Les mots qui restent - ARGENT -

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Les mots qui restent - ARGENT -
Benjamin Franklin
 
Le temps est de l'argent.
 

 

Traduction du proverbe anglais : Time is money, qui caractérise assez exactement l'activité dévorante des peuples anglais et américain.

 

On rencontre déjà cette maxime dans un écrit de Benjamin Franklin (1706-1790) intitulé : Conseils à un jeune artisan, écrits en 1748.

 

« N'oubliez pas, disait ce sage, que le temps est de l'argent (remember, that time is money). Celui qui dans un jour peut gagner dix schellings par son travail et qui va se promener ou qui reste oisif la moitié de la journée, quoiqu'il ne dépense que six sous durant le temps de sa promenade ou de son oisiveté, ne doit pas compter cette seule dépense ; il a réellement dépensé ou plutôt prodigué cinq schellings de plus.

 

" N'oubliez pas que le crédit est de l'argent... » (The Works of D. Franklin, Boston, t. I, 1840, p. 87.)

Il est difficile d'affirmer que Franklin ait été le premier à formuler cette maxime, mais assurément ce genre de création était tout à fait conforme à la nature de son génie.

 

« Franklin, écrivait Sainte-Beuve dans ses Lundis (3e éd., t. VII, p. 146), avait naturellement ce don populaire de penser en proverbes, et de parler en apologues et paraboles. »

 

On a cru trouver l'idée première de ce proverbe dans une parole que Diogène Laërce prête à Théophraste (liv. V, chap. II, 40) :

πολυτελ?ς ?ν?λωμα ε?Šναι τ?Œν χρ?Œγ?Œν
(Le temps est ce qu'on dépense de plus précieux.)

 

François Bacon au chapitre XXV de ses Essais (1597), a fait aussi ce rapprochement entre le temps et l'argent :

« Time is the measure of business, as money is of wares. » (Le temps est la mesure des affaires, comme l'argent est la mesure des marchandises.)

 

Franklin a écrit encore, dans le Chemin de la fortune ou la Science du bonhomme Richard (1757) :

« Ne prodiguez pas le temps, car c'est l'étoffe dont la vie est faite.

 

" Si le temps est la plus précieuse de toutes les choses, prodiguer le temps doit être la plus grande des prodigalités. »

Les mots qui restent - APPRENDRE -

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Les mots qui restent - APPRENDRE -
« Ils n'ont rien appris ni rien oublié. »
 

 

On prétend que M. de Talleyrand qualifiait ainsi les émigrés : « des gens qui n'ont rien appris ni rien oublié depuis trente ans. » MM. Henri de Latouche et Amédée Pichot ont recueilli ce propos dans l'Album perdu (1829, p. 147).

Il n'y avait là, comme on l'a souvent fait remarquer, qu'un souvenir de ce passage d'une lettre adressée de Londres, en 1796, par le chevalier de Panat, officier de marine français, à Mallet Du Pan :

« Vous nous parlez souvent, disait-il, de la folie de Vérone. Hélas ! mon cher ami, cette folie est générale et incurable. Combien vous vous trompez en croyant qu'il y a un peu de raison dans la cour du frère ! Nous voyons tout cela de près et nous gémissons : personne n'a su ni rien oublier, ni rien apprendre. »

(Mémoires et correspondance de Mallet Du Pan 1851, t. II, p. 196.)

On sait que les royalistes avaient alors, outre l'armée de Condé, deux grands foyers d'intrigues, l'un à Vérone, où Monsieur, conservant toujours ses illusions, s'était fait proclamer roi sous le nom de Louis XVIII; un autre à Londres, où son frère, le comte d'Artois, décourageait par ses maladresses ses amis de France et de l'étranger.

Les mots qui restent - ANGLAIS

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Les mots qui restent - ANGLAIS
Casimir Delavigne
 
Guerre aux tyrans! Jamais en France,
Jamais l'Anglais ne régnera !
 

 

Charles VI, opéra en 5 actes, de Casimir et Germain Delavigne, musique d'Halévy, représenté à l'Académie royale de musique, le 17 mars 1843.

