda ses droits peu de temps après. La mort de ce roi retarda la chute de l'Agénois sous la domination directe de la couronne de France ; il fut au nombre des pays que le traité de Meaux (1229) laissa à Raymond VII, et tomba des mains de ce dernier dans celles de son gendre Alphonse, frère de saint Louis, en 1245, et enfin de celles d'Alphonse à la couronne, en 1271.

Cependant les rois d'Angleterre protestaient et redemandaient l'Agénois comme un des pays que saint Louis s'était engagé à céder par son traité avec Henri III. Henri III lui-même avait élevé cette prétention à la mort de Raymond VII, et chargé Simon de Montfort, comte de Leicester et deuxième fils du chef de la croisade anti-albigeoise, de réclamer la restitution de cette province aux exécuteurs testamentaires du dernier comte.

Mais l'énergique opposition des habitants fit échouer cette réclamation. Des députés furent envoyés à la cour de France, et prêtèrent dans les mains de la reine mère leur serment de fidélité au comte Alphonse et à la comtesse Jeanne, « absents pour le service de Jésus-Christ, » c'est-à-dire à la croisade avec saint Louis. Henri III renonça à faire de nouvelles démarches ; mais Édouard Ier, son successeur, reprit l'affaire et la mena à meilleure fin.

En effet, par le traité d'Amiens (1279), il se fit restituer l'Agénois et il en donna la jouissance à sa mère Éléonore. Cette province ne demeura pas longtemps sans contestation au pouvoir des Anglais. Lorsqu'en 1292 une querelle de matelots brouilla Philippe le Bel et Édouard, le roi de France, hautain et ambitieux, signifia au roi d'Angleterre, alors dans l'Agénois, une citation appuyée par de nombreux griefs, relatifs en grande partie à cette province. Il l'accusait, par exemple, d'avoir pendu deux sergents d'armes à qui la garde de Castelculier, près d'Agen, était confiée ; d'avoir « arrêté et détenu en prison un grand nombre de personnes, notamment maître Raymond de Lacussan, avocat d'Agen, parce qu'ils disaient qu'il était licite d'appeler du sénéchal de Gascogne et de toute la terre d'Agénois au roi de France. »

Philippe le Bel envoya une armée qui s'empara du pays (1295) ; la guerre s'y fit avec des succès divers jusqu'en 1299. Elle recommença en 1324 à l'avantage des Français, puis en 1337, et cette fois le comte de Derby donna la supériorité aux armes anglaises ; Jean, duc de Normandie, fils du roi de France Philippe VI, échoua au siège d'Aiguillon (1345). Agen restait pourtant aux Français, et leurs 'plus habiles généraux, les comtes d'Armagnac, de Foix, de L'Isle-Jourdain, le roi de Navarre, le sire de Craon soutenaient dans l'Agénois une lutte opiniâtre contre les capitaines anglais.

Le traité de Brétigny rendit ces efforts inutiles en livrant à Édouard cette province parmi tant d'autres. Charles V reprit les armes si honteusement déposées sous le règne de son père l'Agénois fut reconquis et fortement occupé par le duc d'Anjou. Pourtant les hostilités y recommencèrent sous Charles VI et s'y prolongèrent avec des succès divers et de grandes complications pendant tout son règne et pendant la première partie du règne de son successeur. La reprise d'Agen (1439) fut enfin le signal de la retraite définitive des Anglais. Bientôt après se termina cette terrible guerre de Cent ans dont l'Agénois avait été presque continuellement, comme on peut le remarquer, un des principaux théâtres.

Momentanément aliéné par Louis XI en faveur de son frère le due de Berry, l'Agénois fut réuni à la couronne. Mais la partie sud-ouest du département de Lot-et-Garonne, celle où se trouvaient situées les deux villes alors importantes de Nérac et de Casteljaloux, appartenait à la maison d'Albret. Cette puissante maison accrut ses possessions déjà considérables par le mariage du comte Henri d'Albret avec Marguerite de Valois, soeur de François Ier, qui lui apporta en dot l'Armagnac.

La faveur que cette savante princesse accorda aux réformés propagea dans le pays la religion nouvelle et en fit comme une lice ouverte où se rencontrèrent, pendant les guerres de religion,. les plus fameux chefs des deux partis, entre autres le terrible Montluc. En 1572, l'Agénois, avec le Quercy, fut donné en apanage par Charles IX à sa soeur, la seconde Marguerite de Valois, qui épousait Henri de Navarre.

Celui-ci domina dès lors, en son nom et au nom de sa femme, dans toute l'étendue du pays qui forme le département ; mais il se fit des ennemis dans sa nouvelle province par ses scandales amoureux, et se vit bientôt obligé de la défendre contre les troupes royales, puis contre sa femme elle-même lorsqu'elle se fut tournée du côté de la Ligue. Avec Marguerite de Valois finit, en 1616, la liste des comtes apanagistes de l'Agénois. Toutefois, la soeur du cardinal de Richelieu, Mme de Combalet, acquit, en 1642, l'engagement du pays d'Agénois moyennant soixante mille francs, et les ducs d'Aiguillon, branche cadette de la maison de Richelieu, en ont joui jusqu'en 1789 ; les cinés de cette branche prenaient même le titre de comtes d'Agénois.

Quoique réuni définitivement à la couronne au commencement du XVIIe siècle, l'Agénois n'en fut pas moins un des pays qui ressentirent le plus vivement tous les troubles qui agitèrent les règnes de Louis XIII et de Louis XIV. C'était un des derniers foyers de la Réforme. Dès 1614, Louis XIII fut obligé d'aller assiéger Tonneins. Sept ans après (1621), la défense des protestants dans l'Agénois ayant été confiée au marquis de La Force, Louis XIII s'y rendit de nouveau à la tête d'une armée : tout le pays se soumit, moins Clairac, qu'il fallut assiéger.

Mais, à la nouvelle de l'échec des troupes royales devant Montauban, la révolte éclata de nouveau et obligea le roi de revenir sur ses pas ; la supériorité de ses forces lui donna promptement la victoire, et cette fois, avant de se retirer, il fit démanteler la plupart des villes et châteaux de l'Agénois. Pendant les troubles de la Fronde, le prince de Condé s'efforça d'entraîner cette province dans le parti des rebelles. Mais la plupart des habitants se déclarèrent pour le duc d'Harcourt qui y commandait les troupes royales, et firent leur soumission au roi.

Depuis lors, plus rien de nouveau jusqu'en 1789. Nous ferons seulement observer que cette province non seulement n'est demeurée étrangère à aucun des grands épisodes de l'histoire de France, mais encore que, grâce sans doute à sa position à peu près centrale dans la Guyenne et la grande vallée de la Garonne, elle y a presque toujours joué un rôle considérable : croisade contre les Albigeois, guerre de Cent ans, guerres de religion, s'y sont en quelque sorte concentrées.

Les départements et leur histoire - Lot - 46 -

Publié à 15:18 par acoeuretacris Tags : Départements
Les départements et leur histoire - Lot - 46 -
(Région Midi-Pyrénées)
 

Le département du Lot et celui de Tarn-et-Garonne ont été formés de la province qui portait, avant 1789, le nom de Quercy. Ce nom, que l'on a voulu faire dériver des chênes (quercus) dont le pays était autrefois couvert, vient des Cadurci, le peuple gaulois qui occupait cette contrée avant l'invasion romaine.

Les Cadurci étaient de race celtique. Établis dans les bassins du Tarn, du Lot et de la Dordogne, presque au pied des montagnes d'Auvergne, dont les ramifications donnaient à leur pays cet aspect aride et escarpé qui rappelle l'Afrique au voyageur, ils étaient sur la zone même où se rencontraient les peuples celtiques et les peuples ibères. A leur droite et à leur gauche, les Petrocorii (Périgord) et les Rutheni (Rouergue) étaient Celtes comme eux ; plus au sud et plus à l'ouest, l'origine ibérienne des habitants se reconnaissait et se reconnaît encore à leurs caractères, physiologiques.

Si les monuments celtiques ne sont pas aussi nombreux dans ce département que dans certains autres, ils n'y manquent point cependant. On y trouve particulièrement des monuments funèbres, des tombelles, dont quelques-unes renferment plusieurs cercueils de pierre superposés, par exemple celle qu'on nomme Puy-les-Martres (Puy-des-Martyrs) ; des dolmens, qui sont également des monuments funèbres, comme l'attestent les squelettes mis à découvert par les fouilles, et dont le principal est celui qu'on appelle la Pierre Martine, près de Livernon : il a plus de 7 mètres de longueur et plus de 3 de largeur ; sa table supérieure oscille sur ses supports pendant une minute à la moindre pression de la main ; auprès des squelettes, on a trouvé des flèches et des haches en silex, des fragments de poterie, des ornements en os ou en pierre, des épées et des poignards en cuivre. Près de Prayssac, sur la montagne de Roquebert, on voit un cromlech assez considérable.

Les Cadurci formaient une cité qui dépendait de la grande confédération des Arvernes. Ils prirent part avec ce peuple puissant à l'énergique résistance qu'il opposa aux généraux de Rome. Ils combattirent avec Britich sur les bords du Rhône contre Fabius. Plus tard, dans la grande lutte contre César, ils fournirent leurs contingents au camp d'Alésia, où Vercingétorix avait convoqué la Gaule entière, et enfin leur pays eut l'honneur de servir de théâtre aux derniers efforts de l'indépendance gauloise.

On s'est demandé où était située la ville d'Uxellodunum. Cahors, Luzech, Puech d'Usselou, Capdenac se sont disputé ce nom. Le Puech-d'Usselou ou Puy-d'Issolu, selon d'Anville, est l'ancienne Uxellodunum. Des recherches et des fouilles pratiquées sous la direction du commandant Stoffel, plaidèrent en faveur de cette opinion, malgré les assertions de Champollion-Figeac et de la commission de topographie des Gaules, qui penchèrent, celle-ci pour Luzech, et celui-là pour Capdenac. Uxellodunum était une place fortement située sur un rocher à pic, au pied duquel serpentait une rivière. Le lieutenant de César, Caninius, qui venait de vaincre Dumnacus, s'avança à la poursuite de Drapès et de Lucterius jusqu'à la place dont nous parlons et où les fugitifs se jetèrent.

Lucterius était du pays ; c'était un Cadurque à qui ses richesses et son esprit ambitieux avaient donné dès longtemps une grande influence et qui venait de l'accroître encore par des services rendus à la cause de la Gaule tout entière. Arrêté devant cette place inexpugnable, Caninius eut le bonheur de s'emparer de Drapès et de mettre en fuite Lucterius, à la suite d'une sortie qu'ils venaient de faire pour aller chercher des vivres, dont la disette se faisait sentir dans la ville.

Avoir privé la ville de ses deux meilleurs défenseurs, ce n'était pourtant point l'avoir prise, et l'arrivée de César ne fut pas inutile à son lieutenant. Il commença par empêcher les habitants de venir puiser de l'eau à la rivière, et, comme ils étaient obligés pour cela de descendre le flanc escarpé de la montagne, il y réussit facilement en disposant en face des archers et des machines à projectiles. Privés de l'eau de la rivière, les assiégés recoururent à celle d'une fontaine qui coulait au pied de leurs murs. César voulut également les en écarter et fit construire près de ces murs une tour de bois à dix étages d'où les traits pleuvaient sur eux ; ils s'en débarrassèrent en faisant rouler contre elle des tonneaux de suif et de bitume enflammé.

César trouva alors un moyen fort efficace ; une tranchée creusée dans le roc détourna les eaux de la source qui tarit subitement à la vue des assiégés ; ce qui les jeta dans un tel désespoir qu'ils virent dans cet événement moins l'habileté humaine qu'un arrêt du ciel. Ils se rendirent. César leur laissa la vie et leur fit couper les mains, « afin de rendre plus visible à tous le châtiment des méchants, » comme dit singulièrement son compagnon de guerre et le continuateur de ses Commentaires, Hirtius.

Drapès se laissa mourir de faim. Lucterius fut livré par la trahison d'un Arverne nommé Epasnact, « grand ami du peuple romain, » et mourut par la main du bourreau. La Gaule, saisie de terreur, n'osait plus remuer ; elle tremblait au seul nom de César ; et les voisins des Cadurques, redoutant leur sort, chantaient entre eux à voix basse ce refrain demeuré traditionnel :

Prends garde, fier Pétrocorien,
Réfléchis avant de prendre les armes,
Car, si tu es battu,
César te fera couper les mains !

 

Le pays des Cadurques fut compris, sous Auguste, dans la Gaule Aquitaine, et, sous Honorius, dans la Première Aquitaine. Il reçut, comme toutes les provinces gauloises, en dédommagement de la liberté perdue, les bienfaits de la civilisation romaine, des routes, des aqueducs, des édifices, dont nous parlerons à propos de Cahors. On ne cite guère néanmoins que trois localités du département qui datent de l'époque romaine : Cahors ; Duravel (Diolidinum), et Mercuès (Mercurii Castrum).

Au Ve siècle, le Quercy eut sa part des malheurs de la Gaule et fut ravagé successivement par les Vandales, les Alains, les Suèves, enfin les Wisigoths qui s'y établirent, et en furent chassés par Clovis. Il suivit le sort de l'Aquitaine sous les rois francs de la première et de la deuxième race. Celle-ci, toute belliqueuse et résolue à dompter enfin le midi de la Gaule, toujours rebelle au nord, entreprit ces guerres terribles que signala la résistance des princes vascons Hunald et Waïfre. Associé par sa situation géographique à la lutte des Méridionaux, le Quercy fut un des principaux théâtres de cette guerre défensive que favorisaient ses montagnes et ses nombreux défilés. Après le triomphe des Carlovingiens, il forma, avec le Rouergue, l'un des neuf comtés établis par l'empereur d'Occident dans le royaume d'Aquitaine, échu à son fils.

Quoique éloigné de la mer, le Quercy n'en fut pas moins exposé, pendant les trois siècles qui suivirent la mort de Charlemagne, aux ravages des Normands. Avoir des fleuves et des rivières navigables, c'est une richesse pour un pays ; mais, à cette époque désastreuse, c'était une calamité. Les Normands remontèrent la Dordogne jusqu'à Souillac, le Lot et le Célé jusqu'à Figeac, répandant partout la désolation.

Le régime féodal rendit au pays la sécurité. On regarde comme le premier comte héréditaire du Quercy un certain Rodolphe, qui vivait en l'an 900. Mais sa postérité ne posséda ce comté que pendant soixante ans. Robert, arrière-petit-fils de Rodolphe, ayant fait la guerre à Pons, comte de Toulouse, en fut complètement dépouillé. Depuis cette époque, le Quercy fut possédé, conjointement avec le Rouergue, par une branche de la maison des comtes de Toulouse que l'on croit avoir été la branche aînée.

Enfin, en 1065, Berthe, comtesse de Quercy et de Rouergue, étant morte sans postérité, ces deux pays furent réunis au domaine des comtes de Toulouse et suivirent les destinées de la maison de Saint-Gilles. Le divorce d'Éléonore et de Louis VII, suivi du mariage de cette princesse avec le roi d'Angleterre, Henri II, livra la Guyenne aux Anglais et leur donna des prétentions sur le comté de Toulouse. Henri II entreprit aussitôt la guerre contre Raymond V et marcha sur Toulouse ; n'ayant pu s'en emparer, il prit du moins Cahors (1159) ; mais la paix qui se fit bientôt après lui enleva sa conquête.

En 1188, la guerre recommença. Raymond V, offensé par l'un des fils du roi d'Angleterre, le fameux Richard Coeur de Lion, fit arrêter deux chevaliers anglais qui revenaient d'un pèlerinage à Saint-Jacques en Galice. Outré de colère, Richard se jeta sur le Quercy, y prit dix-sept châteaux et demeura en possession de cette province jusqu'en 1196. Devenu alors roi d'Angleterre, il fit la paix avec Raymond VI, qui avait succédé à Raymond V, et, renonçant à ses prétentions sur le comté de Toulouse, lui rendit le Quercy.

La guerre des Albigeois répandit la désolation dans tout le Midi. Le Quercy fut envahi par Simon de Montfort et la possession lui en fut confirmée par le légat du pape. Un peu plus tard, Raymond VI ayant recouvré ses États, les transmit à son fils Raymond VII ; mais celui-ci trouva un adversaire plus redoutable encore dans le roi de France. Le comté de Toulouse et ses dépendances furent presque entièrement annexés au domaine de la couronne. Le Quercy appartenait en effet au roi de France sous le règne de saint Louis ; mais il fut au nombre des provinces que ce monarque abandonna à l'Angleterre par le traité de 1259, sous condition d'hommage lige. Plus tard, conquis par Du Guesclin sous Charles V, puis repris par les Anglais, il resta en leur pouvoir jusqu'à l'époque où ils furent chassés de France, c'est-à-dire jusqu'en 1453.

Louis XI incorpora le Quercy à la Guyenne, qu'il donna à son frère Charles de Berry. A la mort de ce dernier (1472), la province fut pour toujours réunie au domaine royal. Avant cette réunion, le Quercy avait ses états provinciaux. Ces états votaient les subsides que le pays accordait au comte ; ils continuèrent d'exister et de voter les subsides pour le roi. Ils se composaient des trois ordres. Le tiers se formait des députés de 24 communes, villes et bourgs, dont les principales étaient Cahors, Montauban, Figeac et Moissac. Ils se réunissaient dans une de ces quatre villes. L'évêque de Cahors en avait la présidence. En 1552, Henri II institua à Cahors un présidial.

Les guerres de religion mirent en évidence un contraste, une rivalité même qui a toujours existé entre le haut et le bas Quercy. Le haut Quercy, où se trouvait Cahors, resta fidèle au catholicisme ; le bas Quercy, plus méridional, se déclara pour les calvinistes qui y trouvèrent une de leurs plus fortes places, Montauban. Malgré cette hostilité si marquée, l'unité administrative du Quercy subsista jusqu'à la fin de la monarchie, si ce n'est qu'une faible partie de la province, celle qui était située au nord de la Dordogne, relevait du parlement de Bordeaux, tandis que tout le reste relevait de celui de Toulouse.

L'organisation nouvelle de 1779, qui réunit, sous le nom d'administration de la haute Guyenne, le Quercy et le Rouergue, n'amena point encore de séparation, et il en fut de même en 1790, de l'organisation départementale, qui enveloppa tout le Quercy dans l'unique circonscription du département du Lot. Sans doute les circonstances étaient trop graves et les préoccupations trop considérables pour que les législateurs de la France eussent le temps de songer aux petites jalousies de Montauban contre Cahors ; mais, en 1808, comme Napoléon Ier revenait de Rayonne où il avait disposé de la couronne d'Espagne, les Montalbanais profitèrent de son passage pour lui exposer les griefs de leur vanité et solliciter le rang de chef-lieu de département. Il leur accorda ce qu'ils demandaient, et un sénatus-consulte, en détachant le bas Quercy pour en former le département de Tarn-et-Garonne, resserra celui du Lot dans les limites du haut Quercy.

