Après une tournée débutée il y a bientôt trois ans, et un album Dans le même sang en 2018, Trust confirme son retour avec Fils de lutte, qui sort ce 27 septembre. Bernie Bonvoisin nous a répondu sur ce qui l'anime, encore et toujours.
Franceinfo Culture : Trust a plus de quarante ans existence. Il y a eu plusieurs séparations, reformations et vous avez eu, chacun, d’autres projets. Mais là, depuis deux ans, avec l’album Live au Helftest, puis Dans le même sang et aujourd'hui Fils de lutte, on a l’impression que c’est reparti… pour dix ans
Bernie Bonvoisin : Quand on a démarré cette tournée en décembre 2016, on pensait honnêtement jouer deux, trois mois. Et finalement on l’a terminée en décembre 2018, on a joué deux ans ! On ne s’attendait pas à ce qu’il y ait un accueil comme ça. On prend les choses au jour le jour. On n’était pas préparés à ce que ça se passe comme ça, que ça soit plein deux mois à l’avance. On a fait des gros festivals, la fête de L’Huma, les Déferlantes... mais on aussi fait le choix d’aller jouer en dehors des circuits habituels, en l’occurrence dans des petites villes, dans des salles entre 500 et 1000 places. On est allés à la rencontre des gens, on est allés à la base, comme on a démarré il y a quarante piges.
Le groupe sur scène le 13 août 2017 (MATHIEU NINAT)
Est-ce que la contestation sociale reste votre principale source d’inspiration ?
Je vis dans un monde et une société que j’essaie de comprendre, je suis traversé, impacté par des choses, et j’en parle. Pendant deux ans, on a fait plus de 200 concerts, et le mouvement des gilets jaunes, on l’a vu arriver de loin, de très très loin. Quand vous allez au contact de gens, et que vous passez un peu de temps à discuter avec eux…
Vous sentiez le mouvement sous-jacent, avant que ça n’explose médiatiquement ?
Quand vous rencontrez dans une vallée dans le Jura un père de famille qui vous raconte qu'il lui arrive d’acheter des boîtes pour chiens pour nourrir ses enfants… Je conçois totalement qu’on ait envie de descendre dans la rue et de mettre le feu un peu partout… Et je parle de quelqu’un qui travaille ! On a la petite autorité qui est la nôtre qui nous permet parfois d’amener un peu de lumière sur cette détresse-là, et d’aller soutenir les gens. On est allé faire un concert chez GM&S en mars 2017 pour soutenir les ouvriers qui étaient licenciés. On parle toujours de la violence des manifs, mais on parle très peu de ce qu’est l’ultra-violence de mettre 280 personnes sur le carreau. On ne parle jamais des familles que ça impacte. Ça, c’est ultra-violent.
Et justement face à cette violence, votre arme qui est la plume, elle est toujours directe et franche ?
Oui. On est dans des modes d’hypocrisie aujourd’hui. J’ai toujours pensé que c’était important de faire les choses sans filtre. Quand je suis allé faire mon documentaire à la frontière syrienne il y a deux ans, ce qui a plu aux gens, au-delà du contenu, c’est le ton et les mots que j’ai employés. C’était sans filtre. Je n’ai pas essayé de paraphraser, d’enjoliver…il faut montrer ces choses-là, c’est le monde dans lequel nous vivons : il y a des choses magnifiques, et des choses détestables.
Sur un texte comme Miss Univers (brûlot contre Macron, NDLR), d’autres auteurs auraient peut-être employé des clins d’œil, des allusions. Chez vous, il n’y a pas d’ambiguïté, on sait de qui vous parlez, et à qui vous parlez, vous y allez franco. C’est votre marque de fabrique ?
C’est comme ces artistes qui vont parfois sur des plateaux télé et on leur demande de se prononcer sur un sujet de société, et ils répondent "ce n’est pas ma place de parler là-dessus" ou "je n’ai pas suffisamment d’éléments pour en parler". Mais dans quel monde tu vis ? Moi je n’ai aucun problème à ce qu’on me dise "vous êtes un artiste engagé". Oui je suis un artiste engagé. Ce qui serait intéressant, ça serait qu’on demande aux artistes qui ne s’engagent pas, pourquoi ils ne s’engagent pas. La chanson, elle est à la hauteur du mec. On a un président qui ne sert à rien. On est un peu dans de la science-fiction.
Vous parliez de votre documentaire : avez-vous laissé de côté la réalisation de films ou reste-t-elle dans un coin de votre tête ?
C’est toujours dans le coin de ma tête. J’ai un projet qui est signé, qui est en développement en ce moment. Mais j’ai un univers d’écriture qui n’est pas nécessairement conforme à ce qui est produit aujourd’hui. Ce qui importe pour les gens, ce sont les acteurs qui vont jouer les rôles, plus que le sujet. Si vous avez un acteur comme Dany Boon, vous êtes sûr de monter votre film. Moi, ce n’est pas forcément le type d’acteurs avec qui j’ai envie de travailler, et le propos que je peux avoir dans mes projets ne correspond pas aux attentes. Donc ça prend plus de temps.
Il y a des fans qui souhaiteraient une suite à Blanche, le film que vous avez réalisé en 2002.
J’avais un super projet sur le Qatar, qui était monté, casté, prêt à se lancer. Et puis sont arrivés les attentats de Charlie, et les producteurs ont abandonné le projet, car dans mon scénario il y avait 21 fois le mot "djihad"… Après les attentats, tout le monde disait "nous sommes debout, il faut être debout, soyons debout..." Je pense justement que le fait d’être debout, c’est d’aller dans des projets comme ça, dans des sujets comme ça. Quand on a joué au Bataclan l’année dernière, il y a des gens qui se sont insurgés en disant "ce lieu devrait être un lieu de recueillement, un sanctuaire". Mais au contraire, il faut montrer qu’on est debout. Il y avait des jeunes femmes présentes, rescapées de la tuerie, et elles sont venues nous voir avant le concert et elles nous ont dit : "vous avez une sacrée paire de c... de venir jouer ici, parce qu’il n’y a plus aucun artiste français qui ne veut venir jouer ici". Il faut rester sur le terrain, et leur monter qu’on est là. Quand il y a eu plusieurs villes du sud de la France prises par le FN dans les années 90, plusieurs artistes français ne voulaient plus aller jouer dans ces villes, et allaient jouer à dix kilomètres ! Nous, on est allés jouer dans les villes. Il ne faut pas déserter.
David Jacob (basse), Izo Diop (guitares), Bernie Bonvoisin (chant), Norbert Nono Krief (guitares), et Chris Dupuy (batterie) (MATHIEU NINAT)
Bon Scott (premier chanteur d’AC/DC – NDLR) avait traduit vos textes en anglais, mais il est malheureusement décédé avant de pouvoir vous les transmettre. Est-ce que vous pouvez nous raconter le lien assez fort que vous aviez pu tisser avec lui ?
Ça a été une rencontre déterminante pour plein de choses, d’un point de vue humain, mais aussi pour notre carrière. C’est grâce à Bon Scott qu’on a pu signer en Angleterre, c’est lui qui a parlé de nous au label. Il avait également parlé de nous à Amhet Ertegün, le fondateur du label Atlantic, et qui nous avait appelé, car il voulait faire avec Trust la même chose qu’avec Led Zeppelin. Et ça, c'était grâce à Bon Scott. C’est quelqu’un qui a été bienveillant avec nous, et j’espère que de là où il est aujourd’hui, il est bien entouré et choyé, parce qu’il le mérite.