Refrain du Chant national du vieux soldat Raymond (acte III, scène I) :

 

La France a l'horreur du servage,
Et, si grand que soit le danger,
Plus grand encore est son courage
Quand il faut chasser l'étranger,
Vienne le jour de délivrance,
Des cœurs ce vieux cri sortira :
Guerre aux tyrans ! Jamais en France,
Jamais l'Anglais ne régnera.

Les mots qui restent - AN -

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Les mots qui restent - AN -
Cédez-moi vos vingt ans si vous n'en faites rien.
Charles Joseph Lacretelle, dit Lacretelle jeune (1776-1855), lorsque l'âge l'eut obligé à renoncer à l'enseignement public, adressa à la jeunesse l'exposé des convictions de sa vie dans un livre qu'il intitula : Testament philosophique (Paris, 1840).
  

Parmi les dix pièces de vers qui terminent l'ouvrage, figure son Discours en vers sur les faux chagrins, daté de 1835, où il s'élève avec éloquence contre « la mode d'être triste » et même un peu poitrinaire, qui sévissait alors chez certains jeunes gens, et se faisait remarquer surtout dans les soirées mondaines :

 

        Où fuir de vos accords les ennuis solennels,
        Fanfarons de chagrins et pleureurs éternels ?
        Quel vent vous a soufflé dans des lieux pleins de charmes
        Un nuage de spleen chargé de grosses larmes...
        Un bal brillant s'annonce... ah ! mon ennui redouble
        Quand de pénitents noirs une procession
        Marche la contredanse avec componction...
        Sur mes cheveux blanchis l'illusion voltige.
        Et je dis aux danseurs d'un si grave maintien :
        Cédez-moi vos vingt ans si vous n'en faites rien.

                                            (Tome II, p. 349, v. 46.)

 

Louis Véron, dans les Mémoires d'un bourgeois de Paris (1853, t. I, p. 204), a rappelé cette spirituelle riposte d'Ancelot à Lacretelle :

 

        "Mais, quand vous les aviez, vous en serviez-vous bien ?"

Les mots qui restent - ALPHONSE -

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Les mots qui restent - ALPHONSE -

A.Dumas Fils

 

ALPHONSE

 

M. René de Pont-Jest a raconté gaiement, dans la Revue du Palais du 1er octobre 1898, comment, sans lui, la pièce de Dumas fils se serait appelée non pas Monsieur Alphonse, mais Monsieur Jules (Souvenirs judiciaires, p. 653).
 

 

Un jour que tous deux se rendaient à une des premières audiences du procès Bazaine, Dumas lui exposa le sujet de sa comédie. Il paraissait enchanté du nom de Jules, qu'il avait choisi pour son héros. M. de Pont-Jest commença par trouver ce choix excellent, puis, se ravisant tout à coup : « Mais non, au contraire, dit-il, ce nom est impossible. — Pourquoi donc? — Parce que, de même que Rome a eu l'ère des Césars, nous avons, nous, l'ère des Jules, nous y sommes en plein : Jules Grévy, Jules Simon, Jules Ferry, Jules Favre. C'est un nom sacré. » Dumas se rendit à l'évidence et renonça définitivement à Jules.

Les mots qui restent - ALLER -

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Les mots qui restent - ALLER -

« Ça ira. »

 

 

 

La revue la Révolution française du 4 juin 1899 contient (p. 513 à 529) une intéressante étude de M. Gustave Isambert sur l'historique du Ça ira. Ce travail très consciencieux nous a fourni quelques-uns des éléments du présent article.

Disons d'abord que le Ça ira prit naissance au mois de juillet 1790, pendant les travaux de terrassement du Champ de Mars, auxquels s'était associée une grande partie de la population parisienne, afin que tout fût prêt pour la fête de la Fédération du 14 juillet.

 

La Chronique de Paris du 9 juillet contenait ce passage (p. 758) :

« Il n'est point de corporation qui ne veuille contribuer à élever l'autel de la Patrie. Une musique militaire les précède ; leur cri de ralliement est ce refrain si connu d'une chanson nouvelle qu'on appelle le Carillon national. Tous chantent à la foi : Ça ira, ça ira, ça ira. Oui, ça ira, répètent tous ceux qui les entendent. »

 

Le Moniteur du 11 disait à son tour :

« Les différentes corporations de la capitale étaient précédées de musique ou de tambour ; chacune d'elle avait son drapeau, sur lequel on lisait : Pour la patrie, rien ne nous coûte. Vivre libre ou mourir. Les esclaves du despotisme sont entourés des enfants de la liberté. Ça ira, refrain d'une chanson patriotique et populaire. »

Ce n'était pourtant pas encore, parait-il, une chanson au vrai sens du mot, mais un refrain auquel chacun joignait des paroles selon sa fantaisie, sur un air de contredanse du musicien Bécourt.