Les départements et leur histoire - Loiret - 45 -

Publié à 14:54 par acoeuretacris Tags : Départements
Les départements et leur histoire - Loiret - 45 -
(Région Centre)
 

Plusieurs peuples gaulois ont primitivement habité le territoire qui forme le département du Loiret ; les Carnutes occupèrent la partie septentrionale, et les Senones s'étendaient vers l'est, dans le pays appelé depuis Gâtinais. Ces deux confédérations ne se montrèrent pas hostiles à César dans les premières années de la guerre qu'il fit en Gaule.

Mais, en l'année 52, lorsque toutes les populations se furent soulevées à la voix de Vercingétorix, un Senonais et un Carnute s'efforcèrent d'arracher leurs compatriotes à la servitude romaine. Le premier, Accon, échoua dans sa tentative et fut mis à mort ; le second, Cotuatus, fut plus heureux. César s'était emparé de la ville principale de la contrée, Genabum (Orléans), et y avait réuni une partie de son armée et de ses munitions ; Cotuatus surprit cette place, fit périr le commandant romain Fusius et tous les Italiens qu'il avait autour de lui.

A cette nouvelle, César accourt, amenant avec lui les légions qu'il tenait en réserve à Agendicum (Sens), soumet les Senones révoltés et surprend Orléans. Les habitants jettent un pont sur la Loire et s'efforcent de fuir ; César tait mettre le feu à leur ville, et presque tous périssent dans les flammes en expiation du meurtre des Romains. Le conquérant s'empara ensuite de la capitale des Bituriges, Avaricum, puis d'Alise ; le héros de l'Arvernie fit sa soumission, et la Gaule fut domptée. Les Carnutes se résignèrent désormais à la domination romaine. Sous les empereurs, la capitale du pays, restaurée par Aurélien, prit de son bienfaiteur le nom d'Aurelianum,, et Dioclétien rangea la partie du territoire des Carnutes et des Senones qui nous occupe dans la 4sup>e Lyonnaise (292). Ce fut à peu près à cette époque que le christianisme fut apporté dans la contrée par saint Albin et qu'Orléans eut son premier évêque.

A l'époque des invasions, la position centrale des Carnutes et des Senones les exposait aux ravages de ces troupes immenses qui traversaient la Gaule du nord au sud. Orléans vit d'abord les Vandales, les Alains, puis les Huns et leur terrible chef Attila. Cette dernière invasion était plus désastreuse que toutes les précédentes ; l'évêque de la ville, saint Aignan, se rendit sous la tente du barbare pour le fléchir ; Attila imposa de si dures conditions, que les habitants et le prélat lui-même préférèrent t courir les risques d'un siège plutôt que de se soumettre.

Leur ville, pressée de tous les côtés par des hordes innombrables, allait être emportée ; ses habitants s'abandonnaient à un affreux désespoir ; le pieux évêque était à l'autel environné des prêtres, n'espérant plus que dans la miséricorde céleste, quand du haut des murailles on signala les premiers cavaliers de l'armée romaine que le patrice Aétius amenait contre les barbares ; les Huns abandonnèrent leur proie ; poussés par ce nouvel ennemi, ils remontèrent vers le nord. On sait le résultat de la rencontre qui eut lieu à Châlons-sur-Marne (451). Orléans était sauvé, mais tout le pays et les villes moins fortes avaient été si horriblement saccagés, que plusieurs d'entre elles ne se relevèrent pas de ce désastre.

Ceux des barbares qui s'établirent les premiers d'une manière définitive dans ce pays furent les Francs ; la victoire de Soissons livra à Clovis la Gaule jusqu'aux bords de la Seine (486). Son alliance avec la nièce du roi Gondebaud, Clotilde, étendit sa domination jusqu'à la Loire. Les évêques de toute la Gaule centrale accueillirent avec empressement un roi qui, bien que païen encore, favorisait le catholicisme. Orléans fut l'une des premières villes qui reconnurent son autorité, et le chef franc en fit sa principale place d'armes, lorsqu'il porta ses armes au midi de la Loire contre les Wisigoths.

A la mort de Clovis, un de ses quatre fils entra en possession de cette importante cité et prit le titre de roi d'Orléans (511). Ce jeune prince, Clodomir, périt en 524 dans une guerre contre les Bourguignons ; il laissait trois jeunes enfants : deux furent égorgés par leurs oncles Childebert et Clotaire ; le troisième, Clodoald, n'échappa à un sort pareil qu'en faisant couper sa longue chevelure, insigne de la dignité royale chez les Francs, et en se consacrant à Dieu ; il fonda auprès de Paris un monastère qui a été l'origine du village de Saint-Cloud.

Les États de Clodomir furent partagés entre Childebert et Clotaire. Cc dernier en fut seul possesseur et hérita de toute la monarchie franque à la mort de son frère, en 558. Trois années plus tard (561), Clotaire mourut ; il n'y eut plus de roi d'Orléans ; cette ville échut à Gontran, roi de Bourgogne, dans le partage que les quatre fils de Clotaire firent à leur tour des États de leur père. Cette période est pour toute la Gaule une époque d'anarchie.

Les pays des Carnutes et des Senones eurent leur part des calamités générales ; Orléans et son territoire furent plus d'une fois dévastés dans les guerres que se firent les rois francs, et dans la lutte de Frédegonde et de Brunehaut ; cette cité vit aussi quelques bandes de l'armée arabe d'Abd-el-Rhaman ; mais la victoire de Charles Martel, à Poitiers (732), lui épargna de nouveaux désastres. Vingt ans après cette victoire qui sauvait la Gaule, la famille d'Héristal recueillait les fruits des services qu'elle avait rendus aux Francs, en remplaçant sur le trône la dynastie des Mérovingiens.

A cette époque, les ducs d'Aquitaine s'efforcèrent de conquérir leur indépendance au midi de la Loire ; les soumettre fut en partie l'oeuvre du règne de Pépin ; Orléans et son territoire virent plus d'une fois les opiniâtres ennemis du roi franc. Hunald et Waïfer reportèrent au nord de la Loire les ravages que le fils de Charles-Martel n'épargnait pas au midi. Le règne glorieux de Charlemagne fut une trêve entre deux époques calamiteuses ; grâce à une administration bienfaisante et à une répression sévère des excès et des actes injustes, Orléans et les pays qui l'environnent jouirent d'un bien-être inaccoutumé.

A cette époque existaient déjà les noms de Sologne et de Gâtinais, qui, sans jamais indiquer des divisions administratives et provinciales, se sont perpétués jusqu'à nous. Quand les Francs eurent envahi la Gaule, les anciennes divisions établies par les Romains s'effacèrent et furent remplacées par des divisions nouvelles tout à fait arbitraires, qui prirent, selon leur étendue, le nom de pagi majores ou pagi minores. Les pagi majores reproduisaient à peu près les cités -dans toute leur étendue ; les pagi minores en étaient des subdivisions ; quant aux noms particuliers de ces pagi, ils eurent tous une origine diverse et souvent obscure.

Dans le territoire qui aujourd'hui forme le Loiret, se trouva le vaste pagus d'Orléans, et en partie les pagi minores de Magdunum (Meung) ; de Sigalonia (Sologne) , peut-être ainsi nommé de secale ou segale, seigle, ou de siligo, sorte de froment qu'on recueille aussi dans les terres de Sologne, peut-être encore de Sabulonia, nom qui devrait son origine à la nature du sol ; de Belsia (Beauce) ; de Gastum (Gâtinais), dont nous pouvons avancer une étymologie dans le mot gastini, venant de vastare, abatis d'arbres, mais qui, peut-être bien, a tout simplement son origine dans le mot vastum, à cause de son étendue.

Charlemagne régularisa ces divisions qui s'étaient établies d'elles-mêmes ; dans la plupart des pagi, il plaça des comtes pour les administrer ; ces bénéficiaires, tous amovibles et viagers, parvinrent à se rendre héréditaires sous les faibles successeurs de l'empereur carlovingien, quand ils ne furent plus surveillés par les legati et par les missi dominici, officiers impériaux qui rattachaient au centre les extrémités de l'empire et donnaient l'unité à la vaste administration de leur roi.

En 861, Charles le Chauve accorda à Robert le Fort, tige des rois capétiens, le gouvernement du duché de France ; le comté d'Orléans et tout le Gâtinais étaient compris dans cette vaste donation ; ce fut un bienfait pour ces provinces ; elles avaient été ravagées à plusieurs reprises par les bandes de pirates normands qui, remontant les grands fleuves sur leurs bateaux, prenaient les villes riveraines et mettaient tout à feu et à sang sur leur passage.

Orléans avait été pris et dévasté en 856 ; Robert et ses successeurs surent faire en partie respecter par ces pirates la province qu'ils gouvernaient. Sous ces puissants seigneurs, les principales villes eurent leurs comtes particuliers ; la capitale du Gâtinais ; Château-Landon, avait été donnée par Louis II, le Bègue, à son sénéchal Ingelger, avec la main de l'héritière du comté, Adèle, fille de Geoffroy Ier. Les sires de Beaugency, Courtenay, Gien, Pithiviers, Sully furent autour d'Orléans les membres principaux de la hiérarchie féodale. Les évêques d'Orléans étaient à la même époque devenus grands vassaux ; ils possédaient en fiefs les terres de leurs églises, à charge seulement de service militaire.

Lorsque Hugues Capet remplaça sur le trône les Carlovingiens, ses vastes possessions se trouvèrent, par le fait de son usurpation, réunies à la couronne, et ce fut dans la tour d'Orléans que le nouveau roi fit enfermer son compétiteur, l'héritier légitime, Charles de Lorraine, qui avait essayé de faire valoir son droit par les armes. Quelques-uns des vassaux secondaires s'étaient affranchis autour d'Orléans de la suprématie des ducs de France ; il en avait été ainsi des comtes du Gâtinais ; Philippe Ier, quatrième capétien, recouvra ce comté en 1062.

Philippe mourut en 1108 et fut inhumé dans le monastère de Saint-Benoit-sur-Loire, qu'il avait particulièrement aimé et comblé de largesses de son vivant. Louis VI, son successeur, se fit sacrer à Orléans par l'archevêque de Sens ; la vie de ce roi se passa, on le sait, à lutter dans un cercle restreint autour de ses domaines , contre des seigneurs féodaux ; le seigneur de la terre de Meung, vassal de l'évêque d'Orléans, s'empara du petit château de Meung, dont l'évêque s'était réservé la souveraineté immédiate ; Louis, invoqué par l'évêque, marcha contre le comte rebelle, fut vainqueur et le fit périr.

 

Ce fut ensuite contre le seigneur du Puiset, en Beauce, qui tyrannisait toute la contrée entre Chartres et Orléans, que l'actif roi de France tourna ses armes. Hugues du Puiset fut battu et perdit sa ville. Mais un fait qui se passa dans cette guerre donne une idée de la turbulence des vassaux : le sire de Beaugency avait. accompagné le roi Louis le Gros ; un engagement eut lieu près du château du Puiset ; le comte abandonna tout à coup l'armée royale et se joignit à ses ennemis ; Louis, vainqueur de Hugues, tira vengeance du sire de Beaugency et le força à payer une forte amende. A l'autre extrémité du département du Loiret, vers l'est, les sires de Courtenay, seigneurs de Montargis, exigeaient un droit de péage de Sens à Orléans et n'en pillaient pas moins les marchands, quand même ils avaient acquitté ce droit.

Le mouvement religieux qui entraîna vers l'Orient un grand nombre de seigneurs délivra la royauté de beaucoup de ses ennemis ; dans les pays qui nous occupent, plusieurs barons se joignirent à Godefroy de Bouillon et prirent part à la première croisade, et presque tous accompagnèrent le roi Louis VII à la seconde, qui eut lieu en 1147. C'est dans cette expédition que quatre des seigneurs de l'Orléanais furent, à ce que raconte une légende, délivrés du plus grand péril par un miracle.

Les sires de Sully, d'Yèvre-le-Châtel, d'Achères et de Rougemont, emportés par leur courage, avaient été entourés par un corps d'armée turque, faits prisonniers, et, le lendemain, au lever du soleil, ils devaient être pendus aux longues gargouilles ou gouttières du château où leurs vainqueurs les avaient enfermés. Dans un si grand péril, ils ne s'abandonnèrent pas au désespoir ; l'un d'entre eux avait déjà eu occasion de recourir à la toute-puissante intervention de Notre-Dame-de-Sainte-Croix ; il engagea ses compagnons à lui adresser comme lui leurs prières, et les quatre chevaliers firent voeu de se consacrer à leur bienfaitrice si elle les délivrait des gouttières du château. Ils s'endormirent ensuite pleins de confiance ; à leur réveil, ils étaient transportés dans l'église d'Orléans. Ce fut l'origine d'une redevance en cire appelée gouttières, qui fut longtemps payée à l'église par les successeurs des quatre barons.

La même époque qui vit les croisades fut aussi témoin de l'affranchissement des communes. L'Orléanais participa peu, dans le principe, aux avantages accordés à un grand nombre de villes situées hors du domaine royal. Les rois intervenaient volontiers chez leurs vassaux, accordaient des chartes aux bourgeois et évitaient soigneusement de faire aucune concession dans leurs propres domaines.

En 1137, les bourgeois d'Orléans voulurent s'ériger en commune malgré les officiers du roi ; il s'ensuivit une répression terrible, et la commune fut supprimée par Louis VII, le Jeune, qui se contenta d'abolir la servitude dans la ville et dans la banlieue la dernière année de son règne (1180). Lorris reçut à cette époque une charte, faveur qui fut sollicitée par beaucoup d'autres villes.

Philippe-Auguste acquit au domaine royal les terres de Montargis (1184) et de Gien (1200) ; ce fut à cette époque que tous les pays de l'Orléanais et de la Champagne furent livrés aux déprédations des pastoureaux, qui parcouraient en grandes troupes les campagnes, y prêchant des doctrines d'égalité entre les pauvres et les riches et de destruction des puissants. Ces bandes dévastatrices furent dispersées. Les dernières années de Philippe-Auguste n'eurent de remarquable en Orléanais que la querelle de ce roi contre l'évêque Manassès, au sujet du service féodal dû par les prélats comme vassaux. Manassès obtint de ne pas conduire en personne ses milices à la guerre.

Sous le règne de saint Louis, la contrée jouit d'un calme qui ne fut troublé que par des mouvements isolés. En 1236, une émeute sanglante éclata entre les bourgeois d'Orléans et le clergé ; plusieurs jeunes nobles qui suivaient les cours de l'Université périrent dans un combat qui eut lieu sur la grande place. A la nouvelle de la mort de leurs proches, les seigneurs entrèrent dans la ville, tuèrent un grand nombre de bourgeois et mirent le feu à leurs maisons ; ces désordres ne cessèrent que par l'intervention du roi.

Pendant la croisade que fit saint Louis en 1248, les pastoureaux se montrèrent de nouveau dans l'Orléanais ; ils avaient pris la croix et annonçaient l'intention d'aller en Égypte au secours du roi prisonnier des musulmans. La régente Blanche, mère de saint Louis, les toléra d'abord dans cet espoir ; mais, au lieu de tenir leur promesse, ils se mirent à ravager tous les pays par lesquels ils passaient ; Orléans fut pillé et un grand nombre de prêtres y périrent égorgés.

Les successeurs de saint Louis continuèrent à agrandir le domaine royal. Philippe le Bel acheta, en 1292, le comté de Beaugency. Les Capétiens avaient plusieurs résidences dans le département du Loiret ; ils affectionnèrent particulièrement les séjours de Gien, Montargis, Châteauneuf-sur-Loire, et la vaste forêt d'Orléans retentit souvent du bruit des fanfares des chasses royales. Philippe-Auguste avait établi à Orléans un bailli, officier chargé de l'administration de la justice, dont la juridiction s'étendait sur Beaugency ; Montargis, Gien et le Gâtinais appartenaient au bailliage de Sens.

Philippe IV de Valois érigea, en 1345, l'Orléanais en duché en faveur de son second fils Philippe, auquel Humbert, dauphin de Viennois, avait cédé le Dauphiné. Le roi de France, pour rattacher plus directement à la couronne cette province éloignée, fit porter le titre de dauphin à son fils aîné Jean. Au duché d'Orléans, qui de la sorte était accordé à Philippe en échange du Dauphiné, il joignit les châtellenies de Beaugency, de Châteauneuf, d'Yèvrele-Châtel, de Vitry, de Neuville-aux-Loges, d'Hyenville, de Château-Renard, de Lorris et de Bois-Commun ; toutes ces seigneuries furent momentanément distraites du domaine royal.

La guerre de Cent ans ramena dans l'Orléanais des désastres que depuis longtemps cette province ne connaissait plus. Plusieurs de ses comtes périrent ou furent pris dans les batailles de Crécy (1346) et de Poitiers (1356). Après cette dernière défaite, des bandes d'aventuriers anglais et navarrais se répandirent autour d'Orléans et mirent toute la contrée à feu et à sang. Les villes de Châteauneuf et Châtillon-sur-Loire tombèrent en leur pouvoir et furent détruites.

Après le traité de Brétigny (1360), ce fut le tour des grandes compagnies de désoler le pays ; la paix leur avait enlevé leurs moyens d'existence ; elles exercèrent autant de ravages qu'en pleine guerre. A la reprise des hostilités (1367), le prince de Galles ravagea le Gâtinais, et, trois ans plus tard, Robert Knolles dévasta l'Orléanais. Beaugency fut emporté d'assaut par une troupe de Gascons. Le prudent Charles V eut soin d'éviter tout engagement sérieux contre les Anglais et se garda bien de compromettre le sort de la France dans une grande bataille comme à Crécy et à Poitiers ; il reprit une à une les villes dont les ennemis s'étaient emparés, mais il abandonna le plat pays, et le territoire dont nous nous occupons fut horriblement dévasté.

Au commencement du règne de Charles VI, l'Orléanais fut réuni à la couronne par la mort de Philippe, duc d'Orléans, qui ne laissait pas d'héritiers. Malgré les sollicitations des bourgeois des vil-les qui demandaient à ne plus être séparés de la France royale, Charles VI donna l'Orléanais en apanage à son frère Louis. Avec ce prince commence une nouvelle période de désastres, la lutte des Armagnacs et des Bourguignons. La démence de Charles VI livre le gouvernement à Philippe le Hardi, duc de Bourgogne et oncle du roi, et à Louis, duc d'Orléans, son frère ; après la mort de Philippe, Jean sans Peur, son fils, hérita de son influence dans la direction des affaires.