Un chanteur des rues, Ladré, recueillant peut-être quelques couplets qu'il avait entendus, en ajoutant d'autres de sa façon, écrivit les paroles les plus connues de cette chanson. Ils furent gravés dans un recueil du temps, intitulé : Révolutions lyriques ou le Triomphe de la liberté française.

Le n° 4 de cette collection a pour titre : Ah ! ça ira, Dictom (sic) populaire, air de la nouvelle contredanse le Carillon national.

 

D'après Dumersan (1780-1849), ces couplets ont été faits le matin même du 14 juillet, au Champ de Mars, pendant une averse, et il en donne comme preuve le couplet suivant, où il est fait allusion à ce contretemps :

 

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
En dépit d'z'aristocrat' et d'la pluie;
Ah ! ça ira, ça ira. ça ira,
Nous nous mouillerons, mais ça finira.
Ah ! ça tiendra, ça tiendra, ça tiendra,
Et dans deux mille ans on s'en souviendra.

Les mots qui restent - AIGLE -

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Les mots qui restent - AIGLE -
« L'Aigle volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame. »
 

 

Le 1er mars 1815, Napoléon, s'étant enfui de l'île d'Elbe, débarquait au golfe Juan avec une escorte d'un millier d'hommes environ, dans l'espoir, chimérique en apparence, de reprendre possession de l'Empire. Aussitôt que la petite troupe fut à terre, on lui donna lecture d'une proclamation à l'Armée, que Napoléon avait fait copier pendant la traversée, d'après les exemplaires, déjà imprimés à Porto-Ferrajo.

Dans cette harangue, il engageait les soldats à reprendre leur ancien drapeau, et à se rallier autour du chef qui les avait si souvent conduits à la victoire.

« Son existence, disait-il, ne se compose que de la vôtre...; son intérêt, son honneur, sa gloire, ne sont autres que votre intérêt, votre honneur et votre gloire. La victoire marchera au pas de charge, l'Aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame : alors vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices ; alors vous pourrez vous vanter de ce que vous aurez l'ail ; vous serez les libérateurs de la patrie. » {Moniteur du 21 mars.)

On sait qu'après une marche triomphale à travers la France, Napoléon venait s'installer aux Tuileries dans la soirée du 20 mars.

Les mots qui restent - AGE -

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Les mots qui restent - AGE -
Mort avant l'âge.
 

 

On trouve dans la Correspondance littéraire de Grimm, à la date de janvier 1782, ce quatrain facétieux de M. Hardain, probablement le membre de l'Académie d'Arras (1718-1785) :

Un vieillard de cent ans apprenant le trépas
De son voisin plus que nonagénaire ;
Cet homme était, dit-il, trop valétudinaire,
J'ai prédit qu'il ne vivrait pas.

 

On voit que, pour décider qu'un homme est « mort avant l'âge », tout dépend du point de vue où l'on se place.

Les mots qui restent - AFFAIRE -

Publié à 15:48 par acoeuretacris Tags : mots qui restent affaire
Les mots qui restent - AFFAIRE -
« A demain les affaires sérieuses ! »
  

 

Mot d'Archias, gouverneur de Thèbes en Béotie (IVe siècle avant J.-C.).

 

Voici comment on le trouve rapporté dans Plutarque :

Au milieu d'un festin, un envoyé d'un autre Archias, grand pontife d'Athènes, lui apporta un message le prévenant qu'un complot était ourdi contre lui. Au lieu d'en prendre aussitôt connaissance, comme le messager l'en priait instamment, « Archias se riant luy respondit : « A demain les affaires » : et, prenant la lettre la meit dessoubz son chevet, puis retourna à continuer le propos qu'il avoit commencé avec Philidas : mais depuis, ceste parole est demourée en usage entre les Grecs, comme un proverbe commun : « A demain les affaires. » (T? σπου?α?Šα, plus exactement : les choses sérieuses.)

(Vie de Pélopidas, fin du chap. X. — Trad. Amyot, chap. XX.)

 

Dans la nuit même, Archias était mis à mort par les conjurés thébains qui, sous la conduite de Pélopidas, délivrèrent ainsi leur cité du joug des Lacédémoniens (379 avant J.-C).

Les départements et leur histoire - Lozère - 48 -

Publié à 15:31 par acoeuretacris Tags : Départements
Les départements et leur histoire - Lozère - 48 -

suite et fin

 

Alors le Gévaudan se divisait en pays haut et pays bas : le haut était presque tout entier dans les montagnes de la Margeride et d'Aubrac ; le bas faisait partie des hautes Cévennes, et occupait la montagne de la Lozère. Cette montagne forme une chaîne connue sous divers noms, et qui s'étend jusqu'aux frontières du Rouergue et du diocèse d'Alais ou basses Cévennes. C'est là qu'est Le Pont-de-Montvert et le Bougès, une des montagnes de la Lozère dont le plus haut sommet, couvert de bois de hêtres, en a pris le nom d'Altefage, mot corrompu du latin, et qui signifie un hêtre élevé. Ces lieux sauvages servaient d'asiles aux proscrits. Comme les chrétiens dans les catacombes, ils s'y réunissaient la nuit, lisant la Bible, chantant des psaumes et s'exhortant au courage et à la patience.

Or, il y avait au Pont-de-Montvert un prêtre d'une famille noble et guerrière : il s'appelait l'abbé du Chayla. C'était un homme naturellement impérieux, sombre et violent ; mais, à la suite de graves maladies, il se relâcha de ses austérités. « Il mena, dit son biographe, une vie moins dure. » Il allait à cheval, pratiquait un peu moins l'abstinence, le jeûne, et traitait bien ses hôtes. Il paraît qu'il aimait aussi le jeu. Il avait été missionnaire à Siam. De retour dans son pays natal, il avait été nommé inspecteur des missions des . Cévennes ; animé d'un zèle que plusieurs, ajoute son biographe, ont traité d'indiscret, il faisait une rude guerre aux protestants. Pour mieux réussir, il prit avec lui une mission volante, composée de plusieurs missionnaires, tant séculiers que réguliers, et se transportait partout où il y avait des hérétiques à combattre ; mais, loin de travailler pour le bien de la religion et de l'État, sa mission ne leur suscitaient que des ennemis.

Il avait fait de son château une prison, et ce que l'on racontait des tortures qu'il y faisait subir à ceux qu'il voulait convertir le rendait la terreur de la contrée. Un jour, à la tête d'une compagnie de soldats, il surprit une assemblée de protestants dans les montagnes. Plus de soixante personnes des deux sexes qui s'y étaient réunies pour prier furent enlevées ; l'abbé commença par en faire pendre quelques-unes et fit conduire les autres dans son château ; cependant plusieurs parvinrent à s'en échapper, convoquèrent leurs frères et leur firent le récit de ce qu'ils avaient souffert. Ils disaient que l'abbé faisait fendre des poutres avec des coins de fer et forçait ensuite ses prisonniers de mettre leurs doigts dans ces fentes dont il faisait retirer les coins.

C'est ce qu'on appelait les ceps de l'abbé du Chayla. A ce terrible récit, la colère et le désespoir se peignent sur tous les visages. Tous jurent de venger leurs frères persécutés. Ils s'arment et se rendent à l'entrée de la nuit au Pont-de-Montvert, devant le château : le silence y régnait, lés portes en étaient barricadées : l'abbé, qui avait eu vent de la conjuration, s'était mis en état de résister. Il avait avec lui quelques soldats et des domestiques résolus à vendre chèrement leur vie. Mais les assaillants enfoncent les portes, et mettent le feu au château. Déjà le toit est en flammes ; l'abbé essaye de se sauver à l'aide d'une échelle de corde par une fenêtre qui donnait sur le jardin mais, en glissant, il se laisse tomber et se casse une jambe.