Le duc d'Orléans ne cessa d'être en opposition avec les deux ducs de Bourgogne ; deux partis se formèrent dans l'État autour d'eux, mais la lutte ne devint directe qu'après que Jean, sur le soupçon d'une intrigue entre sa femme et le duc d'Orléans, eut fait assassiner celui-ci à Paris, rue Vieille-du-Temple (1407). Cet événement fut le signal des hostilités. Valentine de Milan, épouse de Louis d'Orléans, vint à Paris demander justice du meurtrier ; mais le peuple de Paris s'était prononcé pour Jean sans Peur ; le comte Bernard d'Armagnac, beau-père du jeune Charles d'Orléans, accourut du Midi au secours des jeunes princes d'Orléans ; il eut à Gien une entrevue avec eux pour aviser au moyen de détruire l'influence des Bourguignons (1410), et cinq années se passèrent en combats et en guerres intestines.

 

L'invasion de la France par les Anglais, qui furent victorieux à Azincourt (1415), n'établit qu'une trêve momentanée entre les partis. Le duc d'Orléans ayant été fait prisonnier dans cette journée désastreuse, le dauphin se chargea de sa querelle. Nous avons raconté ailleurs (Seine-et-Marne, Montereau) l'assassinat du pont de Montereau, qui fut la représaille de celui de la rue Vieille-du-Temple (1419). Les Bourguignons se jetèrent dans le parti des Anglais, y entraînèrent avec eux l'infortuné Charles VI, lui firent déshériter son fils Charles VII au profit du roi d'Angleterre, Henri V (traité de Troyes, 1420), et s'emparèrent si bien de toute la France que deux ans après, à la mort de Charles VI et de Henri V, le dauphin ne put être sacré à Reims, et que, dépouillé de la plupart des villes de son royaume, il était appelé en dérision le roi de Bourges.

La monarchie était à deux doigts de sa ruine quand une jeune fille sauva la France. En 1423, Charles VII avait perdu la bataille de Gravant ; en 1428, Jargeau, Pithiviers, Courtenay lui furent enlevés, et cette même année le siège fut mis devant Orléans. Une chanson populaire, dont on accompagnait le son des cloches sonnant au loin dans les campagnes, ne disait-elle pas :

A notre Dauphin si gentil,
Hélas ! que lui reste-t-il ?
Orléans, Beaugency,
Notre-Dame de Cléry,
Vendosme, Vendosme !

 

Orléans était donc le dernier boulevard de Fraude ; Jeanne D'Arc le délivra. Après avoir sauvé la capitale, Jeanne reprit une à une les villes de l'Orléanais, Jargeau, Beaugency, remporta une victoire complète à Patay et mena sacrer Charles VII à Reims. Après la mort de l'héroïque jeune fille, les Anglais s'emparèrent de nouveau de Montargis ; mais, en 1438 , cette place rentra sous la domination française. L'année suivante eurent lieu, à Orléans, les fameux états généraux où la création d'une armée permanente et l'établissement d'une taille pour son entretien furent décidés. En 1440, Orléans fournit au duc Charles 9 000 écus d'or pour l'aider à payer sa rançon au roi d'Angleterre.

Le successeur de Charles VII, Louis XI, affectionna l'Orléanais ; il se fit admettre chanoine de Saint-Aignan, offrit de riches présents à la cathédrale d'Orléans et reconstruisit l'église de Notre-Dame de Cléry. Mais cette église ayant été en partie détruite par les flammes en 1472, il la fit de nouveau réédifier telle qu'elle existe aujourd'hui. Pendant la régence d'Anne de Beaujeu, le duc d'Orléans, qui plus tard fut Louis XII, se souleva (Guerre folle). Il passa quelques années à Orléans, qu'il fit agrandir de près de moitié ; ce fut de cette ville qu'il partit pour se mettre à la tête de l'armée de Bretagne qui fut dispersée à Saint-Aubin-du-Cormier. Son avènement au trône (1498) réunit pour la seconde fois l'Orléanais à la couronne.

Les rois Louis XII, François Ier et Henri II régularisèrent l'administration de la justice dans notre département. La coutume du bailliage d'Orléans, dressée en 1227, en même temps que celle de Paris, fut publiée en 1510 ; celle de Montargis date de 1531 ; en 1558, Henri II créa une généralité à Orléans, qui auparavant dépendait de la généralité de Bourges. Sous Charles IX, elle fut divisée en douze élections, au nombre desquelles se trouvaient Orléans, Beaugency, Pithiviers, Montargis et Gien. Dans la dernière année du règne de Henri II, un siège présidial fut établi à Orléans, avec ressort sur Montargis, Gien, Beaugency, etc.

Cette même époque vit les guerres de la Réforme ensanglanter les bords de la Loire ; Calvin avait étudié à l'université d'Orléans, alors célèbre. Ses doctrines pénétrèrent dans l'Orléanais vers 1540. Gien les accueillit en 1542, et un des prêtres de cette petite ville fut brûlé à Auxerre en 1545. Les habitants de Châtillon-sur-Loire se distinguèrent parmi les plus fervents calvinistes. A Montargis, la duchesse d'Este se fit la protectrice des réformés.

En 1560, Orléans comptait autant de protestants que de catholiques ; les premiers troubles éclatèrent dans cette ville et à Gien en 1561. Le prince de Condé s'empare d'Orléans après le massacre de Vassy qui fit éclater la guerre civile : Beaugency est pris et pillé en 1502 ; les tombeaux de l'abbaye de Cléry, où avait été enseveli Louis XI, sont profanés ; l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire est saccagée, celle de Fontaine-Jean est incendiée. Le capitaine Noisy, qui commandait ,dans la ville calviniste de Gien, s'empara de Saint-Brisson ; mais le prince de Condé ayant été battu et pris à Dreux, le duc de Guise s'avança dans l'Orléanais, prit Jargeau et vint assiéger Orléans ; il fut assassiné sous les murs de cette ville par Poltrot de Méré.

Orléans ouvrit ses portes à Charles IX après la pacification d'Amboise (1563) ; la faveur que ce roi accorda aux catholiques souleva de nouveau les protestants en 1567. Le capitaine calviniste La Noue s'empara d'Orléans par surprise, Condé prit Beaugency ; en 1569, le duc de Deux-Ponts amena une armée à l'amiral de Coligny jusqu'à Gien. Les succès des protestants ne furent arrêtés que par le terrible massacre de la Saint-Barthélemy ; pendant deux journées entières, les protestants furent égorgés dans tous les quartiers de la ville, et l'on dit qu'il périt plus de 700 personnes. Jargeau et Beaugency furent également le théâtre de scènes sanglantes.

La supériorité des catholiques fut de la sorte établie à Orléans, et cette ville entra dans le parti de la Ligue. Une rencontre eut lieu auprès de Montargis, à Vimory, entre une troupe de reîtres au service du roi de Navarre et les soldats du duc de Guise, qui furent vainqueurs. Dans ces circonstances, le roi de France, Henri III, menacé d'un côté par les Guises qui ne prétendaient à rien moins qu'à le remplacer sur le trône, et de l'autre par les protestants, fit la paix avec ces derniers, s'unit à Henri de Navarre et s'empara d'une partie de l'Orléanais ; Jargeau, Gien, Pithiviers tombèrent en son pouvoir. Il fut assassiné à Saint-Cloud (1589) ; Orléans continua à tenir pour la Ligue et à résister à Henri IV jusqu'à ce que Paris lui eût ouvert ses portes.

La soumission de la capitale (1591) entraîna celle de toutes les villes environnantes. Un fils de Henri IV, Gaston, reçut en apanage l'Orléanais. Louis XIV donna à son frère le duché au même titre, et ce dernier a été la tige de la maison d'Orléans qui arriva au trône en 1830.

Le frère de Louis XIII se mêla à toutes les intrigues et à tous les soulèvements de la noblesse contre le cardinal de Richelieu, puis, sous Mazarin, prit avec sa fille, MIie de Montpensier, la fameuse Mademoiselle, une part active aux troubles de la Fronde. Son duché, l'Orléanais, fut le centre de la plupart des agitations politiques qu'il suscita ; en 1643, Orléans voulut rester neutre entre la Fronde et Mazarin ; mais Mademoiselle pénétra dans la ville et la détermina à prendre le parti des frondeurs. Turenne s'avança à cette nouvelle sur Gien ; mais Condé, à la tête de 12 000 Allemands que lui avait amenés le duc de Nemours, prit l'offensive, s'empara de Montargis et battit à Bléneau une partie de l'armée royale.

Les guerres de religion, de la Ligue, puis de la Fronde avaient tellement appauvri le pays, que les habitants se trouvèrent dans l'impossibilité de payer aucune sorte d'impôt ; en 1655, ceux qui résidaient dans les paroisses de Sully-sur-Loire et de Saint-Benoît se coalisèrent contre les percepteurs des tailles et ne purent être réduits que par un corps de troupes réglées.

En 1789, l'Orléanais adopta avec enthousiasme les principes de la Révolution ; le chef-lieu du Loiret eut cependant sous la Convention à subir la sanglante oppression de ses proconsuls ; Collot d'Herbois et Laplanche s'y signalèrent par leurs fureurs. Pendant les années suivantes, jusqu'en 1800, des bandes de brigands, connues sous le nom de Chauffeurs, ravagèrent les deux départements du Loiret et d'Eure-et-Loir.

Ces désordres cessèrent sous le Consulat ; mais en 1815 et plus tard en 1870, l'Orléanais eut à souffrir de l'invasion étrangère. A la suite du combat d'Artenay, le général Von der Tann , à la tête de 50 000 Bavarois, s'empara, le 11 octobre 1870, d'Orléans, d'où l'armée de la Loire, sous les ordres du général d'Aurelle de Paladines, le délogea, le 10 novembre, par la victoire mémorable de Coulmiers ; mais le 5 décembre, après trois jours de combats, elle dut se retirer devant les forces supérieures de l'ennemi, qui prit de nouveau possession d'Orléans.

Cependant, les 7, 8 et 10 décembre, les 15°, 18° et 20° corps, placés sous les ordres du général Chanzy, soutinrent vaillamment, sur les bords de la Loire, l'attaque des Prussiens ; mais composés pour la plupart de mobiles, c'est-à-dire de soldats improvisés, pleins de bravoure, mais inexpérimentés et mal armés, ils ne pouvaient opposer une longue résistance aux troupes aguerries du prince Frédéric-Charles, et Chanzy dut battre en retraite sur Vendôme, et de là sur Le Mans. Les pertes éprouvées par le département du Loiret, pendant la guerre de 1870-1871, se sont élevées à la somme de 37 886 906 fr. 66.

Les départements et leur histoire - Loire atlantique-44-

Publié à 14:52 par acoeuretacris Tags : Départements
Les départements et leur histoire - Loire atlantique-44-
(Région Pays de la Loire)
 

Le département de la Loire-Atlantique était occupé dès la plus haute antiquité par un peuple appelé-les Namnètes. Comme il y a eu des historiens qui ont fait descendre les Francs d'un Troyen appelé Francus, on en trouve aussi qui ont fait descendre les Namnètes d'un fils de Noé, appelé Namnès, personnage fort peu historique, comme on s'en doute bien, et qui aurait fondé Nantes.

D'autres, avec aussi peu de certitude, marquent l'année 1620 avant Jésus-Christ pour la date de l'origine de cette ville. Ce sont des fables. Tout ce qu'on peut dire de certain sur ces époques reculées, c'est que le célèbre navigateur marseillais Pythéas, qui vivait vers 280 avant Jésus-Christ, cite Corbilo, un des ports des Namnètes, comme une ville comparable à Marseille ou à Narbonne, d'où l'on peut induire que ce pays prospérait déjà depuis longtemps.

Que les Nantais n'aillent pas chercher plus loin ; ce sont là déjà d'assez beaux titres. La capitale des Namnètes était Contigwic, qui s'élevait au confluent de l'Erdre et de la Loire, à la place qu'occupe aujourd'hui Nantes ; les Romains donnèrent à ce nom une tournure latine, Condivicnum. Les Namnètes formaient une république, comme les autres parties de l'Armorique. Ils furent les alliés des Vénètes (Vannes) dans le combat naval livré à César.

Soumis aux Romains, et compris d'abord dans la Gaule chevelue, puis dans la Ire, enfin dans la IIIe Lyonnaise, ils virent Nantes devenir un des chefs-lieux les plus importants de l'administration romaine. Vers 275, saint Clair vint prêcher l'Évangile dans cette contrée et en fut le premier évêque. Deux jeunes patriciens, Donatien et Rogatien, qui se convertirent des premiers, subirent le martyre (290) à Nantes, où ils sont appelés les enfants nantais.

A la chute de l'empire, Clovis conquit ce pays. Le système de partage qui divisa ses États entre ses fils ayant atteint aussi la Bretagne, elle fut divisée en quatre comtés, dont l'un était celui de Nantes, tributaire des rois francs. Depuis lors, l'histoire du comté de Nantes présente la lutte continuelle des comtes de cette cité et des ducs de Bretagne, ceux-ci s'efforçant de ramener le comté dans leur dépendance, ceux-là de l'en affranchir ; les ducs de Bretagne finirent par l'emporter et résidèrent à Nantes ; mais ce ne fut pas pour une bien longue durée, car les rois de France survinrent avec une puissance irrésistible et englobèrent le tout dans le royaume de France. Le comté de Nantes faisait partie de la haute Bretagne, ainsi que la sirerie de Clisson, la baronnie de Retz, etc.

Les départements et leur histoire - Haute-loire - 43 -

Publié à 14:37 par acoeuretacris Tags : Départements
Les départements et leur histoire - Haute-loire - 43 -
(Région Auvergne)
 

Sur les limites de l'Auvergne et du Languedoc s'élève un groupe de froides et rudes montagnes. Rien de sauvage et de grandiose comme l'aspect de cette contrée, où le voyageur rencontre, à chaque pas, des traces des révolutions physiques qui l'ont violemment agitée dans les temps anciens. Ce ne sont que rochers à pics basaltiques, aux flancs déchirés et dont les cimes, à défaut de végétation, sont hérissées de ruines, tristes et derniers restes d'antiques forteresses, qui semblent avoir été construites par une race de géants. C'est là, sur le versant occidental des Cévennes, qu'habitaient les Velauni, Vellavi ou Vellaviens, c'est-à-dire, en langue celtique, montagnards. Voisins des Arvernes, ils en étaient, suivant César, les clients : Velauni qui sub imperio Arvernorum esse consueverant.

Avant l'arrivée des Massaliotes, qui les premiers y pénétrèrent, on ne voyait point de routes dans ce pays, mais seulement quelques étroits sentiers perdus dans les rochers ou dans les ravins. Borné au nord par le pays des Arvernes ; au midi, par celui des Helviens et des Volces Arécomices ; à l'est, par celui des Ségusiens et des Allobroges ; à l'ouest, par le territoire des Gabales, le pays des Vellaviens n'avait pas moins, dit-on, de cent soixante-cinq lieues carrées. Ruessio, aujourd'hui Saint-Paulien, en était la capitale.

Comme tous les peuples primitifs, les Vellaviens vivaient de la chasse ou de la garde des troupeaux. Dans plusieurs communes du Velay, notamment au Puy, à Vals, à Saint-Julien, à Pradelles, à La Roche-Aubert, à La Terrasse, au Monastier, à Tarsac, etc., on voit encore des vestiges de leurs habitations. « Rien, dit l'auteur de l'Ancien Velay, rien ne saurait donner une idée plus exacte d'un vicus et de certains oppida dont parle César que la vue de ces roches disséminées dans les campagnes du Velay, et qui, jadis citadelles, servaient d'asile à des populations entières. »

Auguste affranchit les Vellaviens des liens qui les unissaient aux Arvernes. Alors, compris dans la première Aquitaine, ils formaient, suivant Strabon, une cité particulière. Peu à peu la civilisation romaine tempéra l'âpreté et la rudesse de ce peuple à demi sauvage. Ruessio, Icidmagus, Condate, Aquis Segete, où elle avait fondé des colonies, devinrent des cités florissantes. A ces sombres grottes, à ces rustiques huttes couvertes de chaume, enduites d'argile, et au fond desquelles les Vellaviens vivaient pêle-mêle avec leurs boeufs et leurs chèvres, succédèrent des palais, des villas, des temples, des cirques, des prétoires, des aqueducs. Des voies romaines s'ouvrirent dans tous les sens : la principale conduisait de Ruessio à Lugdunum, et, par un embranchement, à Mediolanum (Moingt, près de Montbrison). On l'appelait la via Bolena.

Bien que d'un abord difficile, ce pays n'en fut pas moins visité par les barbares. Après les Burgondes, qui prirent et pillèrent Brivas (Brioude), vinrent les Wisigoths, puis les Francs. On croit que les Sarrasins y pénétrèrent en 725. Après avoir ravagé l'Aquitaine, les Normands, en 863, envahirent le Velay, réduisirent en cendres Ruessio et en dispersèrent les habitants.

Dans les divers partages qui eurent lieu entre les rois francs et leurs héritiers, le Velay échut successivement à Sigebert, puis, en 506, à Théodebert II, et, plus tard, à Sigebert III. Sous Charlemagne, il eut pour gouverneur le comte Bullas.

S'il faut en croire la tradition, saint Georges l'un des soixante-douze disciples de Jésus-Christ et envoyé dans le Velay par saint Pierre, y aurait le premier prêché l'Évangile. « Pour lors, dit le père Eudes de Gissey, notre saint n'épargna rien contre le paganisme, baptisant à troupes les gentils, brisant les idoles, abattant les temples. » Dans un pré de Chaumel, sur les bords du ruisseau de Chalan, s'élève, sur une pierre renversée et entaillée, un fût de colonne : c'était, dit-on, un autel païen avant l'arrivée du glorieux saint Georges.

Quand l'apôtre eut converti les Vellaviens à la foi chrétienne, sa première oeuvre fut de renverser la pierre maudite ; il le fit même avec une telle colère, ajoutent les gens du pays, qu'on voit encore, sur la pierre, les marques de sa crosse et celles de ses pieds. A saint Georges succéda saint Macaire, puis saint Marcellin, qui rendait, dit-on, la parole aux muets, l'ouïe aux sourds, la vue aux aveugles, et chassait le malin esprit du corps des possédés. Au IXe siècle, l'église du Velay était puissante et renommée ; ses évêques, grâce aux libéralités des rois et des empereurs, jouissaient de grands privilèges. Sur les ruines des temples païens s'élevaient de riches abbayes ou des chapelles, célèbres par les miracles qui s'y opéraient. Notre-Dame-du-Haut-Solier, dans la Civitas Vetula, et l'Oratoire des Anges , sur le mont Anis, attiraient de nombreux pèlerins.