Néanmoins il parvient à se traîner dans une haie vive qui servait de clôture au jardin ; il y est bientôt découvert. « Allons garrotter ce persécuteur des enfants de » Dieu, » s'écrièrent les assaillants ; et craignant pour sa vie, le malheureux abbé vient se jeter aux pieds de leur chef ; en vain celui-ci voulut-il le sauver ; plusieurs de sa troupe reprochèrent à l'abbé toutes ses violences, ajoutant qu'il était temps de les expier. « Hé ! mes amis, leur criait le pauvre abbé, si je me suis damné, en voulez-vous faire de même ? » A ces mots il fut frappé. « Voilà pour ce que tu as fait souffrir à mon père ! » lui dit l'un. « Voilà pour avoir fait condamner mon frère aux galères ! » ajouta un autre. On dit qu'il reçut cent cinquante-deux blessures. Il expirait au moment où l'on arrivait à son secours.

Telle est la version protestante de la mort de l'abbé du Chayla. Voici maintenant la relation catholique d'après son biographe, M. Rescossier, doyen du chapitre de Marvejols : sur le soir, il y eut une conférence avec les autres missionnaires, dans laquelle on parla des peines du purgatoire ; et sur la fin on agita cette question : si ceux qui souffraient le martyre étaient sujets à ces peines.

Rescossier raconte que, chacun s'étant retiré dans son logis pour se coucher, on le vint avertir qu'il y avait quelques étrangers qui commençaient à arriver dans le lieu. Il crut que c'était une fausse alarme, jusqu'à ce qu'il entendit un grand tumulte de gens qui avaient investi sa maison et qui tiraient des coups de fusil contre les fenêtres. Croyant qu'ils ne demandaient que l'élargissement de quelques prisonniers qu'on avait pris dans les assemblées des fanatiques, il donna ordre qu'on les fit sortir. Ces malheureux ne virent pas plus tôt la porte ouverte qu'ils se jetèrent en foule dans la maison ; ils enfoncèrent une porte d'une salle basse où on avait dressé un autel pour y dire la sainte messe, et, ayant fait un bûcher au milieu de cette chapelle, ils y mirent le feu pour faire périr M. l'abbé dans l'incendie de cette maison. Il essaya de se sauver par la fenêtre à l'aide de ses draps de lit ; mais ces liens n'étant pas assez longs, il tomba d'assez haut. Cette chute fracassa une partie de son corps ; il se 'raina dans des broussailles, où il resta jusqu'à ce qu'il fût découvert, à la faveur de la lumière que jetait l'incendie de sa maison.

On courut sur lui ; on le traîna par la rue de ce bourg (Le Pont-de-Montvert) qui va au pont. On lui fit toutes les insultes imaginables, le prenant par le nez, par les oreilles et par les cheveux, le jetant par terre avec la dernière violence, et le relevant en même temps, vomissant mille injures atroces contre ce saint prêtre, lui disant qu'il n'était pas aussi proche de la mort qu'il pensait, qu'il n'avait qu'à renier sa religion et à commencer de prêcher le calvinisme pour se garantir du péril. Cette proposition scandalisa notre saint abbé, qui demanda à faire sa dernière prière.

On lui permit ce qu'il demandait. Alors, se jetant à genoux au pied de la croix qui est sur le pont, et élevant les mains vers le ciel, il recommanda son âme à Dieu avec une ferveur extraordinaire. Ces impies, transportés de rage de le voir à genoux au pied de cette croix, ne purent plus se retenir. Celui qui les commandait donna le signal de tirer un coup de fusil dans le bas-ventre de notre saint abbé. Alors cette troupe se jetant sur. lui comme à l'envi, et chacun voulant avoir la satisfaction de lui donner le coup de la mort, ils criblèrent tout son corps de coups de poignard. Ceux qui ont fait la vérification de ses blessures ont rapporté qu'il en avait vingt-quatre de mortelles, et que les autres étaient dans un si grand nombre, qu'on ne pouvait les compter.

L'abbé du Chayla fut enseveli à Saint-Germain-de-Calberte, dans le tombeau qu'il y avait fait préparer de son vivant ; et son convoi fut suivi de toute la population catholique des paroisses voisines du Pont-de-Montvert. On se dira qu'il aurait mieux fait de se contenter de l'emploi de missionnaire sans y joindre celui d'inspecteur ; car par là il avait aigri tous les esprits en dénonçant leurs prédicants et ceux qui assistaient à leurs assemblées, ou en faisant renfermer leurs enfants dans des séminaires et dans des couvents pour y être instruits ; mais, dit encore .son biographe, peut-on nier qu'il ne soit permis à un prêtre de dénoncer ceux qui sont rebelles à l'État et à la religion ?

 

Tel fut le prélude de l'insurrection des camisards, l'un des événements les plus remarquables de l'histoire du XVIIe siècle. « Comparable dans son commencement à une étincelle qu'une goutte d'eau eût pu éteindre, elle s'alluma, dit un historien, au point de fixer toute l'attention de la cour, qui craignait avec raison que l'embrasement ne devînt général. » Alors, en effet, les montagnards cévenols se réunirent et s'armèrent pour la défense commune. Ils choisirent pour chefs les plus braves d'entre eux : Roland, Cavalier, Ravenel, et Catinat.

Roland s'établit dans les montagnes, et Cavalier dans la plaine. Pendant trois ans que dura cette guerre, l'on vit une poignée d'hommes mal armés, sans expérience, tenir tête à des troupes régulières, nombreuses et aguerries, commandées par des généraux habiles : Montrevel, qui se plaignait de voir sa réputation compromise avec « des gens de sac et de corde, » fut remplacé par Berwick et Villars.

Ces derniers, en ouvrant des routes à travers les Cévennes, abrégèrent la durée de cette guerre en facilitant aux troupes les abords de ces montagnes et en rendant impossibles les soulèvements des protestants. Ces routes furent en même temps un bienfait pour le pays et réparèrent un peu les souffrances que ses habitants avaient éprouvées pendant un demi-siècle ; souffrances dont le souvenir arrachait des larmes à l'évêque Fléchier, et qui n'auraient pas eu lieu si les prêtres des Cévennes avaient suivi ses sages conseils.

Quant à Jean Cavalier, le héros des camisards, après avoir traité de la paix avec le maréchal de Villars, en 1704, il passa en Angleterre, y prit du service et mourut gouverneur de Jersey.

Avant 1789, le Gévaudan avait ses états particuliers, qui chaque année s'assemblaient alternativement à Mende ou à Marvejols ; ils étaient présidés par l'évêque de Mende, qui s'y rendait assisté de son grand vicaire ; mois celui-ci n'y avait ni rang ni voix délibérative. Seulement, en l'absence de l'évêque, il présidait. Cinquante membres, y compris l'évêque président, composaient l'assemblée ; savoir : sept du clergé, vingt de la noblesse et vingt-deux du tiers état. Un chanoine, député du chapitre de Mende le dom d'Aubrac, le prieur de Sainte-Énimie, le prieur de Langogne, l'abbé de Chambons, le commandeur de Palhers et le commandeur de Gap-Francès y représentaient le clergé. Huit barons, qui entraient annuellement aux états du pays et par tour de huit en huit ans aux états généraux du Languedoc ; savoir : les barons de Toumels, du Roure, de Florac, de Bèges (auparavant de Mercoeur), de Saint-Alban (auparavant Conilhac), d'Apcher, de Peyre, de Thoras (auparavant Senarer) ; douze gentilshommes possesseurs de terres, ayant le titre de gentilhommeries ; savoir : Allenx, Montauroux, Dumont, Montrodat, Mirandal, Séverac, Barre, Gabriac, Portes, Servières, Arpajon et La Garde-Guérin, dont le possesseur prenait dans l'assemblée la qualité de consul noble de La Garde-Guerin ; tels étaient les représentants de la noblesse.

Ceux du tiers étaient : les trois consuls de Mende, soit que les états se tinssent à Mende ou à Marvejols. ; les trois consuls de Marvejols, quand les états se tenaient dans cette ville, et seulement le premier consul quand ils s'assemblaient à Mende ; un député de chacune des seize villes ou communautés. Quant aux barons et aux gentilshommes, ils pouvaient se faire représenter par des envoyés qui n'avaient pas à faire preuve de noblesse ; il suffisait qu'ils fussent d'un état honorable, tel que celui d'avocat ou de médecin. Chaque année, l'assemblée instituait ou confirmait le syndic et le greffier ; c'étaient les officiers du pays. A Marvejols, un bailli et des officiers royaux ; à Mende, un bailli et des officiers nommés par l'évêque administraient alternativement la justice du bailliage du Gévaudan. Ces deux baillis étaient alternativement commissaires ordinaires dans les assemblées du pays.