C'est dans le Velay que devait se tenir le concile convoqué par le pape Urbain II au sujet de la première croisade ; mais le pape ayant changé d'avis, le concile s'assembla à Clermont (1095). Néanmoins, le Velay prit une grande part à la sainte entreprise. On sait que Raymond, comte de .Toulouse, et Aymar de Monteil, évêque du Puy, en furent les chefs. Homme d'église et homme d'épée, fils d'un seigneur dauphinois, élevé dans le métier des armes, Aymar fut choisi par le pape pour le représenter. Il partit à la tète de quatre cents enfants de sa ville épiscopale. C'est lui qui, après la prise d'Antioche, en juin 1098, releva le courage des croisés, lorsque le sultan de Mossoul, Kerbogha, vint les assiéger dans leur nouvelle conquête, accompagné de Kilidje-Arselan, sultan des Turcs Seldjoucides, avec une armée de 200 000 combattants.

On prétend que ce fut un prêtre du Velay, du nom de Pierre Barthélemy, qui découvrit, après une révélation divine, la sainte lance qui avait jadis percé le sein de Jésus-Christ, et dont la vue ne contribua pas peu à relever le moral de l'armée, déjà décimée par la désertion, la disette et les maladies. Lés Turcs furent défaits sous les murs d'Antioche, ce qui augmenta la ferveur des gens de la langue d'oc ; mais ceux de la langue d'oil niaient le miracle de la sainte lance.

Aymar, évêque du Puy, qui semblait partager leur avis, mourut alors, et l'on ne manqua pas d'attribuer cette catastrophe, que rendaient toute naturelle la disette et l'épidémie, à une juste punition du ciel. Il mourut, dit un chroniqueur, et moult fut pleuré ; mais ruai lui avait pris de douter de la sainte lance, car la nuit de sa mort il apparut à Pierre Barthélemy et lui dit qu'il avait été conduit en enfer. « Là, ajoutait-il, j'ai été flagellé très rudement, et mes cheveux et ma barbe ont été brûlés. » Tel fut, suivant la légende, le châtiment d'Aymar.

Cependant, de grands débats s'étant élevés à cette occasion, et ceux de la langue d'oil persistant à méconnaître le miracle, Pierre Barthélemy s'offrit pour subir l'épreuve du feu ; il en mourut, disent les historiens français de la croisade, et la sainte lance demeura fort discréditée. Les Provençaux soutiennent, au contraire, qu'il triompha de cette terrible épreuve, et que les spectateurs enthousiasmés, le regardant comme un saint, se précipitèrent à l'envi sur lui pour toucher ses vêtements ; si bien qu'il fut renversé à terre, foulé aux pieds, et qu'il eût péri sans l'assistance d'un chevalier.

 

Après les croisades vinrent les guerres féodales. Chaque montagne du Velay avait son château crénelé, redoutable retraite d'où le châtelain envoyait ses hommes d'armes piller et ravager le pays. Au commencement du XIIIe siècle, Armand de Polignac et ses deux fils, Héracle et Pons, avaient fait bâtir aux abords des principales routes des tours d'observation, où des archers veillaient nuit et jour, prélevant sur tout ce qui passait un droit de péage. Voyageurs, pèlerins, marchands, nul ne pouvait s'y soustraire.

A l'exemple des sires de Polignac, les autres seigneurs du Velay se retranchèrent sur plusieurs points, et prirent à leur solde des compagnies armées. La terreur fut grande dans le pays ; le citadin n'osait sortir de ses murailles, le paysan de sa chaumière ; l'étranger ne s'aventurait qu'en tremblant à travers les montagnes. Un coupe-gorge, voilà ce que les seigneurs avaient fait du Velay au moyen âge Pierre III, évêque du Puy, fit un appel à ses vassaux et réprima les brigandages des châtelains. Héracle et Pons de Polignac s'engagèrent à livrer trente chevaliers comme otages ; mais, loin de. tenir leurs promesses, ils recommencèrent leurs spoliations. Cette fois, l'évêque en appela au roi Louis VII qui vint en personne châtier les tyrans du Velay.

A la mort de Pierre III, nouveaux troubles. Plus accommodant que son prédécesseur, Pierre IV, après avoir anathématisé le sire de Polignac, se réconcilia tout à coup avec lui. Cette paix n'était qu'un piège. Adalbert, évêque de Mende, s'en plaignit au roi : « Paix a été faite entre l'église du Puy et le vicomte de Polignac, lui écrivait-il ; mais cette paix, qui n'en est pas une, est un dangereux exemple, qui met en péril l'Église de Dieu. L'évêque du Puy, comme la dignité et la justice l'exigeaient, avait d'abord excommunié le vicomte, à cause de ses exactions sur les voies publiques ; cependant, à cette heure, l'église ancienne et le vicomte de Polignac se sont réunis et ont conclu entre eux une ombre de paix, en vertu de laquelle ils partagent les produits des péages et des rapines, de telle sorte que l'église participe aux spoliations pour lesquelles elle avait excommunié le vicomte, et qu'un secret amour du gain lui a fait approuver à son profit ce qu'elle avait condamné quand elle n'y avait pas d'intérêt... Ils veulent changer l'ordre des choses, ajoutait le digne prélat, et faire du temple de la mère de Dieu, qui doit être l'asile des affligés, une caverne de voleurs. Ceux qui ont été établis pour pleurer sur les souffrances du peuple, ceux qui lui remettent ses fautes, se sont préparés à se réjouir de ses larmes et à remplir leur bourse des produits du vol ; mais la justice de notre seigneur le roi s'étend sur tous ces hommes ; plaise au ciel qu'ils reconnaissent la vanité de leurs projets ! »

Alors le roi se trouvait à Souvigny : il y manda le vicomte et l'évêque. Tous deux protestèrent qu'ils n'avaient eu en vue, dans cette paix, que le bien de l'Église. Mais comme il avait trompé l'évêque, Héracle trompa le roi. A peine de retour dans ses montagnes, en effet, il reprend les armes. Non moins violent que son frère, Pons se joint à lui. « Saisis d'un instinct diabolique, dit un chroniqueur contemporain, ils faisaient du pillage à main armée l'emploi ordinaire de leur misérable vie. » Ils allaient, en effet, détroussant les voyageurs, ravageant les villes et les campagnes, dévastant les églises et les abbayes. Selon eux, « c'estoit un abus insupportable que des gens si inutiles à l'État que festoient les moines égalassent les princes en richesses ; » et, pour y remédier, ils les volaient.

Alexandre III en écrivit au roi Louis VII, l'invitant à mettre un terme à tant d'excès. « Le très pieux roi, ému de compassion et de colère, ajoute le chroniqueur, rassembla aussitôt son armée ; et comme il estoit prompt à saisir la verge du châtiment, il se hâta d'aller combattre ces grands coupables. Il les atteignit sur le théâtre de leurs méfaits, les attaqua avec vigueur, en véritable prince qu'il estoit, et leur fit sentir la pointe de son épée. Les ayant vaincus, il les prit, les emmena avec lui, et les garda prisonniers jusqu'à ce qu'ils eussent juré et promis sous les plus fortes garanties de renoncer désormais et à toujours à inquiéter les églises, les pauvres et les voyageurs (1163-1165). »

Comme toujours, les sires de Polignac jurèrent et promirent ; mais se parjurer n'était pas ce qui leur coûtait le plus, et le Velay souffrit encore de leurs exactions. Après avoir ravagé les terres de l'abbaye de la Chaise-Dieu, ils se disposaient à en faire le siège, quand le retour de Louis VII dans le Velay les força de se retirer. Vainement ils se retranchèrent dans le château de Nonnette ; ne pouvant résister, ils se rendirent, « jurant, sur le salut de leur âme, qu'ils se soumettoient par avance à tout ce que le roi ordonneroit. » Le roi les ramena prisonniers à Paris.

Après trois ans de captivité, Héracle et Pons redevinrent libres ; mais Armand, leur père, qui les avait poussés à la révolte, fut condamné, par sentence arbitrale, à réparer tous les dommages qu'il avait causés à l'église du Puy, à restituer toutes les sommes que lui ou les siens, ses gens ou ses chevaliers avaient imposées sur les routes aux voyageurs, aux pèlerins et aux marchands. Ses fiefs furent confisqués au profit de la couronne, et sa personne déclarée prisonnière jusqu'à l'entière exécution de la sentence. Ces conditions étaient dures ; néanmoins le vieux châtelain s'y soumit et fut rendu à la liberté.

Après sa mort, ses fils, ne pouvant se résoudre à les exécuter, demandèrent et obtinrent qu'elles fussent modifiées. Pons, par un traité signé en 1173, eut : 1° la moitié de la leude et des autres produits de la ville du Puy ; 2° deux des quatre châteaux Ceyssac, Aynac, Saint-Quentin et Seneulh. On lui rendit les deux autres. Après avoir fait amende honorable à la ville et à l'église de Brioude et légué son château de Casse à l'abbaye, Héracle partit pour la terre sainte et y mourut. De son côté , Pons fit hommage de sa vicomté à I'évêque du Puy, et se retira dans une abbaye de l'ordre de Citeaux. Ainsi finirent ces terribles chefs de routiers.

Plus tard, en 1380, le Velay eut à souffrir du passage des grandes compagnies ; elles s'emparèrent de plusieurs châteaux. Bertrand du Guesclin, l'intrépide guerrier, vint leur faire la chasse. Les consuls du Puy lui envoyèrent « beaucoup de vaillantes gens tant à cheval qu'à pied, artilleurs, archiers, arbalestriers, et eu oultre force artillerie, traits, canons, pouldre, arcs, arbalestes, engins et telles autres munitions belliqueuses ; force pain, vin, victuailles, desquelles choses ledit connétable se tint très content. » On sait comment il mourut. On lui fit les funérailles d'un roi ; il fut enseveli à Saint-Denis. Son cœur fut donné à la Bretagne, sa patrie, et ses entrailles furent religieusement transportées au Puy, qui lui éleva un tombeau.

Au XVe siècle, dans la guerre des Bourguignons et des Armagnacs, le Velay resta fidèle au roi. Bien qu'elle eût fort à souffrir, la ville du Puy envoya « vers monseigneur le Dauphin dix notables pour lui offrir toute obéissance de corps et de biens jusqu'à la mort. » Cependant, les Bourguignons, ayant à leur tète le sire de Rochebaron, voulurent se rendre maîtres du Velay. Ils s'emparèrent de plusieurs points importants et s'avancèrent jusque sous les murs du Puy ; mais les seigneurs du Velay l'avaient mis à l'abri de toute surprise. Après un long siège, « voyant que guière ne pouvoient profiter, vu que la ville estoit moult bien garnie de gens de défense pour leur résister, ils (les Bourguignons) s'en retournèrent à honte et à confusion, et allèrent parmi le pays faisant maux indicibles. »

Sous la domination des Wisigoths ariens, le Velay était resté catholique ; il persévéra dans sa foi pendant les longues et sanglantes guerres du XVIe siècle : Vainement Blacons, lieutenant du baron des Adrets, vint mettre le siège devant Le Puy ; il y trouva l'élite de la noblesse du Velay prête à défendre la ville. Ne pouvant pénétrer dans la place, les assiégeants vont s'emparer du château d'Espaly, dans le voisinage ; puis, se rapprochant de la ville, ils essayent de la prendre de vive force ; mais, repoussés vigoureusement, ils sont contraints de lever le siège.

Plus tard, en 1621, Blacons revint dans le Velay et y surprit Yssingeaux ; mais le curé, vieillard septuagénaire, se mit à la tète de ses paroissiens et chassa de la ville Blacons et ses bandes. Ces résistances vigoureuses arrêtèrent le progrès des idées nouvelles dans le Velay. Depuis plus d'un siècle, ce pays jouissait du plus grand calme, lorsque Mandrin y parut en 1754. Après avoir rançonné les campagnes, il entre au Puy, pille la maison du capitaine général des fermes, force les prisons, enlève plusieurs détenus, et se retire chargé de butin. Bientôt il tente une seconde expédition dans le Velay. Attaqué, cette fois, par cent hommes de cavalerie, il parvient à leur échapper à la faveur de la nuit, et se réfugie en Savoie.

Pendant la guerre de 1870-1871, ce pays a envoyé son contingent de mobiles à l'armée de la Loire.

La saga des marques - Bonduelle -

Publié à 14:17 par acoeuretacris Tags : marques
La saga des marques - Bonduelle -

Bonduelle s'est hissé, en quelques décennies, au premier rang mondial de la transformation des légumes.
La sixième génération, à la tête de l'entreprise éponyme, se donne comme mission de proposer le légume sous toutes les formes, dans un monde de plus en plus soucieux de son avenir... nutritionnel.

 

Bonduelle ou comment une petite conserverie française est devenue, en quelques décennies, le numéro un de la conserve et du frais, en Europe, de l'Atlantique à l'Oural, ainsi que le numéro deux mondial du surgelé(1).
Et a montré que le légume n'est pas, au masculin, qu'un "malade dans un état végétatif chronique" (Le Robert) mais peut, comme au féminin, être un personnage important.
Pour preuve, Bonduelle est le seul groupe agroalimentaire multitechnologie dans la conserve, le surgelé et le frais(2) spécialisé, depuis 1926, avec un produit unique, le légume.

 

Révolution par le produit

 

Au commencement, une distillerie de grains et de genièvre. Louis-Antoine Bonduelle-Dalle(1803-1880), cultivateur et fabricant d'huile, s'associe, en 1853, avec Louis Lesaffre-Roussel (1802-1869), distillateur, pour créer à Marquette-lez-Lille (Nord), au bord de la Deûle, la société "Lesaffre et Bonduelle, Alcools de l'Abbaye". Signe de leur prospérité, l'acquisition, le 17juin 1862, de la ferme de l'abbaye cistercienne de Woëstyne, à Renescure, près de Saint-Omer (Pas-de-Calais), aujourd'hui surnommée "Bonduelle City". Louis Lesaffre fils la transforme, en 1868, en distillerie d'alcool de grains et y installe une malterie. Faute d'accord entre les descendants, en 1901, les usines sont réparties entre les trois branches de la famille, Bonduelle, Lesaffre et Lemaitre. A Renescure, André Bonduelle, assisté de ses fils Pierre et Benoît(3), transforme la distillerie de grains de la Woëstyne en distillerie de betteraves, tout en développant la culture du blé et de l'avoine, sur des terres malheureusement au rendement médiocre. Un troisième métier s'impose donc pour rentabiliser l'exploitation agricole.
"C'est le beau-père de Pierre, Alphonse Dalle, qui va l'inciter à se lancer dans un nouveau métier en lui présentant un conserveur de légumes", raconte Bruno Bonduelle(4). Le pas est franchi en 1926. Des pois sont plantés sur seize hectares - 110 000 aujourd'hui, tous légumes confondus -, et mis en boîte. Le 24 juillet 1926, les Bonduelle fêtent leur première campagne : six cents quintaux dans 90 000 boîtes en trois semaines (aujourd'hui, la moyenne horaire).La crise de 1929 aurait pu contrarier le destin des "Etablissements Bonduelle" puisque l'entreprise frôle la faillite au début des années 1930. Pour autant, avec 230 hectares en 1936, l'usine de Renescure fabrique, durant trente à quarante jours par an, 120 000 boîtes, soit 120 tonnes par an (l'équivalent de la production quotidienne actuelle de cette usine). À comparer avec le milliard d'unités vendu aujourd'hui !

 

Bonduelle est le seul groupe agroalimentaire multitechnologie dans la conserve, le surgelé et le frais spécialisé, depuis 1926, avec un produit unique, le légume.

 

Révolution par la marque

 

Il revient à la quatrième génération d'être à l'origine de la première révolution marketing de la société : en juillet 1947, elle s'affranchit du réseau commercial de la société La Rochefortaise (conserverie de viande), utilisé depuis 1936 et, surtout, crée la marque Bonduelle(5). Aux petits pois s'ajoutent les poissons mis également en conserve à la marque éponyme. Heureux temps que celui où l'offre de conserves de petits pois peine à suivre la demande, les capacités de production augmentent de 50% par an. La cinquième génération, André, Jean-Marie et Félix(6), aux commandes à partir des années cinquante, est celle de la diversification et de la production de masse. L'accélération est donnée par Pierre Mendès-France, président du Conseil en 1954, qui décide de fermer les distilleries d'alcool de betteraves. L'Etat garantissait aux distillateurs un prix d'achat rémunérateur et revendait l'alcool à perte sur les marchés d'exportation. Une indemnisation (un an de chiffre d'affaires), non imposée, est accordée aux industriels qui acceptent de la réinvestir dans l'industrie. Bonduelle fait ce choix et passe de trois à un métier. La société élargit l'offre de légumes aux haricots verts, haricots blancs, macédoine, flageolets et carottes. Objectifs : se démarquer des concurrents, occuper le personnel et amortir les outils. La marque sera, en 1957, la première à mélanger les carottes avec des petits pois. En 1961, l'usine de Renescure expérimente une nouvelle ligne de tri pour ébouter et calibrer les haricots verts. Fini les gros haricots mange-tout!

 

Révolution culturelle

 

Porté par l'élévation continue du niveau de vie, la consommation croissante de produits de plus en plus élaborés, la féminisation du travail, et la création des grandes surfaces (hypermarché Carrefour en 1963, Auchan en 1967), le chiffre d'affaires est multiplié par quinze de 1961 à 1975 ! A consommation de masse, agriculture égalementde masse :en mai 1963, une usine ouvre à Estrées (Picardie), elle est aujourd'hui la plus grande conserverie de légumes au monde avec ses 200 000 m2 couverts.
Renescure accueille le premier stérilisateur en continu en France et les premières équeuteuses de haricots verts, ainsi que le premier tunnel de surgélation, en 1965, qui permet de garder pois et haricots verts jusqu'à l'emboîtage de la macédoine en hiver, légumes jusque-là conservés dans la saumure. Révolution culturelle : le légume sort de sa boîte.
Bonduelle est le premier à lancer, en 1968, les légumes surgelés, petits pois enbarquettes de 450gr(7).
La marque n'a eu de cesse de démontrer que la surgélation permet de stabiliser la teneur vitaminique alors qu'elle disparaît très vite dans le frais. Aujourd'hui, numéro un en France, en Espagne et au Canada et numéro deux en Europe dans le surgelé, Bonduelle se singularise par des innovations aussi bien en termes de produits que de praticité, au nombre desquelles les épinards en galets (1978), les Poêlées Minute de légumes (1986), les légumes vapeur et la cuisson rapide (1993), les sachets zip (1994), les poêlées de légumes enrobés et cuisinés à la viande (1996), Croki'Légume, des galettes de légumes panées pour les consommateurs en culotte courte (1996) et, plus récemment, les surgelés vapeur(2005) et les Famili Ball (2007), petites bouchées de légumes(8).
Autant de légumes élaborés qui répondent au nomadisme alimentaire mais aussi au "homemadisme".

 

La Fondation Bonduelle

Depuis 2004, la Fondation Louis Bonduelle a pour mission de promouvoir l'utilité publique de la consommation quotidienne des légumes et de faire évoluer durablement les comportements alimentaires. Centrée sur les bienfaits des légumes, son action ne se limite pas au seul Hexagone.

En faisant du mardi le "Jour du légume", la Fondation espère créer progressivement de nouvelles habitudes en ouvrant à une consommation moderne, voire ludique, du légume. La Fondation promeut le légume en général, quelle que soit la forme adoptée pour sa commercialisation, brute ou transformée

 

Régions, France, Europe...

 

Marque régionale, au début des années 1960, Bonduelle devient progressivement nationale et, parallèlement, européenne. Au milieu des années 1970, la société s'implante dansle Sud-Ouest(Aiguillon), l'Oise, puis la Belgique.
Cette extension géographique la conduità investir dans deux nouveaux domaines : le maïs et les champignons. En 1978, Bonduelle construit une nouvelle unité de production à Labenne, dans les Landes, pour son premier atelier pilote de production de maïs doux. L'année suivante, la société acquiert une quatrième usine à Warluis, en Picardie, destinée au champignon mais abandonnée en 1987. A l'international, Bonduelle s'implante au rythme de la construction européenne avec des filiales d'abord commerciales qui la libèrent des importateurs. Avec le Marché commun, fini les droits de douane et les quotas d'importation. L'Allemagne inaugure le bal en 1969, à Homburg. Aujourd'hui Bonduelle est la première marque de conserve de légumes vendue outre-Rhin. La société plante ses couleurs en Italie (Milan) en 1972, puis en Angleterre, à Maidstone, et à Bruxelles, en 1973. La société réalise déjà en 1973 plus de 50 % de son chiffre d'affaires à l'exportation. La même année, elle lance deux grandes innovations : l'emboîtage et le sertissage sous vide, et l'ouverture facile. Toujours en phase avec la construction de la CEE, et anticipant l'européanisation de la distribution avant l'échéance de 1993, Bonduelle crée une filiale commerciale en 1982 à Veghel(Pays-Bas), une filiale espagnoleen 1986 et achète une usinede surgelés à Milagro, en Navarre.
En 1988, c'est le tour du Portugal, avec l'usine de Santarem, puis du Danemark, en 1989, à Kobenhavn(9).
La chute du mur de Berlin, fin 1989, engage le groupe vers l'Europe centrale. La conquête débute par l'ex-RDA en 1990, se poursuit en République tchèque (Prague) en 1991, puis en Pologne (Varsovie) en 1992 et en Hongrie avec la reprise de l'usine de Nagykörös, qui deviendra la plus grande conserverie de maïs du groupe(10). Nouvelles conquêtes en 1994 avec la Slovaquie et la Russie, où Bonduelle attendra 2003 pour implanter sa première usine russe de conserves, à Krasnodar. En à peine quatre ans, Bonduelle s'impose en Europe centrale comme la première marque de conserves de légumes.
En 2007, la société est présente dans dix-neuf pays de l'Europe centrale et orientale et de l'ex-URSS. Et l'Amérique ? D'abord le Sud, avec l'ouverture d'une filiale commerciale au Brésil, à SaoPaulo, en janvier 1994, pour répondre à la demande de Carrefour qui ne trouvait pas sur place les surgelés souhaités. Puis c'est au tour de l'Argentine (Buenos Aires) de découvrir les produits Bonduelle, en 1996. Suivront l'Uruguay et le Paraguay. L'Amérique du Nord ensuite avec, en 1998, la création de Bonduelle Inc dans le New Jersey (Etats-Unis).
La société franchit un cap quand elle rachète, en juillet 2007, la totalité de l'entreprise familiale canadienne Aliments Carrière (sept usines), et sa marque de surgelés Artic Gardens, dont elle détenait 23% depuis juillet 2006. Leader canadien des légumes en conserve et des surgelés, Carrière, rebaptisé Bonduelle Amérique du Nord, détient 70% de parts de marché au Canada et réalise plus du quart de son chiffre d'affaires aux Etats-Unis. Cette acquisition marque une étape essentielle dans la mondialisation du groupe et la répartition de ses risques.
Dans un contexte européen de stagnation de la consommation alimentaire, la société compte réaliser près du tiers de son chiffre d'affaires hors d'Europe, un tiers en Europe et un tiers en France.

 

La marque n'a eu de cesse de démontrer que la surgélation permet de stabiliser la teneur vitaminique alors qu' elle disparaît très vite dans le frais.

 

Bonduelle, marque mondiale

 

En 1980, Bonduelle est la deuxième marque de conserves de légumes en France, après Cassegrain. Première en Allemagne et aux Pays-Bas, elle est en position de leader européen en légumes transformés. La campagne excédentaire de 1982 vient, sur fond de plan de rigueur Mauroy-Delors, freiner en 1983 la politique de la croissance pour la croissance. La campagne 1983 se réduità 250 000 tonnes."Le cocktail est explosif : des prix de revient qui montent à cause du mauvais plan de charge des usines et de la forte hausse du smic, des prix de vente qui stagnent, une inflation qui disparaît, des taux d'intérêt qui flambent, un franc qui reste désespérément collé au mark. Les résultats plongent. L'entreprise s'interroge", résume Bruno Bonduelle, qui succède à son frère, à la présidence du groupe, en novembre 1985(11). Une révolution culturelle et marketing s'impose, avec pour objectif de soumettre la production aux besoins spécifiques des consommateurs selon les marchés et les pays. Des centres de profit par grandes zones géographiques sont créés. L'ensemble est regroupé, en 1986, à Villeneuve-d'Ascq près de Lille, rue...Nicolas Appert (l'inventeur, en 1795, de la mise en conserve, ou "appertisation").
La même année une direction de la communication voit le jour. De 1985 à 1992, le chiffre d'affaires double et dépasse 4 milliards de francs, les usines triplent, de 5 à 15 ! 1992. Une nouvelle campagne excédentaire, associée à une crise du marché européen de la conserve et à une série de dévaluations monétaires, ébranle de nouveau le groupe. L'heure est encore à la pause. Un audit global est mené aussi bien sur le packaging, la R & D, la logistique et les positions commerciales. L'organisation par centres géographiques de profit est abandonnée pour privilégier un modèle plus transversal, valable quel que soit le pays et conçu par types de métiers et en phase avec l'évolution de la grande distribution, qui raisonne en termes de marché domestique européen (12). Il n'y a plus ni France, ni Allemagne... il y a l'Europe et quatre métiers européens. En 1995, la marque opte pour une nouvelle identité visuelle symbole de renouveau : le logo abandonne le noir pour un arc ensoleillé rouge et orangé, et une frange de verdure, évoquant la nature, le plaisir et le bien-être. Dès 1996, Bonduelle est commercialisée sous le même packaging partout dans le monde pour l'ensemble des gammes, dans tous les circuits et dans tous les conditionnements (conserve et surgelé). Une mutation réalisée sous l'égi de de Daniel Bracquart, premier président du directoire choisi hors du sérail familial(13). Il revient à Christophe Bonduelle, sixième génération, de reprendre le flambeau en 2001 pour négocier le troisième virage technologique de la société : celui des produits frais élaborés. Ce secteur représente aujourd'hui 28 % de son activité et la place en position de leader en Europe avec 20 % du marché.

 

Troisième virage technologique

 

Si Bonduelle enrichit son portefeuille de marques en rachetant, en 1980, la plus ancienne conserverie belge, Marie Thumas(14), et, surtout, Cassegrain à Saupiquet en 1989, il lui manque une autre transformation du légume :le frais. Avecl'acquisition, le 7 janvier 1997, de l'entreprise lyonnaise Salade-Minute, créée par Jacques Peyronnet en 1984, Bonduelle effectue sont troisième virage technologique et stratégique. Avec la conserve et le surgelé, on récolte et on transforme, au plus près des champs, entre juin et novembre, des légumes qui seront consommés toute l'année, parfois un an après leur sortie. Avec le frais, c'estl'inverse. Il s'agit de récolter toute l'année, de transporter et de conditionner au plus près des lieux de vente, des légumes qui seront consommés toute l'année, dans les dix jours après leur sortie d'usine. Salade-Minute place Bonduelle au deuxième rang dans le secteur des légumes frais prêts à l'emploi, salades et crudités nature ou assaisonnées, derrière Florette et devant Les Crudettes. Bonduelle se substitue à Salade Minute en mars 1998 et signe la même année un accord de partenariat avec Cielo & Campo, numéro deux de la quatrième gamme en Italie(15). En faisant l'acquisition en mars 2003 de la société bretonne Michel Caugant, spécialiste de la salade traiteur(16), Bonduelle devient coleader en France de ce segment, et renforce ainsi sa présence sur le marché des légumes frais élaborés. La marque sera la première à proposer des barquettes de salade qui se referment après avoir été entamées. La société n'oublie pas pour autant son métier d'origine quand, pour la première fois, en 1996, la marque ajoute de la viande dans ses Poêlées de légumes. Révolution dans l'univers de l'emballage, avec, en 2004, pour la première fois au monde, des légumes cuisinés mis en brique grâce au procédé Tetra Recart de Tetra Pack. Ils seront baptisés "Carré Cuisiné" en 2006. Du légume à la soupe de légumes, le pas est franchi en 2004 avec des recettes proposées dans des bouteilles en verre refermables. La marque investiten 2005 le rayon traiteur en proposant des cakes de légumes à déguster en tranches ou en dés. Elle l'enrichit en 2007 avec des Parmentiers de légumes.

 

Les activités par grands métiers depuis 2006

Bonduelle Conserve International ; Bonduelle Frais International ; Bonduelle Traiteur ; Bonduelle Surgelé International (nouvelle filiale pour Bonduelle et Frudesa et mdd) ; Bonduelle Food Service (hors domicile) ; Bonduelle Development ; Bonduelle Amérique du Nord (Carriere et Bonduelle Inc)

 

Quand c'est bon...

 

Bonduelle ? Un savoir-faire et un faire... savoir ! C'est d'abord dans sa région que la marque s'initie, au début des années cinquante, à la "réclame". "Manger pour devenir fort... mais de préférence les Conserves de Qualité, Bonduelle", peut-on lire sur les buvards, protège-cahiers ou maillots des équipes de villages. Des caravanes de camionnettes peintes aux couleurs de la marque sillonnent la région pendant les Quatre Jours de Dunkerque. Depuis juin 1993, la marque sillonne la France avec le Tour de France. "On a toujours besoin de petits pois chez soi", recommandait, au début des années 1960, la réclame collective à la télévision. C'est grâce à la frite en boîte que Bonduelle apparaît pour la première fois, en 1973, à la télévision française. Et c'est en 1985 qu'est lancé le célèbre slogan "Quand c'est bon, c'est Bonduelle"(17). L'agence Saatchi & Saatchi, chargée de la publicité des années 1990 à 1995 montre des enfants dégustant au cinéma des légumes comme s'il s'agissait de friandises : "Vous avez déjà vu un monde où les légumes remplaceraient les friandises ? Non bien sûr, puisque c'est notre rêve chez Bonduelle. En 1995, nous avons été draconiens dans le choix des légumes. D'ailleurs, vous n'avez qu'à goûter : ce rêve, il existe !" En 1997, DDB tente de convaincre les derniers réfractaires aux légumes en leur disant, en substance : mangez des légumes, sinon, vous allez le regretter. Chargée de la communication depuis 2004 l'agence Ogilvy réalise le premier film de marque signé "Bonduelle protège ce que la nature a fait de bon. Quand c'est bon c'est Bonduelle". Mais après le lancement d'une publicité sur les soupes Herta au rayon frais, un conflit d'intérêts oblige Bonduelle à changer d'agence. Il revient à Australie de réaffirmer l'expertise de la marque dans le domaine nutritionnel. Signe des temps : depuis octobre 2007, Bonduelle fournit McDonald's en Croq'Olégumes, boulettes de maïs et de légumes qui se substituent aux frites! Le jour du légume, tous les jours...

 

1- Derrière le belge Ardo, spécialiste de la marque de distributeur.
2- Quatrième gamme et traiteur : salade en sachet et salade traiteur ou le "frais préparé ou élaboré"; on peut ajouter soupes fraîches, graines germées et bols snacking.
3- André Bonduelle-Dehau (1868-1945), Pierre Bonduelle-Dalle (1902-1988), Benoît Bonduelle-Dalle (1904-1986).
4- Page 25, Bonduelle, une famille, une entreprise, une marque, 1853-2003, par Bruno Bonduelle
5- Le dépôt légal n'aura lieu qu'en 1968. Bonduelle est une entreprise éponyme tant par sa raison sociale, sa marque et son actionnariat. Elle entre au second marché de la Bourse de Paris le 26 juin 1998, la famille (150 héritiers) conserve 53,3 % des parts.
6- André (1925), fils aîné de Pierre, Jean-Marie (1928), deuxième fils de Pierre, et Félix(1932), fils de Benoît. Pierre et Benoît demeurent présents jusqu'en 1972, lors du transfert du siège à Estrées.
7- Surgelés :300 tonnes en 1968, 36 500 en 1975, 95 000 en 1982. Conserves :80 000 tonnes en 1968, 192 000 en 1975, 353 000 en 1982. Cinq usines en 1982.
8- Bonduelle, c'est également, en Espagne, les marques de surgelés Frudesa, achetée en janvier 2001 à Unilever Food España, et Salto (plats cuisinés surgelés), achetée à Unilever en juillet 2006 mais sous-traitée depuis 2001.
9- A signaler également, l'achat, en 1987, de la conserverie Granelli en Italie à Carpenedolo, et celui, en 1988, de l'usine belge de la société Talpe (marque Star) à Kortemark, en Flandre occidentale (fusion avec Marie Thumas).
10- En Pologne, une usine est achetée à Gniewkowo, en 1994. Début 2003, l'acquisition de l'usine hongroise de Békéscsaba porte la production de maïs doux de Bonduelle à 40 % de la production hongroise.
11- Page 74,op.cit.
12- Conserve grand public de marques, conserve grand public à marque de distributeur, restauration collective et surgelé grand public.
13- Christophe Bonduelle, membre du directoire avec Daniel Vaillant; Bruno et Felix Bonduelle, respectivement président et vice-président du conseil de surveillance.
14- Principal conserveur belge de légumes, en faillite, la marque Marie Thumas fut créée en 1886, du nom de Marie, épouse d'Edmond Thumas, le fondateur. Elle disparaît en 2001, sacrifiée sur l'autel de la marque unique mondiale, Bonduelle.
15- En mai 2000, la filiale Bonduelle Frais prend le contrôle de Cielo & Campo, qui fusionne, en mars 2001, avec Ortobell, n°1 italien des légumes frais prêts à consommer frais.
16- Deux usines à Rosporden dans le Finistère, l'une spécialisée dans les ingrédients de charcuterie, l'autre dans les salades.
17- En 1996,le nouveau slogan est "Bonduelle c'est bon pour être bien" : vite abandonné en 1997 !

La saga des marques - Bic -

Publié à 13:52 par acoeuretacris Tags : marques
La saga des marques - Bic -

Synonyme et numéro un mondial du stylo à bille, Bic est en 1950 l'inventeur d'un concept : le produit de consommation de masse mais de qualité, qui simplifie la vie quotidienne.
Fondé sur le triptyque accessibilité, qualité et fonctionnalité, il va se décliner en briquets et en rasoirs, et faire de Bic une des marques éponymes françaises les plus connues dans le monde.

  

"Il n'y a pas lieu d'interdire les instruments à réservoir d'encre, ni même les crayons à bille qui procurent des avantages de commodité pratique."
Par la circulaire n° 65-338 du 3 septembre 1965, le ministère de l'Education nationale met fin à une guerre scolaire.
Pour les maîtres d'école, il n'était de bonne écriture que "grattante" : le cauchemar des écoliers, obligés, d'une main, de tremper leur plume Sergent-Major dans de petits encriers de porcelaine blanche, remplis d'encre violette Pelikan, et de tenir, dans l'autre main, un buvard pour chasser les taches d'encre ! La campagne de Bic, lancée en 1960 auprès des écoles, a porté ses fruits. Sur un buvard était annoncé : "Approuvé dans les écoles". Du target marketing avant l'heure !
L'ère des pleins et des déliés est révolue, comme l'atteste Paris-Jour qui titre, le 29 septembre 1965, "Le Bic entre à l'école". Soit quinze ans après son lancement officiel.
L'enjeu est de taille : aujourd'hui, la rentrée scolaire, en France, représente 40 % du chiffre d'affaires annuel de la division écriture de Bic. Si tous les écoliers du monde écrivent en mâchouillant leur Bic Cristal, parfois transformé en sarbacane pour lancer des boulettes de papier, ils peuvent maintenant apprendre à jongler avec leurs doigts comme le propose le site
penspinningacademy.com
. Ironie du sort, l'histoire de la plume Sergent-Major, dans le giron de Bic depuis 1979, peut s'écrire avec un... Bic.
Et c'est en juillet 2006 qu'est lancé le Bic EasyClic, le stylo... plume le plus vendu en France avec changement latéral de la cartouche d'encre percée au moment de la fermeture. Sans dévisser le stylo ! Fini les tâches d'encre.

  

Aux origines du stylo bille

  

La légende rapporte que l'inventeur, l'américain John J. Loud, trouva l'idée du stylo bille en observant des enfants jouer aux billes près d'un caniveau, où elles laissaient des traces humides.

Il en fit, en 1888, un outil pour marquer le cuir, et écrire sur des surfaces rugueuses.
L'instrument fut perfectionné en 1938 par le hongrois Joseph Laszlo Biro (1899-1985), ancien correcteur dans un journal de Budapest, ayant fuit son pays en 1936.

Il déposa un brevet d'invention à Paris en 1938, mais son stylo ne tournait toujours pas rond, il fuyait, l'encre grasse s'empâtait et tachait les mains.

La bille miracle

  

Né le 29 juillet 1914 à Turin et naturalisé français en 1930, le baron Marcel Bich (1914-1994), fils d'un entrepreneur ruiné, doit, au sortir de son baccalauréat, subvenir aux besoins de sa famille.
D'abord livreur, puis représentant en lampes électriques et en enseignes lumineuses, il devient, en 1937, directeur de production de la société des Encres Stephens. Puis, décidé de voler de ses propres ailes, il achète, avec son associé Edouard Buffard, un atelier qui fabrique des corps de porte-plume.

Installée au 18 impasse des Cailloux à Clichy, la société PPA (Porte-plumes, Porte-mines et Accessoires), nouvellement créée le 25 octobre 1944, fabrique, à façon, des pièces de porte-plume à réservoir.
Pour autant, celui dont le nom va devenir synonyme du stylo à bille ne croyait pas à son avenir. "C'est une belle cochonnerie, ça tache les vêtements et ça n'écrit pas"(1), maugrée-t-il devant les stylos à bille de l'Américain Milton Reynolds !
Illustration de son pragmatisme, c'est en poussant sa brouette de jardin que l'idée lumineuse surgit : "La bille, c'est l'invention de la roue appliquée à l'écriture !" Quand la plume gratte la feuille, la bille, elle, glisse, libère la main, qui peut enfin courir au même rythme que la pensée.