A la Révolution, le Gévaudan forma le département de la Lozère. C'était avant ce temps un pays stérile et pauvre : les habitants quittaient leurs montagnes pour aller cultiver la terre dans les provinces méridionales. Ils passaient en grandes bandes jusqu'en Espagne, dans le royaume d'Aragon.

On prétend qu'ils en rapportaient beaucoup d'argent ; mais, s'ils mettaient à contribution la paresse des Espagnols en travaillant pour eux, d'un autre côté, ils étaient peu estimés de ceux-ci, qui les regardaient comme des mercenaires et les appelaient gavachos, terme de mépris que par la suite ils ont étendu à tous les Français. Certains écrivains , grands amateurs d'étymologies, prétendent même que c'est de l'ancien nom des Gabales que les Espagnols ont formé le mot gavacho, dont ils se servent comme d'un sobriquet injurieux.

Plus tard, cependant, les montagnards des Cévennes trouvèrent dans l'industrie des ressources contre la pauvreté. Ils n'émigrèrent plus et s'occupèrent à tisser des cadis et des serges dont la renommée se répandit jusque dans les pays étrangers. « Il n'y a presque pas de paysan qui n'ait chez lui un métier sur lequel il travaille dans la saison où il ne cultive pas la terre, et surtout pendant l'hiver, qui est très long dans ces montagnes durant six mois entiers. Les enfants mêmes filent la laine dès l'âge de quatre ans. » Ainsi s'exprimait un voyageur en 1760.

Tel était encore au XIXe siècle ce pays. Vivant au milieu d'âpres montagnes, dans une contrée pauvre et aride, exposés aux atteintes d'un climat rigoureux, les cultivateurs de la Lozère, dit M. Dubois, ont nécessairement des moeurs agrestes, des habitudes rudes et grossières. Néanmoins, leur caractère est bon et simple. Ils sont naturellement doux et même affables envers les étrangers, paisiblement soumis aux autorités qu'ils respectent, remplis de vénération et de dévouement pour leurs parents qu'ils aiment.

Leur vie est alors laborieuse et pénible. La plupart ont à lutter contre la stérilité naturelle du pays qui les environne. Leur nourriture est simple et frugale : elle Se compose de laitage, de beurre, de fromage, de lard, de vache salée, de légumes secs, de pain de seigle. Ils y joignent des pommes de terre ou des châtaignes. Leur boisson habituelle est l'eau de source ; mais on les accuse d'aimer le vin et de se laisser aller à l'ivrognerie quand les foires ou d'autres occasions les conduisent dans les villages où se trouvent des cabarets. Leurs habitations, généralement basses et humides, sont incommodes et malsaines. Les trous à fumier qui les avoisinent répandent à l'entour des miasmes putrides.

Les cultivateurs sont fort attachés à leur religion et aiment les cérémonies religieuses : tous, catholiques et protestants, ont un égal respect pour les ministres de leur culte. Ils conservent aussi avec ténacité leurs vieilles habitudes, tiennent a leurs préjugés, à leur routine agricole, au costume grossier qu'ils portent depuis leur enfance. Ils sont peu empressés de changer, même quand leur intérêt doit profiter du changement. Leur lenteur, leur apathie et leur indifférence suffisent pour raire avorter tous les projets d'améliorations.

Les jeunes gens ont un grand attachement pour leur village : ils se soumettent avec répugnance à la loi qui les astreint au service militaire, et le département est un de ceux où l'on compte le plus de retardataires ; néanmoins, lorsqu'ils ont rejoint leur bataillon, ils se montrent soldats intrépides et disciplinés. Ils sont d'abord très propres aux fatigues de la guerre, étant d'une constitution forte et d'un robuste tempérament.

Au XIXe siècle, les habitants des villes ont plus d'aménité dans le caractère que les habitants des campagnes ; comme eux, ils sont économes et laborieux et cependant hospitaliers et charitables. Les habitants de la Lozère ont généralement de l'intelligence, de l'esprit naturel et un jugement sain. S'ils paraissent moins cultiver les lettres et les arts, du moins réussissent-ils mieux dans l'étude des sciences naturelles et mathématiques.