Après deux ans de recherche sur des tours d'horlogerie suisses capables de travailler au centième de millimètre, la bille miracle d'un millimètre de diamètre – en acier inoxydable puis en carbure de tungstène, en 1961 –, sort des ateliers de Clichy.
Marcel Bich vient de résoudre deux problèmes, jusqu'alors non maîtrisés par Biro et Reynolds : la formule d'encre parfaite et l'ajustage entre la bille et le tube-réservoir permettant une écriture facile, la bille tourne enfin rond. Le trou percé sur le corps en plastique assure la même pression atmosphérique à l'extérieur et à l'intérieur du tube, et pousse l'encre visqueuse du réservoir vers la bille.

 

 

Le Bic Cristal "né volontairement laid et devenu beau parce que pratique, économique, indestructible, organique, est le seul exemple de socialisme réalisé qui ait annulé le droit de propriété et toute distinction sociale".

  

Bic Cristal, premier de la classe

  

Une nouvelle page de l'histoire de l'écriture s'écrit en 1950 avec le Bic Cristal, objet renouvelable à l'identique, à l'infini.
En 1986, le sociologue Umberto Ecco confiera, dans l'hebdomadaire italien L'Espresso, que le Bic Cristal "né volontairement laid et devenu beau parce que pratique, économique, indestructible, organique, est le seul exemple de socialisme réalisé qui ait annulé le droit de propriété et toute distinction sociale".
Transparent pour suivre le niveau d'encre, il est en plastique, de forme hexagonale comme le crayon à mine pour mieux tenir en main, long de 14,3 cm et pesant seize grammes (quatre aujourd'hui). Il assure entre deux et trois kilomètres d'écriture, sans recharge. Technique, la révolution du baron Bich est aussi commerciale : jusqu'alors onéreux et inefficace, le stylo à bille devient peu coûteux, propre et opérationnel. Afin de maîtriser les coûts de fabrication et parvenir au prix de revient le plus bas possible, la société fabrique ses colorants et ses encres, bleue, noire, verte, rouge ou violette. Comme le bouchon, le capuchon donne la couleur et son agrafe permet d'accrocher le stylo (depuis 1991 le capuchon est percé pour répondre à des normes de sécurité).
En 1951, année de création de l'INPI, Marcel Bich dépose son brevet. Comme toujours, certaines inventions ont une naissance difficile. La sienne n'échappe pas à la règle, puisque les distributeurs traditionnels trouvent le produit trop vulgaire et refusent de le référencer ! Le marché aura raison de leur réticence : 10 000 par jour la première année, 250 000 trois ans plus tard grâce à la vente chez les buralistes et aux campagnes de communication. En 2005, Bic franchit le cap des cent milliards vendus dans le monde, depuis 1950 !
Le Bic Cristal, devenu depuis marque ombrelle, avec les Cristal Gel, Clic, Grip Decor, Fun, Pocket et Pocket Scents, est toujours, en 2007, le stylo bille le plus vendu dans le monde.

  

 

  

Vers le premium

  

Sur fond de montée en puissance des premiers prix et des marques de distributeurs, et de la segmentation de la demande, les années 1990 sonnent l'heure de la diversification vers des produits à plus forte valeur ajoutée, tout en conservant les produits "historiques".
Les premiers sont destinés aux pays développés, les seconds, comme la pointe Cristal ou le rasoir orange, aux pays émergents. L'univers de la papeterie s'enrichit avec les feutres à bille, surligneurs, rollers à pointe métal, encre liquide ou encre à gel(11). La croissance externe étend la technologie et ouvre un nouveau marché. Après les crayons Conté (dessin et coloriage), devenus en août 2004 Bic Kids, et ses marques Critérium, Onyx Marker, Baignol et Farjon et Sergent-Major (acquis en 1979), Bic étend son territoire et son expertise avec les produits correcteurs américains Wite-Out, en juin 1992, les feutres et stylos rollers allemands Hauser, en 1996, les correcteurs allemands Tipp-Ex (premier fabricant européen des produits de corrections), en mars 1997, les stylos à plume haut de gamme Sheaffer, en octobre 1997 (avec une participation de 75 % dans un joint-venture en Chine), le français Stypen (stylos plumes rechargeables), en 2004, et le brésilien Pimaco (étiquettes adhésives), en octobre 2006.

Depuis 2000, la nouvelle usine européenne d'instruments d'écriture de Marne-la-Vallée produit huit millions de pointes de stylos par jour, quatre millions de cartouches d'encre et deux millions de stylos-billes. L'univers du stylo-bille s'étend aux stylos ergonomiques et colorés qui rendent l'écriture plus ludique,les Bic Velocity,Bic Technolight,Bic Intensity,le deux en un Bic Duo Briefing (stylo à bille et surligneur), Bic Reaction, Bic Cristal Gel, stylo plume Bic EasyClic, Bic Kids Mini Velleda...
Dans l'univers du rasage, le confort d'utilisation conduit Bic à proposer des rasoirs à deux (1994) puis à trois lames, dotés de bandes lubrifiantes, d'un grip et d'une tête pivotante. Preuve que le jetable n'est pas incompatible avec le haut de gamme, Bic lance en juin 2000 le Softwin une pièce, ou rasoir premium bilame à tête pivotante, double bande lubrifiante à la vitamine E et à l'aloé, doté d'un manche caoutchouté antidérapant pour raffermir la prise en main, de couleur verte et pesant moins de dix grammes (la lame, réalisée par d'anciens ingénieurs de la Nasa, est deuxmille fois plus fine qu'un cheveu).

 

L'humour, fil conducteur de la publicité

 

Cette nouvelle stratégie conduit la marque à unifier pour la première fois sa communication. Auparavant, le budget était réparti par zones géographiques. En décembre 1998, une même agence, TBWA, est retenue pour orchestrer la première campagne de communication mondiale : sur le ton de l'humour, le Softwin rase la moitié du visage des passants.
Pour le lancement, également mondial, en 2004, du rasoir à trois lames Bic Comfort 3, l'agence Hémisphère Droit choisit la chanson culte Blue suede shoes, chantée par Elvis Presley et parodiée pour les besoins de la signature : un homme se rase face à son miroir en psalmodiant "one for the money, two for the shave, three for the confort of the three-blade". Slogan "The right price for a triple blade". Le film mentionne dix-huit fois le nom du rasoir Bic.

Depuis 1994, les femmes ont aussi leur rasoir, qui devient trois lames avec le Bic Soleil (manche orange) en 2004, et Bic Soleil Scent à manche rose parfumé en 2005. Au nombre des produits récents, citons le Bic Comfort 3 Advance pour les hommes et le Bic Pure 3 Lady, en 2006, pour les femmes. En 2007, Bic Soleil peut être au citron avec tête pivot ou, une révolution pour la marque, le Bic Soleil Clic, premier rasoir système du groupe, à tête rechargeable, segment le plus important du marché du rasage mécanique.
C'est toujours sur le ton de l'humour que la marque communique en 2006 et 2007, avec Hemisphère Droit sur Bic Comfort 3 Advance, qui met en scène Bernard Laporte, sélectionneur de l'équipe de France de rugby, et Dimitri Szarzewski, talonneur du Stade français.

 

Internet oblige, Bic lance en mai 2006 une campagne de marketing viral sur le sitewww.assuralecrit.com, qui illustre "les perles du bac" à travers huit minifilms comiques mettant en scène des étudiants passant l'oral. Pour la promotion du rasoir à trois lames Bic Comfort 3 Advance, le groupe ouvre en 2007 le sitewww.3fineslames.com, sur lequel on peut visionner huit vidéos réalisées par Hémisphère Droit. Les enfants ont également leur site,www.bickids.com, traduit en cinq langues, qui explique comment sont fabriqués les crayons.

Marcel Bich a toujours fait de l'innovation le moteur de son entreprise. En 2006, les nouveaux produits et les extensions de gamme dans les trois activités principales, articles de papeterie, rasoirs, briquets, représentent 22 % des ventes du groupe(12). "Offrir des produits simples, inventifs et fiables pour tous, partout dans le monde", cette vocation originelle de Bic est rappelée dans le dernier rapport annuel par Mario Guevara, premier directeur général extérieur à la famille Bich, nommé le 24 janvier 2006. Et, à l'heure du développement durable, le groupe paraît formaté pour concevoir des produits légers, sans superflu pour l'environnement, à longue durée d'utilisation : le stylo Bic ne permet-il pas entre deux et trois kilomètres d'écriture, le maxibriquet Bic, trois mille allumages, et le rasoir Bic, sept jours de rasage ?
Jetable oui,mais durable,avec toujours pour règle d'or, fixée par Bruno Bich, "s'enrichir du passé pour construire le futur".

 

1 - Le Baron Bich, un homme de pointe, par Laurence Bich, Perrin, 2001, p.10
2 - En 1952, le britannique Henry George Martin, détenteur du brevet Biro, attaque la société PPA en contrefaçon. Un accord entre les deux parties sera conclu en 1953.
3 - La filiale américaine entre à Wall Street en 1971.
4 - Neveu de Bruno Bich, deuxième fils des onze enfants du fondateur.
5 - L'Europe, 30 % des ventes ; l'Amérique du Nord et l'Océanie, 46 % ; l'Amérique latine, 18 % ; le Moyen-Orient, 4 % ; l'Asie, 2 %.
6 - La famille Bich détient 43,3 % du capital,Mme Edouard Buffard 4,5 %,le public 40 %.
7 - Le Baron Bich décède, le 30 mai 1994, à la veille de ses quatre-vingt ans. Hommage de l'agence Euro RSCG dans la presse :"Une flamme s'est éteinte".
8 - La gamme s'agrandit avec les modèles slim et mini en 1985, les modèles décorés, l'allumage électronique en 1991 (Mini Tronic en 1998). En 2000, Bic propose des modèles utilitaires pour cheminée, barbecue, photophore et bougie (Bic Megalighter en 2001, Bic Luminère en 2003) ; il lance des étuis en 2002 (Bic Styl'it), dont le Bic M Series (2006),étui en métal poli. En 2005,le briquet Bic Maxi entre dans les collections permanentes du musée d'Art moderne de New York (MOMA).
9 - Depuis 1988, la contrefaçon asiatique envahit le marché mondial et représente la moitié en valeur et près de 70 % en volume.
10 - Marcel Bich rachète Dim et les sous-vêtements Rosy sur ses propres deniers en 1973, avant de le revendre au groupe Bic, en 1979 (revendu à Sara Lee en deux temps, en 1987 et 1989).Guy Laroche (prêt-à-porter et haute couture avec également Gaston Jaunet et Michel Klein) est acheté en 1971 puis cédé au groupe en 1980 (revendu en décembre 2001 à Rech International).
11 - En 2006, Bic a vendu 5,3 milliards d'articles de papeterie.
12 - Répartition des ventes 2006 : articles de papeterie (51 %), briquets (27 %), rasoirs (18 %), autres produits (4 %).

 

 
"Le prix d'un briquet Bic est moins élevé que celui de trois mille allumettes
et un briquet jetable Bic est plus pratique que trois mille allumettes"
  

 

Une marque née d'un coup de "h"
 
Conseillé par Pierre Guichenné, président de l'Agence française de propagande, Marcel Bich donne un coup de h à son nom et inscrit sur le corps du stylo les trois lettres B I C, identifiables et prononçables dans toutes les langues. Signe du succès, la marque figure dans le Larousse des noms communs. Le Bic Cristal ou "pointe Bic" vient à peine de naître que son créateur entend le promouvoir par la publicité, presse, affichage et film, pour atteindre directement le consommateur. En décembre 1950, les premières annonces apparaissent, à Lille, dans le quotidien la Voix du Nord, portant le slogan "Crayon à bille ? Non, crayon à Bic".

La marque inaugure l'ère du jetable et du produit nomade, comme l'atteste une réclame parue dans Paris-Match en 1952, montrant un homme d'affaires écrivant dans un avion.
Ecrire en tout lieu et en toute circonstance. Des marques miroirs et acteurs de l'évolution des moeurs, Bic est l'archétype.
Forçant le destin, Marcel Bich fait sa propre entrée à l'école, dès 1952, avec la promotion de son stylo sur des buvards publicitaires signés Jean Effel : "N'écrivez pas à la diable... écrivez à la BIC ! Ecrivez propre et net avec la pointe BIC. "Ou bien : "Résultat faux... mais écrit avec la vraie pointe BIC", suggère un vieux professeur à son élève en 1956. Aux origines des premières campagnes publicitaires, l'affichiste Raymond Savignac singularise la marque grâce au slogan "Elle court, elle court, la pointe Bic" (1952).
Déclinée en affiches, spots radio, et films (Les Associés cinéastes), mais aussi dand la caravane publicitaire du Tour de France – on ne parle pas encore de communication à 360° –, la campagne reçoit en 1952 le premier oscar français de la publicité.
 
La même année, la production atteint deux cent mille stylosbilles par jour, illustration de l'efficacité de la réclame.
Anticipant l'ouverture du marché scolaire, Raymond Savignac dessine en 1960 un petit écolier bien sage vêtu d'un pantalon court, pull-over et cravate, et la tête en forme de bille, portant son cartable, un Bic bien en évidence, et pour slogan prémonitoire "Approuvé dans les écoles". Tenant un stylo derrière son dos, il devient le signe de reconnaissance de la marque, son logo pour tous les produits de l'entreprise.
L'année suivante, lors du lancement de la bille en carbure de tungstène, l'écolier est placé devant les trois lettres BIC, formant ainsi le logo définitif. Couleurs : tête noire et tablier orange. Le dessin sera déposé à titre de marque en 1965.
Arboré lors du Tour de France par Jacques Anquetil, en 1967, il montera sur la plus haute marche du podium avec Luis Ocana, en 1973.
 
La pointe Bic court dans le monde
 
Revers du succès, le marché français est trop étroit pour produire en très grande série. Aussi l'exportation apparaît-elle comme un passage obligé. Créée en 1953, la société Bic part à la conquête des marchés étrangers avec Bic International, dirigée par Lalo, un des frères du baron Bich. Pour contourner les obstacles douaniers ou administratifs, des filiales sont implantées en Italie, en 1954, et au Brésil, en 1956. L'année suivante, l'acquisition de Biro Swan(2) en Angleterre ouvre à Bic le marché de la zone sterling. En 1958, la société reçoit l'oscar de l'exportation et rachète la société américaine Waterman Pen Company, tant les droits de douanes sont prohibitifs.
Cette filiale est devenue depuis Bic Corp(3). En 1959, la société reprend Ballograf, leader scandinave des stylos-billes et crayons haut de gamme (cédée en 2004). Faute d'avoir reçu le soutien des banquiers, Marcel Bich fera de l'autofinancement une règle d'or.

La conquête du marché japonais débute en 1965. Les années 1980 sont celles de l'Afrique et du Moyen-Orient, et la décennie 1990, celle de l'Europe centrale et orientale. Aujourd'hui, le groupe possède vingt-quatre usines en propre, dont celle ouverte à Shanghaï, en novembre 2005, dirigée par Geoffroy Bich(4). Le groupe, qui ouvre une filiale en Turquie en 2006, fabrique 89 % de ses produits dans ses propres usines et le reste chez des sous-traitants. Vingt-quatre millions d'articles de papeterie sont commercialisés tous les jours dans plus de cent soixante pays et plus de trois millions de points de vente, à travers les marques Bic, Bic Kids, Sheaffer ou Tipp-Ex. 90 % des ventes sont réalisées hors de France(5).
 
Toujours selon la philosophie du triptyque fonctionnalité, accessibilité, qualité,
Bic bouscule le monde du rasage dominé par Gillette en lançant,
en 1975, le premier rasoir monolame jetable, de couleur... orange.
 
De la monoproduction au tout-à-jeter
 
Les manuels de marketing ne s'interrogent pas encore sur la problématique d'extension du territoire de la marque quand, en 1973, Bic – introduit en Bourse(6) en novembre 1972 – appose son nom sur un produit très éloigné de son métier traditionnel, le briquet jetable à flamme réglable.
Point de passage obligé pour maîtriser la technique de fabrication des briquets à gaz, Bic avait pris le contrôle de la société Flaminaire en 1971.
La marque devient le symbole des mutations de la société de consommation. Les principes qui ont fait le succès du stylo seront les mêmes : proposer un objet de grande consommation, renouvelable à l'identique, à l'infini, facile d'utilisation, avec, grâce à sa forme ovale, une bonne prise en main, à flamme réglable, à bas prix et jetable. Sa couleur ? Orange.
La meilleure qualité au meilleur prix et trois mille allumages garantis pour un maxibriquet.
"Le prix d'un briquet Bic est moins élevé que celui de trois mille allumettes et un briquet jetable Bic est plus pratique que trois mille allumettes", souligne Bruno Bich, successeur de son père en 1993, après avoir dirigé la filiale américaine(7).
La première place mondiale est conquise dès 1977. Le succès est tel que Gillette (Criket) se retire du marché des briquets jetables. Après le briquet miniature lancé en 1984, Bic diversifie son offre vers des produits plus sophistiqués(8). La société vend aujourd'hui cinq millions de briquets de poche par jour et détient 35 % du marché mondial. A ce jour, le groupe a commercialisé plus de vingt-trois milliards de briquets dans plus de cent soixante pays(9). "Votre main fera la différence", proclamait la première campagne publicitaire.
A la joue, aussi, de faire la différence. Toujours selon la philosophie du triptyque fonctionnalité, accessibilité, qualité, Bic bouscule le monde du rasage dominé par Gillette en lançant, en 1975, le premier rasoir monolame jetable, de couleur...orange.
 
Comme pour le briquet, la technique est développée grâce au partenariat avec une entreprise grecque de lames de rasoir, aujourd'hui Bic-Violex. Sur le marché du "non rechargeable", Bic, avec dix millions de rasoirs une pièce vendus tous les jours dans le monde,est le numéro deux du jetable en volume : 30 % de part de marché, derrière Gillette et devant Schick-Wilkinson. "Ne changez plus de lame, changez de rasoir", préconise Raymond Poulidor en 1978.

Dans un spot conçu par Jacques Séguéla, le footballeur Jean-Pierre Papin affirme en 1990 : "J'essaye de ne pas jeter mon argent par les fenêtres, et, comme vous le voyez,je me rase avec Bic." Aux Etats-Unis, John McEnroe choisit Bic en 1984 pour être bien rasé "pour pas cher". C'est toujours sur le ton de l'humour que la marque communique avec les frères Cantona, qui arborent en 1994 un tee-shirt Bic et défendent chacun leur rasoir : le "une-lame Orange" pour Eric et le "deux-lames vert" pour Joël. Coiffé d'une charlotte de bain rose, le même Eric fait, en 1996, la promotion du rasoir féminin Bic Lady : "Chérie, tu me prêtes ton rasoir ?"

Un domaine échappe toutefois au jetable : la planche à voile. C'est pour renforcer l'image moderne et dynamique de la marque que Marcel Bich, grand amoureux de la mer, jette son dévolu en 1979 sur Tabur Marine, société implantée en Bretagne et leader mondial du surf. Devenue Bic Sport en 1981, elle lance en 2006 l'Open Bic, premier dériveur moderne pour les enfants et les adolescents(10).
 
En 2006, les nouveaux produits et les extensions de gamme dans les trois activités principales, articles de papeterie, rasoirs, briquets, représentent 22 % des ventes du groupe.

 

 

 

 

  

La saga des marques - Badoit -

Publié à 13:37 par acoeuretacris Tags : marques
La saga des marques - Badoit -

Badoit
pétille de joie

Avec plus de 300 millions de bouteilles vendues tous les ans, Badoit est le leader, en France, des eaux minérales naturelles gazeuses. Elle fonde, depuis 2002, son discours sur le plaisir et le raffinement.

Je surprends l'oreille, je charme l'œil, je chatouille le nez, je picote la langue. Qui suis-je ?” Réponse : “le champagne de l'eau” ou, en six lettres, BADOIT. Célèbre parce qu'elle “facilite la digestion des gens bien-portants” et qu'elle “rafraîchit les idées”, Badoit tient, parallèlement à ses vertus thérapeutiques, la même promesse depuis sa naissance : la joie de vivre. Connues dans l'Antiquité et exploitées par les Romains (les bains d'un riche gallo-romain Auditius ont été découverts sur place en 1844), puis tombées dans l'oubli jusqu'à la Renaissance, les eaux minérales de Saint Galmier (Loire) connaissent un renouveau aux XVIIème et XVIIIème siècles. Richard Marin de Laprade, conseiller et médecin ordinaire du Roy, leur consacre, en 1778, une étude sur leurs vertus apéritives et curatives. Les médecins comparent ses effets “exhilarants” - déjà - !, à ceux du champagne. Leur destin changent quand un voyageur de soierie, Auguste Badoit, alors âgé de trente six ans, obtient, le 1er mai 1837, le fermage de la source Fontfort (Font Phore au Moyen Age) située à Saint-Galmier, au-dessus de la plaine du Forez1.

 

Dès le bail signé, il vante les propriétés digestives et diurétiques de sa source dans le Courrier de Lyon du 11 juillet 1837. Mais c'est d'une autre source que va jaillir l'eau à laquelle Auguste Badoit donne son nom : une propriété voisine de la sienne a une source inexploitée que Badoit rachète pour contrer la concurrence et qu'il exploite à partir de 1845. Une aubaine puisque le bail de la source Fontfort fut résilié en 1848. Puis, l'heureux propriétaire de la source Badoit décide de lui donner une toute autre vocation que celle qui lui était jusqu'alors dévolue : avec moins de 600 buveurs par an, le thermalisme a peu de chance de rivaliser avec Vichy ou Evian. Badoit sera donc vendue, non pas en bonbonne mais en bouteille.

 

Auguste Badoit fait alors construire des entrepôts et signe des accords avec des dépositaires : de 1837 à 1842 ces derniers passent de 26 à 95 en France dont plus de la moitié sont des pharmaciens. En 1856, la source Badoit occupe une quarantaine d'ouvriers qui emplissent et mettent en caisse 6 300 bouteilles par jour. Quand Auguste Badoit décède, en 1858, sa société vend 1 500.000 de bouteilles par an. Sa femme et sa fille lui succèdent puis cèdent la société en 1859 à un concurrent de la même ville, la société André, le gendre de Madame Badoit, Benoit Cherbouquet, restant maître de l'entreprise jusqu'à ce qu'elle se transforme en société anonyme, en 1893.

 

Du produit à la marque

 

D'autres sources seront exploitées permettant d'augmenter les ventes. Badoit, dotée d'une verrerie en 1883, va progressivement racheter les autres sources de Saint-Galmier :sources Centrales en 1876, Courbière et Nouvelle en 1886, Rémy et Noël en 1894 et Romaines en 1910. L'étiquette n'apparaît sur les bouteilles qu'en 1874, venant ainsi singulariser la marque qui ne se distinguait jusqu'alors que par un simple cachet vert et le slogan “eau de table sans rivale”. Revers de la médaille : la marque n'échappe pas à la contrefaçon de bouteilles qui affichent le nom Saint-Galmier ou le cachet vert. Au temps d'Auguste Badoit, les bouteilles étaient obturées par un bouchon scellé à la cire. Elles sont cachetées au cours des années 1870 et en 1913, le bouchage “couronne” en métal remplace le bouchage en liège2. Accessoire indispensable à partir de cette date : l'ouvre-bouteilles Badoit ! Signe que la marque s'adapte aux attentes de ses clients, elle commercialise, depuis 1879, des demi-bouteilles pour le marché parisien.
A la fin du 19ème siècle, Paris représente 65% du total des ventes loin devant Lyon (6%), son second marché. A l'international, Badoit possède des dépots à Berne, Buenos Aires, New York et Barcelone mais les ventes demeurent confidentielles.
Si le moyen publicitaire privilégié demeure, depuis Auguste Badoit, l'envoi gratuit de caisses de bouteilles aux médecins, la société multiplie les expériences comme celle des kiosques lumineux à Paris dès 1889 ou l'édition de cartes postales illustrées (500 000 pour la seule année 1903).

Et puisque la mode est aux Expositions Universelles, Badoit s'illustre avec une médaille d'or à Rome (1888), une médaille d'argent à Barcelone (1888), le grand Prix à Marseille (1905) et à Bruxelles (1910). Dès les premières années du XXème siècle, des objets marqués au nom de la source, reconnue d'intérêt public par l'Académie de médecine en 1897, sont distribués gratuitement : porte-crayons en métal, gommes, règles, protège-cahiers, buvards, menus illustrés pour restaurants, images illustrées pour les enfants.

 

Gaité et joie de vivre

 

Durant l'entre-deux guerres, l'agence Elvinger construit le discours publicitaire de la marque. Porte-parole de Badoit, le “Docteur Bien-Vivre”, dont le corps épouse celui de la bouteille, affirme que l'eau de Saint- Galmier Badoit est “source de santé”. Gaité et joie de vivre, thèmes récurrents de la marque aujourd'hui, apparaissent dès les années 30. Pour Noël 1930, une réclame vient déjà nous “rafraîchir les idées” : “En son calice de cristal, elle module, turbulente et joyeuse, un gazouillis argentin. Gaité, Jeunesse, Santé, fusent avec les bulles légères. Sous son masque insouciant, l'eau de Saint-Galmier-Badoit cache ses vertus précieuses. Qu'elle soit de votre Fête !… Les Sels bienfaisants chasseront de votre organisme l'acide urique, ce terrible poison, et toutes autres toxines, rançon sévère de si agréables festins.

 

”Au territoire de la digestion, Badoit ajoute celui de l’“eau de régime” : “Ordonnance-type dosée par la Nature pour le plus grand bien de votre santé, St-Galmier Badoit vous offre sa merveilleuse vitalité, sa pureté naturelle et sa bienfaisante minéralisation. Ne buvez que Badoit, prestigieux régulateur de l'organisme ! C'est votre seule eau de régime. St Galmier Badoit... tellement mieux !” affirme une réclame en 1932. Bien avant le concept de traçabilité des produits, Badoit, qui vient d'obtenir un périmètre de protection en 1930, se veut “bac-té-rio-lo-gi-que-ment pure ! c'est votre sécurité ! Attention ! ne vous fiez pas à la transparence, peut-être mensongère, des eaux dites potables. Votre seule sécurité, c'est de boire - non pas une eau dont on prétend avoir détruit les germes - mais une eau qui n'en a jamais contenu : St-Galmier-Badoit. Jaillie des profondeurs granitiques, mise en bouteilles sous le couvert d'une rigoureuse aseptie, elle reste toujours pure, bactériologiquement pure.” (1932) Badoit, “la moins chère des eaux de grande classe” est aussi celle qui “entretient une heureuse sensation d'euphorie” ( 1937). Preuve que Badoit ne veut pas être seulement l'eau de table, elle suggère en 1938 un autre mode de consommation : “Au saut du lit, vite Badoit ! Un verre de cette eau délicieuse, véritable ”douche interne“ ça me met en forme et en gaité pour toute la journée.” On ne parle pas encore d'extension de territoire quand Badoit reçoit, en 1943, l'autorisation de fabriquer des produits “Badoit-Mint” et “Badoit-Framboise” !

 

Digestion heureuse pour une consommation de masse

 

37 millions de bouteilles en 1958, 250 millions en 2002 ! Une telle progression mérite explications. La marque acquiert une véritable notoriété quand, à la fin des années cinquante, elle quitte la pharmacie pour les grandes surfaces. Pour se distinguer des eaux concurrentes, Badoit joue la carte de l'eau pétillante, source de plaisir, dès 1952 : “l'eau des bien-portants. Badoit n'a ni la fadeur des eaux plates, ni la turbulence des eaux gazéifiées : son pétillement plaît au goût et laisse l'estomac léger.”
Au début des années 60, Badoit devient synonyme de joie : “ni plate, ni trop gazeuse. En vous offrant Badoit, la nature fait don à votre santé de ce qu'elle a de meilleur. Salutaire à votre organisme et agréable à votre palais, Badoit est source de santé et de plaisir, donc de joie de vivre !” (1963).

 

Elle est “ni plate, ni trop gazeuse mais doucement pétillante” (1964). Toujours sous la signature de l'agence Elvinger, Badoit affirme : “Il y a trois sortes d'eaux minérales : les plates, les gazeuses et Badoit. Le meilleur crû d'eau minérale du monde. L'eau à la saveur de roche.” (1966) “Pourquoi ceux qui détestent l'eau gazeuse aiment-ils Badoit ? Parce que Badoit n'est pas, vraiment, une eau gazeuse : elle pétille doucement et n'incommode jamais.” (1966). Gaité,joie de vivre... Badoit joue également la carte de l'humour avec le célèbre slogan signé Jean Feldman en 1960 “Et Badadi, et Badadoit, la meilleure eau, c'est la Badoit”, décliné en “et patati et patatoi,...” (1962). Signe que la publicité n'est pas sans incidence sur les ventes, celles-ci quintuplent de 1958 à 1967. Associé depuis 1960 avec la Société des eaux minérales d'Evian dans la Société de participation, Badoit fusionne avec Evian en 1965, et l'ensemble intègre BSN en 1970. Période charnière pour Badoit qui connaît alors un léger déclin : les ventes qui avaient atteint 57 millions de bouteilles en 1967, chutent à 37 millions en 1972. Une étude réalisée par BSN sur les attentes des consommateurs sauve la marque3. Sur une idée de Bernard Brochand, Badoit devient “l'eau des digestions heureuses”, celle qui “facilite la digestion des gens bien portants”. Le thème de la digestion-plaisir, de la digestion joyeuse, - digestion parce que la marque est riche en bicarbonates et plaisir par son goût légèrement salé4 -, va permettre à Badoit de se démarquer des autres eaux minérales qui la concurrencent fortement telles Vichy Saint-Yorre et Perrier.

 

Preuve de la modernité de la marque : BSN lance en 1973 la bouteille en plastique. La saga publicitaire télévisée peut commencer ! Le premier spot réalisé par l'agence DDB met en scène, en 1972, à la manière des jeux d'Interville, deux équipes, l'une de Saint Galmier, l'autre de Mamers s'opposant lors d'un concours de choucroute et d'épreuves sportives. Qui sort vainqueur ? L'équipe de Saint Galmier et Badoit, bien sûr ! Signature “Badoit facilite la digestion et maintient en forme”. En 1974, dans un second spot, Jean Amadou, critique gastronomique, commande à Gérard Jugnot, chef cuisinier, une bouteille de Badoit et peut écrire : “dans un cadre charmant, nous fîmes un délicieux repas que j'accompagnais d'une boisson légère…”. C'est alors qu'apparaît le slogan “L'eau de Badoit facilite la digestion des gens bien-portants”, slogan qui conclut également les spots réalisés avec les Frères Jacques (de 1975 à 1978).

 

 

En 1979, sur le thème de la chanson du film Viva Maria (1965) où Jeanne Moreau chantait en duo avec Brigitte Bardot “Ah les petites femmes de Paris”, quatre femmes entonnent, “ah les petites bulles de Badoit...”, “L'eau de Badoit, une bien agréable façon d'aider la digestion” 5.
1982 : avec le film “l'école de danse”, Badoit inaugure deux décennies de complicité avec Charles Trenet et l'une de ses plus célèbres chansons “Y'a d'la joie”. Badoit, “l'eau des digestions légères” est aussi celle qui “nous met en joie” et “fait chanter les bons repas”. En 1985, pendant qu'un voyageur fait bombance au wagon-restaurant, six jeunes (les six lettres de Badoit) se retrouvent sur le toit du train dansant une comédie musicale. A l'heure où diététique et équilibre sont les maîtres mots du discours alimentaire, Badoit se veut synonyme de plaisir communicatif : dès la première gorgée, un client grimpe sur la table d'une brasserie et entraîne une jeune femme dans une danse endiablée sur l'air de “Y'a d'la joie dans Badoit”. Charles Trenet prête sa voix pour lancer, en 1988, Badoit aromatisé menthe et citron. Cette innovation est rendue possible par l'application en France de la directive européenne sur les eaux minérales (1980) qui autorise la commercialisation de boissons fruitées à base d'eau minérale naturelle. Signe que la marque ne souhaite plus être identifiée au seul univers du repas, la scène montre une auto-stoppeuse proposant au conducteur d'une Coccinelle de déguster les nouveaux produits. Badoit devient un produit nomade
6. Les ventes décollent : 37 millions de bouteilles en 1972, 240 millions en 1988. L'année suivante, Badoit est confrontée à une hausse subite de sa demande durant un été torride et à une rumeur selon laquelle la source atteindrait sa limite de capacité !7 Comment, dès lors gérer la rareté ? En valorisant au mieux le produit. La bouteille adopte la couleur verte, couleur haut de gamme identifiée à celle du champagne, opte pour une forme plus élancée, se dote d'un bouchon blanc et revêt une étiquette stylée. Sa contenance passe de 1,25 l à 1 litre et le lancement de bouteilles de 33 cl. permet de multiplier les occasions de consommation sans courir le risque de ruptures.

Avec pour slogan “Badoit, il y a une vie après le repas”, la marque joue en 1991 sur le ton de l'humour décalé et de la légèreté : on retrouve des traces de pas sur la table d'un restaurant après un déjeuner, traces qui se prolongent même sur le mur, des Japonais habitués à voyager en groupes organisés sortent d'un restaurant en désordre, enfin, un chef d'entreprise, de retour du déjeuner, joue dans son bureau avec un avion en papier8. Humour toujours quand Badoit devient, en 1997, “L'eau qui fait durer le plaisir” et se décline autour “l'eau des tables pour la vie”, “l'eau des tables qui réveillonnent”...9

 

De la digestion à la convivialité

 

La fin des années 90 annonce un changement dans les modes alimentaires : “les repas sont plus légers et la problématique de la digestion devient moins cruciale pour les consommateurs”, rappelle Patrick Buffard, directeur marketing de Danone Eaux France. Badoit quitte le territoire des vertus digestives pour celui de la convivialité et de la complicité.

Boire Badoit fait pétiller les sens et l'esprit. La marque réconcilie les ennemis d'hier. Preuve que le corbeau et le renard, le zèbre et le lion, ou la poule et le renard peuvent cohabiter, Badoit les réunit en 1998 dans une campagne publicitaire autour du thème “Peut-on envisager un repas sans Badoit ?”, “Prends de la Badoit et ton repas pétillera, tu verras la vie autrement”.

 

Sur le concept de “Badoit et la ville pétille”, la marque réalise une grande première en choisissant l'affichage mobile : sept bus habillés en volume par Métrobus avec des animaux sillonnent Paris en novembre 199810.En mai 1999, la bouteille Badoit voit, elle aussi, la vie autrement : l'agence Desgrippes lui donne un nouvel habillage en PET, une forme plus fine avec un col allongé et la gamme s'élargit : lancement d'un 50cl. en plus des 1L et 33cl. Afin de multiplier les occasions et les lieux de consommation, Badoit s'illustre de nouveau à travers une nouvelle campagne de communication en 1999. Réalisée en 3D, elle prend comme toile de fond les Fables de La Fontaine : la cigale est reçue par la fourmi dans son appartement, le lièvre et la tortue partagent un piquenique champêtre, la grenouille et le bœuf se retrouvent au restaurant11. Foin de la morale de La Fontaine, Badoit est synonyme de bonne humeur, joie et ouverture aux autres : après un bon repas et un peu d'eau gazeuse, la vie pétille de nouveau et les antagonistes font la paix. Virage à 180° en 2002 : après vingt ans de complicité avec Charles Trenet, Badoit bascule dans une atmosphère plus cosmopolite au son de la ritournelle latino Quizas,quizas,quizas12.

 

La marque quitte l'univers de la table pour un nouveau lieu, celui de la fête entre amis ; elle abandonne la promesse de digestion pour le plaisir et l'ouverture d'esprit en revisitant le conte de Cendrillon. Grâce à “Badoit, l'eau qui rafraîchit les idées”, nouvelle signature de la marque, le Prince Charmant ne rejette pas la pauvre Cendrillon, qui à minuit se retrouve en haillons ; il n'hésite pas à déchirer ses vêtements pour se mettre à niveau et l'entraîne dans une danse endiablée. “Avec cette nouvelle campagne, nous souhaitons reparler de façon forte du plaisir organoleptique du produit et placer la marque dans un univers plus valorisant, parce plus ouvert et cosmopolite”, explique Patrick Buffard. La marque n'oublie pas pour autant que sur les 250 millions de bouteilles vendues tous les ans, 25% sont destinées aux circuits hors grandes surfaces. Eau de prédilection des restaurants, Badoit organise des événements - “Badoit Boisson d'Avril”,“La Chasse aux capsules”, “Le visiteur mystère”-, destinés à fidéliser les serveurs. Les restaurateurs ne sont pas en reste. Depuis 2000, le journal “Fines Bulles et Belles Tables” leur est destiné : diffusé à 6000 exemplaires, un nouveau numéro est édité chaque saison.

 

Enfin, depuis septembre 2002, les bouteilles en verre destinées au circuit restauration, sont dotées d'un nouvel habit de fête conçu par l'illustrateur Tsuyoshi Hirano et l'agence Pro Deo (Young & Rubicam). Toutefois, afin d'accroître sa visibilité, Badoit ne se limite pas au territoire de la restauration classique et explore de nouveaux circuits : distribution automatique, restauration “moderne” (fast food), stations-service, restaurants d'autoroute, restaurants d'entreprise.

 

Illustration de cette modernité, elle devient le “partenaire pétillant” du pique-nique géant organisé le 14 juillet 2000 : sur une nappe de 2,32 mètres de large et de 600 km de long, Badoit souhaite onze millions de fois “bon appétit”.
Pour élargir encore sa franchise de marque, Badoit devient en 2001 une eau gourmande avec Vertigo et ses trois parfums : mangue/citron, citron/citron vert et framboise/pomme verte. Proposée en format 33 cl, cette offre sort Badoit de la consommation familiale pour une consommation individuelle et la fait pénétrer dans l'univers des soft drinks. Enfin, pour séduire un consommateur toujours à l'affût d'événements et de nouveautés, la marque n'hésite pas à animer l'ensemble de sa gamme en magasin.

 

Dès 1999, elle propose une série limitée pour les fêtes de fin d'année : la Badoit Noël. En décembre 2002, elle lance même deux bouteilles différentes : l'une décorée de bulles bleues et vertes sur un verni satiné/givré pour le circuit GMS, l'autre décorée de bulles rouges pour les traiteurs, deux réalisations de l'agence Cent Degrés.

Toujours en 2002, Badoit lance un nouveau format promotionnel : la Badoit Maxi, d'une contenance de 1,15 litre (15% gratuit), référence commercialisée pendant toutes les périodes de fête et les vacances d'été. Innovation packaging : le logo est incrusté sur la bouteille. En forme de sourire, il inspire une certaine… joie de vivre ! Début 2003, pour relayer le lancement du nouveau film “Cendrillon”, les étiquettes des bouteilles en plastique se parent de visuels extraits du film : Badoit, l'eau qui rafraîchit les idées !

 

1- Depuis 1827, le Conseil municipal de Saint-Galmier avait signé un bail à ferme à Claude Minjard, cordonnier et Claude Junieu, forgeur, puis à un certain Puvel. La nécessité d'investir pour créer de nouvelles fontaines conduit le Conseil municipal à trouver un autre candidat !
2
- La forme de la bouteille donnera l'expression “Des épaules en bouteille de Saint- Galmier.” On disait cela de quelqu'un dont les épaules étaient étroites et tombantes.
3
- L'étude réalisée par BSN dégage en 1972 les principales motivations des consommateurs d'eaux minérales : digestion (20%), croissance des enfants (19%), pureté (18%) et anticaries (18%).
4
- Si les eaux minérales des régions volcaniques sont, le plus souvent, sodiques, mg/l) contribue à faciliter la digestion. La dose de fluor contenue (1 mg/l.) permet de prévenir la carie dentaire. Avec 85 mg par litre de magnésium, Badoit aide à combattre la fatigue.
5
- Autre déclinaison avec les “quatre danseuses” en 1979 et “les quatre serveurs” en 1981 : “l'eau de Badoit, c'est la gaité”.
6
- En 1990, Christian Clavier prête sa voix à Badoit dans le spot aromatisé montrant une femme se reposant sur un transat dans son jardin : “aucune calorie, Badoit menthe, Badoit citron, en tout cas y'a d'la joie”. Le même Christian Clavier donne le ton en 1991 dans la série des verres “printemps”, “Pâques”et “1er mai”.
7
- Danone a lancé Salvetat en 1992 à la suite des ruptures de la source Badoit.
8
- 1990 : dans un “bateau”, les clients attablés s'ennuient quand un homme surgit soudain avec une valise pleine de bouteilles de Badoit; l'orchestre change de rythme et tout s'éveille à la joie : “Badoit, prenez vos repas à la légère”. En 1992, Badoit accompagne un couple dans un champ de coquelicots. En 1995 et 1996, Badoit, “l'eau qui fait durer le plaisir” se déshabille sous l'air d'une chanson de Joe Cocker. Des billboards apparaissent sur Canal plus pour Télé Dimanche et la semaine des Guignols en 1996.
9
- “L'eau des tables qui s'improvisent”, “l'eau des tables avec vue sur la mer”, “l'eau des tables en tête à tête”, “l'eau des tables à rallonges”, “l'eau des tables légères”, “l'eau des tables de jardin”,etc.
10
- Ces bus habillés par Badoit proposèrent pendant deux jours aux Parisiens de découvrir les statues animalières de la capitale : les Chevaux de Marly, les Lions de la place Saint Sulpice,etc…
11
- Les cinéphiles reconnaîtront les voix de Sabine Azéma (la fourmi), Anémone (la cigale), Jean Rochefort (la tortue), Daniel Prévost (le lièvre), Catherine Frot (la grenouille) et Gérard Darmon (le bouf).
12
- Film réalisé par Siraj Javehri. La chanson, interprétée par Paolo Domingo, est éditée en CD. Autre version : celle de Nat King Cole pour le film In the Mood for Love.

La saga des marques - Banania -

Publié à 11:40 par acoeuretacris
La saga des marques - Banania -

Du tirailleur au sourire gourmand. 1967 sonne l'heure d'une stylisation accrue du tirailleur sénégalais d'origine. En 1977, il devient un simple emblème mais le sourire est retrouvé. Il n'est plus, ensuite, qu'un clin d'oeil dans le logo de la marque. En 1984 apparaissent pour la première fois les céréales et toute la richesse de la composition du produit est mise en valeur en 1988. En 1990, le sourire est toujours présent

 

Plus que toute autre marque, Banania s'est faite depuis quatre-vingts ans, le témoin de son temps. A chaque époque, elle a su s'adapter et participer activement à la création d'une France meilleure. Un optimisme entretenu par l'ami Y'a bon dont le souvenir a tenu bon.

 

En 1992, Banania a fêté ses quatre-vingts ans. A cet âge, bon nombre d'hommes politiques ont déjà écrit leurs Mémoires. Un réflexe que n'ont pas encore toutes les entreprises. Aussi, l'ouvrage retraçant le succès de Banania mérite-t-il d'être salué. Au-delà d'un propos nostalgique, certaines marques, lorsqu'elles se penchent sur leur histoire, ne se contentent pas d'une évocation passéiste. Elles se présentent plutôt comme des témoins de l'Histoire, accompagnant et participant aux grands événements économiques, historiques et politiques de leur pays. Sorte de "métaphore sociale", Banania en est un parfait exemple. Elle naît en 1912 à l'initiative de Pierre-François Lardet, banquier, puis journaliste spécialisé dans l'art lyrique. Rien ne prédisposait ce personnage mondain à devenir le créateur de Banania. Mais l'homme fourmille d'idées et possède un indéniable instinct commercial. C'est à son infatigable goût pour les voyages que l'on doit cette idée géniale. Au début du siècle, Pierre-François Lardet court le monde comme envoyé spécial pour couvrir les grands événements du théâtre et de l'opéra. En 1909, de retour du Brésil, il décide, par curiosité, de faire un crochet par le Nicaragua. Mais le pays est en pleine guerre civile. Par prudence, il se réfugie dans un village indien au bord du lac Managua. Accueilli comme un roi par les habitants, il y découvre un délicieux breuvage préparé par les femmes indiennes. Cette boisson régionale se compose de farine de banane, de céréales pilées, de cacao et de sucre. C'est dans ce site enchanteur que va naître l'idée de lancer un produit similaire en France.


Enfant-roi et euphorie coloniale

 

Mais les indiennes gardent jalousement les secrets de leur recette. Pierre-François Lardet, alors journaliste, devra attendre deux ans avant de concrétiser son idée. Avec l'aide d'un ami pharmacien, il essaie de mettre au point la recette de cette boisson qu'il ne peut oublier. Après de nombreux essais, une composition satisfaisante est enfin obtenue. Après l'acte de naissance, l'acte de baptême : c'est à Blanche Lardet, sa femme, que l'on doit le nom. Banania désignera ce breuvage "exquis, nutritif et idéal pour élever les enfants". Le nom évoque bien sûr la banane - produit de luxe à l'époque - mais surtout le goût de l'enfance, gage de son succès. La fortune de Blanche aidant, l'aventure peut commencer. Epaulé par son épouse aussi imaginative qu'entreprenante, il s'installe rue Lambrecht à Courbevoie, où la fabrication démarre avec seulement quelques ouvriers. L'idée du produit, son nom, rencontrent les interrogations de l'heure. La Belle Epoque marque à la fois l'avènement de l'enfant- roi et les débuts de l'euphorie coloniale. La natalité décline et à défaut de familles nombreuses, on choie l'enfant unique. Une attention qui passe par une meilleure alimentation. Banania, avec ses ingrédients reconstituants et toniques, "construit" l'enfant, tout comme la France construit son empire.

 

Banania fait gagner la guerre !

 

"La République avec Jules Ferry a su éduquer ses enfants, elle ne sait toujours pas les nourrir" explique Jean Garrigues, auteur de l'ouvrage. De fait, la majorité de la population souffrait de carences en lait, viande, fruits et vitamine A et C, préjudiciables à la croissance. Parallèlement, le rêve colonial, le mythe de la France d'outre-mer bat son plein : Jules Verne et les récits d'explorateurs sont très en vogue. L'imagerie populaire fait une large place à la représentation de tous ces continents inconnus. La réclame, elle-même, utilise des illustrations "exotiques". De faible ampleur au début des années 1880, la colonisation a fait passer en moins de trente ans la superficie colonisée de 900.000 kilomètres carrés à près de 12 millions. "L'expansion coloniale est une nécessité de la vie des peuples tout comme la marche est un besoin pour la santé" lisait-on dans les manuels de géographie de 1907. Pierre-François Lardet aurait pu reprendre à son compte cette affirmation en remplaçant "marche" par "Banania" ! Cet engouement pour les colonies, ce désir de mieux élever les générations futures constituent un dérivatif aux blessures d'amour-propre consécutives à la défaite de 1870. Banania s'en fait alors l'écho. L'association de deux produits coloniaux - le chocolat, plaisir des gourmands depuis trois siècles et la banane introduite en Europe depuis deux décennies seulement - va ancrer Banania dans l'univers colonial. Une Antillaise anime les boîtes rondes en métal de couleur bleue, même si elle apparaît au début avec une pâleur et des traits très européens. On est loin de Managua et de l'Amérique centrale. Mais Pierre-François Lardet n'oublie pas son métier de journaliste. En prise directe sur l'actualité, il sait décrypter les signes de l'époque. Son idée, que l'on pourrait qualifier d'opportuniste, est surtout un coup de génie magistral. La promotion de Banania se fait alors par voie de réclame qui met en avant sa valeur nutritionnelle et sa dimension coloniale. Et la Grande Guerre lui donne l'occasion de confirmer son à-propos commercial. Banania sera la boisson reconstituante de la France en guerre. Et, consécration nationale, Pierre-François Lardet fait expédier un train de quatorze wagons chargés de Banania. Aliment idéal des nourrissons, Banania peut être aussi celui des adultes et, nécessité oblige, celui des soldats sur le front. L'arrivée des boîtes bleues vient égayer la grisaille des tranchées. Effort de guerre, mais surtout géniale promotion car ces soldats épuisés n'oublieront pas ce breuvage réconfortant une fois rentrés dans les foyers. Banania a acquis ses galons nationaux et Pierre-François Lardet la Légion d'honneur. Comme le racontent les illustrateurs Leven et Lemonier dans une bande dessinée parue en 1916, Banania serait même "une des causes de la victoire française". "C'est pour faire main basse sur l'unité de Courbevoie", dit la légende du dessin, que le Kaiser Guillaume II, alerté par son fils le Kronprinz, a lancé sa garde prussienne sur Paris, et c'est ainsi que Joffre et ses poilus ont pu leur infliger "une de ces volées qui font époque dans l'histoire militaire" !

 

La légende de Y'a bon Banania

 

Dans ces mêmes tranchées et en première ligne se trouvent également les fameux tirailleurs sénégalais. Ils sont déjà connus pour leur conduite exemplaire pendant la pacification du Maroc. Très populaires en France, ils sont reconnus comme des héros, même s'ils sont implicitement jugés de race inférieure. Des cartes postales, très en vogue, illustrent leur bonhomie enfantine. Ils y sourient de toutes leurs dents et les légendes, sans malice, reprennent selon les situations l'expression la plus courante que ces braves soldats répètent fréquemment : "Y'a bon cuisine, y'a bon pinard, y'a bon capitaine". La légende commence. On raconte que l'un de ces braves, blessé et rapatrié du front, est embauché à l'usine de Banania à Courbevoie. On lui fait goûter le breuvage maison, il l'apprécie et dans un grand sourire, s'exclame : "Y'a bon !". Fiction ou réalité, le slogan "Y'a Bon Banania" vient de naître. Il accompagnera, dès 1915, sur les affiches le tirailleur sénégalais en uniforme, dégustant dans sa gamelle "le plus nourrissant des aliments français". Deuxième composante de la légende : l'éducation. Les colons instruisent les bons Noirs, Banania éduque les jeunes enfants en leur offrant un petit déjeuner équilibré. Dès lors, tous les éléments graphiques et emblématiques de la marque sont déjà dans cette affiche : le jaune des bananes, le rouge de la chéchia, le bleu du pompon, le sourire éclatant et le "Y'a bon". Pendant plus de cinquante ans, le visage jovial du tirailleur et son Y'a bon identifient la marque.

Du produit génial à la grande marque

 

La carrière de Pierre-François Lardet n'aura pas cette longévité. Brillant concepteur, mais piètre gestionnaire, il rencontre, au lendemain de la Grande Guerre, des difficultés à s'adapter aux nouveaux impératifs de la consommation de masse. Pour obtenir les capitaux nécessaires, il s'associe avec un riche hôtelier, Albert Viallat. Banania devient Société Anonyme au sein de laquelle Pierre-François Lardet détient encore la majorité. Pas pour longtemps. En 1924, Albert Viallat, à l'occasion d'une augmentation de capital dont ses amis et lui-même sont les financiers, devient Président du Conseil d'Administration. Cette nomination annonce irrévocablement la mise à l'écart de Pierre-François Lardet. Aveuglé par sa brillante vie mondaine, il s'est fait déposséder de son affaire par un gestionnaire qui a l'intention de donner une dimension nouvelle à l'entreprise. Dès 1927, Albert Viallat fait venir auprès de lui son neveu Albert Lespinasse, jeune et dynamique directeur d'un palace à Monaco. Et tandis que l'inventeur de Banania meurt désargenté, son produit connaît un essor sans précédent. Albert Lespinasse en fera une grande marque. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, elle atteindra des sommets. La guerre, les privations n'atténueront pas la notoriété de Banania qui survivra pendant les années noires en dépit des rationnements qui entraîneront une légère modification de la composition du produit. "Après l'alerte, c'est le réconfort" scanderont à l'époque les affiches, organisant la "défense passive de l'organisme" des jeunes Français. Les ventes s'accroissent régulièrement, notamment avec la création d'un ticket de rationnement spécial petits déjeuners. Une idée de Lespinasse qui mènera Banania à son apogée.

Le paternalisme colonial moribond

 

La marque, alors sans réelle concurrence, atteint aisément 80 % du marché. Parallèlement, la société lance la farine diastasée Salvy, adaptée aux bébés anémiés par les privations. Banania, en participant de nouveau à l'effort de guerre, voit sa production augmenter de plus d'un tiers et sort encore grandie de cette épreuve. Mais la fin du conflit annonce aussi celle du paternalisme colonial. L'empire d'outre-mer s'ébranle. L'ami Y'a bon, à l'égard duquel les Français entretenaient un mélange de sympathie, d'admiration et de mépris, disparaît peu à peu de l'imagerie populaire. Seul Banania le conservera sur ses boîtes. L'heure de la reconstruction sonne. Celle d'une France moderne et d'une société de consommation à l'américaine, sous l'impulsion du Plan Marshall. C'est le temps du "baby boom" et des "Trente glorieuses".
Banania s'inscrit dans cette nouvelle dynamique qui tourne le dos à la nostalgie coloniale. Le discours de la marque porte désormais sur les vertus énergétiques du produit. En 1946, Banania peut enfin de nouveau offrir "la qualité d'avant-guerre". Le tirailleur sénégalais se fait progressivement plus discret. S'il conserve sa place sur les boîtes, les publicitaires tentent de lui substituer un nouveau personnage qui ne sera qu'éphémère : Nanette Vitamine, illustration du rajeunissement de la France.

 

L'ami Y'a bon tient bon

 

Albert Lespinasse marque de son empreinte Banania. Président de la société de 1953 à 1972, il est aussi un des précurseurs de la promotion. Comme en témoigne l'entrée de la marque au cinéma, sur les ondes avec le "jeu du million" et sa fameuse question "si je vous dis Y'a bon, vous me répondez... ?", mais aussi dans les écoles avec des distributions d'échantillons. Banania, en situation de quasi monopole jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, voit cependant arriver la concurrence. Des années 60 aux années 70, Poulain, Nesquick, Benco, Suchard et Phoscao Ovomaltine commencent à lui faire de l'ombre. Reste que les amateurs de Banania témoignent toujours de leur attachement à la marque et à la saveur du produit. La recette, sans grand changement depuis 1912, est même reconnue à l'odeur par les inconditionnels !

 

Du tirailleur au sourire gourmand

 

L'ami Y'a bon survivra toutefois à la décolonisation. Le tirailleur sénégalais, dont la première version date de 1915, est modifié en 1957 par le célèbre affichiste Hervé Morvan. Dix ans plus tard, un nouveau dessin, simplifié à l'extrême, le ramène à la dimension d'un écusson. Dans les années 70-80, sa place se réduit encore jusqu'aux années 90 qui voient sa réapparition dans la version dessinée par le même Morvan : il est désormais présent sur l'un des côtés du paquet pour rappeler aux consommateurs les délices de la recette de Banania "à l'ancienne". C'est un grand sourire gourmand et complice qui domine aujourd'hui sur les boîtes jaunes. Ce n'est plus celui de Y'a bon mais celui de l'enfant qui se prépare à déguster son Banania. En cela, la marque n'a pas le sentiment d'avoir trahi le Sénégalais. L'Empire colonial a disparu mais le sourire Banania est toujours là et c'est sur le discours nutritionnel que Banania axe désormais sa communication en mettant en avant les bienfaits de sa formule exclusive qu'avait tant appréciés le tirailleur de 1915. Visuellement présent ou non, celui- ci est à jamais dans la tête des consommateurs. Les porte-paroles de la marque s'appellent maintenant les Trois Mousquetaires, Merlin l'Enchanteur, la Belle au Bois Dormant... afin de perpétuer la part de rêve des enfants Banania. Et pour ses quatre-vingts ans la société réédite une boîte métal porteuse du fameux sourire du sénégalais redessiné en 1957 par Hervé Morvan.